Autismes, Psychanalyse et Politique.
Entretien avec Laurent Danon-Boileau

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Nous avons deman­dé à Laurent Danon-Boi­leau de nous accor­der un entre­tien pour qu’il nous livre son sen­ti­ment et ses réflexions sur les débats autour de la psy­cha­na­lyse et de la prise en charge de l’au­tisme. Psy­cha­na­lyste et lin­guiste, il pro­pose une approche de l’autisme appuyée sur une longue pra­tique notam­ment de psy­cho­thé­ra­peute au centre Alfred-Binet.

Les Enfants de la Psy­cha­na­lyse : Nous aime­rions échan­ger avec vous et avoir votre com­men­taire sur ce qui vient de se pas­ser autour de ce pro­jet de réso­lu­tion de Loi dépo­sé par Daniel Fas­quelle le 8 Novembre 2016 et qui ten­tait d’in­ter­dire la Psy­cha­na­lyse dans la prise en charge de l’au­tisme. Heu­reu­se­ment reje­tée par l’As­sem­blée, il n’en reste pas moins que cette nou­velle attaque contre la Psy­cha­na­lyse et les psy­cha­na­lystes a secoué notre Lan­der­nau et a réac­ti­vé un débat très polé­mique.
Cette ques­tion a déjà fait l’ob­jet de recom­man­da­tions de la HAS en 2012 qui ont gran­de­ment mal­me­né nos pra­tiques en Ins­ti­tu­tion et engen­dré une méfiance, voire un rejet.
Pour­quoi ce débat réap­pa­raît-il dans le contexte actuel ? Est-ce le fruit d’un seul homme et de quelques asso­cia­tions de parents d’au­tistes ? Est-ce un mou­ve­ment géné­ral, une chasse aux sor­cières orches­trée par quelques poli­tiques ?

Laurent Danon-Boi­leau : Cette pro­po­si­tion de réso­lu­tion laisse pan­tois. Elle a été reje­tée, et c’est bien. Elle était inac­cep­table mais il faut essayer de com­prendre com­ment et pour­quoi un dépu­té élu par des gens qui placent en lui leur confiance a pu en arri­ver à ces excès. Et recueillir sur son texte la signa­ture de 94 autres dépu­tés. Elle est symp­to­ma­tique d’une évo­lu­tion qui va bien au-delà du rejet de la psy­cha­na­lyse. Il y a une ver­sa­ti­li­té colos­sale des mou­ve­ments d’opinions aujourd’hui, puisque sur les 94 dépu­tés  qui avaient signé la pro­po­si­tion ini­tiale de Daniel Fas­quelle, il n’en res­tait plus qu’un, le 8 décembre der­nier, pour le sou­te­nir à l’As­sem­blée Natio­nale.  Entre temps une péti­tion lan­cée par le Dr Gintz s’opposant à cette pro­po­si­tion  avait cir­cu­lé et avait recueilli 5.557 signa­tures.

Repre­nons d’abord les prin­ci­paux jalons de la remise en cause ins­ti­tu­tion­nelle du rôle de la psy­cha­na­lyse dans le soin aux enfants autistes.
En 2012 la haute auto­ri­té de san­té a for­mu­lé des recom­man­da­tions en matière d’autisme qui met­taient la psy­cha­na­lyse un peu à l’écart du soin en rai­son du fait qu’elle ne fai­sait pas l’objet d’un consen­sus. Mais il s’agissait de recom­man­da­tions. C’était déjà pro­blé­ma­tique, mais en un sens limi­té. Puis est venu le 3e plan Autisme.  Au lieu de pro­mou­voir un soin inté­gra­tif favo­ri­sant la conjonc­tion des types de prise en charge et fai­sant sa place à la psy­cha­na­lyse dans cette diver­si­té, il prône le « tout édu­ca­tif » et le recours exclu­sif aux méthodes com­por­te­men­tales.
Le troi­sième temps est la pro­po­si­tion Fas­quelle. Elle visait à rendre les dis­po­si­tions de la HAS “ juri­di­que­ment contrai­gnantes pour les pro­fes­sion­nels qui tra­vaillent avec des enfants autistes ». Comme l’a sou­li­gné après d’autres la péti­tion lan­cée par le Dr Gintz, si cette pro­po­si­tion avait été  adop­tée, cela  aurait fait juris­pru­dence et il n’y aurait eu aucune rai­son pour que l’obligation ne s’é­tende pas à d’autres champs de la patho­lo­gie. Le pro­jet vou­lait par exemple obli­ger la Fédé­ra­tion Fran­çaise de Psy­chia­trie à recon­naître offi­ciel­le­ment les recom­man­da­tions de la Haute Auto­ri­té de San­té « sans aucune réserve et offi­ciel­le­ment ». C’est évi­dem­ment l’avènement d’une forme expli­cite de science d’état. On croyait cela réser­vé aux tota­li­ta­rismes. On s ‘est aper­çu que cela devient com­pa­tible avec la démo­cra­tie dans l’esprit de cer­tains démo­crates. Je ne pense pas en effet que Laurent Wau­quiez, Ber­nard Debré ou Natha­lie Kos­cius­ko-Mori­zet, qui ont para­phé le texte ini­tial ne soient pas des démo­crates. Et c’est pré­ci­sé­ment cela qui est inquié­tant. Quand on com­mence à voir une pra­tique thé­ra­peu­tique recon­nue qui fait l’objet d’une condam­na­tion et d’une inter­dic­tion on fré­mit. Quand on com­mence à dire com­ment les pro­fes­sion­nels doivent s’y prendre pour un soin psy­chique à des­ti­na­tion d’une popu­la­tion par­ti­cu­lière, alors qu’on n’a aucune cer­ti­tude on fré­mit. Il y a des asso­cia­tions de parents qui sont farou­che­ment hos­tiles à la psy­cha­na­lyse. Très bien. Il serait stu­pide de vou­loir les contraindre à aller trou­ver les psy­cha­na­lystes. Mais il y a aus­si beau­coup de parents d’enfants autistes qui ont trou­vé auprès des ana­lystes des gens qui les aident  et qui par ailleurs sont plei­ne­ment au fait de l’ensemble des tech­niques actuelles concer­nant la prise en charge de leurs enfants. Il ne faut pas croire que les psy­cha­na­lystes soient à l’écart des avan­cées de la science.

EdeP : Il y a donc un pro­blème éthique à inter­dire les prises en charges d’au­tistes par des psy­cha­na­lystes.

LDB : Oui il y a un pro­blème éthique à inter­dire les prises en charge d’enfants autistes par des psy­cha­na­lystes. Mais les ana­lystes sau­ront tou­jours se défendre. La vraie catas­trophe c’est que ceux qui veulent inter­dire  le soin ana­ly­tique ne mesurent pas ce qu’ils vont faire perdre aux enfants autistes.

EdeP : Les recom­man­da­tions de la HAS pré­ci­saient que les pra­tiques psy­cha­na­ly­tiques dans le trai­te­ment de l’au­tisme n’é­taient pas « consen­suelles ». Existe-t-il aujourd’­hui des pra­tiques qui seraient consen­suelles dans ces prises en charge ?

LDB : Non, sauf si on inter­roge des par­ti­sans. Du côté des thé­ra­pies cog­ni­tives, les résul­tats ne sont pas uni­for­mé­ment cou­ron­nés de suc­cès, loin s’en faut. De nom­breuses enquêtes le montrent. Des gens comme Laurent Mot­tron au Cana­da, après avoir mani­fes­té de l’intérêt pour cer­taines thé­ra­pies com­por­te­men­tales s’est vigou­reu­se­ment éle­vé contre leurs excès sans être favo­rable pour autant à la psy­cha­na­lyse d’ailleurs. Sou­vent en fait ce ne sont pas tant les méthodes qui sont le plus contes­tables que les gens qui les pra­tiquent. Il y a des gens qui pra­tiquent les méthodes com­por­te­men­tales comme un dres­sage, d’autres qui sont en mesure d’adapter la méthode aux exi­gences spé­ci­fiques de l’enfant. Le drame advient quand un thé­ra­peute est fana­ti­que­ment convain­cu de ce qu’il doit voir et doit faire et qu’il en vient à « croire » à sa méthode  au point de ne plus rien voir de ce qui se passe dans la séance et que tous les évé­ne­ments qui s’y déroulent ne peuvent ser­vir qu’à confir­mer ce qu’il sait déjà. Si l’on ne se laisse pas sur­prendre par un enfant on ne peut pas savoir ce qu’il a de sin­gu­lier et l’on ne peut pas s’adapter à sa manière d’être à lui.

Mais lais­sons de côté un ins­tant l’affrontement psychanalyse/comportementalisme.  Quand on voit par exemple la timi­di­té avec laquelle la HAS a pu recom­man­der le tra­vail en psy­cho­mo­tri­ci­té alors que c’est essen­tiel de ten­ter de rendre un enfant autiste plus fami­lier avec ce  qu’il res­sent phy­si­que­ment,  que ses sen­sa­tions  tac­tiles visuelles et sonores le ter­ri­fient en per­ma­nence parce qu’elles sont dis­so­ciées les unes des autres, on croit rêver. Si le consen­sus avait un sens, tout le monde aurait dû se retrou­ver autour du tra­vail de la psy­cho­mo­tri­ci­té, qui per­met  l’organisation des sen­sa­tions du tonus et de la pos­ture, ce qui est essen­tiel. Quitte ensuite à s’écharper pour ou contre la psy­cha­na­lyse. Le terme de psy­cho­mo­tri­ci­té n’apparaît pas dans les débats de l’assemblée. Seul y figure celui d’orthophonie parce que les ortho­pho­nistes peuvent se for­mer aux méthodes cog­ni­tives type ABA.

EdeP : Ce pro­jet de Réso­lu­tion allait jus­qu’à pro­po­ser de péna­li­ser les Psy­cha­na­lystes, le gou­ver­ne­ment y était invi­té à « condam­ner et inter­dire les pra­tiques psy­cha­na­ly­tiques sous toutes leurs formes ». Ce rejet de la psy­cha­na­lyse dans son ensemble amène à poser la ques­tion du tort des psy­cha­na­lystes.  Et donc, si les psy­cha­na­lystes doivent faire leur auto­cri­tique sur la ques­tion de la prise en charge de l’au­tisme, quelle serait-elle ?

LDB : La souf­france des enfants autistes et de leur famille est immense. Et les réponses des psy­cha­na­lystes, jusqu’à il y a envi­ron 30 ans ont été insuf­fi­santes, c’est incon­tes­table. Mais ce que ne voient pas des gens comme le Dépu­té Fas­quelle c’est que cela fait 30 ans que les psy­cha­na­lystes ont chan­gé. En quoi ? D’une part aucun psy­cha­na­lyste digne de ce nom ne dira aujourd’hui que l’autisme des enfants est la faute des parents ou de la mère. D’autre part aucun psy­cha­na­lyste digne de ce nom ne dira que la psy­cha­na­lyse toute seule peut soi­gner un enfant autiste. Vou­loir soi­gner un enfant autiste avec la psy­cha­na­lyse seule est une erreur grave, mais vou­loir le soi­gner en excluant la psy­cha­na­lyse du trai­te­ment est une erreur grave éga­le­ment. Le trai­te­ment d’un enfant autiste doit être inté­gra­tif, il doit com­por­ter : psy­cho­mo­tri­ci­té, ortho­pho­nie, trai­te­ment cog­ni­ti­vo-com­por­te­men­tal, ergo­thé­ra­pie, tra­vail de groupe, psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique. Un autre tort immense des psy­cha­na­lystes c’est pen­dant long­temps de ne pas avoir fait et de ne pas avoir vou­lu faire d’évaluation « chif­frée » de leurs trai­te­ments et des enfants qu’ils prennent en charge. Il faut pou­voir mesu­rer la pro­gres­sion du trai­te­ment avec psy­cha­na­lyse à la fois pour pou­voir faire recon­naitre ses suc­cès dans la contes­ta­tion, mais sur­tout pour  mesu­rer   chez  un enfant, tous les six mois, tout ce qui a évo­lué, et les apti­tudes émer­gentes qui se des­sinent.  Main­te­nant les psy­cha­na­lystes éva­luent régu­liè­re­ment leurs trai­te­ments et c’est par­ti­cu­liè­re­ment pro­bant. Mais la polé­mique fait qu’on n’en parle pas.

Tou­te­fois, le point essen­tiel de notre dif­fé­rence avec nos adver­saires n’est pas là. Il est dans le fait que pour nous il n’y a pas « l’autisme » avec une solu­tion qui devrait s’appliquer uni­for­mé­ment à toutes les per­sonnes autistes sans tenir compte de leur per­son­na­li­té, du degré de gra­vi­té de leur trouble et du contexte fami­lial. Les dis­cus­sions qui se sont dérou­lées à l’assemblée sont de ce point de vue révé­la­trices. On s’aperçoit que seuls les défen­seurs de la psy­cha­na­lyse parlent d’individus et uti­lisent le plu­riel pour par­ler des patients autistes. Avec les autres, il s’agit d’une patho­lo­gie uni­forme.
Or chaque cas est un cas par­ti­cu­lier. Il faut pou­voir dis­cu­ter  de chaque cas avec tous les pro­fes­sion­nels qui s’occupent de l’enfant et prendre une déci­sion concer­tée avec les parents. Ceci d’autant que ce qui est sou­hai­table à un moment don­né (par exemple ne pas expo­ser l’enfant à un contact quo­ti­dien avec un grand groupe d’enfants, donc ne pas le mettre en classe ou en crèche) peut deve­nir une mau­vaise chose à un autre. Les enfants autistes ont une vie psy­chique sou­vent riche mais les rou­tines de base cog­ni­tives (notam­ment celles de leur sen­so­ria­li­té) sont trou­blées et leur façon d’être dans le monde et de se com­por­ter par rap­port aux autres s’en res­sent colos­sa­le­ment. Leur com­mu­ni­ca­tion s’en trouve empê­chée, ce qui fait qu’on risque sou­vent de mécon­naitre leur monde interne. Il faut donc prendre le pro­blème par tous les bouts. Par le biais réédu­ca­tif des thé­ra­pies cog­ni­tives, mais aus­si en inci­tant l’enfant à appré­cier l’échange, en le lais­sant pro­duire des signes à sa façon et en par­tant de ce qu’il pro­pose pour lui mon­trer qu’on le com­prend. Il ne faut pas faire que cela. Il faut aus­si des pro­fes­sion­nels qui lui enseignent des choses de manière plus sco­laire. Mais si on ne lui donne pas le sen­ti­ment qu’il est quelqu’un qui peut être com­pris par d’autres, si on ne lui donne pas le sen­ti­ment qu’il peut signi­fier et qu’on peut com­prendre les signes qu’il pro­pose, il ne pren­dra jamais plai­sir à la com­mu­ni­ca­tion et res­te­ra ter­ro­ri­sé par ce que l’on risque tou­jours de faire avec lui trop vite et trop fort.  Trop de trai­te­ments com­por­te­men­taux semblent par­tir de l’idée qu’un enfant autiste ne pense pas, ne cherche pas à com­mu­ni­quer, que sa tête est une boite vide dans laquelle il fau­drait four­rer du savoir-faire, du savoir com­mu­ni­quer. C’est une erreur grave. Il faut donc faire deux choses : d’un côté il faut des trai­te­ments avec des gens qui savent attendre et enri­chir les pro­duc­tions spon­ta­nées de l’enfant. C’est un rôle ana­ly­tique aus­si essen­tiel que d’interpréter. Et d’un autre côté il faut aus­si des pro­fes­sion­nels qui enseignent à l’enfant des savoir-faire, et ce peut être le rôle des thé­ra­pies cog­ni­tives. Ce n’est pas l’un ou l’autre c’est l’un et l’autre.

Il y a 30 ans les psy­cha­na­lystes pen­saient que l’autisme était psy­cho­gène. Pre­mière erreur. Ils pen­saient donc qu’ils étaient les seuls à pou­voir aider les enfants autistes, avec le concours tou­te­fois des ortho­pho­nistes quand les enfants ne par­laient pas. Ils n’en sont plus là aujourd’hui. Tout le monde s’accorde à dire que les fac­teurs sont nom­breux, et cer­tains sont cer­tai­ne­ment d’ordre géné­tique. Tou­te­fois la même ano­ma­lie géné­tique peut accom­pa­gner des mani­fes­ta­tions symp­to­ma­tiques extrê­me­ment diverses. A la fois en inten­si­té et par­fois en nature.
La polé­mique autour du packing est éga­le­ment insen­sée. Le packing n’est évi­dem­ment pas la pana­cée, mais ce n’est pas non plus une tor­ture. C’est un trai­te­ment qui néces­site d’être fait avec un soin extrême et dans des cir­cons­tances bien déter­mi­nées. Les psy­cha­na­lystes ne sont pas des brutes. Quand l’enfant a peur, ils ne le font évi­dem­ment pas, c’est tout.  Quand il peut être fait, il pro­duit des résul­tats. Il per­met à l’enfant de retrou­ver un sen­ti­ment d’organisation cor­po­relle, d’unité de son corps. Ce qui a pro­ba­ble­ment fait image c’est que visuel­le­ment le packing rap­pelle la cami­sole de force. Or c’est tout sauf ça.

De manière géné­rale, soi­gner un enfant autiste est très dif­fi­cile, très long, très frus­trant. Cer­tains enfants récu­pèrent bien, d’autres non. Et il est très dif­fi­cile de savoir dès le départ ceux qui vont récu­pé­rer. A niveau de dif­fi­cul­té ini­tiale com­pa­rable, cer­tains évo­luent mieux que d’autres et il n’y a pas de pro­fils pro­nos­tiques assu­rés.  Or il est dif­fi­cile de res­ter dans l’incertitude.  Il y a aus­si une autre évi­dence, pour laquelle se bat jus­te­ment l’association PREAUT fon­dée par des psy­cha­na­lystes, c’est qu’il y a des enfants  de moins de 8 mois qui pré­sentent des signes de trouble dans les échanges et les inter­ac­tions avec les parents et que si on aide les parents à orga­ni­ser leur échanges avec les enfants on arrive à faire que les choses s’organisent bien. Le « pro­blème » c’est qu’à cet âge-là on ne peut pas encore par­ler d’autisme. Le diag­nos­tic ne peut être por­té avec assu­rance que plus tard. Donc, il fau­drait attendre. Mais évi­dem­ment si l’on attend, les choses se figent. Donc il faut inter­ve­nir vite. D’autant qu’on ne sau­ra jamais si les enfants auprès des­quels on est inter­ve­nu seraient deve­nus autistes sans inter­ven­tion. Même s’ils pré­sen­taient mal­gré tout des traits com­pa­rables à ceux qui le sont deve­nus.   Le para­doxe c’est que le dépis­tage pré­coce est un des objec­tifs du 3e plan et qu’apparemment les auteurs ne se sont pas aper­çus de ce que les psy­cha­na­lystes avaient pu faire dans le domaine.

EdeP : La ques­tion de la prise en charge et du trai­te­ment demeure un point essen­tiel pour toutes les familles confron­tées à cette souf­france.  Comme vous l’a­vez rap­pe­lé cela ne peut se faire sans une prise en charge plu­ri­dis­ci­pli­naire. Mais vous pour­riez peu- être ajou­ter, com­ment tra­vaille-t-on avec les autistes aujourd’­hui quand on est psy­cha­na­lyste ?

LDB : La ques­tion du trai­te­ment sou­hai­table demeure com­pli­quée. De quels enfants autistes parle-t-on ? Des tout-petits ? Les enfants de 5 ans ? Les pré-ados ? Les ados ? Ceux qui sup­portent d’être en groupe ? Ceux qui ne veulent pas en entendre par­ler ? Ceux qui parlent bien ? Ceux qui ne parlent presque pas ? Ceux qui com­mu­niquent uni­que­ment par quelques gestes et par le recours à l’écrit ?
Quand il s’agit de tout petits enfants (avant 5 ans), très sou­vent ils ont une repré­sen­ta­tion frag­men­tée d’eux-mêmes, ils ne se sentent pas uni­fiés, et ce qu’ils voient ce qu’ils sentent ce qu’ils touchent ce qu’ils entendent res­tent sans lien. L’objectif pre­mier est de leur per­mettre mal­gré cela d’entrer en contact ludique avec l’adulte puis de pou­voir jouer autour d’une ou deux sen­sa­tions. C’est à la faveur du jeu et du plai­sir pris à l’échange que quelque chose peut len­te­ment se réar­ti­cu­ler. C’est sou­vent dans cette ambiance qu’ils se mettent à par­ler.
Ensuite pour ceux que l’on voit un peu plus âgés, vers 4 ou 5 ans il faut accep­ter pen­dant un long moment de les suivre dans leurs jeux répé­ti­tifs et peu à peu de faire déra­per ces jeux vers autre chose, vers des jeux d’alternance type à toi/à moi puis pro­gres­si­ve­ment ils mettent du sens dans leurs jeux et l’on peut faire des com­men­taires oraux, des inter­pré­ta­tions qui leur per­mettent de faire des liens entre ce qu’ils éprouvent et ce qu’ils voient. La situa­tion est évi­dem­ment radi­ca­le­ment dif­fé­rente avec les enfants moins en dif­fi­cul­té et plus âgés. A chaque âge de la vie, et à chaque niveau de dif­fi­cul­té avec un enfant autiste il faut pen­ser l’articulation des trai­te­ments et le sou­tien de la famille. Sans comp­ter, évi­dem­ment qu’il ne faut pas qu’un des parents, la mère en géné­ral, passe la tota­li­té de la semaine à cou­rir d’un spé­cia­liste à l’autre pour les soins à don­ner à l’enfant. C’est inte­nable pour la mère. Et l’enfant a rapi­de­ment un emploi du temps érein­tant. En même temps, il faut une prise en charge sou­vent très impor­tante. Cer­taines ins­ti­tu­tions peuvent four­nir l’ensemble des dif­fé­rentes thé­ra­pies, mais pas toutes.

EdeP : D’une cer­taine manière l’o­rage est pas­sé avec le rejet de la pro­po­si­tion de réso­lu­tion du dépu­té Fas­quelle. Mais il faut sans doute s’in­ter­ro­ger sur ce qui est sou­ja­cent à ce cou­rant idéo­lo­gique, cette ten­ta­tive de sciences d’é­tat, où la psy­cha­na­lyse occupe la place du mau­vais objet. La psy­cha­na­lyse mais aus­si la psy­chia­trie puisque cer­taines asso­cia­tions de parents sou­hai­te­raient que l’au­tisme sorte tota­le­ment du champ de la psy­chia­trie. Va-t-on subir une vaste chasse aux sor­cières et du coup pour­quoi tant de haine envers la psy­cha­na­lyse ?

LDB : Oui, au-delà des faits, il faut com­prendre com­ment tout cela est deve­nu pos­sible. Si tout ce à quoi l’on assiste n’était pas pour de vrai, comme disent les enfants, on aurait l’impression d’être dans un mau­vais film de science-fic­tion ou un roman  d’ Orwell où Big Bro­ther  dicte à la pen­sée et au soin ce qui est scien­ti­fi­que­ment cor­rect ! On voit mon­ter un tota­li­ta­risme, et on l’oublie en rai­son d’avancées qui se déroulent juste avant ou en même temps par­fois. Il y a d’un côté cette pro­po­si­tion de loi et de l’autre le vote du mariage pour tous. Trump après Oba­ma. Il y a aus­si une incroyable ver­sa­ti­li­té de l’opinion. La pro­po­si­tion de loi Fas­quelle est sou­te­nue ini­tia­le­ment par 94 dépu­tés. Et après une péti­tion, il n’y en a plus qu’un. On voit la mon­tée de l’esprit d’intolérance et des ins­tants d’avancée qui nous dis­traient de ce mou­ve­ment de fond. Et puis des retour­ne­ments. Com­ment est-ce pos­sible ?

La ques­tion des moyens pèse évi­dem­ment sur l’ensemble. Si les thé­ra­pies cog­ni­ti­vo-com­por­te­men­tales deviennent la règle, c’est qu’elles peuvent être faites par des édu­ca­teurs for­més à  des rudi­ments tech­niques en quelques semaines . Et ensuite ils cou­te­ront évi­dem­ment moins cher que les psy­chiatres qui sont des méde­cins et même que les psy­cho­logues. Dans la repré­sen­ta­tion sociale ils deviennent comme édu­ca­teurs spé­cia­li­sés, ils sont iden­ti­fiables comme des ensei­gnants dis­po­sant d’une réponse codi­fiée pour chaque situa­tion. Ce qui est ras­su­rant au regard du public, même si dans cer­tains cas, l’application de la réponse stan­dard, fon­dée dans un cer­tain nombre de cas, devient absurde dans d’autres. Ce qui est fait là pour l’autisme pour­ra ensuite se géné­ra­li­ser pour toutes les patho­lo­gies psy­chiques lourdes.
Dans le cas de l’autisme, il y a aus­si le sou­hait de cer­tains groupes de parents d’enfants autistes qui font un lob­bying très actif auprès des pou­voirs publics pour éli­mi­ner  la psy­cha­na­lyse du champ du soin.

Mais sur­tout il y a un chan­ge­ment de fond dans  les idéaux sociaux et démo­cra­tiques du domaine de la san­té men­tale. Ceux qui étaient por­tés par la libé­ra­tion à la fin de la seconde guerre mon­diale sont morts. A l’issue de la guerre, cer­tains psy­chiatres, les psy­chiatres que l’on appe­lait huma­nistes avaient été révol­tés par le trai­te­ment des malades men­taux pen­dant l’occupation, et le fait que beau­coup d’entre eux étaient morts de faim dans les asiles. A la libé­ra­tion, nombre de ces psy­chiatres sont deve­nus ana­lystes et ont mili­té pour que la psy­cha­na­lyse ne soit pas réser­vée au trai­te­ment de la névrose bour­geoise. C’est leur convic­tion huma­niste qui a construit le soin psy­cha­na­ly­tique en pédo-psy­chia­trie. Des noms de psy­cha­na­lystes comme ceux de Serge Lebo­vi­ci, René Diat­kine, Michel Sou­lé ou Roger Misès viennent évi­dem­ment immé­dia­te­ment à l’esprit. C’est cela qui tend à être balayé aujourd’hui au nom des exi­gences de ren­ta­bi­li­té. L’idée de ces psy­chiatres c’était, au nom de la fra­ter­ni­té, de cher­cher à com­prendre l’individu malade qu’ils avaient en face d’eux pour lui four­nir un soin adap­té.

Aujourd’hui, l’esprit Fas­quelle consiste à appli­quer à tous  les patients qui sont clas­sés dans la même patho­lo­gie le même trai­te­ment. C’est une ver­sion de l’égalité qui en fait un syno­nyme d’identité et exige l’absence de varia­tion entre les êtres humains rele­vant de la même caté­go­rie noso­gra­phique. Et comme les patients autistes sont rebap­ti­sés han­di­ca­pés, il faut leur per­mettre, comme aux autres han­di­ca­pés, d’être le plus rapi­de­ment pos­sible avec les autres citoyens, au nom de la lutte contre l’exclusion. C’est une inten­tion louable. Mais en l’occurrence, mettre un enfant autiste dans une classe avec un maître qui a une classe sur­char­gée et qui n’a pas le temps de com­prendre  de quoi il retourne ce n’est pas néces­sai­re­ment la pana­cée. Tout dépend du maître, de l’élève, du direc­teur de l’établissement, des parents, de l’assistant de vie sco­laire, de la manière dont les autres enfants réagissent. Il est déci­sif d’être prag­ma­tique et de ne pas rai­son­ner à coups d’a prio­ri. Les que­relles média­tiques n’y incitent pas. Pour­tant lors de la dis­cus­sion de la pro­po­si­tion de loi, un dépu­té, Nico­las Dhuicq a eu une phrase superbe à pro­pos des per­sonnes autistes « Je n’aime pas le terme de han­di­cap, parce que ces frères humains vivent des réa­li­tés dif­fé­rentes », a‑t-il dit. Certes il faut inté­grer les han­di­ca­pés dans la socié­té, leur faci­li­ter l’accès à la vie quo­ti­dienne, depuis l’école jusqu’aux trans­ports en com­mun. C’est un objec­tif essen­tiel à ne pas lâcher. Mais il faut aus­si être capable de juger quel effet cela pro­duit sur ceux qui sont cen­sés en béné­fi­cier. Cer­tains enfants peuvent être inté­grés à l’école avec un Assis­tant de Vie sco­laire à leur côté, pas tous. Et pas tout le temps.

Mal­raux, pro­phé­tique, avait écrit « Le XXIe siècle sera reli­gieux ou ne sera pas ». Il avait rai­son à cela près que le XXI siècle n’est pas reli­gieux mais fana­tique et qu’il fait retour à des idées aus­si sim­plistes que vio­lentes pour résoudre des pro­blèmes com­pli­qués. Jusqu’à il y a deux ou trois ans, la seconde guerre mon­diale pou­vait nous faire réflé­chir à l’incidence de l’idéologie tota­li­taire sur la culture. Aujourd’hui, c’est oublié. Il en résulte deux atti­tudes qui se donnent la main : d’une part l’émergence d’un fana­tisme sans limite en matière de convic­tions éthiques socié­tales ou reli­gieuses, d’autre part la convic­tion que toutes les ques­tions que la réa­li­té nous pose doivent avoir une réponse tech­nique simple immé­diate uni­voque et télé­gé­nique. Si l’on sou­ligne que les choses prennent du temps, que la pers­pec­tive la plus féconde est dans l’articulation de points de vue qui peuvent être en conflit, on appa­raît immé­dia­te­ment rétro­grade ou indé­cis. La facul­té de détour qu’offre la réflexion n’a plus droit de cité. Pas plus que le soup­çon. Freud est avec Marx et Nietzsche emblé­ma­tique d’une réflexion qui ques­tionne l’uniformité de la pen­sée, et la psy­cha­na­lyse fait les frais de ce ques­tion­ne­ment. À l’heure du fast­food, pas plus que la cui­sine lente, la pen­sée lente et conflic­tuelle n’a de place. La gas­tro­no­mie comme la pen­sée lente deviennent l’apanage des pri­vi­lé­giés. Comme le veut la sagesse Sha­dok : « Là où il n’y a pas de solu­tion, c’est qu’il n’y a pas de pro­blème ! »

À cela s’ajoute l’idée que l’accès à l’information est connais­sance comme tel : un clic sur inter­net suf­fit à tout savoir de l’autisme parce que les infor­ma­tions sont là. Or l’essentiel est dans la confron­ta­tion, l’évaluation et la hié­rar­chi­sa­tion des don­nées et des idées, pas dans l’accumulation à plat. Et si pos­sible une pra­tique directe même res­treinte du domaine auquel ces connais­sances se rap­portent. Avec Inter­net, le bon côté des choses c’est que les ques­tions com­pli­quées ne sont plus réser­vées aux spé­cia­listes. Mais avec Inter­net, le mau­vais côté des choses, c’est que les ques­tions com­pli­quées ne sont plus réser­vées aux spé­cia­listes. Inter­net c’est l’un et l’autre. Ajou­tez à tout cela la vieille idée que pour soi­gner ou ensei­gner on ne peut man­quer de faire souf­frir celui que l’on prend en charge et vous com­pren­drez pour­quoi la psy­cha­na­lyse est exclue du soin à l’autisme. Patient éty­mo­lo­gi­que­ment, veut dire celui qui souffre. Et il ne souffre pas seule­ment de son mal, il souffre aus­si du remède qu’on lui applique pour qu’après, ça aille mieux. Le res­sort de la thé­ra­peu­tique et de l’enseignement résident cen­sé­ment dans l’effort dou­lou­reux. Par­ler de plai­sir ne fait pas sérieux dans ce contexte et passe pour un rous­seauisme sur­an­né.  Or comme on sait la psy­cha­na­lyse s’appuie aus­si sur la ques­tion du plai­sir : il faut que le patient puisse prendre plai­sir à ce qui se passe dans son trai­te­ment pour que quelque chose advienne. Même si bien enten­du le plai­sir ne suf­fit pas.

EdeP : Pour conclure, com­ment envi­sa­gez-vous l’a­ve­nir de la prise en charge de l’au­tisme dans les ins­ti­tu­tions de soin ? Y aura-t-il tou­jours une place pour des pra­tiques psy­cha­na­ly­tiques…

LDB : Je pense qu’il va y avoir un temps de ren­for­ce­ment des méthodes édu­ca­tives. Parce que c’est la mode aux Etats Unis. Mais les amé­ri­cains sont déjà en train de se rendre compte que les thé­ra­pies qui fonc­tionnent sont celles qui intro­duisent dans l’arsenal du soin des pra­tiques fon­dées sur le jeu et le déve­lop­pe­ment de l’appétence de l’enfant à com­mu­ni­quer. En outre, l’appui sur la parole de l’adulte qui met un nom sur ce que res­sent l’enfant, ses peurs, ses colères, ses tris­tesses, ses malaises est éga­le­ment déci­sif, et les amé­ri­cains y viennent. Nous sommes donc quelques-uns qui ne déses­pé­rons pas que les plus farouches adver­saires de la psy­cha­na­lyse ne découvrent fina­le­ment les bien­faits de cette parole-là. Quand on se sent frag­men­té, mor­ce­lé, déman­te­lé, on ne peut pas se pas­ser de l’interprétation d’un autre pour retrou­ver une uni­té en soi et une cohé­rence dans le monde qui vous entoure. Avec un enfant autiste, cela ne peut pas être le seul tra­vail bien enten­du. Mais il demeure essen­tiel.

EdeP : Mer­ci Laurent Danon-Boi­leau d’a­voir accep­té de nous livrer vos remarques dans ce contexte hou­leux. Votre pen­sée nous per­met de mieux com­prendre les enjeux, elle est pré­cise et éclai­rante.