Incertitudes en psychanalyse, sous la direction de Jean Yves Tamet

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Incer­ti­tudes au plu­riel.  Un plu­riel sin­gu­lier carac­té­rise ce recueil, fruit du tis­sage sub­til de vingt-quatre textes. Les auteurs, tous psy­cha­na­lystes de tra­jec­toires de for­ma­tion dif­fé­rentes, font appel à leurs incer­ti­tudes pour en sou­li­gner la nature pro­fon­dé­ment intrin­sèque à l’exercice de la psy­cha­na­lyse, insé­pa­rable de sa pra­tique.  Au lieu d’exprimer une inquié­tude quant au deve­nir sup­po­sé « incer­tain » de la psy­cha­na­lyse, les incer­ti­tudes sont abor­dées « posi­ti­ve­ment », si l’on peut dire. « Rendre à l’incertitude son bien, tel est donc l’enjeu », nous dit Jean-Yves Tamet, le direc­teur de l’ouvrage, dans son intro­duc­tion.

Abor­der la psy­cha­na­lyse aujourd’hui sous cet angle sin­gu­lier peut paraître un exer­cice périlleux, au moment où, tou­chés de plein fouet par les vagues épi­dé­miques, les psy­cha­na­lystes ont eu recours à des amé­na­ge­ments com­pli­qués sus­cep­tibles de mettre à mal leur cadre de tra­vail habi­tuel. Cer­tains des auteurs du recueil témoignent d’ailleurs de cet impact du réel au sein même de la cure.  Le sujet est donc actuel.

Mais, par­ler d’incertitudes en psy­cha­na­lyse pour­rait aus­si prê­ter main forte aux argu­ments de ses détrac­teurs qui, depuis ses débuts, et davan­tage aujourd’hui avec l’élargissement du champ thé­ra­peu­tique à des théo­ries et des pra­tiques défi­nies ou comme plus « scien­ti­fiques » ou éso­té­riques, s’en ser­vi­raient comme preuve de son « inef­fi­ca­ci­té ». Or, les auteurs font de l’incertitude en psy­cha­na­lyse un point d’ancrage indis­cu­table, une base de tra­vail, rééva­luant son côté non éva­luable, non quan­ti­fiable, comme seule ouver­ture pos­sible vers les for­ma­tions de l’inconscient.

La construc­tion de l’œuvre suit un fil à pre­mière vue aus­si insai­sis­sable que l’objet dont elle traite. Elle est conçue en deux par­ties. Dans la pre­mière, on explore les « confins », les marges, les limites, les écarts, les impré­vus du réel, face aux­quels les auteurs, comme dans une ronde, tour à tour, se passent le mot, ou la main ; des petits « cha­peaux » intro­duc­tifs, sou­vent ins­pi­rés de la lit­té­ra­ture, accom­pa­gnés de quelques lignes sou­lignent les « trem­ble­ments », les « écarts », ain­si que l’étrangeté à laquelle sont tou­jours confron­tés ceux qui s’aventurent dans le champ ana­ly­tique.

La deuxième par­tie, « en séance », quitte les marges pour aller au plus près de l’expérience de la cure, au cœur de la séance, à l’intérieur du cabi­net de l’analyste, à côté du divan ; il s’agit alors d’une plon­gée dans le vif, à la recherche « des moments de véri­té » pro­duits dans le cours du pro­ces­sus grâce aux effets de répé­ti­tion, de régres­sion et de per­la­bo­ra­tion.

Ce mou­ve­ment demande au psy­cha­na­lyste une solide « capa­ci­té néga­tive », puisque c’est à par­tir de « petits rien », de détails appa­rem­ment indif­fé­rents que l’inconscient tend à se mani­fes­ter, selon le modèle du tra­vail du rêve. L’incertitude qua­li­fie­rait une qua­li­té de la pen­sée en psy­cha­na­lyse qui lui per­met­trait d’avancer « par approxi­ma­tion », en s’appuyant même sur le refou­le­ment de l’analyste, pour aller à la ren­contre de « l’énigme de l’organisation libi­di­nale du sujet ».

La psy­cha­na­lyse ne dis­pose pas de « preuves » quant aux résul­tats de sa méthode : elle se sou­met plu­tôt à l’épreuve du temps long de la cure. L’unique dis­po­si­tif fixé à l’avance est consti­tué par le cadre à l’intérieur duquel le pro­ces­sus peut se dérou­ler dans toutes ses formes.

« Ils ne savent pas que nous leur appor­tons la peste… » comme Freud l’avait confié à Ferenc­zi et Jung en arri­vant à New-York le 27 août 1909.  La psy­cha­na­lyse comme peste des cer­ti­tudes car « l’incertitude demeure l’ordinaire du psy­cha­na­lyste. À condi­tion, bien sûr, qu’il accepte de suivre les che­mins du scan­da­leux et de l’inouï en s’arrachant du domaine du bien connu et du pré­dic­tible » comme il est dit dans l’introduction à l’ouvrage.

Éloge de l’incertitude donc ? Oui, à condi­tion qu’on s’y réfère avec pré­cau­tion, avec rigueur, loin d’une « pos­ture » figée et sys­té­ma­tique com­pa­rable à celle de son oppo­sé, la cer­ti­tude. Une démarche scien­ti­fique implique tou­jours une néces­si­té d’avancement dans le doute, dans le tâton­ne­ment. C’est à ce prix que la psy­cha­na­lyse peut res­ter fidèle à ses prin­cipes et pour­suivre son his­toire.

Incer­ti­tudes en psy­cha­na­lyse, sous la direc­tion de Jean-Yves Tamet, Col­lec­tion Le silence des sirènes diri­gée par Laurent Danon-Boi­leau, Édi­tions Fario, 252 pages, 19.50 euros.

Ont par­ti­ci­pé à cet ouvrage :
V. Abel Prot, I. Alfan­da­ry, M. Amfre­ville, L Apel­baum, M. de Azam­bu­ja, J.-L. Bal­dac­ci, A. Beet­schen, L. Ble­ger, L. Bon­ne­font-Tort, C. Cha­bert, J.-F. Chian­ta­ret­to, N. de Cou­lon, B. Dol­lé-Mon­glond, B. Fer­re­ro-Madi­gnier, G. Gen­sel, J.-M. Hirt, L. Kahn, M.C. Lanc­tôt Bélan­ger, J.-M. Lévy, A. Mau­pas, E. Sechaud, M. Sir­jacq, J.-Y.Tamet, C. Tré­mou­let.