Olivier Halimi est psychanalyste – Membre de la SPP.
Cet entretien a été réalisé en collaboration avec Cécile Rovire, psychologue.
Michel Ody est psychanalyste, membre titulaire formateur honoraire de la Société Psychanalytique de Paris (SPP).
À l’heure de la multiplication des méthodes thérapeutiques en tous genres et des techniques d’entretiens, Michel Ody a publié un livre issu de sa pratique de psychiatre psychanalyste auprès d’enfants. Ce livre, riche en cas cliniques et soutenu par une grande rigueur théorique a donné envie à Olivier Halimi de rencontrer Michel Ody pour en parler avec lui.
Olivier Halimi : Michel Ody, vous êtes psychiatre et psychanalyste, membre titulaire formateur honoraire de la Société Psychanalytique de Paris. Vous avez publié en 2013, Le psychanalyste et l’enfant : De la consultation à la cure psychanalytique.
Dans ce livre, vous traitez de ce moment central de rencontre avec l’enfant, qu’est la consultation, sous un angle théorique et pratique. Les références à la psychanalyse et à Freud sont très présentes dans votre écriture. Pouvez-vous indiquer en quoi la méthode analytique vous paraît unique et comment elle traverse la consultation jusqu’à la cure ?
Michel Ody : Tout d’abord, il faut rappeler qu’il existe de nombreuses méthodes de psychothérapies. La psychanalyse est bâtie pour ce qui la concerne, sur des bases tout à fait spécifiques : l’existence et l’activité de l’infantile, de l’inconscient, du transfert et du cadre dans lequel on travaille. Ces caractéristiques sont présentes et actives dans toutes les situations de la rencontre « psy », qu’il s’agisse de la consultation, du travail interdisciplinaire, des thérapies à médiation jusqu’à l’analyse à proprement parler avec plusieurs séances hebdomadaires. Le travail analytique se situe dans un éventail qui va de la consultation à l’analyse proprement dite. C’est sa modalité qui va changer, selon le contexte, puisque la méthode ne va pas avoir les mêmes types d’expression.
O. H. : En partant de votre expérience, vous développez dans cet ouvrage la notion d’associativité. Pourriez-vous nous en donner votre définition ?
M. O. : L’associativité, concerne tout ce qui se passe comme enchainements du début jusqu’à la fin d’une séance. Tout compte : du verbal, jusqu’au somatique en passant par les diverses expressions motrices, et même le silence. L’ensemble peut paraitre très hétérogène. A l’intérieur de ces mouvements, on retrouve des émergences plus proches de l’association libre. On s’intéresse alors à la fluidité de l’associativité et à son potentiel de représentance.
O. H. : Il m’a semblé comprendre que la qualité de l’associativité vous permettait d’orienter aussi le rythme du travail avec les parents et avec l’enfant. Par exemple, si vous avez en consultation un enfant, une famille, qui montrent une certaine fluidité dans l’associativité, est-ce que ça peut orienter vers un type de suivi pour l’enfant ?
M. O. : C’est très exactement la question de l’indication et ma réponse est oui. Lorsque l’on est face à des situations dans lesquelles l’expression spontanée va être rapidement arrêtée, déviée, rompue, pour passer à un autre registre – par exemple, un enfant qui dessine mais qui face à ce qu’il dessine, va être pris par une excitation telle qu’il se met à gribouiller ou à déchirer son dessin – et bien l’on ne va pas se précipiter vers une indication de psychothérapie. On essaiera d’abord d’être attentif au moment où ces changements de registres émergent dans la consultation. Par ailleurs, c’est souvent au cours de la consultation suivante que l’on pourra mesurer l’effet de la consultation précédente. On pourra alors se demander si quelque chose de plus mentalisé ou verbalisé émerge de l’enfant. Si l’enfant est assez répétitif dans ses difficultés, on peut dans un premier temps travailler avec les parents. On peut par exemple leur dire : « lorsque je suis avec votre fils/fille et que je lui propose de dessiner, il a du mal à pouvoir poursuivre les choses, sans être pris par des mouvements qui le font s’agiter, s’arrêter. Est-ce que c’est quelque chose auquel vous êtes confrontés à la maison ? ». C’est intéressant d’écouter leur réponse et de voir si notre remarque fait écho en eux. En effet, ils peuvent avoir leurs propres associations et ils peuvent même se référer à leur propre histoire.
O. H. : En vous écoutant, on se figure facilement le type d’alliance que vous nouez avec les parents. Est-ce que votre conception de la consultation a quelque chose à voir avec les positions d’Anna Freud ?
M. O. : Pas tout à fait. On peut évidemment s’en inspirer sans pour autant risquer d’être trop proche du moi, et mieux suivre la dynamique pulsionnelle de l’enfant et de la famille. On s’écarte aussi de la notion d’alliance thérapeutique qui risque parfois d’être porteuse d’un coefficient de suggestion et de séduction.
O. H. : À travers cet ouvrage, on voit combien votre travail s’enracine dans votre pratique et dans vos conceptions théoriques. Pour vous, la consultation, c’est plus une rencontre avec un psychanalyste, ou une consultation thérapeutique au sens de Winnicott ?
M. O. : Ce n’est pas contradictoire. Je pense que la première consultation n’est pas thérapeutique en soi. C’est surtout la deuxième consultation – cet après-coup possible – qui permet d’apprécier si la première a eu un effet thérapeutique. Pour ce qui est de Winnicott, je me suis bien sûr intéressé à son livre La consultation thérapeutique et l’enfant. Comme il pouvait le dire : « un bébé seul, ça n’existe pas ». Il insistait donc beaucoup sur l’environnement. Donc, bien entendu, tout le travail de la consultation avec l’enfant et ses parents à quelque chose à voir avec ce que nous a appris Winnicott.
O. H. : Oui, et vous vous appuyez beaucoup sur la notion centrale de l’après-coup ?
M. O. : Tout à fait. Si l’on veut parler en langage lacanien, ce qui aura pu être signifiant dans la première consultation pourra ré-émerger de manière identique, ou analogique, lors de la deuxième consultation. C’est en appréciant de possibles transformations que l’on pourra constater qu’un travail psychique propre à l’enfant s’est effectué. Certaines illustrations cliniques du livre en témoignent.
O. H. : A ce titre, que pouvez-vous dire de la tonalité interprétative dans la consultation ?
M. O. : L’interprétation se fait de manière différente à l’intérieur même de la consultation. Celle-ci se déroule en plusieurs séquences. On reçoit d’abord l’enfant avec ses parents, puis l’enfant seul et, on revoit les parents et l’enfant. Ainsi, selon le moment, les interventions du consultant ne sont pas identiques. L’interprétation dans le cadre d’une consultation est d’ailleurs différente de l’interprétation dans une séance d’analyse car la dynamique de la cure influence les processus régressifs chez l’enfant. Dans la consultation, qui se déroule de manière plus espacée, il peut y avoir des mouvements régressifs ponctuels que l’on n’a pas toujours la possibilité d’interpréter. En outre, dans les moments où enfant et parent(s) sont ensemble, il peut y avoir des opportunités d’interventions à partir des mouvements portant sur les « interactions » entre eux.
O. H. : Vous concevez la consultation en 3 temps : un premier temps avec l’enfant et ses parents, un deuxième temps avec l’enfant seul, et un troisième temps, où vous revoyez l’enfant avec ses parents. C’est souvent comme cela que vous procédez ?
M. O. : Oui, surtout en libéral. Mais, par exemple, à Binet, les trois temps n’étaient pas exactement les mêmes. En effet, c’était une assistante sociale – assez rompue à ce type de travail – qui faisait le premier entretien avec les parents seuls. A un autre moment, je voyais l’enfant, d’abord seul, puis avec ses parents.
O. H. : En institution, procédez-vous aussi de cette façon si l’enfant est suivi par un thérapeute ou un rééducateur ?
M. O. : Oui bien sûr. Dans le cadre d’une rééducation, le rééducateur ou la rééducatrice me parle d’abord de comment se passe le travail avec l’enfant. Je reçois ensuite les parents et je leur demande leur avis puis, je vois l’enfant seul. Enfin, je revois les parents et l’enfant ensemble.
O. H. : Votre ouvrage est très riche d’expérience et de conceptions théoriques. Dans sa dernière partie, vous revenez sur la notion d’attracteur œdipien. Il me semble que c’est le référentiel de votre façon d’écouter et de travailler.
M. O. : Oui, vous avez raison. Ce qui me vient à l’esprit est une anecdote : A. Green avait organisé un colloque en 1989 à l’UNESCO. Une des tables rondes avait pour intitulé : « Fondement de la théorie ». Je me suis alors intéressé à l’Œdipe et pas seulement au complexe d’Œdipe. En effet, la question de la triangulation est tellement majeure qu’il me semblait important de redéfinir les racines du complexe d’Œdipe, comme l’ensemble de sa contextualisation. Parallèlement, je me suis aussi intéressé à la chaologie, et son concept d’attracteur. Ceci parce que ce concept pouvait se traduire, pour des ensembles complexes divers, d’allure chaotique, par des traductions géométriques surprenantes (comme l’attracteur étrange de E. Lorenz, en météorologie, par exemple). Cela est resté pour moi une métaphore, un concept « migrateur », en quelque sorte.
En paraphrasant Freud à propos des quatre tendances du complexe d’Œdipe, j’ai donc élargi le champ œdipien en parlant, cette fois, des quatre tendances de l’Œdipe attracteur :
1) La première tendance est la triangulation primaire (dès qu’il y a une séparation psychique entre le tout-petit et les « autres »).
2) La deuxième tendance est le complexe d’Œdipe et ses quatre tendances propres (deux directes, deux inversées – ou négatives).
3) La troisième renvoie aux inter-investissements œdipiens entre l’enfant et son environnement, à commencer par ses parents.
4) La quatrième est celle qui structure les règles collectives ou plus généralement la culture, comme ce qui renvoie à l’ordre symbolique.
O. H. : La notion d’Œdipe comme attracteur pourrait-elle nous permettre, en tant qu’analyste, d’accueillir et de comprendre les questions émergeant des enfants issus des nouvelles formes de parenté (parents homosexuels, PMA, GPA…) ?
M. O. : Cette question risque de se heurter au registre des opinions, plutôt que de se rapprocher de quelque chose de plus analytique. Je la prendrais plutôt sous cet angle : Comment s’exprime la triangulation, au niveau du fonctionnement mental, dans une telle situation ? Car, comme nous l’avons dit, la triangulation est toujours quelque part, fût-elle négativée.
Prenons l’exemple d’un couple de femmes avec un enfant. De nombreuses questions peuvent émerger : Qui est le père ? Où est-il ? Est-il réduit à un spermatozoïde qui a été transmis en PMA ? Et, dans le cas d’un couple d’hommes : Qui est la mère ? Où et comment s’incarne le matériel ? On s’aperçoit que ce n’est pas seulement le sexe réel des parents qui compte mais plutôt la façon dont les fonctions paternelles et maternelles peuvent exister. La vraie question est : que fait l’enfant dans cette situation ? Il s’agit de revenir à ce qui se passe pour une personne, à ce qui lui est singulier, à ce qui est monographique. L’analyse et le travail analytique, c’est ça.
O. H. : Une dernière question, quels conseils pourriez-vous donner aux jeunes praticiens psychiatres et psychologues qui souhaitent s’engager dans un travail de consultation avec l’enfant ?
M. O. : Vaste question … Qu’ils fassent une analyse ?