Marilia Aisenstein s’entretient avec Daniel Irago et Michail Dimitrakopoulos
À l’occasion de la publication de son dernier livre Désir, Douleur, Pensée (Ithaque) nous avons eu la possibilité d’avoir une conversation avec Marilia Aisenstein.
Le contexte était sensible : Covid 19 et des attentats rappelant notre entretien de 2015.
Marilia Aisensteain a reçu le prix Maurice Bouvet en 1992. Elle a occupé différentes fonctions dans les instances psychanalytiques internationales (IPA).
La question du plaisir douloureux de la pensée était là, tout comme nos corps.
Daniel Irago : Le plus difficile c’est comment commencer…
Marilia Aisenstein : Toujours…
D.I : Vous publiez un livre qui s’appelle « Désir douleur pensée. » Le titre semble renvoyer à un mixage, au sens musical, de notions qui se croisent et se tiennent sans forcément constituer une unité. Pouvoir « mélanger » les choses cliniques, culturelles et métapsychologiques avec rigueur me semble vous caractériser. Dans notre précédent entretien, il y a quelques années, vous avez évoqué certaines caractéristiques de la psychanalyse française : marquée par un héritage venant de différents maîtres et courants, il y a dans la psychanalyse contemporaine comme un mélange. Vous citiez comme exemple l’influence de Lacan et de l’IPSO… avec le fait que les héritiers les ont fait dialoguer et comment de façon indirecte ils ont mixé les choses.
Dans cet ouvrage une forme de pensée clinique est omniprésente, avec à l’arrière-plan une rigoureuse référence à la métapsychologie. En partant de la pensée du patient…
M.A : Deux choses…. Je suis convaincue que la bonne théorie ne peut surgir qu’à partir de la clinique et simultanément il faut une théorie parce que sinon, sans théorie, je ne sais pas ce que l’on comprendrait du matériel. Donc pour moi, clinique et théorie, sont étroitement intriquées. Je trouve même qu’on devrait à la limite, ne pas faire de différence. Parce que la métapsychologie est contenue dans la clinique, elle est déjà dans la tête du psychanalyste quand il intervient. Même s’il ne sait pas forcément ce qu’il pense à ce moment-là…
Le titre « Désir, douleur, pensée » est plus qu’une intrication, il correspond à un trajet. Je me suis aperçue après avoir terminé ce petit livre que, c’est en effet après 20 ans, que tous mes articles tournent autour de la douleur, le corps, la pensée et le désir qui est omniprésent et au fondement de tout ça.
Donc mon titre est une gradation : Il n’y a pas de pensée sans désir, le désir étant à la base de la pensée. D’ailleurs ceci est déjà présent chez Freud dans Le chapitre VII de « L’Interprétation des Rêves ». Mais en même temps la pensée est douloureuse, elle met en danger, elle rend le sujet seul parce qu’on pense seul. Et puis je crois aussi qu’il nous faut du masochisme érogène primaire qui est une espèce de contenant dans la construction de l’égo du moi. Beno Rosemberg avait nommé « le noyau masochique du moi » qui est ce qui fait la retenue. Or la pensée a besoin de désir pour démarrer et de retenue également, de contenant.
D.I : Il m’a semblé que J.C Rolland dans son introduction va dans ce sens-là lorsqu’il évoque la notion de contre-investissement et la façon dont vous lui avez donné une perspective avec ce que vous appelez l’« acte de chair ».
M.A : Tout à fait et c’est vrai que je crois que les interlocuteurs que j’ai dans la tête c’est quasiment toujours au fond Pierre Marty, Jean Favreau, Beno Rosenberg, Michel Fain et Jean-Claude Rolland qui est le seul vivant de tous ceux-là, avec qui je dois dire que je me sens des affinités cliniques et métapsychologiques très importantes…
André Green m’a beaucoup apporté aussi… énormément parce que Green…. Bon, je travaillais avec Marty très longtemps et étroitement. Et je contestais certaines de ses théories et je lui disais que moi j’avais du mal à accepter, par exemple : pourquoi des défaillances du préconscient ? et il me disait « parce qu’on est pas tous pareils et qu’il y a des gens qui naissent comme ça »… et je ne l’acceptais pas et donc effectivement, je lui disais que je n’étais pas d’accord. Mais je n’avais pas les arguments que Green a pu donner immédiatement en disant, « c’est un processus agissant à l’intérieur de la psyché qui négative », donc ça a été très important pour moi, toute ma conception de la psychosomatique actuelle repose sur Marty, Fain et Green.
D.I : J’ai une question et je reviens sur Freud ; en vous lisant j’ai eu une idée qui n’apparaît pas… mais sûrement vous l’avez pensé… vous ne citez pas qu’au début Freud a évité la douleur, il est passé par l’hypnose quand il a écrit Études sur l’hystérie. Une partie du matériel clinique vient de l’hypnose, où la douleur est évitée, voir absente et que dans ce qui l’a amené à se dégager du co-auteur Breuer, c’est la question de renoncer à cette anesthésie.
Il faudrait passer par la douleur, une certaine douleur associée au plaisir et il me semble que la question du préconscient se développe à partir de là, du moment où Freud quitte cette anesthésie de l’hypnose. Une métaphore simple m’est venue en pensant aux 3 petits cochons. L’hypnose c’est comme construire une maison en paille alors que dans l’analyse il s’agit de construire une maison en briques ; il faut prendre du temps avec plus de douleur…
M.A : Absolument, d’ailleurs ça rejoint ce que nous disions un peu en aparté tout à l’heure en évoquant avec Michail la longueur nécessaire, la longueur douloureuse d’une analyse pour arriver aux questions les plus cruciales. Je le crois tout à fait, d’autant plus qu’il faut du temps, que le psychisme … le psychisme est lent. C’est-à-dire qu’on peut comprendre mais il faut du temps pour que ça se passe, que ça advienne vraiment. Il y a des compréhensions superficielles qui ne suffisent pas à modifier les choses.
Alors, de plus je vous dirai que Freud a très peu parlé de la douleur sauf dans L’Esquisse… Et brièvement dans Inhibition, symptômes et angoisse.
Dans L’Esquisse, Freud en parle effectivement un peu plus, mais Freud disait aussi et vous me faites associer là-dessus Daniel : Que l’anesthésie pour lui était proche de la mélancolie.
D.I : Oui tout à fait…
M.A : Ce qui est intéressant parce que ça veut dire que pour être vivant il faut accepter la douleur. La mélancolie est proche de l’anesthésie dans Deuil et Mélancolie, ce qui est intéressant parce que ça veut dire que pour être vivant il faut être passé par la douleur.
Michail Dimitrakopoulos : Ça évoque votre patiente Taëko (chapitre 1) qui découvre le corps érotique du moment où elle tombe malade.
Le symptôme remarquable que vous décrivez chez cette patiente c’est justement son espoir, sa volonté de sortir de la temporalité et de vivre hors du temps. Et grâce à la cure elle arrive à se vivre comme mortelle et quelque part comme castrée aussi, puisque comme vous le soulignez à la fin de votre présentation sa volonté de vivre hors du temps correspond à un déni de la castration.
M.A : Vous avez tout à fait raison Michail, ce que vous dites là, ça me touche parce que je suis allée l’hiver dernier voir un opéra de Strauss qui est La Femme sans Ombre. Et ça m’a fait penser à ma description de Taëko que j’avais déjà présentée à une journée d’IPSO il y a très longtemps. Taëko qui voulait se vivre hors du temps et qui donc en étant immortelle avait perdu son corps en quelque sorte. Il a fallu la maladie et la douleur pour qu’elle le retrouve. Or dans La Femme sans Ombre il y a deux couples, un couple modeste et un couple royal. Et le couple modeste, l’homme s’appelle Barack, il est teinturier …. et sa femme voudrait ne pas avoir d’ombre pour ne pas avoir d’enfant et s’anoblir. Il y a à un moment un chant absolument déchirant où elle croit entendre les voix de ses enfants non nés qui l’appellent. Et donc elle renonce à devenir sans ombre afin de s’anoblir – en effet l’impératrice qui n’avait pas d’ombre voulait lui acheter son ombre pour, pour pouvoir elle enfanter. Donc c’est un opéra absolument formidable avec un scénario étonnant et étonnamment psychanalytique : La castration par le temps…
D.I : Je me permets d’associer la question « sans douleur » au moment particulier que nous vivons. En ce moment le principe de réalité est attaqué par le fait que beaucoup de séances se passent au téléphone dans un climat particulier… Est-ce que cela a un effet sur cet arrière-plan qui est toujours présent dans une séance d’analyse : la douleur. Il y a une voix qui vient de loin mais le corps n’est pas là.
M.A : Absolument. Alors je vais vous dire quelque chose. Pour moi, et je l’ai déjà défendu devant la commission d’enseignement, en présentant un matériel, les séances au téléphone c’est vraiment un pauvre pis-aller qui consiste à garder le lien, mais ce n’est pas une séance d’analyse. Sans le corps il ne peut pas y avoir d’analyse, j’en suis convaincue, au téléphone il ne peut pas y avoir d’analyse. Alors certains collègues arguent « oui mais il y a un matériel formidable qui est arrivé ». Mais ce à quoi ils ne réfléchissent pas c’est qu’il est arrivé parce que c’est facile, sans les corps présents il y a beaucoup moins de résistance. Mais je ne suis pas sûre du tout que ça s’inscrira dans la psyché comme au cours d’une séance habituelle…
D.I : Il y a une secondarisation du langage… Représentation des choses, processus primaires sont lointains tout d’un coup…
M.A : Je suis tout à fait d’accord. Et il y a le fait que nous autres analystes, avons étés obligés à cause du confinement de passer à ces séances virtuelles. Mais il y a en même temps une évolution dans la société contemporaine, un certain engouement pour le virtuel qui moi m’inquiète aussi.
MD : Est-ce que l’on peut dire que dans les analyses à distance où le corps est absent, on perd la perception endo-somatique dont parle Green à propos de l’affect et dont vous parlez vous-même dans votre livre à propos du clivage ?
M.A : Oui, absolument, je le crois vraiment…
D.I : Une métaphore me vient c’est comme un miroir lointain…
MA : De même ce qui m’inquiète énormément dans notre société c’est les jeux virtuels avec tous les enfants qui maintenant jouent à des jeux virtuels, apparemment ça les fascine tous. Alors qu’est-ce que ça représente exactement je ne sais pas. J’ai essayé d’en parler avec des neurologues au temps où j’avais fait un groupe avec eux qui s’appelait Philoctète, c’était très intéressant.
Ces neurologues pensaient, ça avait déjà commencé, que la plasticité du cerveau, et la plasticité neuronale, est telle que le phénomène va changer notre cerveau. Maintenant en quoi, je ne sais pas du tout…
D.I : Si nos cerveaux changent, les notions fondamentales comme l’hystérie risquent d’être attaquées, ou de se voir évoluer. Il y a un thème en rapport avec mon expérience clinique qui m’a beaucoup intéressé dans votre livre, c’est la fibromyalgie, dont Marina Papageorgiou a publié des articles ; je vais exagérer mais une expression m’est venue : c’est lointain et proche d’une hystérie au point qu’on pourrait parler d’une hystérie négative…
M.A : Je suis ravie que vous disiez çà Daniel, moi je crois que c’est la forme moderne de l’hystérie.
D.I : Hystérie négative ça vous va ?
MA : Absolument, absolument. Alors je ne dirais pas qu’elles sont vraiment attaquées les notions de l’épistémologie freudienne, mais, en tout cas celles-ci vont y être un peu revisitées, bousculées….
De même que la fibromyalgie, il y a d’autres nouvelles pathologies, genre les crises de tétanie, des choses comme ça, qui sont aussi des figures psychopathologiques qui nous concernent. Par contre je plaide fermement pour dire qu’il continue à y avoir aussi autant de névrosés qu’auparavant. La différence c’est que la plupart d’entre eux sont superficiellement guéris avec un léger traitement psychiatrique : Les phobiques par exemple qui ne viennent pas à l’analyse, les obsessionnels aussi qui viennent peu à l’analyse parce qu’ils sont très soulagés par des anxiolytiques. Mais surtout ce qui se passe c’est que de plus je trouve que les analystes ne savent plus repérer la névrose. Alors à l’étranger c’est absolument épatant quand je vais au panel clinique à l’IPA, les analystes voient tout de suite la psychose et les borderline et ils passent à côté de patients qui sont des véritables névrosés. Parce que pour toute la psychanalyse anglo-saxonne il n’y a pas une véritable évaluation du fonctionnement mental, on met tout le monde sur le divan et donc ils ne savent plus.
DI : Ce que vous dites me fait penser à une clinique liée à des étudiants étrangers faisant un MBA où l’exigence et l’action sont omniprésentes : On met l’accent sur l’activité très éloignée des notions de masochisme érogène, toute passivité étant mal vue ou négative. L’expérience et la culture venant de la psychosomatique où il est question d’étayer un fonctionnement qui n’a pas accès au masochisme érogène, m’a beaucoup aidé. Dans votre livre vous faites référence à comment le masochisme primaire permet l’intégration de la capacité d’attente et son rapport à la relation avec la mère. Je vous cite : Une mère « suffisamment bonne » est celle qui, au travers de ses mots, saura faire attendre l’enfant : « Attends mon bébé. Je vais te prendre dans mes bras, mais pas tout de suite…Tu auras ton biberon dans pas longtemps… Reste tranquille, attends… ».
En vous lisant une métaphore littéraire m’est venue : Les mille et une nuits où Shéhérazade doit faire face au Sultan qui est dans une décharge immédiate suivie d’une décapitation. A travers sa voix, ses histoires et la mise en attente Shéhérazade réussit à installer l’attente et une relation d’amour.
MA : Elle est jolie comme métaphore, je n’y avais pas pensé. Vous savez, Beno ROSENBERG disait que le masochisme doit être vu comme une dimension existentielle de la vie. Si on ne veut pas souffrir on ne peut pas être vivant.
DI : La question de la douleur liée à la torture est souvent présente dans la clinique des demandeurs d’asile : la douleur est omniprésente, mais très éloignée de la douleur du masochisme érogène et que cela implique souvent travailler à l’envers puisque penser active une douleur insupportable : comment retrouver un certain plaisir du fonctionnement mental, le plaisir de la pensée étant loin… J’ai découvert la psychosomatique en passant par là. Des personnes devenues opératoire sous l’effet traumatique, penser c’est insupportable et être connecté à son corps aussi : j’ai vu un étudiant en biologie qui après avoir connu la torture voulu de devenir informaticien – ne plus jamais s’approcher du corps.
MA : Oui je le crois profondément, malheureusement pour ceux qui ont subi de la torture la seule défense c’est d’éradiquer la pensée à ce moment-là, donc de par la suite lorsqu’il est possible d’accéder à un autre stade de la vie il faut ré-apprivoiser les processus de pensée. Il me semble que c’est ça que vous êtes en train de décrire.
DI : Concernant la phobie vous faites allusion non seulement aux phobies névrotiques mais aux phobies n’ayant pas pu atteindre le registre névrotique : Jean-Luc Donnet (La pensée phobique), Evelyne Kestemberg, André Green (position phobique centrale), Michel Fain
MD : Dans le dernier chapitre tout à fait passionnant de votre livre, le chapitre « Soumission et Pensée, » vous attirez l’attention sur un mécanisme de la phobie de la pensée qui n’a pas encore été étudié en profondeur selon vous, un mécanisme qui prend justement la forme de la soumission – vous avez des formules frappantes – « Si j’obéis, je ne pense pas » ou : « pour ne pas penser, (et pour ne pas avoir peur) j’obéis ». Vous le développez, vous le travaillez à partir de la question de la négation et du clivage et vous arrivez à une conclusion qui m’a impressionné : vous attribuez cette soumission quasi démentalisante des personnes qui évitent la pensée à une incapacité pour elles de faire coexister une affirmation et une négation, à l’impossibilité donc d’une affirmation négative. Si je ne me trompe pas il s’agit de la capacité, de la liberté de dire à tour de rôle oui et non, ce qui correspond, comme nous avons parlé tout à l’heure de Socrate, à la définition du citoyen athénien par Aristote comme capable à la fois de gouverner et d’être gouverné. Est-ce que cela ne nous pousse pas à présupposer aussi une douleur inhérente à la liberté du citoyen libre et à nous poser ainsi la question d’un masochisme érogène indispensable également à la vie démocratique dont les totalitarismes nous promettent de nous protéger ?
MA : La pensée totalitaire implique la soumission donc la « non pensée » alors que…
DI : L’hypnose collective ?
MA : L’hypnose collective c’est un très beau mot. Alors que c’est vrai, moi je maintiens parce que on me demande souvent pourquoi penser c’est douloureux. Je crois qu’il y a une douleur en soi à être un « je ». Parce que ça demande…Vous vous souvenez de l’échange de Freud avec Romain Rolland, de leur discussion qu’on trouve dans Malaise dans la civilisation ? c’est absolument étonnant parce que Romain Rolland lui décrit comme merveilleux le sentiment océanique : Sentiment ou on se fond dans un grand tout… et Freud lui dit : « mais non seulement je n’ai jamais éprouvé ça mais de plus ça ne m’intéresse pas ».
DI : Romain Rolland me fait penser à cet article concernant son souvenir de sa visite de l’Acropole que Freud lui a dédié – Freud aborde l’idée de cette retrouvaille entre une construction que l’on porte au-dedans et une réalité venant du dehors. Le contexte actuel va dans le sens inverse, puisque la réalité ne trouve pas son étayage à travers la présence des corps.
MA : En fait, je me disais que c’était drôle pendant la période de confinement, comment les colloques se sont multipliés en virtuel, je disais à une amie en m’amusant que si elle était le matin Mexico, Boston l’après-midi, moi j’étais à Équateur à 10h et à New York le soir, c’est fou non !
MD : Pour revenir à Freud et à son objection, à son insistance de vouloir échapper au sentiment de totalité, ne pourrait-on dire qu’il y a là de la part de Freud un souci permanent de sauver le surmoi ?
MA : Je le crois, parce que dans toutes ces situations on assiste à une dégradation totale du surmoi
MD : Et par la même occasion nous pouvons constater également que le surmoi repose lui aussi sur une structure masochiste.
MA : Oui, bien sûr, c’est le renoncement.
DI : Dégradation du surmoi, ça fait penser – Qu’on le veuille ou pas nous sommes infiltrés même dans nos formations la question de dire « je » est toujours délicate, et fragile car être bon élève et être dans le faux self peuvent se rapprocher à certains moments. Ça me fait penser à une certaine dialectique entre l’orthodoxie et l’hétérodoxie, avec le piège de ne pas les articuler ; comme nous le suggère Jean Louis Baldacci.
MA : Oui absolument je vais vous rappeler que vous ne le savez parce que vous êtes jeunes, tous les 2. De mon temps dans la plupart des articles dans la revue de Revue française de psychanalyse les gens s’abritaient derrière un « nous ». Et moi je trouve ça, j’ai toujours refusé d’écrire même à l’époque où ça se faisait.
MD : Une question d’actualité : est-ce qu’il est plus facile, moins douloureux, aujourd’hui dans la société psychanalytique de parler en son nom propre, de dire je, par rapport à cette époque dont vous parlez, à cette époque où il fallait dire « nous » ? Est-ce qu’il y a une évolution à cet égard ?
MA : C’est une bonne question, oui et non. Je pense qu’il y a tout, qu’il y a encore des gens brillants, ou pas brillants, qui ne laissent pas à l’autre la liberté de penser. Ce n’est pas parce qu’on parlait avec Green et Marty qu’on ne pouvait pas les contredire ! Or il y a des petits maîtres actuellement avec qui on ne peut pas dire je ne suis pas d’accord sans qu’il se fâchent…
DI : Une des qualités de votre livre c’est la lisibilité. Cela me fait penser à l’œuvre de Freud qui est exigeante mais lisible par des personnes ayant une certaine culture et qui ne sont pas forcément analystes.
MA : mon mari, qui n’était pas analyste me disait toujours que si un être cultivé non analyste n’arrivait pas à lire un article cela voulait dire ou que l’auteur ne savait pas s’exprimer ou bien le texte était nul.