Elsa Schmid-Kitsikis est psychanalyste, membre titulaire formateur de la Société Psychanalytique de Paris et de la Société Psychanalytique Suisse, professeur émérite de l’Université de Genève. Parmi les nombreux ouvrages qu’elle a publiés, l’un consacré au psychanalyste W.R. Bion fait largement référence.
Dans ce nouveau livre, elle poursuit un double objectif : fournir des hypothèses de compréhension de la personnalité de Donald Trump et partir de ses propos pour illustrer la pensée primaire.
Pour ce faire, l’auteur s’appuie sur des écrits autobiographiques de l’ancien président des Etats Unis. Elle cite aussi des extraits d’articles de journaux et fait une place non négligeable au livre témoignage de la nièce de Donald Trump, Mary Trump, paru en 2020, Trop et jamais assez, comment ma famille a fabriqué l’homme le plus dangereux du monde.
Qu’on ne s’y méprenne pas : le livre n’a pas de vocation politique ou historique. Il s’inscrit dans une approche analytique dont l’accessibilité ne cède en rien à la qualité scientifique de la démarche. Le travail est précis et documenté, tout en restant fluide et abordable.
Comme l’indique le sous-titre, ce livre est écrit par une psychanalyste et pourrait-on ajouter, une psychanalyste en position d’analyste. En effet, pour écrire, l’auteur ne se départit ni de son éthique, ni de son écoute analytique. Elle souligne d’emblée les réserves inhérentes à la démarche entreprise en précisant « qu’il est difficile d’explorer les couches inconscientes infantiles de son monde interne (celui de D. Trump) dans la mesure où la méthode utilisée (…) ne donne pas accès à des associations libres ou à des récits de rêves » (p. 43). Elle étaye sa compréhension de Donald Trump sur des citations pertinentes de Freud, Bion, Meltzer ou encore de Green. Elle confie dès son avant-propos puis ça et là, ce qu’elle comprend de ses propres éprouvés lors de ce travail d’écriture.
En tant qu’analyste, Elsa Schmid-Kitsikis établit des liens entre les productions de Donald Trump (écrits, interviews), ses comportements, ses goûts et son fonctionnement psychique. Elle avance avec finesse pour donner au lecteur la possibilité d’entrevoir chez Donald Trump, l’enfant dans l’adulte, le passé dans l’actuel. Elle met en lumière l’influence des parents de Donald Trump sur le fonctionnement de la famille et de la fratrie. Ainsi apprend-on que le père de Donald Trump a nettement différencié l’éducation de ses garçons de celle de ses filles. Plusieurs sources, dont le livre de Mary, permettent à l’auteur de « comprendre l’effet profondément traumatique d’un père psychiquement maltraitant, dur et exigeant, acceptant difficilement les désirs et les choix de ses enfants » (p. 70).
Elsa Schmid-Kitsikis met aussi en avant l’influence des évangélistes sur la construction de l’identité de Donald Trump et plus précisément celle du révérend Norman Vincent Peale. Selon elle, « Trump, avec les tourments et les dépressions de la jeunesse, accompagné de la dévotion de son père pour le pasteur, a idéalisé à son tour Vincent Peale » (p.47). Et d’ajouter que Peale convertit Trump au pouvoir de la pensée positive, celle qui fait « qu’il est préférable de transformer chaque situation en une « victoire » même lorsque la réalité démontre le contraire » (p.47). L’auteur démontre ainsi l’influence de ces évènements sur le fonctionnement psychique de Donald Trump et en particulier sur son rapport au pouvoir, à l’argent et au monde des affaires.
Elle satisfait aussi notre compréhension de façon inattendue en éclairant d’une pertinence toute analytique l’intérêt de Donald Trump pour les tweets ou encore pour ses cheveux. Elle relie ces intérêts avec l’histoire familiale et les identifications de Donald Trump.
A partir de ce que Donald Trump qualifie lui-même de « vérité exagérée » dans son livre l’art de la négociation, l’auteur nous invite à mieux comprendre ce que penser veut dire. Elle rappelle avec pédagogie le point de vue freudien sur la pensée et définit ce que représente la pensée primaire, faite de slogans, de contre-vérités et de mensonges. Aussi donne-t-elle à entendre les distinctions qui existent du point de vue analytique entre d’une part, le mensonge et la vérité et d’autre part, le mensonge et le faux. Elle démontre avec clarté comment derrière la pensée « positive » de Donald Trump se profile la crainte d’être un loser qui représente un véritable risque d’effondrement.
L’auteur étaye ses hypothèses sur les concepts analytiques contemporains que sont le travail du « négatif » ou encore l’effacement ou blanchiment psychique « qui domine à la place du refoulement » (p.85). Elle revient avec pertinence sur les mensonges multiples de l’ancien président des Etats Unis en les reliant à son histoire, a way of life, selon les propos de sa nièce Mary.
Au total, on a plaisir à rencontrer dans ce livre une analyste dont le travail illustre à notre avis ce que peut-être la pensée psychanalytique, celle qui s’appuie sur l’expérience clinique, les références théoriques et sur l’analyse de ses propres éprouvés. On découvre avec intérêt et parfois avec effroi, l’analyse fine et documentée de l’auteur à propos de l’ex-président des USA et on entrevoit avec curiosité une synthèse de ses réflexions sur la pensée, les affects et leurs origines.
Olivier Halimi, psychanalyste membre de la SPP.
Eloge de la pensée primaire – Une psychanalyste à la rencontre de Donald Trump
Elsa Schmid-Kitsikis
Editions : l’Harmattan