Recension du quatrième numéro du Présent de la psychanalyse, nouvelle revue de l’APF
« — Vous croyez ? » tel est le titre du quatrième numéro du « Présent de la psychanalyse », la revue nouvelle que l’Association Psychanalytique de France a lancée aux PUF, il y a maintenant deux ans, convaincue que la psychanalyse a encore beaucoup à dire à un large public. Pendant longtemps le monde a passionnément interrogé la psychanalyse et la psychanalyse a passionnément interrogé le monde. Notre pari avec la création dans un contexte éditorial qui exige de l’audace est de penser que ce dialogue appartient encore à notre présent.
Le premier numéro questionnait Le meurtre de la mère, contrepoint archaïque du meurtre du père, cette clef de voûte de l’édifice freudien. Le numéro suivant abordait La folie de la norme, en se penchant sur la société contemporaine à partir d’un élément central du malaise contemporain. Puis ce fut Le refoulement en héritage, se proposant de revenir sur un point central de la métapsychologie, dans un numéro très clinique, enfin nous arrivons à ce quatrième numéro sur la croyance. Dans la lignée des différentes revues apparentées à l’APF, il s’agit de permettre un dialogue avec des psychanalystes venus d’autres horizons, et aussi de maintenir un dialogue avec d’autres disciplines des sciences humaines, une manière d’ouvrir le champ des repères que la clinique appelle. Dans ce fil, les arts et la littérature d’abord, mais pas seulement, ont leur place : chaque numéro propose de prolonger ce dont parlent des articles métapsychologiques avec des textes qui font écho au thème traité.
« — Vous croyez ? »
Nous n’en avons jamais fini avec la croyance.
L’actualité nous en fournit la preuve surabondante : les croyances sont ce qui organise notre vie collective. Il y a des fake news, mais comment en venir à bout quand la croyance est là. La fake news n’existe que pour celui qui n’y croit pas. À travers cet événement caricatural de notre monde contemporain se posent toutes les questions autour de la croyance. Il y a, bien sûr, les croyances religieuses qui se rappellent à nous quand elles animent les fanatismes les plus criminels, qui au nom de la vérité – car croire à quelque chose c’est penser que ce que l’on croit est vrai – n’hésitent pas à tuer.
Mais la croyance ne se tient pas seulement dans ces formes extraordinaires, elle fait partie d’abord de notre ordinaire, et c’est cette dimension qui est la plus complexe à saisir. Nous sommes précédés et environnés par la croyance. Aussi ne s’agit-il pas d’imaginer un monde qui serait débarrassé de la croyance, mais bien au contraire de prendre la mesure de la croyance dans le tissu le plus intime de la vie humaine. Cette première étape est le préalable à toute approche un peu critique de nos croyances, mais nous savons que nous ne quitterons une croyance que pour une autre qui aura été élaborée, dans le meilleur des cas, par le travail de conviction, lequel, à son tour, justifiera un jour sa propre déconstruction.
C’est la direction que ce numéro s’est proposé d’emprunter : non pas de recenser les formes des croyances, quelle que soit la fascination que celles-ci dans leur exotisme et leur démesure parfois, peuvent exercer, mais tenter de rester au plus près de ce qui est le moteur de ces croyances, intimement liées à ce qu’il en est du désir.
Les points de vue dès lors peuvent être multiples et cette diversité apparaît dans ce quatrième numéro du Présent de la psychanalyse. Parler de croyance s’inscrit dans une longue lignée de textes analytiques : les questions religieuses ont été au cœur de la réflexion de Freud, que ce soit du point de vue de l’individu quand il parle, très tôt dans son œuvre, de l’attente croyante, ou que ce soit du point de vue de la société avec ses grands livres sur L’avenir d’une illusion ou Malaise dans la civilisation.
Aujourd’hui l’actualité de la croyance au niveau sociétal prend la forme de ce qu’on peut appeler un retour du religieux, qu’il prenne des formes traditionnelles ou des formes radicales, de façon très variable selon les continents. Ce qu’on en connaît sous nos latitudes, qui se manifeste parfois sous les modalités les plus archaïques et les plus mortifères, montre de façon spectaculaire combien les croyances mettent en œuvre une formidable résistance à ce qui pourrait les déconstruire.
Mais les croyances ne se cantonnent pas au domaine de la religion et définir le sens du mot et l’extension du domaine auquel il renvoie est d’une infinie complexité. La première approche que chacun a de la croyance se fait à travers ses objets de croyances, c’est-à-dire ceux-là même qui lui sont offerts par le monde et dont le sujet se saisit. Les parents disent le vrai sur le monde, c’est l’expérience la plus partagée de tout enfant venant sur terre. La croyance est toujours déjà là, avant la critique rationnelle de l’opinion, avant le savoir. Si le savoir commence par le doute, ou la critique du préjugé, la vie commence par la croyance.
Mais les croyances sont aussi, plus profondément encore, ce qu’on appelle les valeurs qui sont constituées par elles : parfaitement intériorisées, elles exercent une fonction organisatrice et ce sont elles qui orientent une vie. Les croyances les plus inconscientes sont celles qui vont exercer les contraintes les plus fortes sur la perception de la réalité et les modes de présence de chacun au monde. Ce sont celles-là qui déchirent le monde en oppositions irréconciliables et qui conduisent à ce que l’autre apparaisse, dans ses références, comme incompréhensible. Et, au-delà encore, à la toute origine, c’est le champ des premières représentations lui-même qui se constitue comme croyance.
Ces divers plans de la croyance, sont abordées dans ce numéro « — Vous croyez ? », sans bien sûr prétendre épuiser le sujet. L’introduction se fera avec le très beau texte de François Gantheret qui réussit à incarner dans des mots ce que c’est que croire, fut-ce dans l’objet invisible de Giacometti. C’est d’emblée dire la complexité de ce qu’est la croyance. Puis, ce sera Jean-Claude Rolland qui abordera la question à partir de l’origine, la fonction essentielle de l’image dans l’activité psychique primitive ; juste après, un texte important de Fabio Herrmann, psychanalyste brésilien présenté par Sandra Lorenzon Schaffa, évoquera le processus même de représentation comme défense contre le chaos originel ; dans sa suite Dominique Suchet s’intéressera aux premières peintures rupestres comme prémisses du travail psychique à l’œuvre dans l’activité de représentation ; Patricia Attigui évoquera la délicate rencontre de la croyance religieuse traversant la cure et prise dans le transfert ; Denis Hirsch proposera un point de vue métapsychologique sur le radicalisme, élaborée à partir d’une expérience de « déradicalisation », qui suscitera certainement des débats ; Jean-Claude Stoloff reviendra sur l’identification pour éclairer les mouvements psychiques qui aboutissent aux phénomènes de croyance ; Daniel Zaoui retournera à la source même de quelques textes anthropologiques fondateurs et relira le « je sais bien mais quand même » de Mannoni ; Patrick Merot explorera l’enseignement que la référence au rêve, où l’on croit des choses véritablement incroyables, apporte sur le mécanisme de la croyance en inaugurant un dialogue avec les travaux de Charles Anders Pierce pour qui le travail de pensée n’a d’autre objectif que de produire de la croyance, c’est-à-dire la fin du travail de pensée ; enfin, dans un passionnant entretien avec Françoise Laurent, Sorj Chalandon évoquera le travail de l’écrivain qui veut « faire croire » à ses histoires. Pour introduire à cet échange, quelques pages extraites de son roman « Profession du père » font vivre avec une formidable intensité le désarroi de l’enfant confronté au mensonge d’un père.
Comment penser les opérations psychiques qui sont en jeu dans tous ces contextes ? Telle est la question à laquelle les différentes contributions de ce numéro veut se confronter.
Patrick Merot
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