En mains propres Autour de la couleur…

En musique clas­sique, comme dans les musiques impro­vi­sées, une pré­sence du pas­sé ou des paroles por­tant conflits sont per­çues par l’interprète qui situe dès lors sa per­cep­tion dans une lignée dont il est un pro­lon­ge­ment. Son geste d’invention apporte un éclai­rage dans la moder­ni­té de l’époque où il vit et, de ce fait, a valeur d’interprétation. La mani­fes­ta­tion de cette pré­sence appar­tient à la poé­tique. En lit­té­ra­ture, des poèmes sont par­fois dif­fi­ci­le­ment acces­sibles, alors un com­men­ta­teur est néces­saire pour leur don­ner sens et nais­sance.
Cette place, située en arrière plan, les ana­lystes la connaissent car ils l’occupent en rece­vant un sujet immo­bi­li­sé psy­chi­que­ment comme s’il n’avait pas ou plus accès à un sur­plomb de son his­toire.
Sen­sibles à l’ouverture que favo­risent les pas­seurs et leur écoute, Laurent Danon-Boi­leau et moi, sou­hai­tons aller à la recherche des pos­tu­lats qui guident les créa­teurs dans leur action et les sou­tiennent dans leur intui­tion. Nous nous sommes tour­nés vers Valé­rie du Ché­né qui, lors d’un tra­vail ori­gi­nal, a ren­con­tré des sujets tran­si­toi­re­ment ins­tal­lés dans un lieu de réclu­sion pour leur pro­po­ser un ate­lier où ils puissent se frot­ter à un acte créa­teur. Est-ce là une manière de leur per­mettre de trou­ver ou reprendre contact avec des élé­ments dis­pa­rates et écla­tés d’eux ? En tout cas le pas­seur qu’est l’artiste nous a per­mis d’entrer en dia­logue avec son pro­jet : c’est l’objectif de l’échange qui suit.

Entre­tien avec Valé­rie du Ché­né par Jean-Yves Tamet

JYT : Mer­ci Valé­rie du Ché­né de vous être ren­due dis­po­nible pour ce pro­jet qui a ger­mé dans notre esprit, Laurent Danon-Boi­leau et moi, dans le contexte dif­fi­cile des atten­tats de l’automne suc­cé­dant à celui du début de l’année. Com­ment, avec d’autres, sol­li­ci­ter la vie alors que les forces de des­truc­tion font entendre leur souffle et mani­festent leurs effets ? Le jeu dans sa double accep­tion de léger et d’inventif mais aus­si de grave est venu à point nous pro­po­ser une piste pos­sible d’échanges.
Votre nom alors m’est venu…présent depuis notre ren­contre dans les Cor­bières il y a quatre ans, depuis aus­si la lec­ture de votre der­nier livre.
Votre livre  m’a ému comme expé­rience ori­gi­nale en milieu car­cé­ral en un lieu où vous êtes sen­sible à ouvrir et colo­rer l’espace : votre regard et ensuite votre récit mettent et placent le lec­teur à vos côtés dans cette aven­ture artis­tique ; j’ai pen­sé que vous nous don­niez un maté­riel qui per­met d’apprécier le génie de votre démarche et sa per­ti­nence. Ain­si com­ment à par­tir d’un dis­po­si­tif simple sourd l’originalité, tel est déjà un pre­mier constat.
Je com­men­ce­rai par évo­quer des élé­ments du dis­po­si­tif de la ren­contre de votre tra­vail dans cette pri­son : un début avec l’arrivée sur le par­king de la mai­son d’arrêt, ce lieu où vous lais­sez votre voi­ture et qui est le lieu de la liber­té avant l’entrée dans celui de la réclu­sion. Puis il y a aus­si vos tenues ves­ti­men­taires, à chaque fois dif­fé­rentes car tel est votre sou­ci ; elles portent sur elles votre pré­oc­cu­pa­tion de la cou­leur. Vient enfin le choix des tou­pies, mer­veilleux objets de bois qui sont si proches de l’enfance mais aus­si de la fémi­ni­té… même sur le mode de la vul­ga­ri­té ! Ne dit-on pas d’une femme au carac­tère aigri qu’elle est une tou­pie et même une « vieille tou­pie » ! et puis les mains, celle gan­tées et savantes de la conser­va­trice et celles, buri­nées et mas­cu­lines, des pri­son­niers qui pré­sentent leurs objets peints. Ces élé­ments nous conduisent à l’appréhension enfan­tine du monde un peu comme nous y sen­si­bi­lise Pas­cal Qui­gnard quand il évoque si sou­vent dans son œuvre le rap­port com­pli­qué de l’enfant et des mots, ces ambas­sa­deurs du monde des parents.
Ma pre­mière ques­tion devient alors celle-ci : com­ment en êtes-vous venue à mettre en place ce dis­po­si­tif ? Com­ment s’est-il impo­sé à vous ?

VdC : Cela s’est fait empi­ri­que­ment, selon le temps et les ren­contres. Au départ, ce n’est pas une volon­té de ma part, je vou­lais aller en pri­son et ren­con­trer des déte­nus mais Arlette Farge1 m’a alors reca­drée gen­ti­ment. Elle m’a dit que cela ne se fai­sait pas comme ça ! Nous étions en 2010 et ce pro­jet fut donc mis de côté pour renaître en 2013 quand le Musée régio­nal d’Art contem­po­rain de Séri­gnan dans l’Hérault, a mis en place un pro­jet autour de l’incarcération. Je vou­lais don­ner la parole et faire par­ta­ger mes sen­sa­tions sur la cou­leur : les tou­pies sont venues de là. Puis, comme il fal­lait faire connais­sance, j’ai pro­po­sé de tra­vailler d’abord sur le son qui n’a rien à voir avec la cou­leur mais ce tra­vail m’a per­mis d’enregistrer les voix des déte­nus com­men­tant les sons et ensuite de trans­crire leurs sen­sa­tions sur le papier. Ceci a été ren­du déli­cat par le fait de la pri­son tant par l’entrée du maté­riel d’enregistrement que par la garan­tie que je ne fasse pas écou­ter leurs voix à l’extérieur. Ce fut un com­pro­mis car je vou­lais au départ faire des entre­tiens comme ceux que j’avais réa­li­sés à Aix-en-Pro­vence, à 3bisf, lieu d’art contem­po­rain à l’Hôpital psy­chia­trique de Mont­per­rin. J’ai bifur­qué et les entre­tiens furent faits en groupe autour du thème du son et ensuite celui de la cou­leur est peu à peu venu. Mais c’est aus­si dans ces débuts que j’ai com­men­cé d’écrire le jour­nal de bord de l’expérience ; à chaque retour chez moi j’écrivais et j’y étais encou­ra­gée par une amie. Cette écri­ture a sau­vé le pro­jet que je com­men­çais à voir comme pre­nant l’eau ! J’ai donc écrit régu­liè­re­ment et écri­ture et cou­leur ont été inti­me­ment liées. Puis à Tou­louse aux Beaux-Arts, j’ai explo­ré le très riche fond de la biblio­thèque et je suis tom­bée sur le Trai­té de la cou­leur de 19132, livre magni­fique et là hasard et déclic sont venus devant les tou­pies qui occupent une place impor­tante dans cet ouvrage….ainsi, j’ai éta­bli une cor­res­pon­dance concrète entre la cou­leur et le jeu par l’intermédiaire de ces objets en bois.

JYT : Les choses ont donc été conco­mi­tantes et en somme vous démar­rez un ate­lier d’écriture à coté de celui sur la cou­leur !

VdC : Ce trai­té m’a fas­ci­née car avec les tou­pies il y a aus­si le son, un ron­ron­ne­ment ou un ron­fle­ment, quand elles tournent une fois lan­cées.

JYT : Bon. Mais qu’est-ce que la cou­leur ? Lors de notre pre­mière ren­contre, j’avais feuille­té chez vous et avec vous vos études qui avaient été faites à votre retour du Japon, et j’ai sou­vent repen­sé à votre talent pour marier les cou­leurs avec l’idée que ces assem­blages consti­tuaient comme une empreinte, une signa­ture ? Est ce que vous seriez d’accord avec cette remarque ?

VdC : Le tra­vail de peindre est énig­ma­tique et j’ai tou­jours bai­gné dedans ; ain­si quand je pro­pose aux déte­nus une expé­rience, c’est qu’elle compte aus­si pour moi. J’ai com­men­cé par peindre des tou­pies, repre­nant aux sources cette expé­rience de cou­leur. Quand je des­sine, je recom­mence et j’ai constam­ment le sen­ti­ment de repar­tir à zéro, de devoir tout repen­ser depuis le début. Ain­si à chaque fois je ne sais si je vais y arri­ver ; j’ai l’impression de retrou­ver les gestes d’un appren­tis­sage comme l’enfant qui explore. J’ai décou­vert que dans mes acti­vi­tés d’enseignement, dans cette expé­rience comme dans le tra­vail de res­tau­ra­tion des pierres que je mène par ailleurs à Cous­touge dans l’Aude où j’habite, je suis prise dans ce mou­ve­ment de démar­rer et de retrou­ver les sen­sa­tions du début sans que la fin ne soit assu­rée.

JYT : Ne tou­che­rions-nous pas là à votre style, à la sin­gu­la­ri­té de votre petite musique créa­trice qui repasse par des com­men­ce­ments ?

VdC : Le mot « style » est pour moi péjo­ra­tif et je pense plu­tôt au plai­sir des retrou­vailles.

JYT : Votre remarque aiguille alors sur un aspect de vos inté­rêts que je connais qui est celui des lignes d’erre tra­cées par Fer­nand Deli­gny en obser­vant le jeune ado­les­cent qui vivait avec lui à Mono­blet (Ce Gamin-là, film de Renaud Vic­tor, 1975). Je sais aus­si votre manière de nom­mer « déca­lés » des enfants en situa­tion dif­fi­cile dans leur déve­lop­pe­ment.

VdC : J’ai décou­vert Fer­nand Deli­gny aux Beaux-arts à Paris, ce fut tout de suite une forte impres­sion. Cela parle de l’origine du lan­gage et aus­si de mon propre rap­port au lan­gage. On m’a racon­té que jusqu’à l’âge de quatre ans je m’étais « inven­tée » une langue, connue de moi seule, et je ne me suis ouverte au lan­gage que plus tard. Dans mon tra­vail, les mots sont impor­tants et tout par­ti­cu­liè­re­ment dans le choix des titres qui résument une démarche et sont comme le titre d’une his­toire. Ceci vient aus­si en écho avec des pla­ce­ments dans l’espace, je suis gau­chère ; ceci m’avait inquié­tée il y a quelques années ! Ceci crée en moi un déca­lage, en tout cas je le nomme ain­si et dans cer­tains situa­tions pour­tant déli­cates je suis comme un pois­son dans l’eau, un peu comme ces enfants avec qui j’avais tra­vaillé ou comme ces déte­nus. Mais mes titres sont l’objet d’un tra­vail méti­cu­leux et doivent repré­sen­ter pré­ci­sé­ment le tra­vail en cours.

JYT : En ce qui concerne les déte­nus on voit que votre écoute et votre démarche per­mettent à quelques-uns de lais­ser venir des sou­ve­nirs et de s’interroger sur eux comme s’ils éta­blis­saient des connec­tions entre leur actua­li­té et leur pas­sé trou­blé.

VdC : Est-ce l’effet du temps, d’un pas­sage du sombre au des­sin et entre les deux l’attente. Ils ont été sen­sibles à la dis­po­ni­bi­li­té que je leur accor­dais durant ce temps et aus­si à la place atten­tive à dis­tance qu’ont eue les étu­diants dans cette expé­rience. De temps en temps, je leur posais une ques­tion sur la cou­leur et par­fois ils accro­chaient et par­laient de leur uni­vers vu sous cet angle par­ti­cu­lier. Mais il n’y eut que 10 séances en deux mois et, en fait, vu les moda­li­tés de vie dans la mai­son d’arrêt, les séances étaient plus proches d’1 heure et quart que des deux heures pré­vues.

JYT : J’ai sen­ti dans votre récit la manière dont vous étiez atten­tive aux petits évè­ne­ments qui se pas­saient et qui mon­traient le tis­sage fami­lier et res­pec­tueux en marche dans cette aven­ture. Mais dans ce par­cours quel est le rôle de l’historienne ?

VdC : En fait ce tra­vail com­mence avec le pro­jet sur La Capu­cine (Arlette Farge et Valé­rie du Ché­né (2014),« La Capu­cine s’a­donne aux pre­miers venus… », Edi­tions La Pion­nière)  car là nous avions à sélec­tion­ner des faits divers, une ving­taine, que j’allais des­si­ner. Les pri­son­niers de ces récits étaient morts et dans le pro­jet actuel j’allais en voir certes… mais vivants ! Pen­dant que je pré­pa­rais cette acti­vi­té j’ai par­lé sou­vent à Arlette Farge du pro­jet et elle m’accompagnait. Elle me racon­tait ce qu’elle avait appris et son texte est donc un à‑côté du pro­jet.  Dans la construc­tion de l’exposition au BBB sa place est sin­gu­lière car le par­cours com­mence par l’écoute de sa voix sor­tant d’un mur blanc, lisant ses quatre textes « Non soleil, tu ne ren­tre­ras pas ! ». Ils sur­gissent comme une appa­ri­tion. Ces courts textes d’une minute cha­cun sont des fic­tions. Mais autant le pro­jet de la Capu­cine avait comme objet final un livre autant dans celui-là on change d’échelle. Par ailleurs son texte « Des mains sans liber­té » dans l’ouvrage est spé­ci­fi­que­ment adres­sé aux déte­nus même si nous ne l’avons pas clai­re­ment indi­qué.

JYT : Nous par­tons de la cou­leur mais, de nou­veau, nos pas croisent la dimen­sion de l’histoire et des ori­gines de votre tra­vail tant avec l’évocation de votre enfance que de l’amitié et la col­la­bo­ra­tion avec Arlette Farge. Avec elle, est pré­sente une dimen­sion par­ti­cu­lière d’intellectuels qui, comme Fou­cault, ont ame­né vers la lumière des « vies minus­cules » ; pour ma part, j’y fus sen­sible avec l’histoire d’Herculine Bar­bin mise à jour par Fou­cault ; Ain­si sans le vou­loir votre démarche actuelle s’inscrit dans le pro­lon­ge­ment de ce cou­rant et ce en par­tant d’une dimen­sion simple, expé­rience offerte à cha­cun, celle de la cou­leur.

VdC : C’est ma porte d’entrée !

JYT : Un peu comme le trait sur la paroi de Las­caux a ouvert un pan de réflexion sur le dit pri­mi­tif et sa sor­tie de l’ombre sans lan­gage où il a dû vivre au début. Un geste qui en dit long. Las­caux me fait pen­ser d’ailleurs à vos pierres peintes.

VdC : Je me suis fait la réflexion récem­ment que je connais­sais bien les pierres car sur le chan­tier, il était néces­saire de tour­ner, regar­der et sou­pe­ser les pierres pour appré­cier la place exacte où nous allions les mettre. Cet inté­rêt demeure car en juillet pro­chain, je vais faire une expo­si­tion sous l’eau de pierres peintes, « une expo pour les pois­sons » comme dit ma fille ! Je vais immer­ger dans la baie de Cer­bère  par 1 à 3 mètres de fond huit pierres peintes et le titre sera Les Absor­beuses. La lumière se trans­forme et la pre­mière à dis­pa­raître sous l’eau est le rouge et en der­nier le bleu avant le noir total. Pas néces­saire de plon­ger pour les voir, sim­ple­ment nager, avec ou sans tuba, mais c’est une plon­geuse qui les pla­ce­ra.

JYT : Le pro­jet est de voir la cou­leur à tra­vers un élé­ment, ici l’eau ?

VdC : Les cou­leurs se trans­forment et regar­der dans l’eau per­met une nou­velle approche. En ce lieu la struc­ture artis­tique qui porte le pro­jet est en contact avec la pen­sée de Wal­ter Ben­ja­min. D’ailleurs, j’ai long­temps pen­sé que les cailloux étaient cas­sés par les pri­son­niers qui ont été employés dans la construc­tion.

JYT : Etes-vous sen­sible à la manière dont les cou­leurs ont une his­toire ? Je pense à toute la sym­bo­lique reli­gieuse qui a occu­pé durant long­temps les peintres et qui nous rend par­fois dif­fi­cile la lec­ture de tableaux car nous ne sommes plus ou si peu en contact avec ce réseau sym­bo­lique. Je dois à Daniel Arrasse de m’avoir éclai­ré en ce domaine. Est-ce une dimen­sion vers laquelle vous êtes allée ?

VdC : Au début ma démarche fut ins­tinc­tive et d’ailleurs j’apprécie les Pri­mi­tifs ita­liens mais récem­ment je me suis plon­gée dans les livres de Michel Pas­tou­reau, notam­ment « Les cou­leurs de nos sou­ve­nirs » (2010), il a d’ailleurs eu mon livre que j’ai pu lui offrir. Il a écrit sur les cou­leurs et en par­ti­cu­lier la veste jaune de Bre­ton ! Pour les tou­pies c’était fas­ci­nant de voir qu’en mou­ve­ment le jaune et le bleu ne fai­saient pas du vert ! La vitesse intro­duit un para­mètre qui change l’ordre des assem­blages. Vous pour­rez voir au BBB  une table de jeu faite à hau­teur d’adultes où des tou­pies sont à dis­po­si­tion des visi­teurs ; vous ver­rez qu’elles ont vécu car leurs pointes sont émous­sées. Si on les pho­to­gra­phie en mou­ve­ment la cou­leur n’est pas iden­tique à celle que l’œil voit comme si l’œil était plus juste.

JYT : Je me suis deman­dé si vous aviez votre propre glos­saire de noms de cou­leurs un peu comme une approche per­son­nelle qui n’utilisait pas for­cé­ment les nomi­na­tions clas­siques.

VdC : Non pas encore ? Je suis très inté­res­sée par les nuan­ciers et leurs termes et au Japon, j’avais ache­té des ouvrages spé­ci­fiques sur la nomi­na­tion des cou­leurs.

JYT : Si je vous pose cette ques­tion c’est que mon œil garde des teintes un cer­tain vert qui me semble signer votre tra­vail et s’instaurer comme un mar­queur spé­ci­fique de votre œil ; avec le temps on recon­naît un artiste à ces marques qui s’inscrivent peut-être sans inten­tion de sa part. Mais reve­nons à l’enfance et puisque vous l’avez évo­quée celle de votre fille…Est-ce que sa manière de peindre vous apprend ?

VdC : Nous pei­gnons ensemble depuis qu’elle est petite par­fois sur la même feuille mais aus­si cha­cune de notre côté et main­te­nant elle pré­fère plu­tôt peindre seule, avec sa feuille à elle ! D’ailleurs son pré­nom, Garance, est celui d’une cou­leur mais aus­si d’une mau­vaise herbe comme les habi­tants de Cous­touge, éton­nés de ce choix, me l’ont très vite dit à sa nais­sance.

JYT : Est-ce que nous pour­rions évo­quer pour conclure la manière dont vous-même avez mis un terme à cette expé­rience ?

VdC : Il y a eu un temps de res­ti­tu­tion et j’ai sou­hai­té que le livre soit offert en pre­mier aux déte­nus lors d’une fête qui s’est dérou­lée avec les étu­diants, au nombre de huit, et avec la pho­to­graphe. Je n’ai pas vou­lu faire une expo­si­tion de tou­pies : mais chaque déte­nu est par­ti avec le livre, sa tou­pie et une pho­to d’elle. Il y a eu un temps avec les offi­ciels mais nous avons pu gar­der une demi-heure entre les étu­diants et eux, temps fort et émou­vant qui s’est clos par quelques pleurs au moments de la sépa­ra­tion. Mais à par­tir de là, d’autres pro­po­si­tions sont en cours pour déve­lop­per des échanges entre cer­taines mai­sons d’arrêt et des struc­tures d’art ou écoles d’art. D’ailleurs, dans le car qui nous rame­nait, une étu­diante a écrit six pages d’un texte très intense et per­son­nel qui fut lu lors d’une réunion ulté­rieure.

JYT : Moment de clore pour nous aus­si cet échange autour de votre der­nier tra­vail publié et pré­sen­té ; il me semble au terme de nos pro­pos que nous avons fait pas­ser des idées à par­tir de la contem­pla­tion d’objet en bois peint et que nos che­mins sont allés en direc­tion de l’Histoire et du temps vécu et habi­té par cha­cun selon le rythme de ses traces de vie. Mer­ci en tout cas de votre dis­po­ni­bi­li­té si ami­cale.

Valé­rie du Ché­né vit et tra­vaille à Cous­touge (Aude), Tou­louse et Paris
Après une for­ma­tion construite au car­re­four de l’art (ENSB‑A – École Natio­nale Supé­rieure des Beaux-Arts, Paris) et de l’urbanisme (ENSAMMA – École Supé­rieure des Arts Appli­qués et des Métiers d’Art, Oli­vier de Serres, Paris ) elle a déve­lop­pé un tra­vail de cou­leur et de volume autour de la ren­contre et de la confron­ta­tion ;
• avec l’autre (Bureau des ex-voto laïques [2006], Diva­ga­tion [2009], Rys­the­win [2011])
• avec l’espace (com­mandes publiques Mirage [2007], Air(e)s de repos [2013], Éclats de pay­sage [2013], Les Absor­beuses [2016]), et de sa repré­sen­ta­tion fon­dée sur les notions d’image et de lieu.
Il lui est impor­tant en tant qu’artiste aujourd’hui de rendre visible des méca­nismes de vies ou des élé­ments de volumes qui n’apparaissent pas ou plus : « rendre visible un mor­ceau de réa­li­té ». Pour cer­tains pro­jets, elle fait inter­ve­nir le lan­gage sous une forme pro­to­co­laire d’enquêtes auprès de per­sonnes volon­taires avant de pro­duire pein­tures des­sins ou sculp­tures (Lieux dits au Japon [2010] , Inci­dence à Paris [2013] ). En 2014 elle col­la­bore avec l’historienne Arlette Farge à pro­pos des archives judi­ciaires du XVIII° à Paris ; un livre « La Capu­cine s’adonne aux pre­miers venus » aux Édi­tions La pion­nière en découle , ain­si qu’une expo­si­tion L’Archipel au CRAC LR à Sète. Paral­lè­le­ment Valé­rie du Ché­né a fait un tra­vail inti­tu­lé « À yeux ouverts, les oreilles n’ont pas de pau­pières », avec les déte­nus du Centre Péni­ten­tiaire de Béziers en par­te­na­riat avec le MRAC LR de Séri­gnan dont la res­ti­tu­tion est le livre « En mains propres » édi­té par Les édi­tions la vil­la saint clair [2015], ain­si qu’une expo­si­tion «  Mettre à plat le coeur au ventre » au centre d’art le bbb à Tou­louse [2016].
Depuis 2012, ensei­gnante et coor­di­na­trice pour la pre­mière année à l’isdaT (Beaux-arts) de Tou­louse ; avec trois ate­liers : « Ondes à Son­der », « Tom­ber dans l’espace », et « Les films ne poussent pas dans les arbres contrai­re­ment aux bananes qui murissent au soleil. »

NOTES :

  1. His­to­rienne des men­ta­li­tés, Arlette Farge tra­vaille sur les thèmes des iden­ti­tés popu­laires au XVIIIe siècle, des rela­tions hommes-femmes et de l’é­cri­ture de l’histoire.
  2. Trai­té de la cou­leur (1913), par M.A.Rosenstiehl H.Dunod, E. Pina Edi­teurs.