Entre travail psychiatrique et travail analytique : l’exemple du Centre Philippe Paumelle (ASM13)

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- Quelle place pour un psy­cho­logue dans un Centre médi­co-psy­cho­lo­gique ?

L’Association de San­té Men­tale (ASM 13) est une asso­cia­tion qui fait de la psy­chia­trie de sec­teur pour les 180.000 habi­tants du 13ème arron­dis­se­ment, avec plu­sieurs dépar­te­ments (enfants, ado­les­cents, adultes, patho­lo­gies psy­cho­so­ma­tiques). C’est l’association qui a inau­gu­ré les soins psy­chia­triques de sec­teur en France, et qui a été bâtie avec une forte influence psy­cha­na­ly­tique. Au sein des soins ambu­la­toires du Dépar­te­ment adultes, les fon­da­teurs ont sépa­ré d’un côté, le Centre Médi­co-Psy­cho­lo­gique (CMP), à savoir le Centre Phi­lippe Pau­melle, qui offre des soins psy­chia­triques, avec des équipes consti­tuées de psy­chiatres, d’infirmiers et d’assistants sociaux. Et de l’autre, le Centre de Psy­cha­na­lyse et de Psy­cho­thé­ra­pie Eve­lyne et Jean Kes­tem­berg, qui assure les soins psy­cho­thé­ra­piques pour cer­tains patients du CMP.Néanmoins, ces der­nières années, des acti­vi­tés de type psy­cho­thé­ra­pique (aus­si bien de groupe, qu’individuelles) ont été déve­lop­pées au Centre Phi­lippe Pau­melle.

- Que cherchent les patients qui consultent en CMP ?

Pour Kap­sam­be­lis et Kecs­ke­me­ti (2013), le patient qui consulte un Centre public de san­té men­tale, se trouve dans la grande majo­ri­té des cas dans un contexte de « crise psy­chique », c’est-à-dire, non pas dans les condi­tions d’un désir de réflexion et d’un tra­vail sur soi-même (comme clas­si­que­ment dans le tra­vail ana­ly­tique), mais sous la pres­sion d’un cer­tain bou­le­ver­se­ment de son exis­tence… C’est un moment de « désta­bi­li­sa­tion plus ou moins grave de son équi­libre nar­cis­sique et objec­tal ».Ceci est com­pré­hen­sible : le Centre Phi­lippe Pau­melle est un centre médi­cal, donc, par défi­ni­tion, les gens s’adressent à nous, non pas comme on s’adresse à un psy­cha­na­lyste dans le pri­vé, mais parce qu’ils ren­contrent effec­ti­ve­ment, dans la grande majo­ri­té des cas, un moment dif­fi­cile dans leur exis­tence. « « On va voir un psy­chiatre comme on va voir un méde­cin », c’est-à-dire, parce qu’on en a besoin, dans le « ici et main­te­nant ».

- Quelles sont les indi­ca­tions pour consul­ter le psy­cho­logue ?

La popu­la­tion de patients de CMP pré­sente une grande varia­bi­li­té quant aux patho­lo­gies. Elle se divise en deux groupes. Le pre­mier est consti­tué de per­sonnes qui consultent pour des évé­ne­ments de vie : deuils, sépa­ra­tions, échecs pro­fes­sion­nels, vio­lences subies, conflits…, dans des contextes par­ti­cu­liers plus ou moins trau­ma­tiques. Ces patients demandent un accom­pa­gne­ment psy­cho­lo­gique pen­dant un cer­tain temps, sans que leur cli­nique relève néces­sai­re­ment d’un tra­vail ana­ly­tique clas­sique. Un « accom­pa­gne­ment » étant com­pris, non pas comme un « sou­tien », mais comme un « tra­vail psy­chique par­ta­gé » : il s’agit de contri­buer à l’élaboration psy­chique de la période vécue.Le deuxième groupe est com­po­sé de per­sonnes qui ont des patho­lo­gies psy­cho­tiques (épi­sodes déli­rants aigus à répé­ti­tion, psy­choses déli­rantes chro­niques, schi­zo­phré­nies) ou limites. La plu­part d’entre eux ont un trai­te­ment médi­ca­men­teux, et sont adres­sés au psy­cho­logue lorsque nous consi­dé­rons qu’ils peuvent béné­fi­cier d’un tra­vail psy­chique plus sou­te­nu et plus régu­lier que celui réa­li­sé au sein des consul­ta­tions psy­chia­triques.

La majo­ri­té d’entre eux ne sont pas deman­deurs, et semblent ne pas pou­voir s’astreindre à un tra­vail ana­ly­tique plus rigou­reux, et aux « frus­tra­tions » inhé­rentes à ce type de traitement.La façon de com­prendre les dif­fi­cul­tés des uns et des autres est sou­vent « inter­ac­tion­nelle » et, à la limite, pro­jec­tive. Ils ont ten­dance à pen­ser qu’ils ont un pro­blème avec leurs objets, et les condi­tions de « crise psy­chique » dans les­quelles ils s’adressent à nous, leurs donnent évi­dem­ment rai­son, du moins en appa­rence. En effet, les évé­ne­ments de vie cités pré­cé­dem­ment, déter­minent des mani­fes­ta­tions cli­niques très diverses : états anxieux ou dépres­sifs, symp­to­ma­to­lo­gies trau­ma­tiques, éclo­sions déli­rantes, inhi­bi­tions névro­tiques et situa­tions d’explosivité impul­sive. Il s’agit sou­vent de patients qui n’arrivent pas à tra­vailler ou à nouer une rela­tion amou­reuse. Ils ont par­fois des enfances trop acci­den­tées pour pou­voir faire suf­fi­sam­ment confiance à l’autre.
De façon géné­rale, c’est sou­vent l’autre, actuel ou pas­sé, qui est insa­tis­fai­sant, et l’idée « magique » que l’on pour­rait chan­ger l’autre est pré­sente dans les pre­mières consul­ta­tions. Il y a tout un che­mi­ne­ment pour qu’ils acceptent de prendre en consi­dé­ra­tion leur façon de pen­ser les choses, et pour qu’ils se sentent davan­tage auteurs de leur vie.Ces par­ti­cu­la­ri­tés du motif de la consul­ta­tion et des condi­tions de la pre­mière ren­contre peuvent rendre inopé­rante, voire même par­fois per­sé­cu­trice, la ren­contre avec un ana­lyste silen­cieux : bien­veillant, certes, et pour­tant vécu comme froid et dis­tant. Néan­moins cer­taines condi­tions mini­males sont requises pour entre­prendre ce tra­vail d’accompagnement psy­cho­lo­gique, comme par exemple la pos­si­bi­li­té psy­chique d’investir à la fois un thé­ra­peute et un tra­vail par la parole, en tout cas suf­fi­sam­ment pour venir régu­liè­re­ment, sans trop de dis­con­ti­nui­té.

Kap­sam­be­lis (2003) évoque « ce fait pri­mor­dial et com­mun, inhé­rent à toute rela­tion méde­cin-malade, soi­gnant-soi­gné : le fait que le patient va for­cé­ment nous inves­tir, qu’il attend de nous en retour une forme d’investissement, et qu’il pense que cet inves­tis­se­ment réci­proque aura un pou­voir de trans­for­ma­tion sur son état. De ce point de vue, la psy­cho­thé­ra­pie n’est pas une tech­nique thé­ra­peu­tique : elle est le pré­sup­po­sé impli­cite de toute ren­contre à visée thé­ra­peu­tique. ».
Par consé­quent, il s’agit pour le psy­cho­logue de trou­ver un sub­til équi­libre entre l’écoute flot­tante et des inter­ven­tions par­fois sur le mode de la conver­sa­tion, mais néan­moins capables de relan­cer le tra­vail de pen­sée et de faci­li­ter les asso­cia­tions, tout en res­pec­tant l’économie psy­chique du patient.

- Quelle est la spé­ci­fi­ci­té du tra­vail du psy­cho­logue au CMP ?

  • Le cadre du tra­vail psy­cho­lo­gique

Les psy­cho­logues du Centre Phi­lippe Pau­melle sont tous d’orientation ana­ly­tique, et for­més à ces approches à mi-che­min entre le cadre des trai­te­ments ana­ly­tiques et la consul­ta­tion du tra­vail psy­chia­trique, « qui est avant tout une ren­contre inter­hu­maine, une pos­si­bi­li­té de chan­ger un psy­chisme à tra­vers la ren­contre avec un autre psy­chisme ».

Ange­lergues (1989) sou­ligne que c’est grâce à la psy­cha­na­lyse qu’une pen­sée du tra­vail psy­chia­trique est deve­nue pos­sible, tout en insis­tant davan­tage sur la nature du tra­vail psy­chique par­ta­gé, que sur le cadre. Ce cadre existe évi­dem­ment, ain­si qu’une sen­si­bi­li­té aux mou­ve­ments trans­fé­ren­tiels et contre-trans­fé­ren­tiels. Tou­te­fois, l’approche des consul­ta­tions psy­cho­lo­giques reste plus souple, et peut s’adapter à la dyna­mique psy­chique du patient (par exemple, espa­cer ou rap­pro­cher les séances). L’essentiel consiste à mettre son appa­reil psy­chique au ser­vice du patient, afin de l’aider à pen­ser par lui-même, et avec notre aide, les dif­fi­cul­tés qui sont les siennes.

Les pre­miers entre­tiens sont consa­crés à l’évaluation psy­cho­lo­gique. Il s’agit d’apprécier le degré d’investissement du tra­vail de la pen­sée et des capa­ci­tés asso­cia­tives, ce qui nous donne aus­si une indi­ca­tion des capa­ci­tés d’investissement pos­sible du thé­ra­peute. Mais aus­si le degré de dif­fé­ren­cia­tion moi-objet, monde externe et monde interne, ce qui évi­dem­ment est un préa­lable à l’investissement du thé­ra­peute et de la pos­si­bi­li­té de « par­ta­ger » un tra­vail psy­chique. Ces pre­miers entre­tiens per­mettent d’établir la fré­quence des consul­ta­tions (d’habitude heb­do­ma­daire ou bimen­suelle), qui est éga­le­ment pen­sée en équipe lors de nos réunions heb­do­ma­daires.

Au terme de cette éva­lua­tion, il s’avère par­fois qu’un autre type de sui­vi psy­cho­lo­gique semble être plus adap­té pour le patient, par un exemple une thé­ra­pie de groupe, un psy­cho­drame ou autre.Les per­sonnes qui connaissent un cer­tain bou­le­ver­se­ment de leur exis­tence, du à des évé­ne­ments de vie, peuvent avoir un sui­vi psy­cho­lo­gique soit pen­dant une période rela­ti­ve­ment courte, le temps de dépas­ser la situa­tion ini­tiale de « crise », soit celle-ci est l’occasion de pro­lon­ger ce sui­vi par un tra­vail plus typi­que­ment psy­cho­thé­ra­pique.
Le psy­cho­logue peut aus­si être ame­né, dans un second temps, à orien­ter un patient vers une psy­cho­thé­ra­pie au Centre de Psy­cha­na­lyse de l’ASM 13 (le Centre Eve­lyne et Jean Kes­tem­berg dont on a par­lé en pré­am­bule), voir même dans le pri­vé. Dans ce cas, ce moment de « tra­vail psy­chique par­ta­gé » aura ser­vi d’introduction et d’exercice pré­pa­ra­toire à une approche psy­cha­na­ly­tique plus clas­sique. En effet, cer­tains patients qui n’auraient pas pu faire une thé­ra­pie ana­ly­tique au moment de la pre­mière ren­contre, sont sus­cep­tibles d’en béné­fi­cier au bout d’un cer­tain temps. Ce sont des patients dont les pro­jec­tions dimi­nuent, au fur et à mesure qu’ils acquièrent une cer­taine réflexi­vi­té. Ils prennent conscience, petit à petit, que leur façon de pen­ser leurs dif­fi­cul­tés peut avoir un impact sur elles, et donc qu’ils peuvent les modi­fier en les pen­sant dif­fé­rem­ment avec l’aide de quelqu’un.

  • Le tra­vail psy­chique par­ta­gé

L’émergence de rêves au cours du sui­vi psy­cho­lo­gique enri­chit le tra­vail psy­chique par­ta­gé. En effet, cer­tains patients se mettent pro­gres­si­ve­ment à se sou­ve­nir de leurs rêves, ce qui découle en par­tie de cet inté­rêt qu’on porte à leur vie interne et à l’occasion, fan­tas­ma­tique. Notre rôle est de les sen­si­bi­li­ser au fait que leur exis­tence est domi­née, plus qu’ils ne le pensent, par leur réa­li­té interne, et que les sens qui s’en dégagent, pou­vant se for­mu­ler de diverses façons (incluant éven­tuel­le­ment l’interprétation clas­sique du trans­fert, à tel ou tel moment du sui­vi), déter­minent leur vie. Pour les auteurs cités pré­cé­dem­ment, nous nous pro­po­sons comme « objet relais » au patient : « un objet qui arrive à un moment de crise, et qui prend le relais d’un tra­vail psy­chique plus ou moins gra­ve­ment mena­cé du fait de la défaillance de ses objets habi­tuels ». Ils ajoutent qu’en tant qu’objet relais, nous devons nous pen­ser comme « un objet pas­seur vers d’autres objets, avec les­quels le patient aura à réor­ga­ni­ser son tra­vail psy­chique, au-delà de la ren­contre avec nous ».

Pour conclure, on pour­rait dire que cer­taines pra­tiques en san­té men­tale sont codi­fiées, telle que la consul­ta­tion psy­chia­trique, notam­ment autour de la ques­tion des médi­ca­ments, ou encore la psy­cho­thé­ra­pie, qui pos­sède aus­si ses propres règles, qu’elle soit cog­ni­tive, ana­ly­tique ou autre. L’ob­jet de cet article est de mon­trer la pra­tique d’une ren­contre de qua­li­té psy­cho­thé­ra­pique qui invente sa propre façon de tra­vailler avec le tout venant des per­sonnes qui s’a­dressent aux pro­fes­sion­nels, notam­ment dans un centre de san­té public. De notre point de vue, la théo­rie psy­cha­na­ly­tique ne per­met pas seule­ment de codi­fier des pra­tiques thé­ra­peu­tiques (ana­lyse, trai­te­ment ana­ly­tique en face à face, psy­cho­drame…), mais aide aus­si à inven­ter ce « tra­vail psy­chique par­ta­gé » qui est le fon­de­ment même du soin psy­chique.
Réfé­rences :

1- Kap­sam­be­lis V, Kecs­ke­mé­ti S. (2013) La consul­ta­tion psy­chia­trique. Tra­vail psy­chique, tra­vail psy­chique par­ta­gé. In : J. Bouh­si­ra et M. Janin-Oudi­not (dir.), La consul­ta­tion psy­cha­na­ly­tique, pp. 107–134. Mono­gra­phies et débats de Psy­cha­na­lyse. Paris, Presses Uni­ver­si­taires de France.
2- Kap­sam­be­lis V (2003) La thé­ra­peu­tique psy­chia­trique et la pen­sée psy­cha­na­ly­tique. Psy­cho­thé­ra­pies 23 (3) : 157–167.
3- Ange­lergues R (1989) La psy­chia­trie devant la qua­li­té de l’homme. Paris, Presses Uni­ver­si­taires de France, 1989.