Dans cet ouvrage écrit par Serge Hefez en collaboration avec Pascale Leroy, l’auteur se propose de répondre à l’interrogation située en 4ème de couverture : et si la remise en question des genres n’était pas la catastrophe annoncée par certains ?
Pour développer son argumentation, l’auteur s’appuie sur ses recherches documentaires, sa pratique clinique et sur des considérations sociologiques et des faits d’actualité.
Le livre est construit autour de dix chapitres qui tentent de confronter au sens le plus large les notions de sexe et de genre en traitant des thèmes de l’identité (de genre, sexuée, sexuelle…), des pratiques sexuelles actuelles, de la parentalité et de la filiation.
Le ton donné au propos se veut accessible et pédagogique, ceci probablement pour en faciliter l’accès à un large lectorat. Le propos est illustré de nombreux exemples cliniques. L’écriture dans un style parfois direct pourra parler aux uns mais peut-être en étonner d’autres.
Dès l’introduction, Serge Hefez s’appuie sur ce qu’il perçoit de la jeunesse actuelle et indique qu’elle remet en question les notions de genre et de sexualité. Pour l’expliquer, il fait référence à la médecine en écrivant que les jeunes « savent que les avancées de la médecine et de la chirurgie peuvent transformer leur corps pour le rendre conforme à leurs aspirations profondes » (p.11). Il s’appuie aussi sur une enquête journalistique qui leur a donné la parole pour démontrer qu’ils jouent avec leur genre, leur identité et leurs pratiques sexuelles. L’auteur confesse « qu’il s’y perd parfois dans sa consultation dédiée aux personnes en transition de genre » (p.12), comme pour souligner d’emblée l’aspect vertigineux et déstabilisant de la question à laquelle il est confronté.
Dans le premier chapitre intitulé « la planète trans », Serge Hefez rappelle combien le sentiment d’identité sexuée est variable d’un individu à l’autre. Un cas clinique, celui de James, permet d’entrer d’emblée dans la complexité du thème abordé dans lequel les questions touchant au fantasme et à la réalité semblent parfois se télescoper.
Des références culturelles et scientifiques permettent à l’auteur d’avancer l’idée selon laquelle « le genre est vu comme une performance, un spectacle intérieur et extérieur que l’on peut jouer et déjouer, choisir et transformer à volonté à partir d’éléments que nous possédons tous » (p. 32).
Serge Hefez indique s’inscrire dans une démarche psychanalytique face aux questions de transidentité, et en profite pour lever de façon salutaire une confusion trop fréquente en précisant que la recherche de causes psychiatriques de la transidentité est différente de l’exploration « d’une causalité psychique qui se fonde sur des choix d’identification » (p.40). Il poursuit en rappelant que « le rôle du psychanalyste n’est pas de juger, mais d’accompagner… d’aider à relâcher les contraintes, entre pression identitaire et exigences fantasmatiques… pour déployer un espace de conflictualité, une possible aire de jeu ». (p.46).
Le chapitre suivant « tous bisexuels ? », traite de la question des orientations sexuelles. L’auteur s’emploie à démontrer que les comportements sexuels ont évolué et que les barrières les délimitant ou les définissant (homo, bi, hétéro) sont à présent décloisonnées. Freud est souvent cité pour expliquer ce qu’est la notion de bisexualité sans qu’il soit cependant toujours possible pour le lecteur de comprendre si l’auteur parle de bisexualité en terme psychique ou de pratiques sexuelles.
Le chapitre IV est consacré à la question de l’intersexualité. L’expérience médicale de l’auteur qui s’appuie sur les rencontres de patients porteurs d’anomalies sexuelles au plan anatomique, hormonal ou chromosomique est très intéressante à lire pour un lecteur peu au fait de cette question.
Deux autres chapitres, le III et le V se situent plutôt sur les registres sociologiques et sociétaux. Il y est question des nomes sexuelles et de la façon dont elles peuvent entraver l’accession à sa sexualité, en particulier en ce qui concerne l’homosexualité masculine. Dans le chapitre V « la révolution me too », l’auteur reprend les faits d’actualités qui ont marqué la fin 2017 et leurs conséquences. Il part de la question de la domination masculine pour évoquer celle de puissance et l’appréhender tant du point de vue de l’homme que de la femme.
Le chapitre VI, « Fantasme : tout en nuances » tente d’éclairer le lecteur sur la dimension interne du fantasme et sur le fonctionnement de l’inconscient. Le cas de Philippe illustre le fait que l’homme et la femme ont une vie fantasmatique totalement bisexuelle et fondée sur les identifications précoces inconscientes, que le travail de l’analyse met à jour pour permettre « de trouver plus de souplesse dans la conduite de sa vie » (p. 152).
Les derniers chapitres portent sur les questions relevant du couple, de la famille, de la procréation et de la filiation.
Dans le chapitre IX, Serge Hefez cherche à décloisonner la notion de famille en indiquant qu’elle n’est ni naturelle, ni universelle. L’auteur veut démontrer que la famille est une notion qui évolue. Il avance la notion de parentalité pour préciser que « les enfants doivent désormais composer avec différentes personnes, grâce auxquelles ils sont au monde » (p. 208). Puis, il parle des familles « inédites » et précise qu’elles « disent clairement qu’il n’est plus besoin d’être un homme pour être un père, une femme pour être mère, qu’on peut exercer seul ou à deux ces deux fonctions parentales » (p. 210). Il évoque les situations dans lesquelles des hommes portent un enfant, situations vis-à-vis desquelles le législateur « apparaît pour le moins frileux » (p. 214).
Le chapitre X permet à l’auteur d’aborder la question de la PMA. Il prend à nouveau appui sur les avancées scientifiques notamment à propos des biotechnologies de la reproduction pour conclure à « l’effacement progressif de la différence des sexes » (p. 224) et suggérer l’idée d’une filiation qui « à la faveur de la loi, serait établie sur un mode volontaire » (p.226). Il revient sur la question de la procréation pour traiter de la façon dont on parle aux enfants de leur conception. C’est l’occasion pour lui de partir des secrets et de leurs conséquences sur les individus, et d’indiquer qu’il se situe lui-même du côté de ceux qui considèrent qu’il faut parler aux enfants de leur conception. « Le silence, le secret et le mensonge peuvent tuer, au moins psychiquement », écrit-il (p.235), pour avancer la proposition de la « construction d’une narration commune » (p.240), un roman, un récit commun à la famille et qui fera « enveloppe familiale ». On l’aura compris, l’ouvrage cherche à répondre favorablement à la question posée : et si la remise en question des genres n’était pas la catastrophe annoncée par certains ?
La référence à la norme hétérosexuelle ou hétérocentrée y est souvent entrevue et peut-être à juste titre, sous l’angle le plus contraignant pour l’individu, comme une entrave à l’épanouissement de certains. Les récents progrès médicaux, la prévalence donnée au genre sur le sexe seraient selon l’auteur, l’opportunité d’une évolution sans précédent qui permettrait de s’affranchir des carcans ancestraux liés à la différence des sexes. Cependant, cette argumentation, même fondée sur des exemples cliniques et des références solides, ne donne pas au lecteur la possibilité de saisir la complexité des questions soulevées, tant du point de vue de l’individu que de celui du collectif. La référence aux avancées de la science, des biotechnologies comme de la médecine, pour n’évoquer que celles-ci, est d’emblée envisagée comme un moyen pour « accéder à ses aspirations profondes ». On aura peu d’informations à propos de l’après-coup des transitions sociales ou médicales, partielles ou totales, ou des effets qu’elles peuvent avoir sur la santé physique, psychique, la vie sociale ou amoureuse des personnes qui y ont eu recours. La question des trajectoires individuelles est pourtant bien représentée dans le livre qui ne manque pas d’exemples relevant de la consultation psychiatrique de l’auteur ou de sa pratique de psychothérapeute individuel et familial. Les récits, qui semblent souvent se référer à une écoute de type analytique, côtoient dans l’ouvrage des questions concernant l’évolution des notions analytiques comme la différence des sexes et des générations ou encore le fantasme de scène primitive et le complexe d’Œdipe. Ces questions sont malheureusement peu développées, à l’image de ce qui est écrit dans l’introduction, à savoir que « la pensée humaine, structurée depuis toujours à partir de la constatation de la différence des sexes, doit aujourd’hui faire son aggiornamento » (p. 16).
L’auteur indique aussi que les familles, la procréation et la filiation évoluent et il laisse entendre que le droit devrait suivre cette évolution sociale sans que ne soit évoquée la complexité du chantier pour le législateur dont la mission n’est pas nécessairement de légiférer dans tel ou tel sens mais peut-être bien de participer à une vision à long terme de la société. Dans le même mouvement, le lecteur pourra s’étonner de voir écrit que « les enfants doivent désormais composer avec différentes personnes grâce auxquels ils sont au monde » (p. 208) sans pouvoir se faire un avis de ce que cela représente comme travail pour eux, au moins au plan psychique. L’idée d’ouvrir la société, de la rendre plus tolérante face à la diversité des individus est défendue avec générosité. Cependant, dans l’ouvrage, cette ouverture ne permet pas d’envisager ceux qui souhaiteraient simplement considérer les questions de transitions avec circonspection ou prudence autrement que comme des réactionnaires et des opposants à toute évolution sociale. Le livre est donc plutôt conçu comme un plaidoyer, parti pris d’ailleurs annoncé dès la question soulevée en 4ème de couverture. L’argumentation relevant de registres variés donne au final peu accès à une vision critique de la question soulevée. Le lecteur trouvera dans l’ouvrage une succession d’arguments, mêlant peut-être par enthousiasme des notions analytiques de fantasme et de réalité psychique à un discours sociologique ou médical portant davantage sur la réalité externe et sur les possibilités de mettre en acte « les aspirations profondes ». Il faudra sans doute orienter sa lecture dans d’autres directions si l’on veut s’informer. Mais peut-être que l’ambition du présent ouvrage est moins d’informer que de convaincre ?
Transitions, réinventer le genre de Serge Hefez est publié chez Calmann Levy