L’image : ce qu’elle nous fait et ce qu’on en fait
Avant le langage était l’image, pourrait-on dire. Avant les représentations de mots étaient les représentations de choses. Avant la pensée était l’hallucination.
C’est à partir de ses perceptions, images pluri-sensorielles, que le nouveau-né va pouvoir halluciner la satisfaction de son besoin lorsque dans la réalité celle-ci vient à manquer. Prémisses de la pensée…
Ainsi, la pensée nait de l’image.
Par la suite, la pensée va créer des images, qui vont elles-mêmes en retour transformer la pensée. Ces allers-retours, ce mouvement incessant entre images et productions psychiques, durent toute la vie. « On fabrique des images pour avoir devant les yeux ces choses à l’intérieur de nous, et ces images en retour nous transforment » (Éric Corbobesse).
Comme en témoigne le vocabulaire (imago, représentation de mots, stade du miroir), image et fonctionnement psychique sont intimement liés. Le mot « imaginaire » résume à lui seul cette idée. L’univers des enfants est un univers peuplé d’images. Le Centre Alfred Binet, C.M.P du 13ème arrondissement de Paris, accueille sur deux étages des enfants et fait la part belle aux images. Des posters décorent les murs et, chose plus rare, chaque étage possède, depuis toujours, une bibliothèque bien fournie en albums illustrés. Plus récemment, nous avons vu les murs de la cage d’escalier s’égayer de grandes fresques colorées.
C’est dans ce contexte que l’équipe du XIIIe propose, avec ce nouveau numéro de L’Enfant, la psychiatrie et le psychanalyste, de s’interroger sur l’image. Comment comprendre le rôle des images dans notre fonctionnement mental ? « Comment les images du dehors viennent impacter les images du dedans ? » interroge Sarah Bydlowski. Comment utiliser les images dans nos prises en charge ? Et jouer avec elles ?
Des peintures pariétales jusqu’à la réalité virtuelle, les outils à la disposition de l’homme pour créer des images ont évolué. Éric Corbobesse, dans son histoire de l’image, qui va du mythe de la caverne aux neurosciences en passant par l’interdit de représenter le divin dans l’Islam et le Judaïsme, nous montre que ce qui traverse les époques est notre rapport à l’image. De tous temps, l’image fascine et effraie.
Aujourd’hui, ce qui effraie ce sont les écrans. Les écrans, comme un bombardement d’images, qui sidèrent l’activité psychique et dont on observe, en effet, les ravages dans nos consultations. Avec notamment des enfants qui très jeunes ont été surexposés aux écrans et présentent de graves retards de développement. Isabelle Prat, orthophoniste, nous en montre un exemple avec la petite Nola. Dans un traitement mère/enfant, Nola pourra faire l’expérience de l’attention conjointe, des jeux partagés ; et ainsi voir son développement reprendre et le langage se mettre en place.
À l’opposé de ces formes d’images (les écrans) qui entravent la pensée, il y a celles qui vont être « génératrices d’images internes, support à la pensée » (Sarah Bydlowski). Des images qui permettent qu’il y ait du jeu, dans tous les sens du terme. Qu’on puisse jouer avec, mais aussi qu’il y ait du jeu au sens d’un espace vide qui laisse place au mouvement. L’exemple le plus abouti étant peut-être les paréidolies dont parle Pierre Denis. Ces formes que l’on joue à reconnaitre dans l’informe que sont les nuages, la fumée, les tâches d’encre… Ici le sujet qui regarde n’est pas passif, l’image lui laisse de la place pour projeter sa subjectivité.
Le jeu, le mouvement. Mais comment faire avec certains de nos patients si malades, qui, à défaut de place en hôpital de jour, arrivent dans les CMP, nous laissant parfois bien démunis ? Avec cet ouvrage, nous plongeons au cœur du travail analytique réalisé auprès de ces patients. Autiste, psychotiques, schizophrènes, sans langage ou très peu, aux limites du soignable, les auteurs embarquent le lecteur avec eux et lui font découvrir toute une palette de dispositifs de soin qu’il leur a fallu inventer.
Ainsi, par exemple, Anne Brun, montre comment un enfant autiste de huit ans pris en charge par deux psychologues, dans un dispositif associant pataugeoire et miroir, va peu à peu se construire une image de soi unifiée et différenciée. C’est par l’accordage, le partage d’affects, le dialogue sensori-moteur au plus près du patient que ses thérapeutes vont lui permettre la reprise de son développement.
Dans certains dispositifs de soin, il est proposé aux patients de regarder des images (lecture de livres illustrés, visionnage de film). L’idée est de leur offrir un support pour les aider à se figurer ce qu’ils ne parviennent pas à penser. Ou aider à libérer la parole, dans un groupe par exemple. Dans d’autres dispositifs, le mouvement est inverse : une feuille blanche, par exemple, pour que le patient puisse y projeter ce qu’il a dans la tête (dessin, peinture).
Le psychodrame analytique offre, lui, les deux mouvements en même temps. Le patient propose une scène à jouer. L’image vient donc de lui au départ, mais il va, en retour, avoir à en regarder une autre, un peu différente puisqu’il va se voir jouer la scène avec des co-thérapeutes. Que le mouvement parte de l’image du dedans ou de l’image du dehors, l’essentiel est qu’il y ait du mouvement, du jeu. « L’image seule ne guérit pas »écrit Hervé Chapellière ; l’image peut être une première mise en forme de ce qui sans elle avait du mal à se penser, mais c’est par la reprise dans le travail analytique que la « guérison » pourra advenir. « L’image a besoin des mots » conclut-il.
Ici, les auteurs-thérapeutes (orthophoniste, psychiatre, ergothérapeute, psychanalyste, psychologue) nous donnent à voir comment ils aident leurs patients à jouer avec les images (concrètes et métaphoriques). C’est dans la relation transféro-contre-transférentielle, en étant au plus près du patient et adossé à un solide bagage théorico-clinique, qu’ils nous rendent compte de la finesse de leurs ajustements. On ressort de la lecture de Jouer avec les images, enrichi d’une palette de couleurs, d’images et d’idées pour penser la vie psychique, nos patients et leurs traitements.
Pour finir, celles et ceux qui aiment Claude Ponti d’un amour « gros comme une montagne par-dessus une montagne et profond comme un océan dans un océan » auront le plaisir de lire son interview où il dit se « mettre au service de l’histoire du dessous ». Et pour les autres, sans doute, l’envie de le découvrir.
Jouer avec les images, sous la direction de Sarah Bydlowski, Éric Corbobesse et Pierre Denis. L’enfant, la psychiatrie et le psychanalyste – Centre Alfred Binet.
In Press, janvier 2025