Un groupe de psychodrame : trois ou quatre patients, trois thérapeutes au minimum, dont un meneur de jeu, se réunissent une fois par semaine à heure fixe. Le jeu, média thérapeutique, met en scène une situation vécue ou imaginaire proposée à tour de rôle par chacun des patients. Nous définissons notre pratique comme psychodrame individuel en groupe, en ce sens qu’il interpelle l’histoire et le vécu psychique individuel de chacun, et y met l’accent, sans toutefois négliger l’aspect groupal et ses effets.
Chaque patient est invité à proposer « ce qui vient », dans une équivalence avec l’association libre de la cure type. Le jeu, où peuvent intervenir tous les participants, à l’exception du meneur de jeu, est l’objet d’une reprise interprétative, dans un dialogue singulier entre le patient et celui ci, après chaque scène. Le meneur de jeu est donc le garant du cadre externe et interne, de son organisation et de sa continuité, le vecteur de l’interprétation et, enfin, le support du transfert principal.
Le psychodrame, conçu donc comme un véritable travail analytique, s’adresse aux patients qui, en dehors de catégories diagnostiques précises, pourraient avoir comme point commun un défaut de fantasmatisation, une crainte majeure de la passivité, une intolérance à la frustration que peut représenter un cadre analytique strict, un risque de transfert massif vécu comme destructeur ou au contraire fusionnel. Il se veut un outil de symbolisation et propose un cadre où la présence physique du thérapeute se fait plus appréhendable, où le corps est en action et la symbolisation passe par l’acte. Il peut à cet égard être considéré comme à mi chemin entre les thérapies corporelles et les thérapies verbales. Dans les premières – packs, massages ou psychothérapie de relaxation – l’accent est mis sur un abord psychothérapique par le corps, son investissement, sa perception, jusqu’à confier à celui ci un rôle d’objet transitionnel où les autoérotismes puissent être retrouvés. Dans les secondes – psychanalyse, psychothérapie verbale – au contraire, le corps est neutralisé pour permettre l’émergence de l’intra psychique, du transfert et de la symbolisation.
Pour D. Anzieu ‚ » le psychodrame fournit un des meilleurs moyens de tenir le juste milieu entre deux écueils : parler de façon désincarnée sans rien vivre ni communiquer d’authentique, agir et abréagir sans se soucier de comprendre »
Nous remarquons, à l’instar de Winnicott que souvent, en psychodrame, les patients que nous recevons, psychotiques ou border line, ne sont pas des personnes « totales » et qu’il est nécessaire d’assurer à ceux-ci une assise corporelle, un bon contenant, soit à travers le corps même, soit à travers le groupe et le cadre.
Nous constatons en effet, que le psychodrame en groupe, tel que nous le pratiquons, a une double incidence corporelle, dans son aspect groupal et dans l’implication corporelle sollicitée par le jeu.
Le groupe comme double du corps
R.Kaes, dans un article de 1995, évoque : « le groupe comme double du corps : l’image du corps comme groupe se retourne dans l’image du groupe comme corps. Leur trait commun est de fournir les fondements narcissiques de l’identification. »
Le plaisir partagé, la possibilité d’identification des patients les uns aux autres, l’émergence fréquente d’un thème commun sont des éléments constitutifs du groupe comme contenant. Le groupe devient celui qui peut contenir une souffrance psychique débordant le sujet, voire des moments de « dépersonnation », au sens de Racamier. Il permet l’émergence d’un pare excitation, d’un « moi peau » comme enveloppe corporelle suffisamment contenante et fiable. Il s’agit d’ailleurs pour le meneur de jeu de s’assurer d’abord que le cadre proposé fonctionne bien comme contenant, pouvant assurer un « holding » de bonne qualité. C’est au corps maternel qu’il est fait référence dans cet aspect du cadre mis à disposition des patients et du processus analytique.
L’implication corporelle dans le jeu
Mais le psychodrame implique dans le jeu, le corps du patient comme celui des acteurs thérapeutes. Par rapport à la cure type, voir et toucher sont donc transgressés, le corps est mobilisé et utilisé dans le cours du jeu, dans ce que René Roussillon appelle le passage par l’acte, porteur de sens et, premier ancrage d’un processus de symbolisation. Le jeu dont il est ici question est proche de celui des petits enfants, il est d’ailleurs précisé aux participants qu’il y est question de « faire semblant », d’un « comme si ».
Le corps en mouvement, l’expression corporelle comme moyen d’expression et de communication fait appel à l’infra verbal et à des modes de communication plus précoces. Le pulsionnel est sollicité comme l’est d’ailleurs la sphère émotionnelle.
Le psychodrame permet de retrouver des affects souvent ancrés dans le corps et de les lier à des représentations. Il contourne et court-circuite des défenses où l’emprise, le contrôle et l’intellectualisation ont la part belle. C’est d’ailleurs en ce sens qu’est souvent posée l’indication de psychodrame pour des patients déjà engagés dans une psychothérapie verbale, et quelques fois depuis longtemps, dont la progression s’enlise dans un processus de répétition mortifère.Il est alors fait appel au psychodrame pour « réveiller » un travail thérapeutique possible.
L’écart entre l’expression du corps et la verbalisation est souvent un levier thérapeutique utile au psychodramatiste et facilitant l’insight du patient. Le meneur de jeu sera d’ailleurs particulièrement sensible aux signes discrets issus du corps, aux postures et attitudes, aux écarts, aux enchaînements, aux harmonies ou dysharmonies du geste.
Les acteurs thérapeutes, autour du patient, deviennent les vecteurs d’un échange possible et médiatisé avec le meneur de jeu. Ils prêtent au patient leur préconscient mais aussi en quelque sorte leur corps. C’est en cela que le jeu a pu être qualifié d’objet transitionnel et comparé à la pâte à modeler utilisée par G.Pankow dans le traitement des psychotiques.
Une scène intimiste à deux, ou bien un groupe d’acteurs, quelque fois même l’ensemble du groupe entourant un patient, sont les moments intenses où le partage émotionnel avec les thérapeutes peut avoir valeur de moment mutatif, support de symbolisation.
Une des questions qui se pose à l’égard de la place que prend le corps dans le psychodrame est celle de la prédominance de celui-ci sur la parole dans le jeu des acteurs. Toute une palette d’attitudes semble possible pour l’acteur thérapeute, et le degré d’implication corporelle qu’il s’accordera dans ses postures, donnera une plus ou moins grande importance aux traces mnésiques, sensori motrices, au vécu émotionnel et gestuel. Un ton de voix, une liberté associative et gestuelle constituera un élément de surprise, seul capable de déjouer et court-circuiter les défenses et trop de consignes limitatives à cet égard risquent de rabattre le jeu sur le langage. La crainte principale étant bien sûr du côté de la séduction et de la suggestion. La difficulté est pour le thérapeute de n’être ni trop gratifiant, ni trop frustrant. L’évaluation du « trop » est fonction du type de relation d’objet établie par le sujet. La question de l’érotisation ne se pose pas de la même façon selon que l’on a à faire à une problématique névrotique, état limite ou psychotique. Il pourra être question dans certains cas de réveiller une érogéneité corporelle mais dans d’autres au contraire, de faire accéder à la tendresse et de désérotiser le lien passionnel premier à la mère.
Il est en tout cas nécessaire, selon Winnicott, que le patient passe par l’expérience corporelle ou le souvenir incorporé pour accéder ensuite à une représentation. Nous proposons donc aux patients des jeux dont la matérialité soit sensible. Il est question de laisser un part non négligeable au mime, à l’appui corporel que peut représenter un siège, au toucher qui, situé au niveau des épaules et des bras donne plus de corporéité à ce qui se joue, facilitant en cela le passage du ressenti au représenté.
Le meneur de jeu lui même, dans la phase de reprise interprétative qui suit immédiatement le jeu a souvent un contact corporel avec le patient : une main sur l’épaule ou sur le bras signifiant ainsi une présence concrète, chaleureuse et accueillante.
Aspects contre transférentiels
Les phénomènes de contre transfert sont des éléments importants de l’analyse et peuvent être d’autant plus difficiles à supporter quand nous travaillons avec des patients psychotiques ou état limite. En effet la différenciation sujet / objet est là toujours précaire, et toute relation à l’objet est toujours susceptible d’être soit trop proche, trop effractante, soit trop distante, à la limite de la rupture.
Le psychodrame, mettant en situation plusieurs thérapeutes, a l’avantage de permettre à ceux-ci de partager un plaisir à jouer, de s’appuyer les uns sur les autres et, du côté du patient, une diffraction du transfert. Il a cependant une exigence : l’analyse de l’inter transfert, indispensable pour déjouer les risques d’illusion groupale, de déni collectif, etc.
Le contre transfert est aussi corporel, il est mis en acte à travers le jeu des acteurs, à travers l’affect et la sensation, repérable à certains moments de confusion, d’absence, de dépersonnalisation, d’oubli, de répulsion, de haine, d’émotion…Ce que nous ressentons alors dans notre corps, souvent de façon inopinée et déroutante, est directement lié au phénomène de l’identification projective. Cette défense archaïque décrite par Mélanie Klein, puis Bion dans sa forme pathologique ou normale est souvent utilisée de façon privilégiée par nos patients. Ils nous font ainsi vivre corporellement ce qu’eux-mêmes ont pu vivre, ou ne pas vivre, et ressentir sans que cela n’ait encore pu être élaboré et symbolisé.
Le concept d’énaction développé par S.Lebovici peut s’appliquer au travail de l’analyste en psychodrame. Il définit l’énaction comme » une action maîtrisée de notre propre corps. On réagit avec notre corps, nos sentiments, nos affects, mais de manière maîtrisée de façon à ne pas agir au sens extérieur, mais on agit quand même avec son corps ; l’idée n’est pas déployée, elle est acorporée. » Il distingue l’énaction du passage à l’acte et semble en cela la rapprocher du passage par l’acte déjà évoqué. Il développe à ce sujet la notion d’empathie métaphorisante et donc symbolisante. Racamier avait, de son côté, dans son travail institutionnel avec les schizophrènes, définit ce qu’il appelait « action parlante », lieu de passage de l’acte à la symbolisation. Nous sommes en cela au coeur du processus psychodramatique, véritable « pont » entre corporéité et métaphore.
Bibliographie
– N.Amar, G.Bayle, I.Salem : Formation au psychodrame analytique. Dunod 1988
– D.Anzieu : Le groupe et l’inconscient. Dunod 1975
– R.Kaës : Corps/Groupe. Réciprocités imaginaires in « Aux sources du corporel » Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe 1995 n°25 pp 35–50
– S.Lebovici : L’arbre de vie. Éléments de la psychopathologie du bébé. Eres 1998
– P.C.Racamier : De psychanalyse en psychiatrie. Payot 1979
– R.Roussillon Du baquet de Mesmer au « Baquet » de S.Freud. PUF 1992
– P. Valon : Acteurs et techniques de jeu. In « ETAP conférences » 1995,
– D.W.Winnicott : De la pédiatrie à la psychanalyse. Payot 1969
– D.W.Winnicott : Processus de maturation chez l’enfant. Payot 1980
A propos de la formation à E.T.A.P. :
La formation s’adresse aux personnels soignants (médecins, psychologues, infirmiers, éducateurs) suffisamment avancés dans leur analyse personnelle et exerçant une fonction thérapeutique.
Formation clinique : elle comporte 42 séances hebdomadaires de 2h30 pour une durée de 3 ans.
Formation théorique : elle se présente sous la forme d’un cycle de conférences, d’un colloque annuel et d’un séminaire mensuel portant sur les aspects cliniques et techniques du psychodrame.Formateurs : Gérard Bayle, Serge Franco, Fabienne de Lanlay, Brigitte Kammerer, Gabrielle Mitrani, François Pelletier, Aleth Prudent, Isaac Salem, Monique Selz, Elsa Stora, Philippe Valon.Renseignements et inscriptions :
Mme Constance BESNIER 01 53 17 13 50
pratiques.formation@spasm.fr
https://www.spasm.fr/formation/etudes-et-traitement-analytique-par-le-psychodrame
En 2020, les conférences et le colloque auront pour thème « Maltraitances ». Elles auront lieu au 31 rue de Liège à 2Ih en février. Code 5B73, puis, pour cause de travaux, au 29 rue du Faubourg st Antoine pour les suivantes.
Mercredi 5 février 2020, Anne ROSENBERG et Martine JURKIEWICZ : Les maltraitances peuvent-elles révéler le traumatisme perdu ?
Mercredi 4 mars 2020, Agnès LAURAS PETIT : Quand la maltraitance se re-présente au psychodrame.
Mercredi 1er avril 2020 (reportée au 2 juillet 2020) : Sylvia CABRERA : Maltraitance psychique, une fixation mortifère.
Mercredi 6 mai 2020, Dorota CHADZYNSKI : Stratégie d’évitement par le corps suite à la maltraitance : le repérage et approche possible par le massage thérapeutique.
Mercredi 3 juin 2020, Benoist de CHANGY : Enfants de la Shoah au psychodrame.
Mercredi 7 octobre 2020, Lila HOIJMANN : Quand le mauvais traitement est à l’honneur.
Le colloque sur le même thème aura lieu le samedi 28 novembre 2020 au FIAP Jean Monnet, 30 rue Cabanis 75014 Paris avec des interventions de C.DEJOURS, V.KAPSAMBELIS, A.NASTASI, B.TOUATI.
Par ailleurs l’ouvrage rassemblant les textes des interventions de 2018 sur le thème « Séduction, suggestion et interprétation » vient de paraitre. Il est en commande sur :
pratiques.formation@spasm.fr
https://www.spasm.fr/actualites/colloque-etap-psychodrame-avec-fin-psychodrame-sans-fin