Le psychodrame analytique individuel : un jeu d’enfant ?

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Qu’est-ce que le psy­cho­drame ana­ly­tique ? Une pièce aux allures far­fe­lues, mise en scène de rêves, de fan­tasmes, mélange des incons­cients, pro­jec­tions entre­mê­lées du patient et des thé­ra­peutes ? Un retour à une forme de cathar­sis, d’expression des conflits intra-fami­liaux les plus enfouis, des haines et des pas­sions les plus féroces, de débal­lage aux allures de « Fes­ten » amé­lio­ré ?
Une impres­sion étrange, peu aca­dé­mique, de confu­sion, de folie à plu­sieurs peut, en effet, gagner un spec­ta­teur mais par­fois éga­le­ment ceux qui par­ti­cipent au psy­cho­drame eux-mêmes.
Plu­sieurs psy­cha­na­lystes, aus­si appe­lés psy­cho­dra­ma­tistes, et un meneur de jeu sont réunis dans une même pièce autour d’un unique patient, adulte, enfant ou ado­les­cent.
Cette forme est aujourd’hui dif­fi­cile à défendre sur un plan éco­no­mique  dans les centres de soins. A l’heure des accré­di­ta­tions, des jus­ti­fi­ca­tions, des ratio­na­li­sa­tions bud­gé­taires, le psy­cho­drame semble une folie qui n’est d’ailleurs encore appli­quée que dans peu de lieux. Et pour­tant, il offre des pos­si­bi­li­tés thé­ra­peu­tiques déter­mi­nantes et inac­ces­sibles avec d’autres méthodes.
En effet, à l’heure où les parents, les struc­tures sco­laires et de soin psy­chia­triques, et nous-mêmes, nous trou­vons très sou­vent désem­pa­rés, où cer­tains symp­tômes résistent à l’artillerie médi­ca­men­teuse, aux approches cog­ni­tives, édu­ca­tion­nelles et même psy­cho­thé­ra­peu­tiques tra­di­tion­nelles, le psy­cho­drame ana­ly­tique s’avère incon­tour­nable.
Com­ment le psy­cho­drame ana­ly­tique est-il né ?
Contem­po­rain de Sig­mund Freud, Jacob-Levy More­no est l’inventeur du psy­cho­drame. Au départ, c’était la « spon­ta­néi­té créa­trice » qui était recher­chée par More­no, afin de per­mettre au sujet de retrou­ver la source de ses conflits internes, au tra­vers de la redé­cou­verte des dif­fé­rents rôles que l’enfant puis l’adulte ont eu à jouer au fur et à mesure de leur déve­lop­pe­ment. Ce fut ensuite dans une pers­pec­tive plu­tôt édu­ca­tive, péda­go­gique, que le psy­cho­drame a été uti­li­sé : on fai­sait jouer au patient la scène qui lui posait pro­blème et on pou­vait après com­men­ter la façon dont il s’était pré­sen­té et cor­ri­ger son atti­tude géné­rale. Ce point de vue, qui a don­né nais­sance à plu­sieurs tech­niques de jeux de rôles, actuel­le­ment encore uti­li­sées dans diverses situa­tions socio-pro­fes­sion­nelles, a été repris par les psy­cha­na­lystes fran­çais et modi­fié : la vision n’était plus alors une vision péda­go­gique mais thé­ra­peu­tique plus proche de ce qu’était l’aventure psy­cha­na­ly­tique.
A par­tir du psy­cho­drame tel qu’il a été pro­po­sé par More­no, 3 psy­cha­na­lystes d’enfants sont à l’origine en France du psy­cho­drame ana­ly­tique indi­vi­duel, tel que nous le pra­ti­quons : René Diat­kine, Serge Lebo­vi­ci, et Eve­lyne Kes­tem­berg.
L’expérience a démar­ré avec des ado­les­cents inhi­bés et des patients psy­cho­tiques adultes pour les­quels le cadre psy­cho­thé­ra­peu­tique clas­sique s’avérait inopé­rant. Ils ont tout d’abord essayé en groupe puis ont pré­fé­ré l’appliquer avec un seul patient, ce qui ren­dait plus repé­rable ce qui se jouait pour lui.   A qui s’adresse-t-il ?
La réponse semble assez empi­rique. Par défaut des trai­te­ments ana­ly­tiques clas­siques ? Il s’adresserait aux patients qui par un excès d’excitabilité ou à l’opposé, une trop grande inhi­bi­tion, met­traient en échec les ten­ta­tives de thé­ra­pies clas­siques, ou pour des patients qui auraient vécu des trau­ma­tismes très pré­coces.
Pour Phi­lippe Jeam­met et Eve­lyne Kes­tem­berg (1987),« ce sont les patients qui ont peur de leur fonc­tion­ne­ment psy­chique qui béné­fi­cient le plus du psy­cho­drame »1.   Com­ment cela se passe-t-il ?
Que se passe-t-il réel­le­ment dans l’arène du psy­cho­drame ? Lors de séances explo­ra­toires au cours des­quelles il s’agit d’évaluer les pos­si­bi­li­tés pour le patient de béné­fi­cier de cette forme de trai­te­ment, on explique au patient qu’il doit recher­cher ce qui peut le gêner dans sa vie men­tale, non en en par­lant mais en jouant des scènes. Le patient peut paraître au début sur­pris de ce prin­cipe et dit sou­vent qu’il ne sait pas quelle scène choi­sir. Nous lui disons qu’il peut jouer ce qu’il veut, ce qui lui vient à l’esprit, soit une scène qu’il aurait réel­le­ment vécue, soit une scène qu’il ima­gine.
Le patient choi­sit quel thé­ra­peute joue quel rôle, ain­si que le rôle qu’il s’attribue à lui-même, son propre rôle ou un autre.
Le meneur de jeu inter­rompt la scène à un moment qui lui semble pro­pice à la réflexion qu’il va pou­voir enta­mer avec le patient dans un 2nd temps, à par­tir de ce qui s’est joué. Dans les limites du temps impar­ti à la séance (entre 20 et 40 mn), le patient peut pro­po­ser une autre scène.   Quels sont les res­sorts prin­ci­paux du psy­cho­drame et du jeu ?
Grâce à l’idée que « ce n’est qu’un jeu » et par le biais du dépla­ce­ment, de la pro­jec­tion, le jeu favo­rise l’expression de soi, de ses rela­tions aux autres, de son incons­cient, de ses trau­ma­tismes, de ses défenses. Per­çu comme fic­tif, le jeu n’en demeure pas moins une acti­vi­té « réel­le­ment vécue », qui, à ce titre, per­met une prise de conscience et des rema­nie­ments psy­chiques éton­nants.
Dans le psy­cho­drame, plu­sieurs voix sont pré­sen­tées par les dif­fé­rents psy­cho­dra­ma­tistes, dans le rôle qui leur est attri­bué et dans la façon dont ils décident de le jouer.  Cette plu­ra­li­té des points de vue figure dif­fé­rents mou­ve­ments du patient qui peut alors voir avec sou­la­ge­ment s’incarner une ins­tance psy­chique jusqu’alors res­tée incons­ciente sous l’action de la cen­sure du refou­le­ment et lui don­ner accès à une ambi­va­lence, qui peut être consi­dé­rée, ain­si que le disait P.C. Raca­mier (1979)2 comme « à la base du sen­ti­ment de soi ».
Par le biais d’une émer­gence des émo­tions, de leur mise en mot et de leur liai­son avec les sou­ve­nirs dans une mise en scène qui fait inter­ve­nir le corps dans son ensemble, une pos­si­bi­li­té nou­velle de liai­son entre affect et repré­sen­ta­tion se fait jour ; occa­sion inédite d’une mise en mot et d’une mise en sens de l’intériorité du patient.
C’est enfin une pos­si­bi­li­té de sor­tie de la répé­ti­tion, une remise en jeu d’un moment de l’histoire dans le plai­sir à jouer avec les autres et dans la nou­veau­té appor­tée par le jeu des psy­cho­dra­ma­tistes. La dimen­sion du risque et de la sur­prise sont ici essen­tielles par rap­port au dan­ger d’enfermement d’un patient dans un scé­na­rio répé­ti­tif, mais dans la sécu­ri­té d’un cadre bien pré­cis assu­ré par le direc­teur du psy­cho­drame et la rigueur de la for­ma­tion ana­ly­tique des par­ti­ci­pants.   Quelles tech­niques peuvent-elles être uti­li­sées par les psy­cho­dra­ma­tistes et par le meneur de jeu ?
Il y a 2 façons d’intervenir :
– Au sein du jeu : au tra­vers de l’éventail des pro­po­si­tions de jeu pro­po­sées par les psy­cho­dra­ma­tistes, ain­si que le recours éven­tuel à des tech­niques comme l’inversion de rôles (adop­ter une atti­tude inverse de celle atten­due par le patient ou la per­mu­ta­tion de rôle entre le patient et l’un des co-thé­ra­peutes), ou l’utilisation d’un double (un co-thé­ra­peute exprime comme en voix off ce qu’il ima­gine être les fan­tasmes et les conflits du patient dans la situa­tion de la scène). Le meneur de jeu peut éga­le­ment pro­po­ser d’ajouter un per­son­nage au cours de la scène et d’arrêter momen­ta­né­ment la scène à un moment qui lui paraît par­ti­cu­liè­re­ment signi­fi­ca­tif – autant d’occasions de sus­ci­ter les réac­tions et l’expressivité du patient.
– Hors jeu, par l’intermédiaire du meneur de jeu qui peut faire réflé­chir le patient aux dif­fi­cul­tés qu’il a ren­con­trées, et la signi­fi­ca­tion de ces dif­fi­cul­tés en fonc­tion même de ce qui vient de se dérou­ler dans la scène.
La nomi­na­tion des affects et des défenses appa­rues dans le jeu, et le recours éven­tuel à l’interprétation contri­bue donc de manière pri­mor­diale à cette potien­tia­li­té de chan­ge­ment et de sor­tie de la répé­ti­tion.    L’aller-retour entre la liber­té asso­cia­tive et expres­sive dans le jeu et l’occasion de reprise et de réflexion ana­ly­tique per­mise par le dis­po­si­tif du psy­cho­drame ana­ly­tique indi­vi­duel, en démontre avec plus d’acuité à chaque séance l’actualité et la néces­si­té dans la prise en charge de patho­lo­gies qui résistent le plus sou­vent à toute autre forme de trai­te­ment.
Et quand bien même le psy­cho­drame ne serait qu’un jeu d’enfant ? Ne serait-ce fina­le­ment pas tout à son hon­neur et même à celui de la psy­cha­na­lyse. Lais­sons donc le mot de la fin à Joyce Mac Dou­gall et Serge Lebo­vi­ci :
« N’est-ce pas une des visées de la psy­cha­na­lyse que de per­mettre à l’analysant de ren­con­trer cet enfant en lui, d’apprendre à le connaître, à le com­prendre, à appré­cier le com­bat qu’a mené cet enfant pour sur­vivre psy­chi­que­ment ; de lui per­mettre enfin d’aimer ce qu’il a été ? »3
Alexia Blime Cou­si, psy­cha­na­lyste.

NOTES :

  1. Jeam­met Ph., Kes­tem­berg E., Le psy­cho­drame psy­cha­na­ly­tique. Que sais-je ?, Paris, PUF, 1987.
  2. Anzieu D., Le psy­cho­drame ana­ly­tique chez l’enfant et l’adolescent, Paris, PUF, 1979.
  3. J.M.Dougall, Serge Lebo­vi­ci (1960), Dia­logue avec Sam­my, Paris, Payot, 1984, p.268.