L’enjeu psychosomatique à l’adolescence.

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Envi­sa­ger l’adolescence comme un pro­ces­sus, per­met de pri­vi­lé­gier le fonc­tion­ne­ment men­tal et de réflé­chir à ce que l’on peut appe­ler une men­ta­li­sa­tion puber­taire. Celle ci inau­gure, paral­lè­le­ment aux modi­fi­ca­tions soma­tiques, le pas­sage de l’enfance à l’âge adulte.
L’activité psy­chique, insé­pa­rable de l’activité pul­sion­nelle en tant que pen­sée du soma­tique au psy­chique et acti­vi­té de liai­son des excès d’excitations, implique la trans­for­ma­tion du quan­ti­ta­tif en psy­chique. C’est un véri­table temps d’intégration psy­cho­so­ma­tique qui com­porte la poten­tia­li­sa­tion mutuelle de plu­sieurs fac­teurs d’où, un risque trau­ma­tique avec des effets néga­tifs et posi­tifs, un risque soma­tique lié à la qua­li­té de la men­ta­li­sa­tion et un risque dépres­sif lié à la perte des ima­gos paren­tales.

Le temps ado­les­cent est un nou­vel orga­ni­sa­teur (E. Kes­tem­berg) de la vie psy­chique. Les solu­tions pro­po­sées, à ce temps de crise, sont toutes des ten­ta­tives d’auto-guérison mises en place au plus près des capa­ci­tés psy­chiques en pré­sence. Elles  nous confrontent au cli­vage  et à la coexis­tence de dif­fé­rents niveaux dont, tous auront un point com­mun, à savoir l’atteinte nar­cis­sique, en par­ti­cu­lier au niveau du nar­cis­sisme pri­maire.
Le pro­ces­sus ana­ly­tique avec un ado­les­cent est un tra­vail de co-pen­sée dans une pro­blé­ma­tique d’anticipation. Il implique la proxi­mi­té de l’activité men­tale de l’analyste et de l’analysé ( D. Wid­lo­cher). Les notions d’après coup et de patho­lo­gie nar­cis­sique y sont omniprésentes.On peut dis­tin­guer trois étapes au cours du pro­ces­sus ado­les­cent. Une phase puber­taire, lieu d’un tra­vail psy­cho­so­ma­tique pro­pre­ment dit, une phase de latence domi­née par l’éclatement des ins­tances et leur nou­velle orga­ni­sa­tion et une phase ado­les­cente cor­res­pon­dant au deuil des posi­tions infan­tiles.

Cette divi­sion reste pure­ment théo­rique car, dans la cli­nique, elles coexistent et contiennent un  point com­mun : un affect de  haine que le lien entre le corps bio­lo­gique et le corps éro­tique actua­lise.

Afin de mieux com­prendre l’enjeu psy­cho­so­ma­tique inhé­rent à l’adolescence, je vais vous pré­sen­ter quelques élé­ments théo­riques qui me semblent par­ti­cu­liè­re­ment impor­tants.

-L’enjeu éco­no­mique :

La dimen­sion éco­no­mique vient domi­ner le tableau cli­nique, elle impose au Moi la prise en charge et l’élaboration des exci­ta­tions impri­mant la néces­si­té, réus­sie ou pas, de trans­for­mer leur excès en des maté­riaux uti­li­sables. Trois voies d’écoulement deviennent alors pos­sibles. La voie psy­chique, la voie com­por­te­men­tale et la voie soma­tique. En effet, c’est sou­vent à par­tir des actes que l’adolescent tente de se créer un sen­ti­ment d’existence. L’accès à la géni­ta­li­té, est un temps pri­vi­lé­gié qui, par son carac­tère trau­ma­tique, peut être à l’origine d’une repul­sion­na­li­sa­tion venant s’inscrire à l’opposé des pro­ces­sus de désob­jec­ta­li­sa­tion du moi en cours.

Le temps puber­taire est domi­né par l’excès et le quan­ti­ta­tif, c’est une irrup­tion trau­ma­tique qui auto­rise la paren­té entre  la puber­té et la névrose actuelle. Cette bi par­ti­tion, mou­ve­ment puber­taire et trau­ma­tisme, contient une poten­tia­li­té désor­ga­ni­sante dans le registre soma­tique, psy­chique et addic­tif.  La solu­tion com­por­te­men­tale, à expres­sion sou­vent cor­po­relle comme visée anti dépres­sive, est très fré­quente offrant ain­si un panel dépres­sif dan­ge­reux. Cepen­dant la conti­nui­té entre la dépres­sion infan­tile et la dépres­sion ado­les­cente est tou­jours pré­sente ; et la vio­lence du réel puber­taire répète la « vio­lence fon­da­men­tale » pour citer J. Ber­ge­ret et pro­duit un retour à des sources pul­sion­nelles en excès dans la résur­gence d’images paren­tales exci­tantes et inter­dic­trices.

La puber­té cor­res­pond à une levée bru­tale du refou­le­ment qui avait été à l’origine de la phase de latence dans l’établissement d’une pro­tec­tion nar­cis­sique désor­mais per­due.  La libi­do, reti­rée des ima­gos paren­tales, s’investit dans le Moi dans un mou­ve­ment de régres­sion nar­cis­sique qui vient ren­con­trer les attaches nar­cis­siques infan­tiles liées  à l’investissement mater­nel et à la réponse objec­tale. Il est ici inté­res­sant de reprendre Ferenc­zi qui pen­sait cette phase nar­cis­sique comme la clé du pas­sage de l’auto-érotisme au nar­cis­sisme dans la trou­vaille de soi-même.

P.Blos, dans la même lignée, insiste sur la qua­li­té de la régres­sion qui accom­pagne ces pro­ces­sus per­met­tant la reprise du mou­ve­ment de sépa­ra­tion-indi­vi­dua­tion. Il pro­pose le concept de seconde indi­vi­dua­tion. Le pri­mat du géni­tal devient ici un étayage sexuel sus­cep­tible de résoudre les expé­riences anté­rieures déqua­li­fiantes au niveau pul­sion­nel. Les actes pré­pa­ra­toires au coït deve­nu pos­sible favo­rise l’identification mutuelle des par­te­naires. Il se pro­duit « une poten­tia­li­té d’unité nar­cis­sique puber­taire, résul­tant de l’intuition de l’autre sexe à com­bler le manque ».

La confron­ta­tion de l’adolescent à des images paren­tales exci­tantes et inter­dic­trices prend une valeur trau­ma­tique et peut conduire à la répres­sion pour se défendre de l’excitation. C’est ce que P.Denis nomme la « régres­sion ima­goïque des ins­tances ». L’excès, le quan­ti­ta­tif abou­tissent à la répres­sion de la géni­ta­li­té d’où la pré­do­mi­nance d’une déqua­li­fi­ca­tion libi­di­nale sous la forme d’une névrose actuelle.

P.Gutton parle de repré­sen­ta­tions inter­dites de séjour par neu­tra­li­sa­tion de l’affect créant le tableau d’une crise impos­sible.

-L’enjeu de la désor­ga­ni­sa­tion :

La régres­sion est inhé­rente à la dimen­sion trau­ma­tique et au pro­ces­sus ado­les­cent. La col­lu­sion des deux peut la trans­for­mer en une désor­ga­ni­sa­tion pro­gres­sive révé­lant ain­si l’atteinte pri­maire sous-jacente à l’origine du gel du déve­lop­pe­ment. La déliai­son psy­cho­so­ma­tique ne se com­prend que par la sup­pres­sion de tout mou­ve­ment psy­chique qui pour­rait y faire obs­tacle. Elle se révèle alors dans le fonc­tion­ne­ment opé­ra­toire qui, en lui-même, n’est pas com­pa­tible avec un pro­ces­sus ado­les­cent. Les sys­tèmes fixa­tions-régres­sions repré­sentent la défense ultime pour s’opposer à la désor­ga­ni­sa­tion et la dés­in­tri­ca­tion pul­sion­nelle est res­pon­sable d’un recours à l’auto des­truc­tion sous l’égide du tra­vail de la pul­sion de mort. M.Fain1 reprend la soma­ti­sa­tion comme un des­tin pos­sible des pul­sions et montre bien la « défaite » de ces paliers de fixa­tion.

La réac­ti­va­tion des enjeux infan­tiles conju­guée à l’éclatement du Sur­moi peut favo­ri­ser l’installation  d’un Moi-Idéal qui repré­sente la faillite de la consti­tu­tion du Sur­moi. Autre­ment dit, la sur­ve­nue d’une désor­ga­ni­sa­tion dans un pro­ces­sus ado­les­cent nous confronte à l’existence d’un nar­cis­sisme des­truc­teur, un nar­cis­sisme de mort.

Il faut évo­quer la ques­tion du Sur­moi et de l’Idéal du Moi à cette période. Le Sur­moi se trans­forme et l’Idéal du Moi se consti­tue. Le Sur­moi est resexua­li­sé d’une façon régres­sive. Cette régres­sion fait par­tie d’une façon struc­tu­rale de la restruc­tu­ra­tion psy­chique à l’adolescence.
Elle est régres­sion des pul­sions, mais aus­si du Moi et donc elle est à l’origine de la rémi­nis­cence des états trau­ma­tiques anté­rieurs et de l’apparition d’un lan­gage d’action et sou­vent même du corps. La régres­sion tra­duit la dés­in­tri­ca­tion pul­sion­nelle.

Envi­sa­geons le temps ado­les­cent comme une chambre d’écho des pro­ces­sus pri­maires : un écho méta­psy­cho­lo­gique à la théo­rie de l’après coup, à la sexua­li­té comme effrac­tion trau­ma­tique et au rôle de l’objet tant interne qu’externe, rôle que l’on retrouve dans l’atteinte du sys­tème repré­sen­ta­tion per­cep­tion, que le risque soit celui d’une désob­jec­ta­li­sa­tion ou d’une dénar­cis­si­sa­tion.

-L’enjeu du néga­tif :

L’indépendance de l’objet, décou­verte ou redé­cou­verte, implique la perte de l’omnipotence infan­tile et néces­site un tra­vail de trans­for­ma­tion pul­sion­nelle. L’engagement dans le tra­vail du refou­le­ment sup­pose lui un effa­ce­ment des per­cep­tions puber­taires. Lors de la puber­té, l’adolescent va être à lui-même son propre objet. La pul­sion est recon­nue comme une mani­fes­ta­tion interne, elle prend sa réa­li­té et contraint à néga­ti­ver l’Œdipe. Ces élé­ments ren­voient à la dimen­sion posi­tive du tra­vail du néga­tif 2.

Cepen­dant, cette néga­ti­vi­té, expres­sion de la pul­sion de mort, risque d’être débor­dée et d’entraîner une désor­ga­ni­sa­tion patho­lo­gique. L’intériorisation du  néga­tif implique une direc­tion prise par les pro­ces­sus psy­chiques à contre cou­rant 3 ; elle s’impose comme un fil conduc­teur dès le début de la vie et le temps puber­taire n’est qu’un rap­pel de la situa­tion chao­tique ini­tiale. Ce n’est pas un simple rap­pel, c’est une poten­tia­li­sa­tion qui majore et oblige à recou­rir à des défenses encore plus étroites et ser­rées qui appau­vrissent encore.

Ici se retrouve la ques­tion fon­da­men­tale du rôle du tra­vail du néga­tif dans la repré­sen­ta­ti­vi­té. La néga­ti­va­tion de l’objet est pour A.Green une condi­tion de la sub­jec­ti­va­tion. Nous savons que l’hallucination néga­tive de la mère déter­mine la struc­ture enca­drante de l’activité de repré­sen­ta­tion, l’adolescent devient à lui-même son propre objet ne pou­vant plus comp­ter sur autre chose que sur lui-même. « La mère a dis­pa­ru parce qu’elle tapisse le fond de la psy­ché… Il va fal­loir néga­ti­ver l’oedipe au sens de la des­truc­tion parce que l’oedipe dans ce corps nou­veau est into­lé­rable ». Ce tra­vail d’hallucination néga­tive est indis­pen­sable à l’adolescent dans la réus­site de l’intériorisation et du tra­vail de deuil que la réac­ti­va­tion de la posi­tion dépres­sive néces­site.
Cette mise en repré­sen­ta­tion carac­té­rise la tier­céi­té qui per­met à la sexua­li­té de se men­ta­li­ser et d’éviter le main­tien dans un auto-éro­tisme orga­nique sou­mis à la pul­sion de mort donc à la désob­jec­ta­li­sa­tion.

L’effet posi­tif d’un tel trau­ma­tisme serait de retrou­ver le déve­lop­pe­ment de la lignée hal­lu­ci­na­toire, autre­ment dit de réta­blir la pré­émi­nence de l’activité de pen­ser dans son lien avec la struc­ture psy­cho-sexuelle. A l’opposé, l’effet néga­tif per­pé­tue la lignée trau­ma­tique et déve­loppe une pen­sée appau­vrie et cou­pée de ses sources pul­sion­nelles, une pen­sée opé­ra­toire désym­bo­li­sante. La désob­jec­ta­li­sa­tion en cours conduit à l’effacement de la pen­sée, des repré­sen­ta­tions et des affects, c’est à dire à un effa­ce­ment du tra­vail du pré­cons­cient.

-L’enjeu de la com­plé­men­ta­ri­té :

L’achèvement de la sexua­li­té infan­tile sous le pri­mat du géni­tal en réac­tive le pre­mier temps et ins­talle un nou­vel état qui ins­taure la rup­ture à par­tir de la conti­nui­té et vient confir­mer la cer­ti­tude de cette com­plé­men­ta­ri­té. Il se pro­duit “une poten­tia­li­té d’unité nar­cis­sique puber­taire, résul­tant de l’intuition de l’autre sexe à com­bler le manque .”La confron­ta­tion à la géni­ta­li­té passe par la ren­contre avec l’objet d’amour ce qui n’est pas sans évo­quer l’objet trans­for­ma­tion­nel de C.Bollas qui per­met des expé­riences d’intégration du Moi dans sa fonc­tion même de source trans­for­ma­tion­nelle. En terme bio­nien, on pour­rait dire qu’il est deman­dé au par­te­naire géni­tal de pos­sé­der l’équivalent d’une cer­taine fonc­tion alpha à laquelle il est pos­sible de s’identifier et qui favo­rise alors le pro­ces­sus de pen­sée et, du même coup, les pos­si­bi­li­tés psy­chiques de repré­sen­tance. Cette mutua­li­té dans la décou­verte retrouve la mise en latence de l’excitation sexuelle  et  le refou­le­ment qui per­met l’élaboration du manque  dans un champ oedi­pien.

C’est un véri­table trau­ma­tisme nar­cis­sique engen­drant une solu­tion sexuelle pour sa gué­ri­son soit néga­tive ou anti-nar­cis­sique soit posi­tive dans la trans­for­ma­tion d’un objet en par­te­naire géni­tal. L’activité géni­tale retrou­vée dans la scène puber­taire vient s’opposer à la pas­si­vi­té infan­tile. Ce tra­vail indis­pen­sable dépend de la qua­li­té de la sub­jec­ti­va­tion. La fan­tas­ma­ti­sa­tion est enva­hie de maso­chisme et la créa­tion d’un roman fami­lial ado­les­cent se consti­tue. L’infantile est mis en sus­pens par le puber­taire4 .

Cepen­dant, la ren­contre  avec l’objet reste trau­ma­tique car elle est liée à l’expérience de l’indépendance de l’objet qui a une conno­ta­tion catas­tro­phique dans la mesure où elle repré­sente la fin de l’omnipotence alors que cette der­nière est néces­saire car elle per­met l’installation de la capa­ci­té d’illusion. Le dan­ger résulte ici, entre autre dans la confron­ta­tion avec la pas­si­vi­té pri­maire.

Le lien entre le corps bio­lo­gique et le corps éro­tique s’actualise sou­vent dans la haine. Le puber­taire est à l’origine de la confron­ta­tion des pul­sions inces­tueuses géni­ta­li­sées refou­lées et de la désexua­li­sa­tion mise en place au cours de la latence. Il entraîne ain­si le vacille­ment de l’épreuve de réa­li­té.

“L’a­do­les­cens” pro­pre­ment dit cor­res­pond au deuil des posi­tions infan­tiles dans la désexua­li­sa­tion des repré­sen­ta­tions inces­tueuses dans un mou­ve­ment paral­lèle à la redé­cou­verte de l’objet. A.Freud le for­mule comme le deuil des objets du pas­sé ; mais, en fait, il ne s’agit pas d’un deuil mais plu­tôt d’une trans­for­ma­tion : « Pour l’adolescent, c’est son iden­ti­té d’enfant qu’il lui faut perdre. Il ne s’agit pas d’une per­sonne per­due mais d’un deuil d’identité qui porte sur des inves­tis­se­ments nar­cis­siques et sur un rema­nie­ment des ins­tances5 . La « sur­vi­vance » des parents  joue un rôle impor­tant comme gar­dien d’une main­te­nance aimante, d’un cadre qui résiste. Le vécu dépres­sif orchestre à tra­vers sa pré­sence ou son absence la vie psy­chique, ce qui met l’accent sur les  périodes suc­ces­sives de ré-édi­tion de la posi­tion dépres­sive dans la mesure où  le tra­vail inté­gra­tif qu’il implique per­met l’élaboration paral­lèle des conflits actuels et pas­sés comme une « deuxième chance » (J.Gammill6 ).

-L’enjeu de la sub­jec­ti­va­tion :

L’expérience puber­taire enfouit l’infantile dans le sens d’une enfance étran­gère et néces­site un tra­vail de sub­jec­ti­va­tion qui devient opé­rant à l’adolescence pour deve­nir de l’infantile. R.Cahn7  insiste sur l’appropriation pul­sion­nelle qu’il fina­lise. Il par­ti­cipe  d’un pro­ces­sus de dif­fé­ren­cia­tion et favo­rise l’installation des nou­velles ins­tances : Idéal du moi et Sur­moi. Cepen­dant, la réac­ti­va­tion des enjeux infan­tiles conju­guée à l’éclatement du Sur­moi par­ti­cipe de l’installation d’un Moi-Idéal qui repré­sente la faillite de la consti­tu­tion du Sur­moi.

Son absence se retrouve dans la lignée trau­ma­tique sous la forme d’une alié­na­tion, d’une déliai­son du Moi. Autre­ment dit, c’est à par­tir de la qua­li­té des assises nar­cis­siques et de la dépres­sion qu’un che­min adé­quat peut se struc­tu­rer d’une manière qua­si défi­ni­tive à l’adolescence. La dimen­sion nar­cis­sique infiltre le temps puber­taire et  trans­forme la répar­ti­tion des liens entre les inves­tis­se­ments. La dépres­sion recoupe tout le par­cours ado­les­cent. Elle est liée à la perte du corps d’avant, perte induite par les trans­for­ma­tions puber­taires et impli­quant la néga­ti­va­tion des traces de l’Oedipe. La prise en compte des  dés­in­ves­tis­se­ments en retrace l’évolution dans la conti­nui­té entre la dépres­sion infan­tile et la dépres­sion ado­les­cente. Le retour à un état de dépres­sion essen­tielle est tou­jours à craindre.

C’est l’enjeu de la sub­jec­ti­va­tion à l’adolescence qui, déci­sive à cette période,  implique un tra­vail de « dif­fé­ren­cia­tion entre sujet et objet, entre objet nar­cis­sique et objet recon­nu comme tel, entre acte et pen­sée abs­traite, entre les ins­tances où le Sur­moi tel qu’il se réor­ga­nise est en effet la condi­tion de l’auto-observation, de l’auto-élaboration… sans oublier tout le pro­ces­sus d’appropriation sub­jec­tive qui se voit lié aux condi­tions de la sym­bo­li­sa­tion pri­maire et de la sym­bo­li­sa­tion secon­daire » (R.Cahn)  . « C’est pré­ci­sé­ment ce tra­vail de sub­jec­ti­va­tion, de dif­fé­ren­cia­tion et d’appropriation sub­jec­tive de l’activité repré­sen­ta­tive à par­tir de la double contrainte de la pul­sion et de l’objet qui court tout au long du déve­lop­pe­ment pour prendre son sens et son aspect défi­ni­tif plus ou moins accep­table ou défec­tueux au cours de l’adolescence ».

L’adolescence néces­site, dans le sens d’une construc­tion, un tra­vail de  men­ta­li­sa­tion, lui-même dans un rap­port d’étroite dépen­dance au tra­vail de repré­sen­ta­tion des motions pul­sion­nelles. A contra­rio, la dyna­mique peut évo­luer, à contre-cou­rant, allant vers une décons­truc­tion indi­vi­duelle cor­res­pon­dant à un tra­vail de  démen­ta­li­sa­tion. Autre­ment dit, l’adolescent est contraint à par­tir à la ren­contre du cultu­rel qui « por­te­rait la res­pon­sa­bi­li­té de réa­li­ser les aspi­ra­tions blo­quées du pas­sé avec de nou­veaux objets dont le rôle de relais est mécon­nu ».
C’est l’inscription du pro­ces­sus d’adolescence dans le pro­ces­sus de civi­li­sa­tion socio-cultu­rel et l’élaboration de la com­plé­men­ta­ri­té des sexes et par là de la bisexua­li­té psy­chique. Se défi­nit alors tout un tra­vail psy­chique qui part de la bio­lo­gie pour aller vers l’identification : Para­phra­sant P.Aulagnier, on peut dire que le désir de l’autre “inter­prète” les éprou­vés et per­met leur repré­sen­ta­ti­vi­té.  On pour­rait résu­mer cette situa­tion à tra­vers le terme de crise qui per­met qu’un sujet advienne, rap­pe­lons-nous cette phrase de ce même auteur : construis ton pas­sé pour défi­nir ce temps.

Je vou­drais insis­ter sur la néces­si­té d’un appel à la figu­ra­bi­li­té qui accom­pagne ce pro­ces­sus dans une reprise de l’infantile et des trau­ma­tismes consti­tu­tifs. S.Freud parle « d’exigence de figu­ra­bi­li­té » et il ins­taure la « sépa­ra­tion nette et défi­ni­tive du conte­nu des deux sys­tèmes » au moment de la puber­té.
L’“exi­gence de figu­ra­bi­li­té” qui ren­voie à la repré­sen­tance  ne peut fonc­tion­ner qu’en réfé­rence à la fonc­tion  du sys­tème pré­cons­cient  qui  orga­nise les fluc­tua­tions  pro­gré­dientes ou régré­dientes de la  cir­cu­la­tion des quan­ti­tés d’énergie qu’il  lie.  S’y ordonne un récit témoin d’une tem­po­ra­li­té à l’œuvre. Lieu du tra­vail de sym­bo­li­sa­tion, orga­ni­sé par le refou­le­ment il est envi­sa­gé comme une salle de mon­tage, un labo­ra­toire dont les logiques pri­maires sont l’élément moteur, les agents de trans­for­ma­tion et la pen­sée oni­rique en train de se faire.( M.Neyraut8 ) . Il par­ti­cipe de la rela­tion entre les pro­ces­sus pri­maires et secon­daires au sein d’un tra­jet défi­ni comme une géné­ra­ti­vi­té de l’intermédiaire conte­nant les racines de la tier­céï­té.

Chris­tine Jean-Stro­chlic, psy­cha­na­lyste SPP.

NOTES :

  1. M.Fain, D.Donabedian, psy­cho­so­ma­tique et pul­sion,
  2. A.Green (1993) le tra­vail du néga­tif, Ed de minuit.
  3. A.Green,(2010) Illu­sions et dés­illu­sions du tra­vail psy­cha­na­ly­tique, Odile Jacob ;p 233.
  4. P.Gutton p.280 Ado­les­cence 35
  5. P.Denis, éloge de la bêtise, Paris, PUF, 2001
  6. J.Gammill (2007) la posi­tion dépres­sive au ser­vice de la vie, Edi­tions In Press, p 66.
  7. R.Cahn,(1998) L’adolescent dans la psy­cha­na­lyse. L’aventure de la sub­jec­ti­va­tion. Paris PUF
  8. M.Neyraut(1997) Les rai­sons de l’irrationnel, les logiques des pro­ces­sus pri­maires, le fil rouge, PUF,109.