Je voudrais ici rendre compte d’un entretien passionnant avec Gérard Szwec du mois de juillet 2015, au cours duquel nous avons évoqués l’histoire et les fondements théorico-cliniques de la thérapie conjointe à l’IPSO. Je vais tenter de vous rendre compte ici de ses propos.
C’est en 1978 que “L’institut de psychosomatique », ouvre ses portes rue de la Poterne des Peupliers dans le 13ème arrondissement de Paris. C’est un lieu où se pratiquent des psychothérapies de patients adultes ayant des désordres somatiques, puis, dans la foulée, des consultations et psychothérapies d’enfants dans une unité dirigée par Léon Kreisler – alors pédiatre à l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul. Il y avait fondé le tout premier service de pédo-psychiatrie. Bien que non psychanalyste, il travaillait en contact étroit avec les psychanalystes d’enfants Serge Lebovici et René Diatkine, et dialoguait avec les psychanalystes psychosomaticiens P. Marty et M. Fain. Avec ce dernier et M. Soulé, ils ont publié une série de travaux, réunis dans L’enfant et son corps en 1974. Cet ouvrage, qui prolonge chez l’enfant les travaux de l’Ecole de Paris de psychosomatique, a été considéré comme fondateur de la psychopathologie du bébé.
Aux côtés de Léon Kreisler, parmi les premiers thérapeutes d’enfants à l’IPSO, on peut citer Rosine Debray, Lisa Résaré, Jacqueline Loriod, Colette Zimmeray, Diane Lebeuf, auxquelles se sont joints par la suite Gérard Szwec et Diran Donabédian.
Des psychothérapies conjointes ont commencé à être pratiquées par R. Debray et D. Lebeuf, puis par Gérard Szwec. Rosine Debray a proposé un modèle à propos duquel s’est engagé un long dialogue entre elle et Gérard Szwec dans un séminaire contradictoire, mais très fertile en discussions sur le maniement de ces cures et le travail du psychanalyste dans un dispositif souvent bousculé. La notion de cure « conjointe », impliquant que la dyade mère-enfant – ou la triade, avec le père – était en thérapie, était consensuelle et spécifique du mode de travail de l’IPSO. Parmi les points les plus discutés, et qui ont pu conduire à deux conceptions un peu différentes, le fait de recevoir ou non « qui se lève dans la salle d’attente », le maniement du transfert des différents protagonistes, la question d’accorder ou non des gratifications narcissiques, et la façon d’envisager la « neutralité bienveillante » de l’analyste.
L’IPSO reçoit des bébés, des enfants, des adolescents jusqu’à dix-huit ans. Les indications de traitement concernent spécifiquement l’existence de désordres somatiques – qu’ils soient organiques ou fonctionnels – dont l’origine et l’évolution reconnaissent une participation psychologique prévalente. Les traitements proposés sont psychothérapiques, d’inspiration psychanalytique, et viennent en complément d’éventuels traitements médicaux.
La psychothérapie conjointe s’adresse à de très jeunes patients qui ont un trouble somatique, dont les plus fréquents sont l’insomnie, l’anorexie, l’encoprésie, mais aussi des maladies cutanées (eczéma, pelade),ou respiratoires (asthme). Parfois, il s’agit de maladies plus graves.
Les premières séances sont consacrées à l’établissement du cadre de façon claire. Dans ces psychothérapies de la dyade ou de la triade, tous les protagonistes sont en thérapie et sont invités à y participer activement. Il est attendu de l’enfant qu’il joue et s’exprime de différentes façons, tout comme dans d’autres modèles de thérapies psychanalytiques avec des petits patients aussi jeunes. Il est proposé à la mère, et éventuellement au père, de participer au traitement, selon le principe de l’association libre, ce qui est une différence importante avec d’autres modèles. Les séances ont un horaire et une durée fixes, et si les psychosomaticiens ont pour principe de recevoir les membres de la famille qui se présentent, il existe des situations qui nécessitent des restrictions à cette souplesse, par exemple dans les cas de couples divorcés ou en conflit, ou lorsque la mère ne se présente jamais aux séances, ou dans d’autres situations difficiles comme lorsqu’un nouveau bébé est amené systématiquement aux séances de son aîné.
Dans ce dispositif particulier, le psychanalyste est amené à s’intéresser tout à la fois à l’enfant et à ses parents, aux interactions entre eux, et de chacun d’eux avec lui. Il joue et parle avec l’enfant, invite éventuellement les parents à participer aux jeux, les écoute. Il manie les deux (ou parfois trois) relations en même temps et effectue une sorte de va-et-vient entre les différents protagonistes, ce qui peut entraîner des mouvements de désinvestissement ponctuels de l’un ou de l’autre, mouvements faisant écho à la problématique oedipienne de chacun.
Certains enfants ou parents montrent parfois une difficulté à supporter la triangulation, tout particulièrement dans la relation d’objet allergique. Les limites de ce dispositif concernent pour l’essentiel les effets du transfert de chacun sur la personne du psychanalyste. Il peut exister une sorte de compétition transférentielle, comme Rosine Debray l’avait reconnu, mais pour Gérard Szwec, il s’agit de prendre aussi en compte les conflits et imagos parentales des parents qui s’expriment dans le transfert, et dans le même temps, les thèmes de la sexualité infantile et les fantasmes originaires déployés par l’enfant. Pour lui, l’un des problèmes qui se posent à l’analyste est celui d’un dispositif qui confronte facilement à la question de la séduction de l’enfant par l’adulte (la “confusion des langues” dont parle Ferenczi). Lorsque, par exemple, les conflits psychiques d’un parent émergent brutalement dans un rêve transférentiel et que l’analyste se trouve dans une situation où, s’il interprétait les désirs sexuels (adultes) inconscients du parent devant son enfant, il risquerait d’alimenter une « confusion de langues » chez cet enfant qui n’a pas encore la maturité psychique. Dans ce cas, il peut s’avérer nécessaire de proposer à l’adulte de le recevoir ponctuellement seul, une situation pour l’enfant qui ne manquera pas de réactiver chez lui les fantasmes de scène primitive.
De même, il n’est pas souhaitable de traduire devant le ou les parents, les manifestations de la sexualité infantile de l’enfant ou ses désirs inconscients lorsqu’ils se font jour. Lorsque cette difficulté devient évidente, le temps est peut-être venu d’envisager pour l’enfant de passer de la thérapie conjointe à une psychothérapie individuelle.
Comme on le voit, toute la difficulté est d’intervenir avec mesure, et l’essentiel pour le thérapeute est de continuer à penser en analyste au sein de ce cadre toujours mouvant où les passages à l’acte ne sont pas rares.
Voici une vignette clinique personnelle :
D. souffre d’eczéma et des difficultés de comportement sont signalées par les enseignants. Il vient consulter à l’IPSO en compagnie de sa mère, qui se plaint également de l’agitation de son fils, tant en classe qu’à la maison, et tout particulièrement avec elle, alors qu’il est plus calme avec son père. La mère de D. évoque les premières années de D. qui a toujours dormi avec elle jusqu’à la naissance d’une petite sœur, alors que celui-ci était âgé d’un an. Le début de la deuxième grossesse de Madame correspond à une période dans laquelle D. manifestait d’importantes somatisations à type d’eczéma et aussi de convulsions. Au moment où la mère de D. parle de l’eczéma de son fils, elle fait le lien avec l’eczéma dont elle a souffert elle-même à l’âge de 13 ans. Elle se surprend alors à parler des abus sexuels dont elle a été la victime de la part de son propre père. Ce mouvement n’a de cesse de l’étonner, elle qui ne parle jamais de cet événement, qui constitue toujours pour elle un fardeau très lourd à porter.
Le thérapeute décide de la recevoir seule à l’entretien suivant, afin de reprendre avec elle, et en dehors de la présence de l’enfant, ce mouvement effractant, lequel constituera un matériel omniprésent dans les séances du début de la thérapie conjointe.
Elle n’avait pas pu en parler au consultant, et c’est seulement la thérapie demandée pour son enfant qui lui a permis de l’aborder. Thérapie demandée en mettant en avant l’eczéma de son enfant, un lien associatif reliant ensuite celui-ci à son propre eczéma et, via celui-ci, à l’inceste qu’elle a vécu.
On voit bien là combien il est important d’accueillir un conflit psychique ayant une valeur traumatique pour le parent et pouvant constituer la révélation d’un secret pour l’enfant, secret qui, dans un autre cadre pourrait déborder le psychisme de l’enfant et rejouer la situation de séduction de l’enfant par l’adulte. La question de la liquidation du transfert est un élément important de ce dispositif. Certains signaux émis par l’enfant, comme je l’ai déjà évoqué, peuvent faire songer à proposer la fin de la thérapie conjointe. Si une thérapie individuelle est envisagée pour l’enfant, pour sa mère ou pour les deux, il peut être judicieux de que ce soit avec un ou deux autres thérapeutes.
Pour conclure, le dispositif de la psychothérapie conjointe – qui se distingue de la cure classique de l’enfant dans laquelle le transfert des parents sur l’analyste n’est en général pas interprété – permet qu’un travail psychique et qu’une élaboration des conflits psychiques de différents protagonistes puisse advenir et prendre sens à un moment où il n’est pas encore possible pour eux de supporter un espace différencié.
Flore Canavese, psychanalyste SPP et membre de l’IPSO.