« Garder au coeur le désir de l’été » – Evelyne Chauvet, Laurent Danon-Boileau et Jean-Yves Tamet

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Un ouvrage inti­tu­lé « Gar­der au cœur le désir de l’été » avec comme sous-titre Récits de réin­ven­tions de soi vient de paraître aux édi­tions In Press sous la direc­tion de Eve­lyne Chau­vet, Laurent Danon-Boi­leau et Jean-Yves Tamet avec une pré­face de Julia Kris­te­va.

Il recueille de courtes contri­bu­tions écrites par vingt-cinq auteurs1  qui pro­posent sur ce thème des contri­bu­tions variées : celles-ci sont ras­sem­blées en cha­pitres : Le temps esti­val, Ara­besque des signes, Pré­sence du corps, « La chair de la musique » et Pénombre du regard.  Cette répar­ti­tion donne une cou­leur à l’ouvrage qui béné­fi­cie de la langue sen­so­rielle, poé­tique des élans de l’enfance. Elle per­met par ailleurs au lec­teur de se pro­me­ner et de che­mi­ner par asso­cia­tion entre les thèmes, d’introduire une varia­tion dans la décou­verte de cha­cun des écrits.

Les auteurs viennent d’horizons divers : écri­vains ou psy­cha­na­lystes pour nombre d’entre eux, mais aus­si poète, lin­guiste, ensei­gnant, his­to­rien, phi­lo­sophe, psy­chiatre, plas­ti­cien, cinéaste, dan­seuse, art-thé­ra­peute ou luthier avec une majo­ri­té d’auteures.

Cette mul­ti­pli­ci­té pour­rait faire craindre un épar­pille­ment mais la force du thème impose sub­ti­le­ment une direc­tion à l’ensemble de l’ouvrage. L’introduction en effet sou­ligne une des ques­tions ini­tiales qui fut pro­po­sée à cha­cun et qui a orien­té le pro­pos : face aux coups ordi­naires ou extra­or­di­naires de la vie, de quelles ruses dis­po­sons-nous pour res­ter vivants ? La sol­li­ci­ta­tion est large mais le mou­ve­ment est impri­mé d’avance : il s’agit de décrire les aléas d’un che­min où l’invention de soi et le goût de la vie l’ont empor­té sur la perte.

Devant cette énigme, les uns ont par­cou­ru des moments d’enfance, les autres des épi­sodes de leur vie adulte, cha­cun a ten­té de sai­sir dans son inti­mi­té un tête à tête avec un épi­sode plus ou moins dévas­ta­teur par­mi ceux qui par­courent nos vies. Les textes tissent un maillage et apportent qui un témoi­gnage, qui un com­men­taire ou qui un écho. Ils se croisent par­fois autour d’un même évè­ne­ment rava­geur de la vie col­lec­tive : la guerre, la rup­ture, la mala­die, la mort…

C’est par exemple le che­mi­ne­ment de l’idée que se fait un enfant à par­tir de son expé­rience char­gée d’inquiétude liée à une atmo­sphère fami­liale ou à un jeu de bal­lon sin­gu­lier de son père avec lui… C’est aus­si le par­cours d’un pro­pos enten­du à la radio sur la guerre et sur des mani­fes­ta­tions vio­lentes, ou le tra­jet de la pen­sée pour sai­sir loin du désa­mour la dis­pa­ri­tion subite des siens et (ou) la néces­si­té vitale de s’adapter à une immer­sion en milieu étran­ger.
Pour d’autres auteurs, ce sont enfin des évè­ne­ments de la vie adulte, les­quels ne sont jamais sans relan­cer les res­sources et les bles­sures d’enfance avant qu’elles ne se cica­trisent…

Les mys­tères de l’enfance opposent sou­vent à notre com­pré­hen­sion une opa­ci­té com­plexe à dénouer. Leurs pro­lon­ge­ments énig­ma­tiques, voire leur por­tée trau­ma­tique jusque dans la matu­ri­té, se voient ici lar­ge­ment convo­quées sous l’angle inha­bi­tuel des recours et des ouver­tures pos­sibles.

L’enfant nous éton­ne­ra tou­jours pour ses capa­ci­tés à sur­vivre et à trou­ver des expé­dients, face à des situa­tions extrêmes qu’il com­prend à sa manière, bien éloi­gnée de celle des adultes qui l’entourent. Il n’est qu’à se sou­ve­nir pour s’en per­sua­der du film de René Clé­ment « Jeux inter­dits, » lequel met en scène une forme d’incompréhension totale entre adultes et enfants confron­tés aux ravages de la guerre.

Trop sou­vent nous oublions com­bien les cinq sens du petit d’homme sont lar­ge­ment ouverts et ne demandent qu’à lire le monde et à cro­quer dans la vie. Trop sou­vent nous igno­rons com­bien la ren­contre et les mots ont le pou­voir de cica­tri­ser l’excitation et les maux engen­drés par des expé­riences limites.
Et tan­dis que sen­sa­tions et per­cep­tions sur­ex­ci­tées et sur-sol­li­ci­tées vont déclen­cher rêve­ries, jeux et rêves, c’est l’évènement d’une ou plu­sieurs ren­contres, dans la fic­tion ou dans la réa­li­té, dans la vie ou dans les livres, qui ouvre enfin la voie de la pen­sée et de l’apaisement des sens mis en désordre. Par­fois des replon­gées océa­niques auront été néces­saires pour retrou­ver des sen­sa­tions audi­tives, ima­gées, colo­rées, remises en mou­ve­ment, jusqu’à même s’orienter et se struc­tu­rer vers une pas­sion du beau, voire vers une vie pro­fes­sion­nelle.

Il est bien dif­fi­cile de décrire plus avant le plai­sir trou­vé à la lec­ture pour cha­cun des 25 par­cours. Conten­tons-nous de sou­li­gner et de saluer la richesse et le risque pris par les pro­mo­teurs et leurs auteurs pour inven­ter un livre qui convoque pour chaque texte le désir du lec­teur.

Ber­na­dette MADIGNIER FERREROmembre de l’APF

« Gar­der au coeur le désir de l’é­téRécits de réin­ven­tion de soi » sous la direc­tion d’E­ve­lyne Chau­vet, Laurent Danon-Boi­leau et Jean-Yves Tamet.
Pré­face de Julia Kris­te­va, Edi­tion In Press, 2020.

NOTES :
  1. Noms des auteurs : Patrick Autréaux, Gri­go­ris Abat­zo­glou, Armelle Bar­ral, Phi­lippe Boni­lo, Cathe­rine Cha­bert, Eve­lyne Chau­vet, Jean-Louis Chau­vet, Valé­rie du Ché­né, Syl­vie Cognet, Laurent Danon-Boi­leau, Claude Emma­nuel Del­mas, Arlette Farge, Annie Franck, Annie Gut­mann, Anne Jean­nin, Julia Kris­te­va, Marie Claire Lanc­tôt Bélan­ger, Cla­ra Laurent, Anne Mau­pas, Domi­nique Mazéas, Jele­na Rajak, Jean-Noël Roy, Jean-Yves Tamet, Myriam Tonus, Nicole Zorn.