Entretien avec Jean-Louis Baldacci, autour de son livre L’analyse avec fin

L’é­quipe des Enfants de la Psy­cha­na­lyse a ren­con­tré Jean-Louis Bal­dac­ci à l’oc­ca­sion de la sor­tie de son livre « L’a­na­lyse avec fin ». Il nous a livré dans cet entre­tien son sen­ti­ment sur cer­tains sujets qui l’oc­cupent, notam­ment la ques­tion de la fin de l’a­na­lyse bien sûr, un éclai­rage sur sa concep­tion de l’a­na­lyse, de la pra­tique ana­ly­tique, mais aus­si sur la ques­tion de la trans­mis­sion, des réfé­rences cultu­relles et de l’a­ve­nir de la psy­cha­na­lyse.

Les Enfants de la Psy­cha­na­lyse : Le titre de votre ouvrage, « L’a­na­lyse avec fin » ren­voie au titre du texte de Freud de 1937  » Ana­lyse avec fin, ana­lyse sans fin » dans sa tra­duc­tion ini­tiale, deve­nue aujourd’­hui  » L’a­na­lyse finie et l’a­na­lyse infi­nie ». Texte consi­dé­ré comme pes­si­miste et por­tant sur les limites de l’a­na­lyse où Freud écri­vait néan­moins : » Je n’ai pas l’in­ten­tion d’af­fir­mer que l’a­na­lyse est fon­da­men­ta­le­ment un tra­vail sans conclu­sion. Quelle que soit la posi­tion théo­rique qu’on adopte quant à cette ques­tion la ter­mi­nai­son d’une ana­lyse est d’a­près moi une affaire de pra­tique « .
En inti­tu­lant votre livre « L’a­na­lyse avec fin » vous sem­blez poser comme une affir­ma­tion la pre­mière des deux motions et il y est beau­coup ques­tion de tech­nique ana­ly­tique, de pra­tique, et de fin aus­si. A ce pro­pos la fin de votre livre nous a ren­voyé à la lec­ture de la fin du livre de Tho­mas Mann  » La mon­tagne magique ». Quelque chose est fini, mais on ne sait pas vers où cela va… La ques­tion que l’on pour­rait vous poser pour commencer…serait com­ment pen­sez-vous la fin de l’a­na­lyse ?

Jean-Louis Bal­dac­ci :  C’est une concep­tion pro­ces­suelle de la fin, lorsque le patient prend conscience que le pro­ces­sus d’appropriation sub­jec­tive que la cure a enga­gé n’a pas de fin ; lorsqu’il ren­contre le sen­ti­ment que sa psy­cha­na­lyse pour­rait être infi­nie
C’est cette prise de conscience, qui va enga­ger la pro­blé­ma­tique du terme de la cure et de la sépa­ra­tion néces­saire d’avec la per­sonne de l’a­na­lyste. Pour le dire autre­ment, lorsque le patient prend conscience que l’appropriation de cer­tains élé­ments de son pas­sé, de son his­toire, et de sa vie pul­sion­nelle, per­mettent seule­ment de faire une place à l’autre et au plai­sir de la recherche de sens.

« lorsque le patient ren­contre le sen­ti­ment que sa psy­cha­na­lyse pour­rait être infi­nie »


 La réfé­rence à « La mon­tagne magique », je n’y avais pas pen­sé mais il y a en effet cette idée que la par­tie est ter­mi­née même si on ne sait pas ce qu’il y aura après, ce que l’ex­té­rieur pré­sen­te­ra, ce qui advien­dra… La fin est en cela para­doxale, comme le début de la cure, elle ouvre sur une « fina­li­té sans fin », pour reprendre une for­mu­la­tion que Jacques André avait uti­li­sée dans son com­men­taire de mon rap­port de 2005, à pro­pos de la subli­ma­tion. La fin rejoint le début et son pro­jet d’où l’ambiguïté du titre.
Le psy­chiatre Hen­ri Ey disait : « Faites une ana­lyse, mais sor­tez-en ! ». Il y a un renon­ce­ment néces­saire à tout pou­voir ana­ly­ser avec des mots. Freud, dans « Ana­lyse avec fin, ana­lyse sans fin » parle de ce moment de la fin de l’analyse où le patient et l’analyste ne se voient plus. Aucune inter­pré­ta­tion déci­sive ne per­met­tra de faire l’économie de cet acte. Il y a un moment où cela s’arrête. La fin concrète, se mani­feste comme le début, par un acte. Et un acte n’a pas for­cé­ment de sens. Il y a même alors renon­ce­ment au sens.
Quand on touche à ce renon­ce­ment-là, c’est la fin, d’où l’idée para­doxale d’infini. Jean Luc Don­net dans « le Divan bien tem­pé­ré » pose la ques­tion de savoir ce que serait un deuil ache­vé. Même sou­te­nu par le sou­ve­nir, un deuil peut-il s’achever ? Fin de la cure et deuil sont des pro­blé­ma­tiques qui se rejoignent.

EDP : L’analyse per­met­trait donc d’ouvrir sur quelque chose d’infini, et vous don­nez dans votre livre, dans le pas­sage consa­cré au « consen­te­ment éclai­ré » l’image d’un pas­sage de clé, qui nous semble très par­lante.

JLB : La ques­tion de l’appartement et des clés fait réfé­rence à un tra­vail que nous avons fait au Centre Jean Favreau : nous étions par­tis d’une sur­prise, celle de consta­ter que les patients  dans le cours de leur tra­vail ana­ly­tique, rêvaient sou­vent  d’appartement. L’argument de fré­quence m’avait même fait consi­dé­rer ces rêves comme des rêves typiques. Au début, nous pen­sions qu’ils venaient signa­ler la mise en place du pro­ces­sus ana­ly­tique. Mais en exa­mi­nant dif­fé­rentes situa­tions cli­niques, nous nous sommes ren­dus compte qu’ils se mani­fes­taient  la plu­part du temps vers la fin de l’a­na­lyse.

« Les rêves d’ap­par­te­ment comme des rêves typiques… »

 

Ces rêves pou­vaient mélan­ger des appar­te­ments de l’enfance, des lieux his­to­ri­que­ment déter­mi­nés, ou plus actuels comme le cabi­net de l’analyste, des espaces pure­ment ima­gi­naires, par­fois fan­tas­tiques pui­sant dans la lit­té­ra­ture, les films, les objets cultu­rels. Mais à chaque fois, le rêve décou­vrait dans un envi­ron­ne­ment connu des pièces nou­velles jusqu’alors cachées. Bien sûr, il y avait les pièces fami­lières avec la cui­sine, la salle à man­ger, la salle de bain, les WC, la chambre à cou­cher ain­si que les portes qui les séparent, mais il y avait aus­si des pièces incon­nues, comme si tout à coup l’appartement était beau­coup plus grand que ce qui avait été jusqu’alors ima­gi­né. Les patients consta­taient avec plai­sir et inquié­tude que si cet espace leur appar­te­nait, il leur en res­tait une par­tie à décou­vrir. Le rêve d’appartement nous est appa­ru comme la repré­sen­ta­tion du pro­ces­sus d’appropriation sub­jec­tive spé­ci­fique de l’analyse. Et pour reprendre la ques­tion de la fin et de l’infini : c’est dans l’espace pri­vé, per­son­nel, fami­lier de la mai­son ou de l’appartement, que se découvrent des espaces incon­nus, avec une curio­si­té qui ren­voie à la curio­si­té sexuelle infan­tile, à l’exploration du corps de l’enfance mais aus­si à une subli­ma­tion post-œdi­pienne et au plai­sir de la recherche. Le patient (re)devient pro­prié­taire de son espace psy­chique et l’analyste peut lui en rendre les clés.

EDP : La notion de para­doxe semble très pré­sente dans votre ouvrage, faites-vous réfé­rence à cet égard à Win­ni­cott ?

JLB : La pen­sée dans son essence même est para­doxale puis­qu’elle cherche à réduire l’é­cart entre le sujet et l’ob­jet, et en même temps si elle y par­vient, elle n’est plus néces­saire et dis­pa­raît.

« La pen­sée dans son essence même est para­doxale »

 

La réfé­rence à Win­ni­cott est très impor­tante, en par­ti­cu­lier à pro­pos du renon­ce­ment et du détour qui ouvrent sur l’espace inter­mé­diaire et le trans­fert sur la parole. Mais je m’éloigne de lui car ce qui per­met au patient d’accéder à la tran­si­tion­na­li­té est lié à la ques­tion des condi­tions de la tolé­rance du para­doxe. Or pour moi, c’est la réfé­rence à un sur­moi post œdi­pien qui aide le sujet à s’approprier sa sexua­li­té infan­tile et sa vie pul­sion­nelle, et cela avant même qu’il n’ait à sa dis­po­si­tion cette fonc­tion­na­li­té. Selon cette concep­tion, le jeu et l’espace tran­si­tion­nel sont des consé­quences de la tier­céi­té intro­duite par l’objet. Win­ni­cott lui n’a pas besoin de la subli­ma­tion pour trai­ter la dimen­sion para­doxale de la ren­contre avec l’objet et le réel. Alors que j’ai besoin des notions de sexua­li­sa­tion et de désexua­li­sa­tion de la pen­sée au moyen du jeu et de la parole. On pour­rait dire qu’il y a du Win­ni­cott, du Michel Fain (la cen­sure de l’amante), du Lacan et du Green (le trans­fert sur la parole), mais cela reste com­plexe de retrou­ver le mélange qui se pro­duit dans une écri­ture théo­rique tant elle se trouve mêlée à la pra­tique et aux échanges théo­ri­co-cli­niques entre col­lègues. En par­ti­cu­lier avec Jean-Luc Don­net qui nous a per­mis au Centre de com­prendre le par­ti que nous pou­vions tirer de Win­ni­cott et de sa réfé­rence au para­doxe fon­da­teur du psy­chisme.

EDP : Il sem­ble­rait que la notion de para­doxe résonne avec une façon d’intervenir avec le patient qui fasse une place à l’ambiguïté, à la double-face, comme au renon­ce­ment à des inter­pré­ta­tions trop uni­voques.

JLB : Là on en arrive à la ques­tion du « contre », et à la manière dont on peut pen­ser le « contre-trans­fert », c’est-à-dire du côté de l’analyste, comme une résis­tance au trans­fert du patient. Cela ren­voie à la façon de conce­voir le trans­fert comme un phé­no­mène double face qui implique d’un côté le dépla­ce­ment et de l’autre la fixa­tion. Le tra­vail de contre-trans­fert engage à ne pas pri­vi­lé­gier l’une des com­po­santes du trans­fert. Si nous consi­dé­rons par exemple un patient, pen­sons à l’adolescent, qui va pro­je­ter direc­te­ment sur l’analyste des mou­ve­ments agres­sifs ou reje­tants, on ne va pas répondre et inter­pré­ter d’emblée les sources pul­sion­nelles qui sont à l’origine de ces mou­ve­ments et qui impliquent la dimen­sion de fixa­tion du trans­fert. Comme dans cer­tains sports de com­bat, on va uti­li­ser la force de cette pro­jec­tion et essayer de la détour­ner sur autre chose, des élé­ments cultu­rels inves­tis, par exemple des lec­tures ou des films, des élé­ments qui orga­nisent le détour, et rendent dans un second temps l’interprétation pos­sible. Mais le détour n’implique pas de renon­cer à uti­li­ser cette force et cette vio­lence car le but est le retour­ne­ment qui per­met­tra au patient une appro­pria­tion sub­jec­tive, et une sym­bo­li­sa­tion. L’éloignement deve­nu pos­sible, des for­mu­la­tions ambi­guës, sorte d’interprétations double face, ouvrent un jeu pos­sible entre le loin et le proche à l’instar du jeu de la bobine. Le plai­sir pris à ce jeu per­met l’interprétation du trans­fert et l’introjection du mou­ve­ment pul­sion­nel qui le sous-tend.

Cela s’accompagne éco­no­mi­que­ment de mou­ve­ments de sexua­li­sa­tion et de désexua­li­sa­tion de la pen­sée, parce que lorsqu’un patient attaque comme cela, il est dans la toute-puis­sance, dans la pen­sée magique. Les dif­fé­rents moments du  pro­ces­sus inter­pré­ta­tif per­mettent l’introjection pul­sion­nelle et la désexua­li­sa­tion de la pen­sée. Sa resexua­li­sa­tion, même si c’est un modèle un peu idéal, revien­dra la nuit lors du rêve avec la toute puis­sance, la satis­fac­tion hal­lu­ci­na­toire et la mani­pu­la­tion des objets. Le couple sexualisation/désexualisation implique ain­si avec l’alternance jour/nuit un espace psy­chique fonc­tion­nel ce que repré­sente la méta­phore oni­rique de l’appartement dont nous avons par­lé.

EDP : Le pas­sage entre le jour et la nuit, peut faire pen­ser aux contes des 1001 nuits. Où on passe d’une vio­lence brute, infil­trée de trau­ma, pour ouvrir vers une méta­pho­ri­sa­tion. Par exemple le pas­sage du jeune homme qui déca­pite les femmes après avoir consom­mé une nuit avec elles, mais par­vient à dépla­cer par la suite au tra­vers de ses récits, sur la langue, vers une méta­pho­ri­sa­tion.

JLB : Oui, la déca­pi­ta­tion ren­voie bien sûr à la cas­tra­tion mais au-delà, au décol­le­ment d’avec l’objet, qui engage la ques­tion de la détresse et de la mort. L’histoire, le récit, la culture favo­risent  comme nous l’avons vu le détour et le retour sur l’objet. Ils évitent l’acte au pro­fit de la méta­phore et de la curio­si­té qu’elle sti­mule.

EDP : Et la ten­dresse ?

JLB : On peut dis­tin­guer deux aspects de la ten­dresse : la ten­dresse adres­sée à l’objet et l’émotion esthé­tique éprou­vée grâce à l’objet, l’objet qui per­met le retour subli­mé de la jouis­sance. Si l’on reprend l’exemple des 1001 nuits, il y a plai­sir pris à la lecture/écoute du conte mais aus­si plai­sir pris à la créa­tion du conte en train de se faire et de se dire. Ain­si de la patiente qui s’arrête sou­dai­ne­ment sur l’un des sou­ve­nirs qui lui revient en séance et ajoute au-delà de son conte­nu :  « c’est peut-être mon plus beau sou­ve­nir ». Elle offre la dimen­sion esthé­tique du sou­ve­nir qu’elle vient de s’approprier et qui se nour­rit du renon­ce­ment impo­sé par la ten­dresse. Ten­dresse objec­tale et émo­tion esthé­tique plus nar­cis­sique appa­raissent réci­pro­que­ment liées. Elles sont des pro­duits de la subli­ma­tion qui anime la cure. Elles signent la réus­site de l’équilibre entre sexua­li­sa­tion et désexua­li­sa­tion. Elles sont les briques et le ciment de l’organisation du moi.

« Ten­dresse objec­tale et émo­tion esthé­tique signent la réus­site de l’é­qui­libre entre sexua­li­sa­tion et désexua­li­sa­tion »

EDP : A pro­pos de la for­ma­tion, dans le cha­pitre « Deve­nir ana­lyste », vous dési­gnez l’accès à la subli­ma­tion comme un des buts de la cure mais vous ne sem­blez pas consi­dé­rer le deve­nir ana­lyste comme une réelle subli­ma­tion puisque ce serait trop pris dans la rela­tion à l’autre.

JLB : Oui, c’est le 1er texte psy­cha­na­ly­tique que j’ai écrit, je crois que je venais d’être admis à la SPP et on m’avait deman­dé d’écrire sur le deve­nir ana­lyste. J’étais assez gêné parce c’était une expé­rience encore bien proche. De ce fait, tout le début du texte essaie d’exprimer la dif­fi­cul­té à ques­tion­ner un métier que j’avais encore peu pra­ti­qué et je deman­dais ce que pou­vait signi­fier ce besoin de reve­nir au trans­fert, soit à une expé­rience que je  venais de quit­ter. N’était-ce pas sus­pect ?
Mais je n’ai pas dit que la subli­ma­tion n’intervenait pas, l’article s’appelait d’ailleurs « Entre iden­ti­fi­ca­tion et subli­ma­tion ». Ce qui m’im­por­tait c’était de dire que le deve­nir ana­lyste ne pou­vait se réduire à une subli­ma­tion du trans­fert, qu’il y avait aus­si iden­ti­fi­ca­tion à la fonc­tion ana­ly­tique et de ce fait une ouver­ture sur l’autre : les patients et les autres ana­lystes tels qu’ils sont sol­li­ci­tés par les limites théo­riques et pra­tiques de la psy­cha­na­lyse. Je cher­chais à dire qu’identification et subli­ma­tion expri­maient dans leur arti­cu­la­tion, leur écart, la notion d’écart théo­ri­co-pra­tique que le futur ana­lyste  essaie­rait de mettre au tra­vail : soit ce reste inana­ly­sable qui fait qu’en deve­nant ana­lyste on pour­suit l’exploration du trans­fert, quelque chose de l’énigme de la part trans­mise.

EDP : Oui, un des para­doxes de l’analyste aus­si c’est à la fois de s’identifier et de se dési­den­ti­fier.

JLB : Oui, la subli­ma­tion a pour condi­tion la dési­den­ti­fi­ca­tion et la dési­déa­li­sa­tion, et cela rend pos­sible de nou­velles iden­ti­fi­ca­tions :  on va cher­cher autre chose et ça fait une place à l’autre. Son ana­lyse, son ana­lyste, ses super­vi­seurs, ne sont plus les seules réfé­rences.

EDP : Dans l’analyse, il est sou­vent ques­tion d’ascèse or l’analyse ne se situe pas hors du monde et il nous semble que vous aimez beau­coup le ciné­ma, les séries aus­si. Com­ment les inves­tis­se­ments de l’analyste, ses réfé­rences cultu­relles cir­culent-elles dans votre tra­vail d’analyste ?

JLB : Dans la situa­tion ana­ly­tique, je suis tou­jours atten­tif à sou­te­nir le détour éven­tuel par les objets cultu­rels du patient.
Cer­tains patients par exemple parlent du film qu’ils ont vu sur un mode appa­rem­ment infor­ma­tif, mais la plu­part du temps, comme ça vient sur le mode asso­cia­tif, c’est le signe qu’ils ont été tou­chés par quelque chose d’im­por­tant qui, dans le pro­ces­sus ana­ly­tique fait écho à leur his­toire. On pour­rait dire de manière plus large que les objets cultu­rels ont l’intérêt d’éloigner du réel de la situa­tion pri­mi­tive éveillée par le trans­fert et de rap­pro­cher en per­met­tant le par­tage avec d’autres.
Quand un film ou un livre a pu tou­cher le patient et qu’il en parle en séance, il y a deux niveaux, celui de l’œuvre elle-même et celui de l’intimité psy­chique qu’elle révèle. Si le patient a été tou­ché, c’est qu’il y a dans l’œuvre quelque chose de vrai. Ce qui est amu­sant, c’est que le plus sou­vent cela n’a rien à voir avec les effets de mode.

« Comme s’il exis­tait une « épreuve du divan » qui engage l’analyste à aller voir. Cela fait par­tie de l’élaboration du contre-trans­fert dans sa dimen­sion géné­rale. »


EDP : A par­tir de votre concep­tion de la consul­ta­tion psy­cha­na­ly­tique, issue de votre expé­rience au CTTP, vous abor­dez la ques­tion des pre­miers entre­tiens et des indi­ca­tions d’analyse.

Ce terme de consul­ta­tion emprun­té au domaine médi­cal, per­met­trait d’intégrer une dimen­sion d’évaluation et de pré­dic­tion aux 1ères ren­contres d’un patient avec un ana­lyste, qui pour­rait, là encore per­mettre à la psy­cha­na­lyse d’adapter cer­taines de ses inter­ven­tions aux exi­gences de la cli­nique actuelle ; notam­ment de pro­po­ser des inter­ven­tions limi­tées dans le temps, en tout cas en 1ère inten­tion, dans l’optique de pou­voir orien­ter quand cela s’avère pos­sible et néces­saire vers des ana­lyses clas­siques ?

JLB : La notion de consul­ta­tion psy­cha­na­ly­tique se situe à l’in­ter­face de la psy­cha­na­lyse et de la méde­cine, elle per­met aus­si de se démar­quer de la consul­ta­tion thé­ra­peu­tique win­ni­cot­tienne. Elle est psy­cha­na­ly­tique parce qu’elle va per­mettre à un patient de décou­vrir ce que serait un tra­vail psy­cha­na­ly­tique, c’est à dire de ren­con­trer sa parole, et décou­vrir qu’il y a quelque chose dans ce qu’il exprime qui est dif­fé­rent de ce qu’il croit dire ; Il y découvre alors l’intérêt et le plai­sir à tra­vailler sur ce qui lui vient en séance.
Cela peut ouvrir sur un tra­vail psy­cha­na­ly­tique cadré : psy­cha­na­lyse pro­pre­ment dite, face à face, psy­cho­drame, mais pas for­cé­ment immé­dia­te­ment. Des consul­ta­tions espa­cées et de durées limi­tées peuvent aus­si être indi­quées rejoi­gnant le tra­vail de « consul­ta­tion thé­ra­peu­tique ». Il s’agit alors d’indications aux limites de l’a­na­lyse qui ne vise pas la réduc­tion de la durée des cures mais per­mettent de fran­chir une étape exis­ten­tielle dif­fi­cile par exemple au moment de la post- ado­les­cence lorsque ce n’est pas fai­sable d’engager une ana­lyse alors qu’on est encore chez les parents, ou qu’on a un concours à pas­ser.  Il s’agit alors d’un tra­vail qui peut-être ou non une intro­duc­tion à la psy­cha­na­lyse.

 

EDP : Il y a comme un cli­mat d’in­quié­tude qui plane au-des­sus des têtes des ana­lystes. On peut citer la dif­fi­cile place des psy­cha­na­lystes à l’u­ni­ver­si­té ou encore les menaces d’in­ter­dic­tion de prise en charge de l’au­tisme. On peut s’in­ter­ro­ger sur l’a­ve­nir de la Psy­cha­na­lyse dans le contexte actuel, poli­tique social et cultu­rel.

JLB : Quel ave­nir pour la Psy­cha­na­lyse ? La Psy­cha­na­lyse a déjà tra­ver­sé des moments dif­fi­ciles. Cela semble peu pro­bable qu’elle puisse être rayée de la carte, elle renaî­tra. Mais sous quelles formes ? Selon quelle évo­lu­tion dans une période aus­si trou­blée ?
Je pense que son ave­nir doit s’ap­puyer dès main­te­nant sur la qua­li­té des échanges inter-ana­ly­tiques, sur la trans­mis­sion au sein des socié­tés d’analyse et entre les socié­tés d’analyse.
Par exemple la mise en chan­tier d’un Pôle psy­cha­na­ly­tique grâce à l’encadrement favo­rable de l’Agence Régio­nale de San­té est en route. Ce pôle per­met déjà de recou­per les expé­riences de 4 centres de réfé­rence en matière de consul­ta­tions psy­cha­na­ly­tiques, le centre Alfred Binet pour les enfants , le Centre Favreau pour les adultes, le Centre Kes­tem­berg pour les patients psy­chia­triques, l’Institut de psy­cho­so­ma­tique pour les patients atteints de mala­dies psy­cho­so­ma­tiques. Il s’agit dès main­te­nant de faire tra­vailler les simi­li­tudes et les dif­fé­rences théo­ri­co-pra­tiques à pro­pos de la réfé­rence com­mune à cha­cune de ces 4 struc­tures à savoir la notion de consul­ta­tion psy­cha­na­ly­tique et de l’en­ri­chir. Ain­si pour­ra-t-on mieux pré­ci­ser les indi­ca­tions de trai­te­ment et les orien­ta­tions en lien avec le libé­ral mais aus­si avec les autres ins­ti­tu­tions de soins en par­ti­cu­lier les hôpi­taux (ser­vice de méde­cine, de pédia­trie, et bien sûr psy­chia­trique).

« L’a­ve­nir de la psy­cha­na­lyse dépend de la qua­li­té des échanges inter-ana­ly­tiques… mais aus­si de nos rap­ports avec l’ex­tra-ana­ly­tique »

Car l’avenir dépend aus­si de nos rap­ports avec l’extra-analytique, le socius en géné­ral et en par­ti­cu­lier les lieux de trans­mis­sion du savoir, l’é­cole, les ins­ti­tuts, l’université et comme nous l’avons vu, les lieux de trai­te­ments et le réseau sani­taire.
Il est impor­tant que se main­tienne une pré­sence des ana­lystes dans ces lieux. Par exemple en pro­po­sant aux non ana­lystes des consul­ta­tions ouvertes et un ensei­gne­ment, comme on le fait à Ste-Anne. Le public pro­fane est tou­jours sur­pris de voir com­ment en une séance le patient découvre les dif­fé­rents niveaux de sa parole et de sa pen­sée et les effets de la sub­jec­ti­va­tion.
Et c’est pro­ba­ble­ment ces effets de sub­jec­ti­va­tion qui rendent cru­ciale la ques­tion de l’avenir de la psy­cha­na­lyse : cru­ciale pour elle mais pas seule­ment.
Enfin un der­nier point essayer de sor­tir d’une écri­ture trop her­mé­tique, trop repliée sur elle et ses propres réfé­rences. La ques­tion de l’ouverture est essen­tielle. C’est ce que pro­pose d’ailleurs Les enfants de la psy­cha­na­lyse en misant sur la trans­mis­sion.

EDP : Mer­ci de nous avoir accor­dé cet entre­tien qui ouvre à la lec­ture de votre ouvrage et plus lar­ge­ment à votre pen­sée, vivante, contem­po­raine et ins­pi­rante pour les Enfants de la Psy­cha­na­lyse.