Cet article est issu de l’intervention de Vassilis Kapsambelis dans le cadre des CIP 2019–2020/ cycle adulte.
Quel est le point commun entre un symptôme, une formation réactionnelle et un trait de caractère ? A première vue, la réponse n’a rien d’évident. Pourtant, après la conférence de Vassilis Kapsambelis, la première du cycle adulte des Conférences d’Introduction à la Psychanalyse de la Société de Psychanalyse de Paris, ces trois notions sont apparues incontestablement liées entre elles. Elles sont même dans une lignée généalogique puisque les deux premières sont les étapes constitutives de la troisième.
Afin de nous en convaincre, Vassilis Kapsambelis a exposé l’histoire de la personnalité dans le savoir psychiatrique. Elle commence assez tardivement, seulement à la fin du 19ème siècle, alors que la majorité du savoir psychiatrique a déjà été établi. Auparavant, la personnalité a été délaissée par les psychiatres, y compris Freud qui la considérait comme une notion superficielle jusqu’à ce qu’il s’intéresse au caractère, terme qui supplantera celui de personnalité en psychanalyse quand la psychiatrie conservera la première appellation.
Lorsque les psychiatres ont commencé à se pencher sur la personnalité, ils ont appliqué la même méthode que celle utilisée pour décrire les pathologies, c’est-à-dire établir une liste de symptômes dont la survenue et la co-existence caractérisent chaque maladie. Une personnalité a donc dans un premier temps été considérée comme une co-occurrence de “symptômes” caractéristiques.
Ce modèle s’est maintenu malgré l’incohérence entre la volatilité d’un symptôme et l’immuabilité d’une personnalité. En effet, un symptôme n’a pas toujours été et peut être amené à disparaitre, contrairement à la personnalité ou au caractère, qui semble être là depuis toujours et qui peine à être modifié. Sans compter qu’on peut être conscient de son symptôme mais pas d’un trait de caractère. « Le caractère, c’est les autres » disait René Diatkine. On ne peut le percevoir que chez les autres. Une personnalité ne devrait donc pas être décrite comme composée de symptômes. Mais la puissance du modèle classificatoire psychiatrique continuera d’imposer ces typologies de personnalités qui font encore aujourd’hui systématiquement partie de la nosographie psychiatrique. Ceci étant, lorsque l’inconscient entrera en scène, le rapport entre caractère et symptôme prendra une autre tournure.
Dans la seconde moitié du 19ème siècle, différents auteurs se penchent sur les manifestations qui échappent à la conscience : le réflexe conditionné de Pavlov, les pensées automatiques de Janet, les lapsus, actes manqués, rêves pour Freud. L’ensemble de ces travaux conduit progressivement Freud à considérer le symptôme comme relevant lui aussi d’un processus qui échappe à la conscience. Il le considère surtout comme un mécanisme inconscient comme un autre et le sort ainsi du champ strictement pathologique. Il le définit comme une formation de compromis entre deux forces opposées inconciliables, une motion pulsionnelle indomptée et une force interdictrice. Les deux forces en présence suivront l’évolution de l’œuvre de Freud : de la théorie de la séduction où principe de plaisir et principe de réalité sont les forces à satisfaire à la seconde théorie des pulsions où pulsion de vie et pulsion de mort sont les deux antagonistes.
Mais il arrive aussi que la motion pulsionnelle soit totalement repoussée. Freud parle alors de formation réactionnelle qu’il décrit comme une variante extrême et souhaitable de la formation de compromis.
Une formation réactionnelle correspond à un barrage net à une des deux forces en présence. C’est toujours la motion pulsionnelle qui subit une répression totale. Il n’y a plus de conflit donc plus de compromis pour satisfaire simultanément les deux forces. Freud considère alors que ce mécanisme relève d’un psychisme sain, c’est-à-dire un psychisme débarrassé de la pulsion et capable d’utiliser l’énergie pulsionnelle à d’autres fins telles la sublimation et la morale. La formation réactionnelle serait donc un mécanisme de défense recherché, signe de santé mentale…sauf quand il s’installe, se réitère, se fige.
Freud s’aperçoit alors que la formation réactionnelle répétitive et continue ne va plus de pair avec une plasticité de l’énergie pulsionnelle. Elle fige les mouvements et aboutit à une déformation du Moi. Le Moi renvoie une réponse systématique et rigide : le trait de caractère, y compris en l’absence de la menace pulsionnelle. L’investissement objectal lié à la motion pulsionnelle est absorbé par le moi pour devenir narcissique. Le trait de caractère est donc une évolution pathologique de la formation réactionnelle où l’énergie psychique est en permanence engagée, appauvrissant le Moi et prenant le risque d’être captée par la pulsion de mort.
Finalement, un trait de caractère est le descendant d’une formation réactionnelle, dérivée elle-même d’une formation de compromis, autrement dit d’un symptôme. Mais le caractère a perdu la mobilité du symptôme. Il s’est chosifié. Reich parle de « carapace caractérielle ». Autant dire qu’il est particulièrement délicat de travailler en analyse un trait de caractère, à moins de parvenir à parcourir le chemin inverse, à transformer le trait de caractère en symptôme.
Stéphanie George