Cet article est tiré de l’intervention de Paul Denis dans le cadre des conférences ouvertes de la SPP/ cycle enfant.
Paul Denis a ouvert le cycle des Conférences de psychanalyse de l’enfant et a exposé théorie et clinique des phobies.
Etonnant : le nombre d’entrées contenant le mot Phobie (dans le PEP Archiv) est très nettement inférieur à celui concernant Hystérie, Intersubjectivité…. Etonnant pour l’un des concepts fondateurs de la psychanalyse, apparu assez tôt dans la théorie Freudienne, dès 1893, Freud différenciant à ce moment l’hystérie d’angoisse – où la phobie est le symptôme dominant– et les phobies plus communes – Freud les nomme souvent primaires‑, liées quoiqu’il en soit par l’existence de représentations dites « inconciliables » .
Paul Denis avait titré sa conférence : « Au cœur de la psychopathologie : la phobie ». Façon de souligner sans doute – en particulier en psychanalyse de l’enfant- que les dernières décennies ont souvent quitté les fondamentaux névrotiques pour investir, via des cliniques où la symbolisation par exemple se montrait défaillante, des organisations non névrotiques. Et les abords nécessaires de ces organisations non névrotiques ont d’une certaine façon emmené les psychanalystes dans une habitude extra névrotique, au risque d’une nette perte : celle de la sexualité infantile comme boussole dans l’organisation de l’enfant et, partant, celle de la place de la phobie dans grand nombre de psychopathologies.
La phobie au sens psychanalytique s’organise autour d’un relatif échec du refoulement, d’une faiblesse donc du fonctionnement psychique. C’est ce qui rend discutable l’idée qu’une phobie ne serait pas préoccupante, au prétexte qu’il n’est pas rare que l’enfant y recoure. Ce que Freud appelait « les phobies primaires », Denis le traduit en « universalité de la phobie », mais avec la banalité du nombre on n’efface pas le coût psychique de la lutte contra-phobique et la souffrance qu’engendre une organisation phobique. Hans souffre : il a la phobie des chevaux, il redoute précisément que le cheval ne le morde ; Freud réfère cette phobie au conflit ambivalentiel de Hans, qui échoue à mettre en place par exemple une formation réactionnelle qui le ferait redoubler de tendresse à l’égard de son père, et ne l’enjoindrait pas de projeter sur un objet externe une représentation par trop excitante. Dans le fond, toute phobie convoque le trajet et le traitement de l’excitation, le jeu des représentations et des instances. Quand l’excitation ne parvient plus à être traitée « en intra », quand les représentations ne se refoulent plus ou peu et qu’elles ne sont plus qu’inconciliables, l’objet phobogène a l’avantage de donner une solution au débordement de l’angoisse, mais l’inconvénient d’externaliser un conflit intraitable. On a ici affaire au minimum de l’élaboration psychique. Et c’est bien cela en fait qui colore la phobie, et qui permet à Paul Denis d’attester que toute phobie est une psychophobie.
Il se situe alors dans la lignée d’Ilse et Robert Barande qui avaient décrit une position phobique fondamentale inhérente à l’être humain ; ils la mettaient en lien avec la néoténie, cette immaturité de l’enfant sur le plan de la sexualité qui le contraint à des déviations quant aux buts, aux moyens, aux objets et donc à des déplacements caractéristiques des phobies. Dans cette même lignée Evelyne Kestemberg avait dans son article « La phobie du fonctionnement mental » porté son attention à cette fuite du fonctionnement psychique ; elle partait en l’occurrence de la clinique de ces enfants qui disent s’ennuyer en classe ; mais s’ennuient-ils en classe ou n’évitent-ils pas en réalité tout ce qui mettrait leur pensée en mouvement et amènerait alors représentations inconciliables et excitation non liée à la surface de l’appareil psychique, le menaçant d’une désorganisation redoutée ? Dans cette lignée des psychanalystes Français de la seconde partie du 20ème cycle se situait également Jean Luc Donnet, dont l’article « Le psychophobe » a constitué pour nombre d’entre nous un repère, notamment dans la technique analytique avec un adolescent qui semblait constituer tout sauf une indication d’analyse ni même de psychothérapie ! Article très formateur sur un plan clinique, mais aussi très riche dans la description d’une phobie du fonctionnement mental qui conduisait ce garçon à toutes les conduites de fuite transformées en agirs incessants. André Green pour sa part nomma « position phobique centrale » un fonctionnement qui dans la cure, dans la séance, évite drastiquement le fonctionnement analytique lui-même, une position anti associative en quelque sorte, avec une fonction anti traumatique.
Si toute phobie se constitue sur la base d’une psychophobie, on comprend mieux d’une part que c’est un symptôme inquiétant quand il n’est pas temporaire et d’autre part qu’on en retrouve certaines caractéristiques dans bien des psychopathologies.
Paul Denis s’est arrêté sur l’angoisse du huitième mois décrite par Spitz, où à l’instar de René Diatkine il précise que la projection d’un objet interne inquiétant sur un visage différent de celui de la mère a pour fonction de préserver la représentation de cette dernière de toute ambivalence : le danger est à l’extérieur, ma mère est toute bonne et nulle ambivalence n’est à redouter. Le phénomène est bien l’angoisse mais le processus est de nature phobique, et temporaire. Temporaires aussi, les terreurs nocturnes relèvent du traumatisme au sens psychanalytique du terme : c’est d’une excitation interne intraitable (comme seront plus tard inconciliables les représentations en jeu dans la phobie) que l’enfant se réveille en état d’effraction et ce que Paul Denis met au jour, c’est le rapport de continuité entre ces terreurs nocturnes et l’organisation de phobies par l’enfant ; dans le fond ce qui importe c’est de comprendre que pas plus les terreurs nocturnes que les phobies ne sont réactionnelles à des éléments externes : le traumatisme qui génère la terreur nocturne comme la phobie est interne, et c’est l’aspect économique du fonctionnement phobique qui est donc ici précisé, le débordement par l’excitation, ce qui n’est pas sans ressemblance avec la mécanique du traumatisme et celle des rêves traumatiques.
Autre psychopathologie dont les liens avec la phobie sont à examiner : la dépression.
Au premier abord, on différencierait nettement phobie et dépression quant à la géographie de l’objet substitutif qu’elles élisent l’une comme l’autre : l’objet phobogène comme on le sait est externe, et l’objet dépressif est interne. Autre différence de taille : quoiqu’il en coûte au sujet, l’organisation phobique est en mesure de maintenir un certain rapport à la satisfaction, jusque dans les bénéfices secondaires qu’elle permet de mettre en place ; or, du côté de la dépression, l’objet dépressif n’est pas pourvoyeur des mêmes qualités de satisfaction, et un appauvrissement de ces dernières caractérise l’état dépressif.
Pourtant, ce que souhaite souligner Paul Denis c’est la sensibilité particulière des organisations phobiques à la perte et , partant, le passage relativement fréquent de la phobie à la dépression. Il est aisé de comprendre que la perte de l’objet phobogène ou celle de l’objet contra-phobique peut être profondément désorganisante : la représentation « inconciliable » perdant son support de projection externe fait retour dans le psychisme, ce qu’évitait précisément la phobie.
Les organisations de caractère ne manquent pas non plus de pouvoir être référées à une phobie, mais nous voudrions faire une place particulière ici à une phobie vraiment mise de côté, de façon dommageable sur un plan clinique : la phobie des enfants ou pédophobie. Cette phobie, qui a été décrite par Anette Fréjaville dont la conférence cette année portera sur la latence comme métamorphose souterraine, rend compte de ces attributions de sentiments hostiles à des nourrissons par leur mère, renversement d’une phobie : ce n’est pas moi qui crains d’avoir envie de faire mal à mon bébé, c’est lui qui veut m’en faire ; le renversement peut aussi se poursuivre et contribuer au fantasme d’un enfant merveilleux, parfait, innocent de toute motion agressive, un enfant anti-sexuel alors.
Lisons tous les auteurs référencés par Paul Denis dans cette conférence, lisons aussi le Que sais-je qu’il a écrit : Les phobies (PUF).
Programme des conférences d’introduction à la psychanalyse
Le cycle des Conférences d’Introduction à la Psychanalyse donnera la parole le 27 Novembre à Guy Cabrol : La nuit sexuelle adolescente, a‑t-il annoncé.
Ces conférences sont aussi l’occasion d’achats de livres de la Bibliothèque Sigmund Freud à des prix très réduits, en rapport avec le thème de la soirée.
Marie-Laure Léandri,
Psychanalyste SPP,
67 Rue de Tocqueville
75017 PARIS