Actuellement au Grand Palais, et jusqu’au 13 juillet 2015, l’exposition Velasquez révèle une énigme magnifique du peintre. Le choix du tableau de Diego Velasquez, la Venus au miroir, comme illustration à l’article de Jacques André, « psychanalyse et gender studies : quel débat ? », mérite une petite explication adressée à ceux qui n’auront pas vu l’exposition.
La venus au miroir, peinte vers 1647 ‑1651 est le seul nu de l’artiste qui nous soit parvenu, aujourd’hui propriété de la National Gallery de Londres.
Le génial dispositif de l’exposition parisienne la présente dans une salle à part, une rotonde, accompagnée seulement d’une sculpture romaine du IIeme siècle conservée au Louvre. L’œil du visiteur est attiré en entrant par ces deux dos féminins qui se présentent à lui, l’un sur la toile, l’autre sur le marbre. Lorsque la sculpture est contournée, le spectateur découvre alors, que ce splendide dos de marbre est celui d’un hermaphrodite. Velasquez aurait commandé un moulage de cette sculpture pour les collections royales, lors de son voyage à Rome vers 1650, alors qu’il sillonnait l’Italie pour le compte du Roi, Philippe IV d’Espagne.
Le choc esthétique de cette confrontation aux deux œuvres, l’étourdissant dispositif visuel ne nous dit pas seulement que la Venus au miroir est la peinture d’une sculpture, qui dévoilerait un hermaphrodite. Au-delà, c’est une allégorie de la beauté , du narcissisme et de l’amour mais aussi une allégorie de la bisexualité, dans la différence des sexes et dans sa concordance, répondant ainsi à la dynamique complexe et enchevêtrée du désir.
L’énigme du tableau n’en est pas pour autant levée, car cette femme allongée de dos est placée face à un miroir que tient cupidon. L’orientation du miroir, face au regard du spectateur, offre un premier trompe l’œil. Le reflet n’est pas tant celui de la belle allongée mais plus probablement celui du peintre, voire de celui qui regarde. Ainsi d’autres détails, dont le pied, recèlent quelques mystères qui portent toutes les interprétations possibles.
La concordance entre la période à laquelle Velasquez a peint la toile et a commandé le moulage de la sculpture fait accréditer la thèse que derrière le dos de la peinture se cache l’hermaphrodite de la sculpture, c’est la grande réussite de ce dispositif, mais cela n’est pas si simple. C’est là devant nos yeux, c’est possible et vraisemblable, mais rien n’est dit explicitement, c’est un hors champs. Alors, la contemplation de cette mise en scène dialectique n’en finit pas d’être une plongée dans l’insondable complexité de l’homme et de la femme, de l’artiste et de son modèle, du désir et de la différence des sexes !
Une anecdote pourrait venir ponctuer ce dispositif. En 1914, une suffragette londonienne du nom de Mary Richardson, attaqua la toile à coups de hachoir, laissant d’après les commentateurs de l’époque des traces cruelles dans le cou de la Venus. Pour sa défense, elle plaida sa cause en expliquant qu’elle n’aimait pas le regard concupiscent que les hommes portaient sur ce dos alangui, devenant ainsi un symbole d’un féminisme naissant. Il n’est pas inintéressant aujourd’hui de s’attarder dans la salle de l’exposition et de découvrir la surprise amusée provoquée par le dispositif sur les spectateurs. Leurs regards, commentaires et sourires laissant entendre qu’il est moins question qu’en d’autres temps d’être choqué, que d’être intrigué par la révélation de cette énigme et fasciné par l’épaisseur du message, que le peintre depuis son XVIII ème siècle espagnol et donc très catholique, marqué par l’inquisition, laisse aux spectateurs actuels pour lequel le scandale de la sexualité n’opère plus guère que dans les débats avec les gender studies…