Répondant à un correspondant qui lui faisait part d’une observation d’un enfant « découvrant » l’existence de son pénis, D.W. Winnicott écrit une lettre à son correspondant (lettre à G. Casuso du 4 juillet 1956, in Lettres vives) :
« Il y a incidemment un exercice qui m’amuse bien et qui consiste à demander : ‘De quoi le pénis est-il le symbole ?’ Dans une certaine mesure, le pénis est symbolique du biberon d’un bébé ou du corps d’un bébé dans l’utérus avant que bras et jambes ne deviennent importants et qu’il n’y ait une zone anale ou orale. Je pense que, par rapport à la seule façon qu’a la représentation du pénis de se développer là où elle est progressivement construite à partir de certaines propriétés de la mère, nous avons à tenir compte d’un concept très fondamental, et nous devons dire que le serpent est symbolique du pénis. Cependant, quand nous en venons à l’autre extrême, tel que l’observation par votre fils de son pénis et son travail intellectuel sur le sujet, alors je pense que nous devons considérer la chose d’une autre façon et parler du pénis comme symbolique d’autres objets plus fondamentaux, tels que la brosse à dents par exemple, ou quelque autre jouet, ou comme je l’ai dit, symbolique du poisson ou du reptile dont la compréhension par l’enfant tient au fait qu’il était lui-même ainsi à l’aube pulsionnelle. » (p. 146–147)
Cette amusante digression de circonstance à laquelle se livre D.W.W. Winnicott sur la formulation des symboles – laquelle pourrait être à la limite entendue comme une boutade – va tout à fait dans le sens de ce que, trente ans auparavant, S. Ferenczi, dans Thalassa, essai sur la théorie de la génitalité (1924), avait explicité de sa compréhension de la symbolique et de son utilisation pour la clinique lorsqu’il écrit : « Les dents sont […] des instruments à l’aide desquels l’enfant cherche à pénétrer dans le ventre de la mère. »
L’unique argument en faveur de cette hypothèse hardie, mais qui pèse lourd aux yeux d’un psychanalyste est la constance et la régularité avec laquelle, dans les rêves et dans les symptômes névrotiques, on retrouve l’identité symbolique entre le pénis et les dents. Selon notre conception, la dent est à proprement parler un pénis archaïque (Urpenis), au rôle libidinal duquel l’enfant doit renoncer au moment du sevrage. Par conséquent ce n’est pas la dent qui est le symbole du pénis, mais c’est le pénis, plus tardivement développé qui est le symbole de pénétration plus ancien, la dent. Le caractère paradoxal de cette hypothèse sera peut-être atténué si nous considérons que tout rapport symbolique est précédé par un stade de l’équation où deux choses peuvent se remplacer mutuellement. Le cannibalisme contient déjà en partie tous les éléments agressifs qui se manifestent si nettement dans l’organisation sadique-anale suivante. » (p.267) C’est ainsi que, développant au fil de ce qu’il nommait « équation symbolique », S. Ferenczi reprend la ligne d’assimilation symbolique que S. Freud avait lui-même développée, en 1917, dans son court article « Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l’érotisme anal » : ‘fèces = pénis = enfant’ à laquelle, depuis, s’est ajouté le « sein ».
Deux remarques s’imposent en ce qui concernent ces équivalences symboliques du fait que :
‑d’une part, rendant à tout moment compte du lien ‘indissociable’ entre pulsion et pensée, pulsion et symbole, pulsion et langage, ils renvoient de ce fait tous au corporel et à une partie symbolisable et symbolisante (sein, fèces, pénis, enfant…) liée au corps,
‑et que, d’autre part, la pulsion permet au psychisme d’être « travaillé par le corps et travaillé au corps » (A. Green, 1973).
Ainsi n’est-il pas indifférent de constater l’adéquation entre la lignée symbolique « sein = fèces = pénis = enfant » et les points d’appui pulsionnels liés aux zones érogènes.
Comme on peut le voir à l’œuvre – notamment dans l’analyse du masochisme – ces équivalences, qu’elles soient progrédientes ou régrédientes, prennent part symboliquement à toutes les phases de la libido « en leur empruntant la succession des costumes psychiques qu’elles revêtent. » (S. Freud, 1924).
Ce que en d’autres termes écrit A. Gibeault (2010) lorsqu’il souligne qu’il « est remarquable de constater que la théorie symbolique correspond à une exigence structurale qui se trouve également dans l’hypothèse que S. Freud présente à la même époque, des fantasmes originaires. »
Pour qui est familier avec le processus psychanalytique, la situation que je vais à présent rapporter est d’une assez grande banalité.
Au début de son analyse un patient fait part du rêve suivant : « Attiré par un livre qui se trouve dans la bibliothèque de son analyste, le patient emprunte ce dernier, l’ouvre, et à sa grande surprise voit qu’il est écrit en caractères …chinois. »
Pour l’analyste la compréhension de ce rêve, ainsi que son analyse – comment il s’inscrit dans le transfert – ne présentent apparemment peu de problèmes. Gardant par devers lui toute interprétation, et notamment, entre autres, celle possible de la pulsion épistémophile qui apparaît dans le rêve – marque de l’évident désir, mêlé de crainte, du patient de s’emparer du pouvoir / savoir qu’il présuppose à son analyste – celui-ci souscrit par une approbation à l’interprétation de transfert (négatif et idéalisant) que lui propose assez spontanément son patient : « L’analyse, c’est du chinois ! ».
Quelques années passent. Les progrès de la cure conduisent le patient, au décours d’une série associative à la faveur du contexte transférentiel, à évoquer à nouveau ce rêve et à le réélaborer à partir de l’interprétation première qui s’était en son temps formulée : « L’analyse, c’est du chinois… » Tournant autour du signifiant « chinois » et des interprétations possibles, il lui vint à l’esprit que ‘chinois’ pouvait être la traduction – par le jeu des déplacements, des déformations et des substitutions – du mot ‘hébreu’ : « L’analyse, c’est de l’hébreu ».
C’est à ce moment qu’un nouveau sens possible apparaît : nouveau sens lié à l’interprétation des symboles et des caractères chinois du livre du rêve… comme caractères hébreux : l’hébreu de la vieille Bible qui se trouvait sur la table de nuit de la chambre de ses grands-parents. On pouvait ainsi passer d’un fantasme originaire de séduction et de castration, inélaborables en début d’analyse, à un fantasme de scène primitive, élaborable à présent et qui allait marquer un tournant dans la cure.
Cet exemple, banal dans la pratique analytique et qui n’a rien d’insolite, semble pouvoir illustrer le fait que la symbolisation n’est pas simplement mise en lien de deux représentations, substituant une représentation à une autre, mais témoigne surtout du travail de liaison d’un affect à une représentation. En ce sens, elle opère un déplacement de l’affect sur des objets et des intérêts qui avaient été auparavant assimilés et sexualisés en raison de leur similitude, tel que, à la suite de S. Freud, E. Jones, S. Ferenczi et M. Klein, entre autres, l’ont largement démontré.
Mais la symbolisation peut aussi témoigner d’autre chose, dans la mesure où n’est symbolisable que toute représentation qui, à un moment ou à un autre, passe par l’objet. En d’autres termes, si la symbolisation est avant tout un processus qui suppose que le sujet a tout autant une capacité à pouvoir se représenter un objet absent, que de savoir que le symbole n’est pas l’objet symbolisé, c’est dans la mesure où l’objet présent / absent a permis aux refoulements primaires, puis aux refoulements secondaires, d’être en position ordonnatrice et d’être ainsi liés par, et pour, l’élaboration des fantasmes originaires qui viennent fonder les théories sexuelles infantiles (A. Gibeault, 2010). L’objet, comme les fantasmes originaires – de séduction, de castration et de scène primitive – qu’il suscite, joue donc le rôle d’une matrice de l’inconscient et permet ainsi un ‘travail de symbolisation’ qui sera tout autant le produit, que le reflet, de ces derniers.
C’est en effet ce que semble suggérer D.W. Winnicott lorsqu’il évoque, dans sa lettre, l’idée que la représentation du pénis n’aurait pu se développer et se construire chez l’enfant qu’à partir « de certaines propriétés de la mère » : le pénis devient à ce moment symboliques d’objets « plus fondamentaux, tels que la brosse à dents » dans le cadre de la relation mère-enfant, cadre qui détermine un espace dans lequel vont pouvoir apparaître et s’organiser les fantasmes originaire.
Aussi, à la question « de quoi le pénis peut-il être le symbole ? », la réponse pourrait être : « Des fantasmes originaires… »
Thierry Bokanowski , psychanalyste membre titulaire formateur SPP
Bibliographie Ferenczi S. (1924), Thalassa, essai sur la théorie de la génitalité, Œuvres Complètes, III (1919–1926), Paris, Payot, 1974. Freud S. (1917), Des transpositions pulsionnelles, en particulier dans l’érotisme anal, OCF.P, XV, Paris, P.U.F., 1996. Freud S. (1924), Le problème économique du masochisme, OCF.P, XVII, Paris, P.U.F., 1992. Gibeault A. (2010), Chemins de la symbolisation, Le fil rouge, Paris, P.U.F. Green A. (1973), Le discours vivant, Le fil rouge, Paris, P.U.F. Winnicott D. W. (1987), Lettres vives, Connaissance de l’Inconscient, Paris, Gallimard, 1989.