Exploration des racines psychiques de la folie criminelle qui embrase les soifs de pouvoir totalitaire, les génocides, les désirs d’extermination, ŒDIPE PARRICIDE de Marcos Malavia revisite les deux tragédies de Sophocle, Œdipe-Roi et Œdipe à Colone, faisant cohabiter les différents âges d’Œdipe. La tombe du père, au centre de la scène, est une force centripète faisant émerger la vérité devant Œdipe-Candide, dévorant l’âme d’Œdipe-Roi et conduisant vers la lumière Œdipe-Aveugle, vieil homme en quête de réconciliation avec son ancien rival, et avec lui-même. Dans ce monde apocalyptique des rivaux, avec son cortège de dictatures et de violence, de grandiloquence ridicule et assassine, la métamorphose de la relation aux femmes, confinées d’abord au rang de victimes, devient soudain la mince flamme d’espérance qui se lève du fond de cette arène tragique.
« Œdipe parricide », un spectacle qui ne laisse pas neutre…
Ce qui marque, dans un premier temps, c’est l’intensité de la violence, omniprésente dans cette pièce, ce qui pourrait ne guère laisser d’espace pour penser. L’image d’un navire, projetée pendant la création théâtrale, attrapant, de plein fouet, des vagues d’une violence inouïe, pourrait être une figuration de ce qui est d’abord éprouvé, face au jeu des acteurs.
Mais cette même violence, permet sans doute aussi de remettre à sa juste place, l’intensité des affects qui secouent l’enfant en plein Œdipe et qui n’a rien à voir avec l’intellectualisation doucereuse et défensive accompagnant le discours psychologisant de ceux qui savent car ils ont lu tant de choses sur le sujet…
De ce point de vue, il est intéressant de souligner les liens faits avec la folie criminelle. Un Œdipe roi devenu Führer, représentation du désir oedipien d’un enfant d’être ce dictateur à qui l’on voue un culte de la personnalité, un enfant pris dans les rets d’enjeux pulsionnels où l’extermination du parent rival haï devient la solution finale fantasmatique. Du fantasme à la réalité, de l’imaginaire à la violence réellement agie, le vacillement terrifiant et possible vers la folie meurtrière rattrape le spectateur, réveillant l’enfant en lui, comme dans un cauchemar, effraction interne de la période dite oedipienne.
L’alternance des deux autres « médiums », ( projections d’extraits de films, chants) vient tour à tour figurer ou permettre d’entendre ce qui est parfois difficile à se représenter par trop de violence, sidérant les capacités psychiques de liaison. Ces deux médiums donnent, en contrepoint, de quoi penser et s’interroger sur les destins d’une violence subie ( navire secoué lors d’une violente traversée/tempête en mer/mère, tel un tout petit pendant l’épreuve de sa naissance, sadisme de la corrida et retournement de la violence sur Soi, délégation de sa propre violence à un leader/ fürher…chant énigmatique mais universel où les mots broyés et démantibulés renvoient à un originaire mélancolique.)
Un regret sur le jeu des acteurs, quoique talentueux, peut-être toujours un peu dans le même registre plutôt psychopathe. Comme si Œdipe candide, Œdipe roi et Œdipe aveugle ne semblai(en)t pas avoir beaucoup évolué et étai(en)t toujours agi(s) par ce pulsionnel qui le(s) déborde et s’enraye dans une compulsion de répétition désespérante, sans trouver d’issue de transformation. Les deux médiums sus cités sont peut être alors là comme une alternative pour tenter de transformer cette impensable violence.
Magnifique voix que celle de Jocaste, venant panser par sa mélopée, la déchirure de la révélation de l’identité d’Œdipe.
Voilà très brièvement, quelques fragments de ce qui nous a particulièrement touchées, lors de ce spectacle, le thème de la violence scandant surtout nos souvenirs de cette création « Œdipe parricide ».
Hélène d’Avout,
Muriel Soulié,
Jolanta Tijus Glazewski
Psychanalystes membres SPRF