Démontrer que Freud ne fut pas religieux serait chose aisée, de même que suivre sa propre reconnaissance du rôle de l’esprit juif ou du caractère juif, comme il l’a pu l’écrire lui-même, dans la surdétermination de son œuvre. Il nous suffirait de suivre ses propres déclarations. Mais nous ne serons pas étonné si à la lecture de son œuvre et de son abondante correspondance (environ 40 000 lettres) nous découvrons une plus grande complexité, faite de contradictions apparentes à propos d’aspirations sinon de tentations religieuses ; ceci chez cet homme juif qui occupe une place singulière et unique dans l’histoire des sciences et de la pensée humaine, du fait qu’il a élaboré de toute pièce une nouvelle discipline, portant certes en elle l’héritage de toutes les tentatives qui l’ont précédée, et qu’il a offert à l’humanité une nouvelle intelligibilité du monde, tant psychique que sociale, ainsi qu’un outil thérapeutique qui est utilisé de nos jours par des millions de personnes.
Freud s’est très tôt reconnu un tempérament de conquistador et d’aventurier, plutôt que d’homme de science et de penseur, et a remis sa détermination à poursuivre son œuvre au compte de sa curiosité, sa témérité, sa ténacité (« En réalité, je ne suis pas du tout un homme de science, un observateur, un expérimentateur ni un penseur. Par tempérament, je ne suis rien de moins qu’un conquistador – un aventurier, si vous préférez, avec toute la curiosité, la témérité et la ténacité caractéristiques de ce genre d’hommes. » Sigmund Freud, lettre à Wilhelm Fliess, 1er février 1900), qualités qu’il attribuera sans hésiter à ses identifications juives les plus précoces et les plus fondamentales.
C’est donc une identité de scientifique quelque peu décalée de celle de son époque qu’il s’octroie, malgré ses identifications à la rigueur, à l’objectivité et à la rationalité des Lumières, au service du progrès, et contre les mystères ésotériques et l’obscurantisme du moyen-âge.
Mais il convoquera aussi l’amour de la vérité, au point de laisser planer une ambiguïté quant à son idéal, la même expression étant utilisée par toutes les religions et idéologies. Certes, il mettra assez rapidement cet amour de la vérité en position conflictuelle avec la reconnaissance de la réalité, référant la première à l’historicité du psychisme, c’est à dire au refoulement et à ses retours posthumes déguisés, la seconde à l’épreuve de réalité permettant d’accéder à une certitude contre la conviction et la croyance. Toutefois, il remit lui-même en cause régulièrement ses propres tentatives de trouver une épreuve de réalité assurant ladite certitude ; et il percevra que ni la motricité, ni le langage, ni l’interprétation ne peuvent offrir la garantie recherchée et espérée.
Un exemple : comment ne pas être surpris quand Freud, admirant l’écrivain Joseph Popper-Lynkeus, épouse son espoir de pouvoir « Rêver de même façon que veiller » (Fantaisies d’un réaliste), au nom de « la pureté, de l’amour de la vérité et la clarté morale » qu’il lui attribue ? Comment peut-il renoncer à toute sa doctrine du rêve et à ce qu’il considère comme sa seule et unique découverte, l’obligation pour la psyché de réaliser un travail de déformation et de dissimulation lors de la production de formations psychiques. Dans les deux textes qu’il consacre à Joseph Popper-Lynkeus (1923 ; 1932), il semble regretter de ne pouvoir accéder comme lui, directement à la vérité, et de devoir compter sur son « courage moral » et recourir à un travail d’interprétation en contre-point de celui de déformation, l’interprétation portant en elle un degré d’incertitude et d’incomplétude irréductible. Il nous dit alors son engouement pour les ouvrages de son « frère juif » qui comme lui a du supporter la douleur liée à son identité juive. Il n’aura pu rencontrer Joseph Popper-Lynkeus de son vivant, mais seulement après sa mort, en allant saluer son buste dans le parc de l’Hôtel de ville de Vienne. Son transfert sur Joseph Popper-Lynkeus est évident, cela ne lui a pas échappé, ses deux petits textes en témoignent ; tout comme ils témoignent, à travers la profonde humilité dont il fait montre, de son renoncement personnel à cette idéalisation de l’accès à une vérité « nue », transposée sur Popper-Lynkeus.
Freud ne s’est donc pas détourné radicalement de l’attraction de la solution religieuse ou de celle mystique. Il s’est laissé interpeller par des idéaux contradictoires. Il n’est pas un athée déniant la réalité de ces expériences ; bien au contraire, elles lui permettent d’aborder la place du déni au sein du fonctionnement mental, et de reconnaître qu’elles sont issues d’éprouvés émanant des tréfonds de nos êtres, auxquels il reconnaît une vérité. En 1938, il écrit cette petite phrase : « Mystique, l’auto-perception du royaume extérieur au moi, le ça » ( S. Freud (1938), Résultats, idées, problèmes, OCF.P XX, Paris, PUF, 2010)
Il a donc su laisser se transférer ses aspirations religieuses, via divers créateurs, les principaux étant Popper-Lynkeus et Romain Rolland avec le « sentiment océanique ». Plutôt que d’établir un clivage entre ce qui serait digne d’intérêt et ce qui ne le serait pas, il a préféré le schibboleth de l’interprétation basée sur l’examen métapsychologique de toutes les productions des hommes, ici les « expériences vécues intérieures ».
Il suffit de relire l’avenir d’une illusion, mais bien plus encore le tout petit texte écrit juste après en 1928, Une expérience vécue religieuse (S. Freud (1928 a), Une expérience vécue religieuse, OCF.P XVIII, Paris, PUF, 1994, pp. 201–204) , dans lequel il interprète un sentiment religieux éprouvé par un jeune médecin américain, dans une salle de dissection, auprès du « cadavre d’une vieille femme » au « visage si aimable, si ravissant » (this sweet faced woman ; this dear old woman). Freud reconnaît dans cet éprouvé, la réminiscence de l’amour infantile de son confrère pour sa mère ; et il lui rappelle au passage que lui reste un juif infidèle, « an infidel jew ».
De façon encore plus personnelle, dans sa lettre à Romain Rolland, il analyse son propre trouble de mémoire sur l’Acropole, invitant ainsi son destinataire à interpréter lui aussi son sentiment océanique. Son trouble est apparu devant la grandeur passée et les ruines de l’Acropole, et il l’interprète comme un sentiment de piété envers son père, en lien avec sa culpabilité d’avoir été plus loin que ce dernier dans sa réussite ; ce « plus loin que le père » n’est pas sans porter un double sens, entre s’affranchir des deuils commandés par la fonction paternelle, et utiliser celle-ci au service de l’élaboration psychique.
Plus que l’absence évidente de religiosité chez Freud, ce qui est remarquable, c’est sa capacité à interpréter les endo-perceptions donnant lieu aux croyances étayées sur lesdites expériences vécues intérieures, les siennes en particulier, à la base des sentiments religieux ou du sentiment océanique ; de les interpréter en lien avec les réminiscences du puissant facteur affectif de la prime enfance. Freud est d’autant plus convaincant, qu’il se laisse interpeller par ces expériences, qu’il ne se montre ni athéiste, ni positiviste ; et cela même devant la transmission de pensée et la voyance. Son éthique scientifique est celle qui sous-tend l’écoute psychanalytique, accorder une égale valeur à tout ce que l’homme produit, non pas pour lui réserver un accueil tolérant, mais pour l’interpréter au regard du fonctionnement mental, en tenant compte du refoulement dissimulateur banal et du déni de réalité le plus commun.
C’est en tant que laïque que Freud explore l’irrationnel, celui des rêves, des symptômes, des croyances et des idéologies, mais aussi l’animisme, la magie, la télépathie et la voyance, afin de discerner la part de réalité qui s’y exprime, mais aussi de trouver la vérité de ces croyances c’est-à-dire la place du déni au sein du fonctionnement psychique. Il défendra donc une position profane sans profanation, et sans éviter ses tentations et leurs contradictions. C’est de cette capacité à laisser vivre en lui les contraires dont se saisissent ses détracteurs. Ils lui reprochent de nous montrer ses renoncements à ses idéalisations, ce qui lui vaut leur géhenne. Des contradictions, nous pouvons en trouver de nombreuses, mais aussi les comprendre à contre-sens. N’a‑t-il pas réuni, durant des années, un groupe d’élus, analystes et sympathisants, lors des « séances du mercredi soir » ; puis fonder au sein même de ce groupe devenu Société Psychanalytique de Vienne, un « comité secret » aux allures de cercle ésotérique, ses membres étant liés par un pacte messianique scellé par le port d’une intaille grecque montée en anneau, chacun devant à partir de 1920, échanger des « rundbriefe », des lettres circulaires hebdomadaires secrètes !
A ce point de nos réflexions, une remarque s’impose pour nous recentrer sur notre thème. Tout en se libérant du religieux et en utilisant certaines logiques groupales pour défendre sa « cause », Freud reste fondamentalement fidèle à l’esprit juif, par le biais de l’outil princeps qu’il utilise et qu’il offre au monde, l’interprétation, en tant qu’outil thérapeutique et procédé d’investigation heuristique de l’ensemble des productions humaines. Cette opération permet la révélation infinie de sens dissimulés, et la reconnaissance de l’existence d’un travail de déformation impliqué dans toutes les productions humaines, interprétation comprise, déformation qui convoque en retour une telle dynamique interprétative, avec la déduction, l’inférence, le devinement. Freud est inspiré par l’interprétation ; et son œuvre appelle à être interprétée ; elle nous inspire, et nous fait devenir interprète. Il porte en lui plus que tout autre, cette qualité d’interprète par ses identifications immédiates juives, mais aussi par celles plus lointaines à l’herméneutique grecque et égyptienne. Joseph interprétant les rêves de Pharaon fut, pour lui, un modèle identificatoire puissant.
De fait, son œuvre ne cesse d’être interprétée. Son style même invite à de nouvelles lectures. Cette originalité témoigne certainement de ses origines juives, de sa familiarité avec la méthode exégétique de lecture et de commentaire des textes, celle du Talmud et du Midrash, mais aussi des traditions kabbalistiques juives, et de l’herméneutique grecque. Il a fondé une discipline scientifique qui inclut un corpus de concepts, dont l’interprétation, un procédé d’investigation, et une méthode thérapeutique utilisant tous l’interprétation. Cette doctrine et ce savoir forment certes un corpus scientifique, mais aussi une pensée interprétante qui ne cesse d’être sollicitée. Ce faisant, c’est la définition même de la notion de science que Freud a fait évoluer, en incluant l’acte d’interpréter en son sein.
Et c’est par l’interprétation que Freud est résolument un laïque et un profane. « Interpréter ! Voilà un vilain mot. Je n’aime pas vous entendre parler ainsi, vous m’ôtez toute certitude. Si tout dépend de mon interprétation, qui me garantit que j’interprète correctement ? Tout n’est-il pas alors livré à mon arbitraire ? » (S. Freud (1926), La question de l’analyse profane, entretien avec un homme impartial, OCF.P XVIII, p 44) . Freud est capable de supporter l’incertitude et les contradictions en lui ; de laisser en suspens l’épreuve de réalité. Tout en devenant inévitable, l’interprétation perd aussi la fiabilité qu’il lui avait accordée dans la Traumdeutung ! L’épreuve de réalité vacille du fait même de l’interprétation, alors qu’elle était censée dans un premier temps la renforcer.
Poursuivons avec le titre que j’avais choisi pour cette conférence, « Freud et l’au-delà : ne pas rester prisonnier du sacré ».
Il n’est en effet pas invraisemblable que ce soit ses origines juives, voire même son « esprit juif », qui ai permis à Freud d’aborder la notion d’« au-delà » selon les sciences de la nature, alors qu’elle renvoie classiquement à la mystique et au religieux, et de faire de cette notion une réalité sinon tangible, perceptible, une endo-perception de l’existence d’un univers inconscient, au-delà du moi et du principe de plaisir, donc une réalité aux limites du psychique, et qui deviendra pour lui, la qualité primordiale de toute pulsion.
Cette façon de ne pas rester prisonnier du sacré, de ne pas le rejeter, mais de le penser métapsychologiquement, me semble représenter l’homme juif en Freud.
Une telle approche s’accompagnera d’une conséquence, la place qu’il accorde à la notion de « meurtre » au sein du psychisme, sa réalité en tant qu’opération psychique et sa fonction au service de la spiritualisation ; en particulier le « meurtre fondateur » (B. Chervet (2015), Le meurtre fondateur ; l’acte psychique par excellence, Monographie et débats de psychanalyse, Paris, Puf) tel qu’il est envisagé selon un double meurtre et leurs après-coups fondateurs, dans L’homme Moïse.
Après un long cheminement durant lequel Freud a fourni les pièces maîtresses de la nouvelle science du psychisme, telles que la Traumdeutung et les nombreux textes qui en constituent les corollaires, puis l’introduction du narcissisme et ses conséquences dans l’approche d’un nouveau champ immense de la psychopathologie, il va mettre le monde des analystes dans un grand désarroi, sans récuser le moindre mot de ses élaborations antérieures. En introduisant un au-delà du principe de plaisir, tous ses travaux précédents peuvent être qualifiés de positivistes, puisqu’ils se révèlent après coup avoir participé à leur insu à tenir écartées les raisons intrapsychiques des vécus de manque. En fait, de telles élaborations étaient nécessaires dans un premier temps, afin de permettre dans un second, à la psychanalyse de se confronter à la dimension traumatique en tant que qualité interne à elle-même.
La consistance du chapitre VI de la Traumdeutung, décrivant un inconscient fait de contenus et de mécanismes, puis celle apportée par les procès d’inscriptions intrapsychiques, sont, tout comme au cours d’une cure, des préliminaires permettant de traiter la tendance intrapsychique à effacer, supprimer, faire disparaître.
Avec l’Au-delà, Freud brise deux paradigmes, ses deux premières conceptions de la régression. Dans sa première théorie, la régression a pour but, les retrouvailles avec les traces perceptives et les premières expériences de satisfaction ; dans la seconde, il envisage une régression jusqu’au célèbre retour à la vie intra-utérine, fantasme d’un giron maternel exempt de tout rapport au traumatique et à la castration.
La clinique traumatique des névroses de guerre et des rêves post-traumatiques, mais aussi son identité juive le mettant en contact étroit avec cette réalité traumatique, oblige Freud à ne pas se satisfaire de ce qui lui assurait pourtant la postérité. Il lui faut reconnaître la dimension traumatique à l’intérieur même de la psyché. Ses origines juives ne lui donnaient guère la possibilité de trouver dans l’érotisation de la culpabilité, en identification avec la passion du christ, ou dans l’érotisation de liens fraternels regroupant les fils autour de la mère, un contenu intermédiaire couvrant les éprouvés traumatiques. Le peuple juif n’a que son « élection » pour répondre en direct à cette réalité traumatique interne.
C’est donc par son « troisième pas » dans sa théorie des pulsions, que Freud enlève aux humains toutes les illusions auxquelles il avait lui-même participé en alimentant l’espoir de retrouvailles, puis celui d’une paradis perdu, voire d’une terre promise.
Qu’est-ce que l’Au-delà introduit dans l’œuvre de Freud ? En fait ce texte modifie la conception de la pulsion, engagée jusque-là dans la sexualité infantile et le narcissisme, et reconnait aux pulsions une qualité élémentaire primordiale, une tendance régressive au retour à un état antérieur jusqu’à l’inorganique, ce que j’ai nommé la régressivité extinctive. Dès lors, les conceptions précédentes de la pulsion peuvent être considérées comme positivistes, puisque l’activité pulsionnelle possède en son sein des tendances favorisant sa propre disparition. C’est l’éprouvé de cette tendance à l’extinction, que Freud prend dès lors en compte. Et il décrit aussitôt quelques solutions cherchant à s’opposer à cette tendance et à ses éprouvés, à dénier ce qui en témoignent ; la massification des groupes (1921), l’appel au quantitatif (1922), l’aliénation à quelque idéologie (1922) ou quelque leader (1921), la fixation à la perception d’une scène traumatique, etc. Mais la conséquence majeure de cette déroutante reconnaissance d’une qualité traumatique intra-pulsionnelle, sera la théorisation par Freud d’une nouvelle instance dont la fonction est justement de s’opposer et d’utiliser cette extinctivité afin d’inscrire les pulsions dans le psychisme et de les orienter vers les objets ; donc de porter la mission de la spiritualisation et de l’objectalité. Le surmoi est cette instance avec ses impératifs de retenue et d’inscription. En tant que principe, il ne peut être ravalé ni en quelque image, ni en quelque verbe. C’est ici que Freud retrouve au sein de la psyché les raisons d’être du monothéisme, ses racines psychiques.
La question devient alors : comment ce principe idéal et impératif intervient-il pour répondre aux tendances extinctives et à la négativation, leur opposer une retenue, et les retourner en inscriptions psychiques, en investissement de désirs et en créativité ? C’est ici que l’endurance freudienne introduit à nouveau un aspect très spécifique du peuple juif, ou plutôt de la mentalité juive, son rapport au masochisme et à la mentalisation. L’exigence du surmoi est de passer par le masochisme sans s’y installer, sans en faire une fixation comme dans le christianisme, le traumatique étant alors dissimulé par le passage masochique ; un masochisme joyeux qui se retrouve dans l’humour juif ; d’où la racine commune « ment » qui articule, mentir, mentalité, mentalisation. Le contact avec le traumatique est ainsi maintenu, ses retours aussi. En 1924, dans Le problème économique du masochisme, Freud modifie sa conception du sadisme et du masochisme. Il envisage celui-ci comme premier et gardien de la vie. Il en fait le nœud de toute mentalisation, où se réalise un travail, dit de coexcitation, qui tente d’utiliser les aspirations extinctives au bénéfice des réalisations psychiques et de la spiritualisation de la psyché. C’est probablement au niveau de ce noyau que se différencient les monothéismes et également au niveau d’une conséquence qui sera le dernier point que j’aborderai, le rapport au meurtre.
Dès 1900, Freud avait introduit, par le biais du complexe d’Œdipe, un meurtre éliminateur, le meurtre œdipien. Ce meurtre ouvrait sur les assertions logiques de la tragédie par l’inceste et la castration. En 1911-12, il introduit le meurtre du Père primitif, avec sa potentialité fondatrice du narcissisme individuel et des liens groupaux par culpabilité après coup, et par renoncement à prendre la place du père. Les débats sur la démocratie reflètent ce conflit entre ces deux pôles, puisque la démocratie ne peut se suffire des liens de fraternité, et qu’elle doit régulièrement être réimposée par un des fils reprenant la place d’un père, avec la conséquence obligée de répéter les logiques du meurtre du père.
À partir de 1920 Freud perçoit qu’un acte mental doit être réalisé sur la régressivité extinctive de la pulsion, et il remet au surmoi la charge de cette opération. Le meurtre devient une opération première, potentiellement fondatrice, civilisatrice. Elle alimente par contre une culpabilité inconsciente qui va trouver à se soulager par le renversement et la destruction des réalisations de la civilisation, ou par des contraintes groupales drastiques censées empêcher de tels renversements. Lors de ce parcours, ce qui change c’est l’objet du meurtre. Désormais c’est la tendance extinctive qui est visée. Le meurtre de cette extinctivité pulsionnelle s’avère une exigence essentielle et fondatrice. Les impératifs de retenue et d’inscription vont utiliser l’opération de meurtre pour parvenir à leurs fins. Il s’agit donc d’inscrire la pulsion elle-même en l’empêchant de s’éteindre.
Toute la fin de l’œuvre de Freud porte sur les fluctuations du surmoi, sur ce délicat ajustement entre un impératif d’inscription et l’usage momentané du déni permettant les oscillations entre les activités de jour et de nuit, entre celles de labeur et érotiques.
Freud ne dévalorise aucune des solutions inventées par la psyché des hommes, il les embrasse largement afin de les mettre toutes au service de cet idéal de spiritualisation, et pour lui de conceptualisation. C’est ce qui fait de Freud, un penseur de l’humanisme.
Bernard CHERVET