Dernier ouvrage paru, « Mourir d’écrire ? Shoah, traumas extrêmes et psychanalyse des survivants » aux PUF
Cet article est issu de l’intervention de Rachel Rosenblum dans le cadre des CIP 2019–2020/ cycle adulte.
Jeudi 14 novembre 2019, Rachel Rosenblum était mise à l’honneur lors des conférences d’introduction à la psychanalyse de la Société Psychanalytique de Paris, ou comment une soirée psychanalytique ouverte au public fait salle comble !
Quelques semaines après la sortie de son livre « Mourir d’écrire ? Shoah, traumas extrêmes et psychanalyse des survivants » (PUF) qui faisait suite à son article paru dans la Revue Française de Psychanalyse il y a 20 ans « Peut-on mourir de dire ? Sarah Kofman, Primo Levi », le public était venu très nombreux pour l’entendre nous dire pourquoi, justement, dire ne soulage pas toujours.
C’est à partir de récits historiques et cliniques, de témoignages écrits et d’éléments théoriques que Rachel Rosenblum nous a invité ce soir-là à penser de nouvelles réponses et à s’ouvrir à de nouveaux registres dans le champ des traumatismes extrêmes.
Avec toute la prudence qui la caractérise, elle précise d’emblée que le titre de son livre ne constitue en rien une attaque contre la règle fondamentale de la psychanalyse, mais en questionne les aménagements à mener dans un tel cadre.
Selon elle, le témoignage relatif à des traumatismes de grande magnitude, qu’il soit dit ou écrit présente un double danger : le retour de la culpabilité et la manifestation lancinante d’une honte par le réinvestissement de toute une charge affective intolérable, et qui se découvre parfois pour la première fois. Le risque encouru est alors celui d’une répétition ou d’un redoublement du traumatisme pouvant entrainer une réaction thérapeutique négative, une grave dépression, une désorganisation somatique grave, un épisode psychotique et parfois même, la mort.
La réalité du traumatisme au moment où il se produit se trouve rejetée, projetée hors de soi en même temps que son affect, et cela s’oppose donc au mécanisme névrotique de refoulement de la représentation insupportable.
Rachel Rosenblum nous raconte comment chez certains survivants de première génération d’un traumatisme de grande amplitude, les sujets se protègent de l’expérience intolérable en gelant toute représentation et affect liés au traumatisme, et ceci, parfois pendant des décennies.
Les stratégies inconscientes d’auto-sauvetage peuvent alors aller du simple fait de se taire et ne pas s’en parler à soi-même, exposant souvent le survivant à une forme d’existence desséchée, jusqu’à la création de ce qu’elle nomme « un destin écran » ‑sorte d’identité ou vie d’emprunt- qui peut permettre au patient de prendre le maximum de distance vis à vis des évènements vécus ; d’être en quelque sorte absent de sa propre existence.
Que se passe-t-il au cours de la cure ?
Rachel Rosenblum tient à souligner quatre points :
– Souvent, le souvenir de l’évènement décrit par le patient paraît étrange car dénué d’affect
– Le psychanalyste en revanche, peut être sidéré par l’horreur des faits et le traumatisme devient donc sien, dans une sorte de partage des affects
- Le traumatisme de l’évènement vécu par le patient n’est jamais seul. Il y a toujours imbrication des traumatismes. Ainsi lorsque le clivage se rompt, le réinvestissement affectif des représentations peut déclencher l’apparition d’un traumatisme narcissique lié aux pertes et blessures au niveau du Moi. Il peut aussi entrainer l’expression des traumatismes sexuels précoces de la névrose infantile
– La rencontre directe entre un fantasme inconscient et l’évènement traumatique peut provoquer un « collapsus de la topique interne » du sujet, selon le terme de Claude Janin (2005) ; le sujet ne sait alors plus si la source d’excitation est interne ou externe, déclenchant potentiellement une déréalisation.
Alors, comment faire pour que la répétition du traumatisme se fasse dans des conditions favorables ? L’auteur nous rappelle que le modèle de la psychanalyse, modèle qui à ses débuts était consubstantiel à la névrose, avec sa stratégie d’élaboration, de décondensation et de levée du refoulement, peut s’avérer dangereux pour la clinique des traumatismes extrêmes. Il convient alors de soumettre ce modèle à quelques aménagements.
Elle conseille de privilégier le face à face et d’accorder un temps long aux entretiens préliminaires dans le but d’appréhender au mieux l’organisation actuelle du sujet, celle dans laquelle il a trouvé jusqu’ici une possibilité de se maintenir en vie ; fut-ce par exemple au prix de la mise en place d’un « destin écran ». Selon elle, priorité doit être donnée à la restauration du Moi et à la protection narcissique.
L’auteur propose ensuite de bien distinguer entre la réalité matérielle, historique, du traumatisme et les réalités psychiques qu’il engage, afin d’éviter notamment que les vœux de morts inconscients ne soient pris comme une réalisation de l’omnipotence du sujet. Il peut alors parfois s’avérer adéquat de rappeler au patient les circonstances historiques dans lesquelles les événements dont il peut se sentir coupable se sont produits ; de lui montrer que dans ces circonstances-là, il n’avait pas le choix d’agir autrement.
Rachel Rosenblum nous invite également à moduler l’impératif du tout dire de la cure classique en acceptant par exemple des zones de réticence, tout comme elle nous convie à être attentif à moduler la part de silence tolérable par le patient.
Dans certaines circonstances, l’auteur estime qu’Il peut même s’avérer important de montrer son émotion au patient, notamment lorsque l’analyste « éprouve à la place du patient » la charge émotionnelle forclose (Ferenczi, 1932). Mais faudrait-il aller jusqu’à la mise en place d’une économie de partage entre le patient et l’analyste, où les émois inconscients circulent et se partagent ? Faudrait-il aller jusqu’à raconter ses rêves de contre-transfert ?
Si cela a pu être favorable dans certains cas et a permis d’atténuer la honte et la culpabilité, Rachel Rosenblum ne le pense pas souhaitable. Elle nous invite néanmoins à garder à l’esprit que de telles cures engagent certainement une co- élaboration.Rachel Rosenblum conclut ce voyage au sein de la psychanalyse de l’extrême en plaidant à nouveau pour une grande prudence : Face à quelqu’un qui a tout perdu, face à des traumatismes trop immenses, il convient parfois, sans renoncer à l’offre psychanalytique, d’aménager la cure type ou bien de proposer d’autres formes de psychothérapie.
Vanessa Martinache
Psychanalyste SPP
Lire l’entretien de Rachel Rosenblum sur le site de la RFP