Le psychodrame psychanalytique

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La spé­ci­fi­ci­té du psy­cho­drame, son essence même, est le jeu uti­li­sé comme levier de la cure. Il s’agit de jouer, et pas seule­ment de dire. Le jeu sert de révé­la­teur dans le mou­ve­ment même de sa dra­ma­ti­sa­tion. More­no l’avait bien per­çu, lui qui a été l’innovateur de cette tech­nique propre à favo­ri­ser un effet cathar­tique abou­tis­sant à une prise de conscience de soi. Par la suite, des psy­cha­na­lystes tels que R. Diat­kine, S. Lebo­vi­ci et J. Kes­tem­berg ont com­pris quels béné­fices ils pou­vaient en tirer, d’abord dans le trai­te­ment d’enfants atteints de troubles graves. Pour eux cepen­dant le psy­cho­drame ne pou­vait être consi­dé­ré comme une tech­nique pure­ment abréac­tive. Pro­gres­si­ve­ment, la pro­po­si­tion de psy­cho­drame s’est éten­due aux adultes, par­ti­cu­liè­re­ment dans le domaine des états limites et de la psy­chose.
Il revient à ces ana­lystes et à ceux qui leur ont suc­cé­dé d’avoir créé un cadre spé­ci­fique, décou­vert et mis pro­gres­si­ve­ment en place à mesure de leur expé­rience. C’est l’insertion du jeu à l’intérieur de ce cadre qui a per­mis au psy­cho­drame d’acquérir sa véri­table dimen­sion psy­cha­na­ly­tique, à savoir la capa­ci­té de mettre à jour les pro­ces­sus incons­cients à par­tir de l’analyse du trans­fert et des résis­tances. Il s’agit d’établir des liai­sons, trou­ver une cer­taine cohé­rence dans des ensembles appa­rem­ment dis­cor­dants, afin de per­mettre au patient de se sen­tir le sujet de son exis­tence en se l’appropriant au tra­vers d’une his­toire qu’il puisse recon­naître.
Le psy­cho­drame ins­taure un autre cadre. Ce n’est pas seule­ment à la per­cep­tion d’une pré­sence que le patient est convié, mais à celle d’une pré­sence en mou­ve­ment, revi­ta­li­sée. Il s’agit d’introduire une action, une mise en marche, moteur d’un pro­ces­sus. On demande au patient de pro­po­ser une scène, ce qui lui vient  spon­ta­né­ment : un mot, une impres­sion vague, une idée qu’il va jouer avec les par­ti­ci­pants choi­sis par lui. A la pro­po­si­tion d’associer faite au patient du divan se sub­sti­tue celle d’une acti­vi­té : une idée à mettre en marche (une action) en se ser­vant d’un espace et d’un temps qui lui soient propres (une actua­li­sa­tion). Deux ouvrages décrivent avec pré­ci­sion le psy­cho­drame psy­cha­na­ly­tique : celui de Amar,N., Bayle,G. ‚Salem,I. (1988) et Salem,I.(2013).
Comme l’a bien sou­li­gné R. Rous­sillon (2004), il faut que les choses soient suf­fi­sam­ment agies, suf­fi­sam­ment mises en acte et ain­si repré­sen­tées en actes, actua­li­sées, pour pou­voir ensuite se sus­pendre et se resym­bo­li­ser autre­ment. Le patient et les dif­fé­rents thé­ra­peutes seront donc des acteurs. Ils éla­borent ensemble une scène à par­tir de sa figu­ra­tion ; celle-ci fait adve­nir dans un second temps l’espace de la repré­sen­ta­tion. Cepen­dant les mots sont acquis. Les scènes ne sont pas seule­ment agies, mimées, mais par­lées ; elles uti­lisent un lan­gage d’action où la parole n’a pas l’intériorité, le pou­voir d’auto–réflexion qui est celle du patient dans le silence de l’analyse.

Le psy­cho­drame ana­ly­tique indi­vi­duel
Il est cen­tré autour d’un seul patient avec un groupe de thé­ra­peutes com­pre­nant le meneur de jeu et les co-thé­ra­peutes, acteurs poten­tiels. Les acteurs au nombre de quatre à huit sont dis­po­nibles  autour d’une scène fic­tive où va se pro­duire le jeu psy­cho­dra­ma­tique. La règle fon­da­men­tale est que le patient pour­ra tout jouer.
À par­tir du moment où la séance a lieu, tout ce qui vient à l’es­prit du patient peut être pris comme une pro­po­si­tion de scène ; une situa­tion pré­sente ou pas­sée, vécue ou ima­gi­naire, un rêve, une idée ou une absence d’i­dée, ou même des enti­tés. C’est au patient qu’in­combe le choix de la scène et du per­son­nage qu’il veut jouer, ain­si que des acteurs pour repré­sen­ter les autres rôles. Le meneur de jeu ne joue jamais, il accueille le patient et l’aide à mettre en forme les scènes. Il sus­pend, à un moment judi­cieux, le dérou­le­ment de celle-ci, il inter­vient sur le jeu, pro­pose un lien avec les séances pré­cé­dentes ou donne une inter­pré­ta­tion.
Ces moments de reprise par la parole et de rap­pro­che­ment phy­sique sont féconds ; ils relancent l’ac­ti­vi­té asso­cia­tive du patient qui pro­po­se­ra une nou­velle scène. Une séance de psy­cho­drame peut en com­por­ter deux ou trois. C’est le meneur de jeu qui met fin à la séance.

Vignette cli­nique
Georgio de ChiricoFran­çois est un enfant atteint d’une psy­chose infan­tile. Il a démar­ré un psy­cho­drame indi­vi­duel depuis un an. Depuis sep­tembre il est dans une  phase de résis­tance, sans doute liée à son pas­sage en 6ème. Il fait beau­coup d’effort pour se conte­nir à l’école et au psy­cho­drame il est dans la décharge plu­tôt que dans l’élaboration. Il est sou­vent très agi­té et par moment  il s’écroule dans un coin de la pièce où il cherche le calme et le silence. A d’autres moments il se réfu­gie sous la table et nous parle à dis­tance.
L’enfant refu­sant de jouer, ce sont les thé­ra­peutes acteurs qui jouent. L’un d’eux joue Fran­çois les autres jouent les parents ou le meneur de jeu. Fran­çois s’oppose à toute inter­dic­tion n’ayant pas inté­gré les limites et les inter­dits fon­da­men­taux de l’inceste et du meurtre.
Néan­moins, il intègre pro­gres­si­ve­ment l’interdit du tou­cher, et s’approche très près de l’acteur sans le tou­cher. Il se colle au meneur de jeu, s’assoit tout près de lui. Il tourne tout en déri­sion l’imitant dans ses gestes et dans ses mots. Il lui en veut  de poser des inter­dits car  il sait que la séance pour­rait être sus­pen­due s’il trans­gresse ces inter­dits. Il tient néan­moins à ses séances et ne veut pas en perdre ne serait-ce qu’une minute. Par contre, il ne pro­pose aucune scène. Ce sont les acteurs qui se lancent spon­ta­né­ment pour jouer des parents qui sont au bord de cra­quer et qui envi­sagent un pla­ce­ment en inter­nat. A ce moment, il se lève et insulte son père de façon très vio­lente.
En refu­sant de jouer, il cherche à nous atta­quer et à atta­quer notre pen­sée. Il n’est pas encore sûr que nous puis­sions sur­vivre à ses agres­sions. Quand il aura acquis cette convic­tion, il aura fran­chi un grand pas en se sépa­rant de l’objet et en l’utilisant. Et puis un jour,  il se remet à jouer. Il a du sen­tir que nous aus­si étions prêts à cra­quer.
Il reste col­lé au meneur de jeu, insis­tant pour qu’il joue le grand-père. Un acteur se lève dit qu’il est Mon­sieur H, le meneur de jeu et qu’il accepte de jouer pour se sou­mettre à Fran­çois  omni­po­tent. Ce der­nier se lève et demande la pré­sence du  grand-père Pater­nel  et de ses  deux parents. Le grand-père le remer­cie de réunir toute la famille et féli­cite son petit fils d’avoir gran­di. Il fait des reproches au père de Fran­çois, son fils. Fran­çois s’énerve il ne veut   pas qu’on touche à son père. Il s’écarte de la scène «  je ne veux plus voir de dis­putes » Il tend la liste de cadeaux pour Noël et vou­drait que tout le monde fasse une trêve. Le grand père lui dit qu’il manque son petit frère et qu’il a bien fait de l’exclure. Il s’emporte envers son fils et sa belle-fille, ils n’auraient jamais du faire un deuxième fils,  ça a ren­du Fran­çois malade.
Fran­çois s’en prend à son grand père parce qu’il a trou­vé une cas­sette vidéo  por­no. Le grand père s’excuse d’avoir mis toutes ses images dans la tête de son petit fils,  rai­son pour laquelle  ce der­nier  a cher­ché à vio­len­ter son frère sexuel­le­ment. Peu de temps aupa­ra­vant, Fran­çois a eu en effet  des agis­se­ments sexuels envers son petit frère.
A pré­sent, Fran­çois peut jouer quand il a le rôle actif, en s’identifiant au meneur de jeu. Il écarte toute posi­tion pas­sive qui équi­vaut à une perte totale de lui-même, à un anéan­tis­se­ment. Il a eu très peur  que le méde­cin chef du centre ne cherche à se sépa­rer du meneur de jeu, puisqu’il ne jouait plus.. C’est en accé­dant ain­si à une posi­tion dépres­sive qu’il accède à nou­veau à la pen­sée ver­bale et au jeu.

Le psy­cho­drame en groupe
Comme le psy­cho­drame indi­vi­duel, il com­porte un meneur de jeu et un groupe de thé­ra­peutes acteurs. Le nombre opti­mum de patients est de quatre. Chaque patient peut pro­po­ser une scène. Le meneur de jeu fait prin­ci­pa­le­ment des inter­pré­ta­tions indi­vi­duelles qui ont néces­sai­re­ment un effet sur cha­cun des patients du groupe. C’est un psy­cho­drame indi­vi­duel en groupe.

Le cadre
Ce qui spé­ci­fie le psy­cho­drame, c’est sa répar­ti­tion tri­par­tite. Ain­si le patient rem­plit trois fonc­tions :
– de met­teur en scène (c’est lui qui pro­pose ce qui va se jouer) ;
– d’ac­teur (il est l’ac­teur prin­ci­pal) ;
– d’in­ter­prète (ceci dans le deuxième temps du mou­ve­ment, entre les scènes, avec le meneur de jeu).
Il dis­pose, pour ce faire, de l’as­sis­tance des acteurs et de celle du meneur de jeu. Cet étayage externe que repré­sente le meneur de jeu est une des don­nées essen­tielles du fonc­tion­ne­ment du psy­cho­drame ; cette posi­tion de tiers, conden­sant posi­tion nar­cis­sique et posi­tion objec­tale, ren­voie d’emblée dans le même temps à la struc­tu­ra­tion œdi­pienne. Le tiers œdi­pien est ici figu­ré, pré­sen­ti­fié de l’ex­té­rieur.
Le meneur de jeu
Il ne joue pas ; néan­moins, par ses inter­ven­tions, il fait par­tie inté­grante du jeu. Il exerce trois fonc­tions prin­ci­pales :
– il aide à la mise en scène ;
– il est garant du cadre : c’est lui qui énonce les règles du psy­cho­drame et veille à son bon fonc­tion­ne­ment ;
– il inter­prète, en s’ap­puyant sur le jeu des acteurs. L’in­ter­pré­ta­tion révèle les résis­tances, les répé­ti­tions, le rap­port entre la scène qui vient d’être jouée et celles qui pré­cèdent, met­tant en relief la dyna­mique per­son­nelle. Elle repère et indique les mou­ve­ments trans­fé­ren­tiels, en les rame­nant sur la per­sonne du meneur de jeu.

Les acteurs
Par le jeu, ils tentent de mettre en relief la dimen­sion fan­tas­ma­tique de la scène pro­po­sée par le patient. Ils sont dou­ble­ment inter­prètes : à la fois du rôle pro­po­sé et du fan­tasme incons­cient. L’ac­teur « prête » son pré­cons­cient, qui fonc­tion­ne­ra comme relais du pré­cons­cient défaillant du patient. L’ac­teur est objet de trans­fert et le frac­tionne.
Dès lors, le groupe des acteurs per­met de mieux conte­nir la des­truc­ti­vi­té interne du patient et de la lier aux pul­sions de vie en pas­sant par le trans­fert sur le meneur de jeu.

Vignette cli­nique
Voi­là une séance de psy­cho­drame en groupe : ils sont cinq ado­les­cents de treize à quinze ans.
Un grand silence s’installe en début de séance. Alain se lance : «  A la mai­son, ça ne change pas. Ma mère s’emporte tan­tôt sur ma sœur jumelle tan­tôt sur moi Elle est impré­vi­sible et ne peut rien anti­ci­per. » On joue une scène avec sa mère. Il s’emporte et la pro­voque. Un double exprime son sou­hait de par­tir loin, très loin. « Oui mais… pas long­temps… » dit- il. J’interromps la séance pour lui mon­trer à quel point il reste néan­moins atta­ché à cette mère.
Marie reprend le thème des mères qui cri­tiquent et sur­veillent sans cesse. Elle joue une scène avec sa mère qui lui reproche d’être constam­ment sur son por­table et voi­là que marie reproche à sa mère d’être trop pré­sente mais jamais dis­po­nible ! En effet, elle tra­vaille beau­coup à la mai­son .
Rania cri­tique sa mère qui ne la laisse pas sor­tir avec ses amis. L’acteur qui joue sa mère est au contraire très conci­liante…  « Je te fais confiance, tu peux sor­tir mais tu m’appelles quand tu arrives chez ta copine ». Rania est désem­pa­rée. Com­bien elle aime­rait avoir une mère qu n’imagine pas tou­jours le pire, le drame !
Clau­dia évoque une mère très inquiète à son sujet alors que son père est proche d’elle mais ne dit rien. Elle veut sor­tir voir son petit copain. Un double insiste sur ce lien amou­reux. Elle a le droit d’avoir un ami… Elle a dix sept ans et si sa mère refuse, elle menace de refaire un malaise ! Elle a fait un « malaise » pour ne pas dire « ten­ta­tive de sui­cide » en se jetant du 3ème étage.
Nora évoque sa mère, elle ne la voit plus depuis son hos­pi­ta­li­sa­tion en hôpi­tal psy­chia­trique l’été der­nier. Elle vit chez son père mais il tra­vaille tout le temps. Elle est le  plus sou­vent seule alors qu’elle n’a que douze ans et doit s’occuper de ses deux jeunes frères après l’école.Elle joue une scène où elle  s’emporte envers sa mère qui ne se soigne pas, qui ne prend pas les médi­ca­ments pres­crits par son psy­chiatre.
Après les cinq scènes, j’interviens pour poin­ter que ce sont les mères qui sont l’objet de leur colère alors que les pères sont absents ou tra­vaillent trop.
Alain déplore que sa mère qui a com­men­cé une psy­cho­thé­ra­pie ne change pas. Marie évoque une période où sa mère était tou­jours en pleurs et triste sans qu’elle ne com­prenne. Rania repense à une période où sa mère ne pen­sait qu’à elle et à son amant. Rania a mena­cé de fuguer ce qui a inci­té sa mère à être plus pré­sente. Clau­dia aime­rait avoir un père plus pré­sent qui inter­vienne davan­tage auprès de sa mère pour l’apaiser. Nora reparle de sa mère folle qui ne veut pas quit­ter l’appartement  pour que son père et elle puissent y habi­ter à nou­veau. Ils vont démé­na­ger dans une com­mune voi­sine mais pré­cise qu’elle veut reve­nir et pour­suivre le psy­cho­drame à Asnières.

Les indi­ca­tions
Les patients pour les­quels nous pro­po­sons un psy­cho­drame pré­sentent un cer­tain nombre de par­ti­cu­la­ri­tés dans leur fonc­tion­ne­ment men­tal.
– La carence nar­cis­sique
Ces patients sont por­teurs d’un cli­vage du Moi induit par leur rela­tion d’ob­jet pré­coce. Une par­tie de leur Self est orga­ni­sée sur un mode névro­tique avec un pré­cons­cient de bon aloi et un accès nor­mal aux pro­ces­sus du refou­le­ment. C’est cette par­tie du Moi qui assure leur sen­ti­ment d’i­den­ti­té. L’autre par­tie est :
– soit occu­pée par des inves­tis­se­ments nar­cis­siques, ils sont en conti­nui­té d’i­den­ti­té avec leurs objets ;
– soit en manque de cet inves­tis­se­ment nar­cis­sique et ils se sentent vides, vidés et vidants per­dant leur sen­ti­ment d’i­den­ti­té ;
– soit absor­bée par une for­ma­tion per­verse, déli­rante, pas­sion­nelle, hal­lu­ci­na­toire, ou en faux-self, des­ti­née à com­bler cette faille nar­cis­sique.
Ce cli­vage entre les deux par­ties du Moi ne faci­lite pas la mobi­li­té des inves­tis­se­ments et en par­ti­cu­lier le jeu souple et satis­fai­sant entre les repré­sen­ta­tions de chose et les repré­sen­ta­tions de mot, entre le Ça et le Moi.
Chez ces patients, les capa­ci­tés de régres­sion for­melle, c’est-à-dire de repré­sen­ta­tion en images de leurs mou­ve­ments psy­chiques, ne sont pas uti­li­sables.
– Le défaut de la rela­tion d’ob­jet
Il est essen­tiel­le­ment com­pen­sé par un inves­tis­se­ment nar­cis­sique de l’a­na­lyste. Ce der­nier comble la carence nar­cis­sique, reste indis­tinct quant à son iden­ti­té propre et se contente de com­plé­ter et d’é­tayer le Moi du patient. Le fonc­tion­ne­ment en iden­ti­fi­ca­tion pro­jec­tive demeure pré­valent. La pro­jec­tion vise l’a­na­lyste qui joue ici un rôle de conte­nant. Mais il doit sou­vent s’en tenir là et res­ter sous le contrôle du patient, ce qui risque de durer long­temps.
– Des­truc­ti­vi­té exces­sive
Elle s’ex­prime tan­tôt par une vio­lence des­truc­trice contre les autres ou contre soi avec des attaques de la pen­sée, et tan­tôt par une vio­lence libi­di­nale pro­vo­quant des inves­tis­se­ments mas­sifs d’ob­jets. Cette des­truc­ti­vi­té est la mani­fes­ta­tion d’une dés­in­tri­ca­tion pul­sion­nelle majeure.
L’as­pect libi­di­nal du jeu au psy­cho­drame per­met d’al­lé­ger les mani­fes­ta­tions de vio­lence pul­sion­nelle, tout en leur ouvrant néan­moins un moyen d’ex­pres­sion.
Sa dimen­sion grou­pale per­met de dépla­cer les cibles sur des acteurs qui joue­ront les rôles impor­tants de la vie psy­chique du patient, comme le sien propre ou celui de l’a­na­lyste, meneur de jeu. La pré­sence d’un groupe ami­ca­le­ment et confra­ter­nel­le­ment lié, per­met un apport libi­di­nal subli­mé quant au but grâce auquel la des­truc­ti­vi­té peut être par­tiel­le­ment liée via le trans­fert sur le meneur de jeu.
– Défaut de figu­ra­bi­li­té
Le psy­cho­drame, par la figu­ra­bi­li­té qu’il met en œuvre, per­met d’ac­com­pa­gner des patients sur le mode d’une régres­sion bien tem­pé­rée : à savoir pou­voir régres­ser sur le mode for­mel pour créer des figu­ra­tions, s’en ser­vir en les inves­tis­sant et dans un troi­sième temps mettre un terme à cette régres­sion. Il y a ain­si un libre jeu des inves­tis­se­ments pré­cons­cients et incons­cients. En effet les patients qui jus­ti­fient un psy­cho­drame ont selon le cas :
– une peur intense de régres­ser for­mel­le­ment comme dans les psy­choses blanches, défi­ci­taires, ou chez les per­son­na­li­tés à faux-self ou psy­cho­so­ma­tiques ;
– une impos­si­bi­li­té de reve­nir d’une régres­sion for­melle exces­sive telles les psy­choses déli­rantes qui sont fixées à leurs images ;
– une inca­pa­ci­té à se ser­vir de ces figu­ra­tions. Elles ne sont pas inves­ties ou même rageu­se­ment détruites comme dans les états limites.

Psy­cho­drame indi­vi­duel ou psy­cho­drame en groupe ?
Le psy­cho­drame indi­vi­duel pour les patients adultes est le meilleur moyen de relance de leurs capa­ci­tés  éla­bo­ra­tives.  Il s’in­té­resse à ceux qui dis­posent plus ou moins de leurs mou­ve­ments internes et qui peuvent les enga­ger dans des pro­jec­tions immé­dia­te­ment uti­li­sables dans le jeu psy­cho­dra­ma­tique. En revanche, beau­coup de patients adultes semble sidé­rés par l’en­ga­ge­ment dans un psy­cho­drame. Une ter­reur à décharge interne les inhibe un peu plus. Ils gardent à l’in­té­rieur d’eux-mêmes la plus grande par­tie de leur des­truc­ti­vi­té. Ceux ci béné­fi­cient mieux d’un psy­cho­drame en groupe dans lequel ils ne sont pas obli­gés de jouer. Ces patients peuvent enga­ger une rela­tion libi­di­nale socia­li­sée avec les autres patients. Ain­si ils opèrent des  liai­sons par la libi­do issue des deux groupes, celui des thé­ra­peutes et celui des patients. Le psy­cho­drame d’en­fants est le plus sou­vent indi­vi­duel car il est ain­si bien sup­por­té sans que des riva­li­tés œdi­piennes et fra­ter­nelles peuvent trop per­tur­ber les mou­ve­ments enga­gés. En revanche avec les ado­les­cents, nous comp­tons beau­coup sur les liens libi­di­naux qui s’en­gagent entre eux pour les aider à lier leur  des­truc­ti­vi­té.

Les contre-indi­ca­tions
Elles regroupent essen­tiel­le­ment toutes les symp­to­ma­to­lo­gies qui résistent à notre approche psy­cho­dra­ma­tique pour com­bler la carence nar­cis­sique, les phases aiguës déli­rantes, les délires para­noïaques trop bien struc­tu­rés, les grands per­vers. Un fort délire para­noïaque, une franche acti­vi­té hal­lu­ci­na­toire chro­nique, une alcoo­li­sa­tion mas­sive et sou­te­nue nous ôtent  toute effi­ca­ci­té. Par ailleurs cer­tains enfer­me­ments mélan­co­liques ne per­mettent aucun enga­ge­ment réci­proque.

Séduc­tion, jeu, humour
Il est cer­tain que la pro­po­si­tion ain­si faite au patient pro­cède d’une séduc­tion : celle qui fait miroi­ter un gain de plai­sir dans la réap­pro­pria­tion : des auto-éro­tismes de l’enfance et des jeux sans fron­tières. Le plai­sir de se res­sour­cer ain­si dans un bain de jou­vence active déli­bé­ré­ment les pos­si­bi­li­tés de régres­sion et per­met une reprise des pro­ces­sus pri­maires où figu­ra­tion, dépla­ce­ment et conden­sa­tion vivi­fient les capa­ci­tés créa­trices du sujet. Il peut s’agir de par­ta­ger le plai­sir lié aux sub­ti­li­tés du jeu réser­vé aux ini­tiés du groupe psy­cho­dra­ma­tique, mais aus­si du plai­sir spé­ci­fique de l’échange du non-sens, du refus de la cohé­rence, de l’ordre du dis­cours. Le dik­tat du Sur­moi et de l’Idéal-du-Moi est alors bous­cu­lé au pro­fit de la séduc­tion intra­psy­chique, celle que le sujet exerce en fai­sant de nous ses com­plices au lieu de s’en faire des enne­mis. L’humour est là pour en témoi­gner, comme l’écrit Freud dans Le mot d’esprit et ses rap­ports avec l’inconscient (Freud,1905 ).
Le non-sens peut être pris dans son double aspect : inver­ser la signi­fi­ca­tion, mais aus­si inver­ser la direc­tion à prendre. Pas de sens obli­ga­toire, pas de sens inter­dit dans le jeu, à condi­tion de res­pec­ter les normes qui l’instituent. On ravive des modes de sexua­li­té infan­tile par le déga­ge­ment d’un rap­port de cau­sa­li­té où l’effet déri­ve­rait néces­sai­re­ment de la cause, en inver­sant le mou­ve­ment, pour en arri­ver à une indé­ci­da­bi­li­té des ori­gines, à créer pour un temps l’illusion d’une non-fini­tude et à la place d’une sépa­ra­tion iné­luc­table en ter­mi­ner par les retrou­vailles pri­maires du sujet et de l’objet.
Bien sûr le jeu fon­dé sur l’illusion ne tire sa force que de la néces­saire recon­nais­sance de son envers néga­tif à savoir que l’illusion est sa sub­stance même, c’est-à-dire la mise en pers­pec­tive du non-jeu, et par là l’accession à la réa­li­té externe . Faire adve­nir celle-ci du fait de son absence même ou de sa par­tie cachée per­met de s’y confron­ter, de la mettre en cause et de la ques­tion­ner.

Conclu­sion
Le grand inté­rêt du psy­cho­drame est de pou­voir accro­cher de nom­breux enfants , ado­les­cents et adultes qui ne trouvent pas de plai­sir à s’exprimer avec des mots et à jouer avec les autres et avec eux-mêmes ;  ils com­mencent une psy­cho­thé­ra­pie et très vite ils décrochent inca­pables d’établir une rela­tion trans­fé­ren­tielle.
Ils sont enfer­més dans des défenses obses­sion­nelles ou psy­cho­tiques éta­blis­sant un mur infran­chis­sable par le thé­ra­peute.
Le psy­cho­drame per­met assez rapi­de­ment d’éprouver un plai­sir par­ta­gé avec les thé­ra­peutes et avec les autres patients. Ce plai­sir par­ta­gé faci­lite la créa­tion d’un lien objec­tal libi­di­nal, préa­lable fon­da­men­tal pour que d’autres liai­sons puissent advenir.Le psy­cho­drame grâce à la média­tion du jeu per­met une prise de dis­tance par rap­port à ses propres dif­fi­cul­tés et en per­met­tant l’accès à l’humour et à la déri­sion de soi lutte effi­ca­ce­ment contre la dépres­sion et la dépen­dance à l’égard des objets exté­rieurs. En ce sens, l’humour pour­rait faire par­tie des phé­no­mènes tran­si­tion­nels. A pro­pos de l’objet tran­si­tion­nel,  Win­ni­cott attire l’attention sur le fait que ce qui importe, ce n’est pas l’objet en lui-même, mais l’utilisation qui est faite dans cet espace inter­mé­diaire entre soi et autrui. Il l’applique aus­si à la rela­tion ana­ly­tique avec sa notion de playing : « pour moi jouer est une acti­vi­té évi­dente qui doit appa­raître aus­si bien lors de l’analyse des adultes que lors de notre tra­vail avec les enfants. Elle se mani­feste, par exemple, par le choix des mots, des inflexions de la voix et sur­tout par le sens de l’humour » (Win­ni­cott 1972).
Il dit aus­si à pro­pos des enfants avec les­quels il joue au squiggle : « le sens de l’humour est la marque d’une cer­taine liber­té : l’inverse de la rigi­di­té des défenses carac­té­ris­tiques de la mala­die.  ( Win­ni­cott,  1972). L’humour est l’allié du thé­ra­peute lequel, grâce à lui, éprouve un sen­ti­ment de confiance et se sent auto­ri­sé à une cer­taine liber­té de cir­cu­la­tion au sein de l’appareil psy­chique, » cette « illu­sion » de liber­té qui donne à l’humour ce quelque chose de « sublime et d’élevé » récon­for­tant pour le Moi.

Nous avons créé un centre de for­ma­tion. La for­ma­tion s’a­dresse aux per­son­nels soi­gnants méde­cins psy­cho­logues infir­mières édu­ca­teurs  réédu­ca­teurs suf­fi­sam­ment avan­cés dans leur ana­lyse per­son­nelle et exer­çant une fonc­tion thé­ra­peu­tique. La for­ma­tion cli­nique com­porte 42 séances heb­do­ma­daires de 2h30 pour une durée de trois ans. Les sta­giaires par­ti­cipent en tant que thé­ra­peute acteurs à deux psy­cho­drames indi­vi­duels et un psy­cho­drame en groupe d’en­fants d’a­do­les­cents ou d’a­dultes. La for­ma­tion théo­rique se pré­sente sous la forme d’un cycle de huit confé­rences par an,  d’un sémi­naire men­suel por­tant sur les aspects cli­niques et tech­niques du psy­cho­drame et d’un col­loque annuel au mois de novembre qui clô­ture l’an­née.
Ren­sei­gne­ments auprès de Carine Cor­ne­duse tel : 0143876051

Dr Salem   Isaac , psy­chiatre, psy­cha­na­lyste, membre titu­laire for­ma­teur SPP

Biblio­gra­phie
Amar,N. ‚Bayle,G.,Salem,I. for­ma­tion au psy­cho­drame analytique,Paris,Dunod,1988.
Freud,S.(1905).le mot d’esprit et ses rap­ports avec l’inconscient,Paris,Gallimard,1988.
Freud,S.(1920) Essais de psychanalyse.Paris,P.B.Payot.1981.Roussillon,R.  « Le jeu et l’objet »revue ETAP ‚2004, pages 107–124.
Roussillon,R. le jeu et l’entre(je)u. Paris,PUF,2008.
Salem,I .Vues nou­velles sur le psy­cho­drame psychanalytique.Paris,EDK,2013.
Winnicott,D. De la pédia­trie à la psychanlyse.ParisPayot,1969.
Winnicott,D. jeu et réalité.Paris,Gallimard,1971.