En thérapie est la série TV à grand succès du moment, dont la photo de famille s’affiche sur les arrêts de bus, véritable invitation à les rejoindre. Ça y est… Enfin nous serions parvenus à installer un œil espion dans le huis clos du psychanalyste avec son espace du secret tant convoité.
Un fantasme d’intrusion déjà vu dans la recherche Universitaire, interrogeant de manière cyclique les psychanalystes sur le pourquoi de leur position de résistance à l’objectivation scientifique.
La science d’après eux, ne ferait qu’imperceptiblement observer la séance, comme on place une lame de bactéries sous le microscope. Nous aurions tout à y gagner : être pour de bon évalués à l’aune de ce qui se dit et de ce qui se fait dans la cure, enfin ! L’argument nous vient des disciplines contiguës, très souvent l’exemple des thérapies systémiques nous est servi : ils utilisent des miroirs sans tain, ils n’ont rien à cacher eux.
Mais la psychanalyse, mauvaise élève de l’Aréopage scientifique a toujours résisté aux pressions des évaluations intrusives, ce qu’elle a payé au prix fort des soupçons de charlatanisme, plus d’une fois. Et plus elle se refuse d’ailleurs, plus sa surestimation augmente – logique bien connue dans la vie amoureuse.
Revenons au registre de notre fiction, complimentée de toutes parts comme déjà de nombreuses versions qui ont également connu le même succès, mais celle-ci est « la nôtre », bien française et nous allons pouvoir la déguster avec son folklore local. Toujours est-il que le mobile de notre curiosité à regarder cette évidente « scène primitive » entre papa et maman aux origines du secret, pour nous analystes, relève des motivations similaires à celles ayant cours à l’adolescence au narcissisme fragile, c’est à dire se demander comment les autres nous voient et nous imaginent de là où ils se trouvent ? En Thérapie nous sert d’ailleurs toute la palette de cet Ur-Fantazien freudien (fantasme originaire) concernant les ébats du couple parental compris par l’enfant comme fascinant, violent, incestueux, interdit et excluant : toutes les ficelles des histoires qui nous sont proposées, sans craindre la caricature.
Regarder la psychanalyse dans les yeux !
Donc, sans dévoiler au lecteur les clés narratives qu’il aura le plaisir de découvrir lui-même, nous n’aborderons que ce qui nous semble intéressant, c’est à dire, ce pourquoi nous pensons que la série marche d’une certaine manière, mais d’une autre qu’elle « boîte un peu quand-même ! »
Alors, même si pratiquant ce beau métier, regarder un psy travailler pose la question des policiers regardant des polars ou des pompiers visionnant de manière compulsive La tour infernale, une certaine mise en abime de soi, un peu inquiétante mais non sans intérêt… 35 épisodes donc, 5 patients en incluant le psychanalyste qui s’offre dans toute l’étendue de la complexité des métiers impossibles tels que Freud les a énumérés en 1937 : gouverner, éduquer et analyser (Analyse avec fin et L’analyse sans fin). En Thérapie nous indique un quatrième métier impossible : cinéaste de la psychanalyse. Et c’est par avance que je sollicite l’indulgence pour notre propos qui ne va pas dans le sens unique des actuelles réactions dithyrambiques à cette œuvre laquelle certainement marque déjà de son style, le regard sur la psychanalyse, tout comme en son temps ont pu le faire Les mots pour le dire de Marie Cardinal (Grasset 1975). Il en est ainsi de certaines œuvres relatives au travail analytique, leur empreinte nous marque pour longtemps de leurs à priori positifs ou ambivalents, et c’est à cette seconde catégorie que me semble appartenir En thérapie, où il ne fait pas si bon vivre que cela, pour faire le parallèle avec l’expression de Pierre Desproges : « Un jour j’irai vivre en Théorie, car en Théorie tout se passe bien ! »
Psychanalyste sans divan1
Quelle intrigante conception d’un divan qui est en fait un canapé, et utilisé par les protagonistes comme tel. Les patients de la série, semblent faire une allergie à la position allongée car aussitôt couchés sur le divan, ils n’ont qu’une hâte, celle de se rassoir ! Cela n’a pas dû être très accrocheur de filmer le dispositif divan-fauteuil classique, et on peut le comprendre !
Il ne viendrait l’idée à personne de critiquer ce qui fait la contrainte narrative du spectacle cinématographique, essentiellement assis sur l’action, voilà que la séance analytique, en est le contre-pied. De là les maladresses, les écueils que chacun verra sûrement à des endroits différents, certains compréhensibles d’autre plus polémiques comme l’ambiance quasi incestueuse du milieu analytique dans lequel évolue le Psy, milieu décrit comme replié sur lui-même, pris dans ses rancunes et ambitions souveraines de reconnaissance inassouvie. Heureusement que dans nos vraies vies d’analystes, nos formations et nos pratiques sont mieux cadrées par une éthique de référence, instituée et opérante. Il est assez heureux également que les patients ne se promènent pas en permanence dans nos bureaux, en nous agressant verbalement et physiquement et qu’enfin, nous ne fassions pas des déclarations d’amour à nos patients sous prétexte qu’un transfert amoureux ne puisse s’élaborer autrement. Ce type de transgressions existent bien sûr, mais elles aboutissent de temps en temps à une instruction de la commission d’éthique-du moins à la Société Psychanalytique de Paris, litiges qu’elle a en charge d’arbitrer parallèlement aux tutelles compétentes (conseil de l’ordre, Instruction pénale) et de prononcer à bon escient des exclusions. Bien-sûr des cas plus ou moins célèbres font toujours exception, mais la quotidienneté de nos vies de tacherons de la psychanalyse-comme le dit Sandor Ferenczi22 est bien le périmètre qui borde notre pratique. Cette banalité de la séance n’aurait rien de sexy à l’écran alors qu’elle garde un potentiel de passion tempérée, comme dirait peut-être Jean-Luc Donnet (Le divan bien tempéré, PUF, 1995), un ressort d’action psychique se dévoilant à nos yeux, mais surtout à nos oreilles. Pour le spectacle, En thérapie troque donc le divan pour un sofa, la position couchée pour le face à face, mais ce qui est plus dangereux dans l’ordre des invraisemblances, ce sont les deux choses suivantes :
- L’explication venant se substituer à l’interprétation, rendant ces deux procédés comme équivalents.
- Le déplacement du processus lié à la fréquence (3/4 séances par semaine) sur un rendu d’intensité dans une séance hebdomadaire unique, malgré tout désigné comme une analyse. Cet indice touchant au vieux débat de la durée de séance et de sa fréquence.
Nous n’avons pas pour objet ici, d’approfondir ce qu’est l’histoire du cadre analytique, d’autre sources le font très bien, ni la prétention de fonder un modèle unique de l’interprétation, mais rappeler simplement qu’interpréter, relève parfois d’un silence, d’une soustraction de réponse attendue par le patient, ou encore d’une désaturation de la théorie qui se bouscule en nous, parce que oui, nous aimons ça « vivre en Théorie »-décondensation dont l’issue sera une intervention parfois sans grand panache ou portée poétique autre que de toucher au plus près de ce qui se joue avec le patient à ce moment très précis. Pour le spectacle, bien sûr on repassera, pour l’efficacité thérapeutique il en va heureusement autrement…
Premiers effets secondaires…
Seulement quelques semaines après sa diffusion sur Arte, les premières réactions se sont fait vite entendre, certaines des plus enthousiastes, d’autres critiques, mais c’est dans les effets sur le processus que quelque chose se fait sentir avec les patients qui ont vu la série. Une sorte de latéralisation de transfert a lieu sur ce psy d’écran, qui parle à robinets ouverts et dit à peu près tout ce qui semble lui passer par la tête, disant forcément « dans le lot » des choses très justes… De retour à notre cabinet il nous incombera de rester nous-mêmes, et ne pas nous incliner inconsciemment dans le sens de cette idéalisation de groupe. Deux dangers se présentent un peu comme il en est avec la sublimation : une inhibition de l’activité interprétative ou un risque de surenchère. Dans le cas de la sublimation cela serait pêcher par excès de quantité et de hauteur culturelle, comme vouloir toujours en savoir plus dans un degré de raffinement toujours croissant. Ma patiente me dit : « vous en dites peu mais si en plus, quand vous parlez, j’ai l’impression d’être dans le film… ».
Proportionnellement au score de l’audimat de la série, notre prise de parole en séance risque d’être plus compliquée ces temps prochains…
Filmer la séance
Si filmer le drame est le cœur de l’art du cinéma, pourquoi est-ce si difficile de prendre pour authentique ce quelque chose qui ne devrait pas poser problème : un bureau, des fauteuils, un divan, deux personnes qu’un dispositif thérapeutique vieux de plus de cent ans unit pour se parler.
Mais voilà, la cure est une scène secondaire de ce qui est ou a été action autrefois et ailleurs et c’est à la parole et son écoute de prendre en charge la tragédie humaine. Quand Anna O. invente sans le savoir la talking cure, et par la même initie le feuilleton psychanalytique encore ininterrompu, la série débute également avec Ariane, amoureuse de son thérapeute, la présence de l’œdipe et une psychanalyse qui décidément lui tourne autour, même si certaines de ses déclinaisons techniques actuelles, intersubjectivistes, cherchent à en minorer la place par une astuce d’ordre technique. Si le lien analytique se travaille dans une recherche de symétrie, si on est égaux et que l’on se dit tout ce qu’on pense, ne désamorce-t-on pas alors la nécessaire mise en jeu œdipienne dans le transfert, en dévoilant à chaque pas l’artifice et l’illusion plutôt qu’amorcer la charge en impliquant la différence des générations et le refoulement ? Dans l’épisode 23, le Psy raconte son rêve à sa patiente adolescente, la même à qui il a prêté les vêtements de sa fille pour qu’elle se change, détrempée par la pluie. La neutralité tombe dans le piège du passage à l’acte, la tension œdipienne n’est plus du côté du travail psychique de la patiente mais dans le passage à l’acte de Psy, dans sa bienveillance agie et sa version de ce qu’est la réparation active. On s’éloigne résolument de l’attention en égal suspens prônée par le fondateur de la psychanalyse, réserve et prudence bien avisée pour ne pas s’accomplir dans le devoir des bons sentiments dont même les patients fictifs de la série ne veulent pas toujours. Ils semblent le manifester en défoulant leur agressivité sur ce bon serviteur de Freud, qu’il appelle en patronage quasiment à chaque séance, artisan plein de bons sentiments, faisant penser à l’expression familière dans le sud-ouest, de gavage : les chemins du soin psychique ne passeraient-ils pas par des voies aussi impénétrables que celles du seigneur ? Mais impénétrables ne fait pas spectacle, et donc audience : ce qui fait la tension et l’intrigue dans les imaginaires des protagonistes de la cure, rencontre peut-être difficilement la réceptivité d’une caméra, et celle du spectateur. Pour présenter cela encore autrement, filmer la situation de séance ne pourra jamais que donner une représentation de représentation, et c’est bien là que le problème réside sans doute.
A propose du Théâtre, dans son livre L’Éternel Éphémère (Le Seuil, 1991) Daniel Mesguiche explique pourquoi les acteurs sur scène doivent parler fort. Il suggère qu’ils jouent aussi pour les absents, surtout pour les morts. Mais au cinéma, la question pourrait se poser de ce qui remplace la fulgurance de cette parole de l’instant, déclamée sur les planches, faite pour faire croire. L’exigence du placement caméra, de la qualité du son et de l’image, de la tolérance ou intolérance au silence, sont tout autant de pièges pour rendre compte d’une insatisfaction structurelle de l’inaccomplissement du transfert, qui constitue le manque et donc relance le désir d’une séance suivante. Comment filmer ce qui a pour nature d’être inconscient, irreprésenté, puis traversant psyché, devient le seul manifeste de la séance, celui de la parole. Alors paradoxalement théâtre et feuilleton radiophonique sont-ils plus juste dans un rendu d’authenticité ? Ces réflexions ne sont pas sans se prendre les pieds dans la nature volatile et solidement subjective de ce qu’est l’adhésion du spectateur à son objet : croit-on ce qu’on voit de la séance simulée, ou rejoint-elle ce qu’est l’orgasme pornographique dans le rapport à l’intimité du sexuel ?
Les attentats de 2015 et le Covid 19
La série nous ramène collectivement vers les attentats du Bataclan, et se trouve diffusée dans les déboires sans précédents des effets du covid 19 sur la société française. Au même moment nous entendons le malaise des jeunes, davantage consultants en institutions, mais aussi celui de nos patients qui souffrent dans leur métiers, familles, en thérapie. Il est assez certain que cette série fait du bien à tout le monde, sur fond d’une peur collective du terrorisme d’avant le Covid 19, permettant justement une distance qui nous manque aujourd´hui, rivés aux anticipations des nouvelles sur notre lendemain pandémique. En thérapie nous montre notre capacité collective à dépasser les traumas historiques, chacun dans ses solutions thérapeutiques mais dans le même bateau. L’usage des téléconsultations n’est sans doute pas complètement étranger au succès de la série, après tout les psys œuvrent à l’écran encore plus depuis mars 2020, la situation analytique une fois délogée de son site habituel, ne fais que suivre un destin pour une destination qu’elle méconnait elle-même.
Traversée du désert et Oasis
La tempête qui s’était abattue sur la psychanalyse durant les dernières années (ambiguïté des recommandations de la HAS dans le traitement de patients autistes), serait peut-être en voie de se dissoudre. Malgré une certaine mise à l’écart de l’Université, de jeunes candidats se présentent aux portes de la formation, et demandent pour le moins des supervisions ainsi que des analyses. Le succès de même que la création de la série n’est pas un hasard, rien ne l’est comme dit le Psy dans plusieurs épisodes-mais c’est ce que nous savons depuis notre première séance d’analyse. Les brillants réalisateurs nous proposent une Oasis, peut-être sans savoir que la psychanalyse a été bousculée et qu’elle s’était faite un peu discrète dans son domaine soignant, plus éloignée des milieux culturels où elle revient davantage, repopularisée par le petit écran.
Au terme de ces quelques remarques il m’en restait une, et sans doute pas des moindres, si l’on considère la diversité des modèles psychothérapiques actuels… Est-ce qu’une telle entreprise artistique aurait fait un succès si Nakache et Toledano avaient filmé une thérapie d’EMDR, d’hypnose, ou encore un traitement cognitivo-comportemental. Ce choix des auteurs ne donne-t-il pas un peu raison à nos prétentions de toucher au plus près la vie d’âme, sa poésie son rêve et son Eros… Et, ce même dans une version de l’univers analytique lacanien, une vitrine non universelle de la psychanalyse, mais si elle est le reflet de notre société, nous l’assumons à défaut d’un autre ambassadeur culturel en ce moment de restrictions générales.
En tous cas, merci d’avoir filmé toute cette richesse humaine, en redonnant une valeur aux destins individuels, c’est bien la somme de ceux-ci qui fait une société. C’est certain que même dans ce qu’il y a l’écran de moins orthodoxe, les plus conservateurs d’entre nous s’y reconnaitront parfois, souriront, s’en embarrasseront et comprendront que rien n’est parfait en ce monde, ni en thérapie ni en théorie d’ailleurs.