L’enfant écolier, prévenir et soigner

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Sous la direc­tion de Jacques Ange­lergues, Sarah Byd­lows­ki et Pierre Denis
Pré­sen­ta­tion de la mono­gra­phie du Centre Alfred Binet parue en 2020.

Cette mono­gra­phie reprend les pré­sen­ta­tions de la jour­née du Centre Alfred Binet de décembre 2018, et s’intéresse à l’en­fant ne pou­vant inves­tir les appren­tis­sages. Les dif­fi­cul­tés sco­laires, accom­pa­gnées ou non de pro­blèmes de com­por­te­ment ou sem­blant rele­ver de troubles spé­ci­fiques du lan­gage écrit et/ou oral, sont sou­vent le motif d’une pre­mière demande de consul­ta­tion venant de l’école ou de la famille.
À l’heure où les neu­ros­ciences sont sur le devant de la scène tant poli­tique que sani­taire, on constate une ten­dance à qua­li­fier de plus en plus sou­vent l’ensemble des dif­fi­cul­tés chez l’enfant en troubles neu­ro-déve­lop­pe­men­taux. La démarche diag­nos­tique, les prises en charge com­por­te­men­tales et réédu­ca­tives, ain­si que les remé­dia­tions pré­sentent un cer­tain inté­rêt. Mais elles ne suf­fisent pas et les pro­fes­sion­nels ne peuvent faire l’impasse sur la dimen­sion psy­cho-affec­tive.
Les dif­fé­rents auteurs de cet ouvrage témoignent de leur cli­nique où le déve­lop­pe­ment psy­cho-affec­tif a toute sa place. Pédo­psy­chiatres, psy­cha­na­lystes, psy­cho­logues, psy­cho­pé­da­gogues, ortho­pho­nistes, assis­tantes sociales et pro­fes­sion­nels de l’éducation natio­nale se penchent sur la ques­tion de l’enfant et l’école, pre­mier lieu de repé­rage des troubles de l’enfant au sens large.

Dans son intro­duc­tion, Sarah Byd­lows­ki plante le décor en reve­nant sur les fon­da­men­taux psy­cha­na­ly­tiques trans­mis par nos aînés : René Diat­kine et Serge Lebo­vi­ci. Les dif­fi­cul­tés ren­con­trées à l’école sont à entendre comme un symp­tôme et non comme un trouble unique de type « dys- », TDAH, etc. Même si une démarche diag­nos­tique pré­cise peut s’avérer néces­saire. Pour la psy­cha­na­lyse, le symp­tôme qui entrave le déve­lop­pe­ment est tou­jours une for­ma­tion sub­sti­tu­tive, un com­pro­mis pour lequel il s’agira de com­prendre l’importance des béné­fices incons­cients afin que l’enfant puisse y renon­cer et trou­ver de nou­velles moda­li­tés d’investissements. L’école, comme lieu d’investissements nou­veaux, pousse inévi­ta­ble­ment à inter­ro­ger les rela­tions pri­maires et secon­daires de l’enfant et de son envi­ron­ne­ment. Il s’agit, pour les pro­fes­sion­nels de l’enfance, de sai­sir la dyna­mique intra­psy­chique et rela­tion­nelle à un moment don­né où l’enfant, ren­con­trant un nou­veau lieu de socia­li­sa­tion, peut être entra­vé dans son évo­lu­tion. Les pos­si­bi­li­tés d’investissement du lan­gage et des appren­tis­sages étant déter­mi­nées par la rela­tion pri­maire avec l’objet mater­nel, où le sen­so­riel, le cor­po­rel, le por­tage et les capa­ci­tés de trans­for­ma­tion sont en jeu.
Elle nous rap­pelle l’intérêt de René Diat­kine pour le lan­gage et la néces­si­té de réus­sir à en pen­ser son inves­tis­se­ment par l’enfant pour pou­voir entrer dans les appren­tis­sages. De cet inté­rêt pour le lan­gage, s’est enga­gé une pro­fonde col­la­bo­ra­tion au Centre Alfred Binet entre psy­cha­na­lystes, ortho­pho­nistes, péda­gogues et lin­guistes, pour pen­ser nous dit Sarah Byd­lows­ki : « la façon dont l’enfant va réus­sir à inves­tir l’école, lieu d’échanges rela­tion­nels et lieu d’apprentissages, fait de règles et de codes qui lui sont propres. Un double contexte est à consi­dé­rer : celui du fonc­tion­ne­ment psy­chique dans sa double valence psy­cho­pa­tho­lo­gique et cog­ni­tive, celui du contexte social et envi­ron­ne­men­tal » (p. 10).

Karine Ara­ke­lian, insiste sur l’importance pro­ces­suelle de la période de latence, avec le refou­le­ment du pul­sion­nel infan­tile vers de nou­veaux objets d’investissement. Il s’agit de dépla­ce­ments des inves­tis­se­ments des objets œdi­piens (les figures paren­tales) vers d’autres adultes ou encore vers les pairs. Cette période, de 6 à 12 ans, consti­tue les fon­da­tions du futur déve­lop­pe­ment du sujet, de ses capa­ci­tés intel­lec­tuelles, de ses rela­tions sociales et de sa vie affec­tive.
Le pul­sion­nel chez l’enfant est consti­tué de ce que Freud a appe­lé la sexua­li­té infan­tile et la latence est le moment où l’enfant vit le déclin de ses fan­tasmes pri­maires. Ain­si, cette période est char­gée de renon­ce­ments : aux objets œdi­piens, mais aus­si à la toute-puis­sance infan­tile qui s’y rat­tache. Il s’agit pour l’enfant de pou­voir com­po­ser avec les réa­li­tés aux­quelles il se confronte en entrant à l’école, réa­li­tés liées à des sen­ti­ments de perte et à des angoisses de cas­tra­tion. Ain­si, les dif­fi­cul­tés à entrer dans la latence mettent à mal l’enfant éco­lier. Karine Ara­ke­lian, dans sa pré­sen­ta­tion, fait une ana­lyse minu­tieuse du nor­mal au patho­lo­gique, des pro­ces­sus psy­chiques liés à la latence et des amé­na­ge­ments néces­saires à l’enfant pour deve­nir éco­lier

À pro­pos de l’examen psy­cho­lo­gique, Tif­fa­ny Ver­velle nous rap­pelle que « l’approche psy­cho­dy­na­mique du bilan, s’intéresse à la qua­li­té des inves­tis­se­ments cog­ni­tifs mais aus­si à leur coût dans l’économie du fonc­tion­ne­ment du patient, leur valeur défen­sive, la régu­la­tion du plai­sir et du déplai­sir, leurs valeurs repré­sen­ta­tives et sym­bo­li­santes » (p. 31). Dans un bilan, la prise en compte de l’affectif, du rela­tion­nel entre en jeu pour com­prendre le fonc­tion­ne­ment cog­ni­tif d’un sujet et son fonc­tion­ne­ment psy­chique. Une effi­cience cog­ni­tive ne va pas tou­jours de pair avec une bonne san­té men­tale. Le repé­rage de la qua­li­té de l’équilibre de l’investissement intel­lec­tuel et de la fan­tas­ma­ti­sa­tion per­met de pen­ser l’accès à la latence ou ses entraves.
Les pro­ces­sus de pen­sée sont sou­mis à un double ver­sant : fan­tas­ma­tique et cog­ni­tif. Tif­fa­ny Ver­velle revient sur dif­fé­rents auteurs qui se sont pen­chés sur les pro­ces­sus de matu­ra­tion de la période de latence : « la désexua­li­sa­tion, la conflic­tua­li­sa­tion, le cli­vage du moi, l’activité fan­tas­ma­tique carac­té­risent le fonc­tion­ne­ment laten­tiel de l’enfant et lui per­mettent de pro­fi­ter de ses inves­tis­se­ments intel­lec­tuels en éprou­vant du plai­sir » (p. 33). L’auteure nous pré­sente l’examen psy­cho­lo­gique d’un gar­çon de 8 ans, pré­sen­tant un fort inves­tis­se­ment intel­lec­tuel qui a une valeur défen­sive, en ten­tant de contrô­ler l’objet, la pen­sée et son monde pul­sion­nel chao­tique. Elle nous montre que le pro­ces­sus laten­tiel n’est pas opé­rant et que le plai­sir de fonc­tion­ne­ment men­tal est absent. Cette hyper-intel­lec­tua­li­sa­tion est à dif­fé­ren­cier du tra­vail de subli­ma­tion, pro­ces­sus atten­du à la latence, chez ce gar­çon pré­sen­tant un état pré­psy­cho­tique.

Michel Ody met l’accent sur la place fon­da­men­tale de la psy­cha­na­lyse d’enfants. Ayant long­temps tra­vaillé en par­te­na­riat avec les écoles, par­ti­ci­pant aux réunions des équipes péda­go­giques, il insiste sur la notion d’associations libres entre pro­fes­sion­nels où émerge lors d’un échange autour d’un enfant, une repré­sen­ta­tion, une théo­rie du trouble ou plu­tôt du symp­tôme et qui en per­met le déga­ge­ment. Il sou­ligne l’importance du tra­vail des équipes de pédo­psy­chia­trie avec les écoles.
Dans un article réédi­té et déjà paru dans les textes du Centre Alfred Binet (n°4/1984), avec une pré­sen­ta­tion cli­nique de consul­ta­tions fami­liales qu’il a menées, il aborde la ques­tion du « connaître/méconnaître » les inter-inves­tis­se­ments fami­liaux. Il est ques­tion pour l’analyste de s’appuyer sur ses res­sen­tis, ses impres­sions d’avant coup et d’après coup, pour construire et décons­truire des repré­sen­ta­tions de ce que peut vivre l’enfant et sa famille. Dans le cas cli­nique pré­sen­té par l’auteur, il s’agit d’un tra­vail de consul­ta­tion fami­lial pour un enfant avec de mau­vais résul­tats sco­laires, éle­vé seul par sa mère, pré­sen­tant un risque psy­cho­pa­thique en toile de fond. La pos­si­bi­li­té d’évoquer le roman fami­lial, sur plu­sieurs géné­ra­tions, per­met de mettre en exergue les pro­jec­tions nar­cis­siques de la mère et de pou­voir remettre en jeu les pro­ces­sus iden­ti­fi­ca­toires, avec des pos­si­bi­li­tés de se décol­ler des pro­jec­tions paren­tales. C’est à ce moment que l’enfant peut trou­ver une place dans une éco­no­mie fami­liale moins angois­sante, moins exci­tante, pour enfin entrer davan­tage dans les appren­tis­sages et dans une meilleure latence, avec la pos­si­bi­li­té de renon­cer aux objets œdi­piens. On conçoit qu’une indi­ca­tion en thé­ra­pie indi­vi­duelle n’aurait pas don­né de résul­tats, tant les dif­fi­cul­tés sont intri­quées dans les enjeux fami­liaux.
Le symp­tôme sco­laire vient recou­vrir bien autre chose qu’un simple pro­blème d’attention ou de concen­tra­tion. Michel Ody nous montre dans son ana­lyse, l’importance de l’étude de nos mou­ve­ments contre-trans­fé­ren­tiels, dans le contexte par­ti­cu­lier d’une famille où le tiers n’occupe pas une fonc­tion sym­bo­lique sépa­ra­trice auto­ri­sant une dif­fé­ren­cia­tion. C’est ain­si que l’enfant est habi­té par des fan­tasmes œdi­piens qui deviennent enva­his­sants avec des enjeux de toute-puis­sance et de risque psy­cho­pa­thique qui ne lui per­mettent pas de trou­ver une place d’écolier. Tout le tra­vail de « connaître/méconnaître » ce qui se joue dans la famille va en favo­ri­ser le déga­ge­ment.

Dans cet ouvrage col­lec­tif, Bri­gitte Ber­nion nous pré­sente une psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique de plu­sieurs années d’une petite fille en dif­fi­cul­tés dans les appren­tis­sages. L’auteure nous montre au cours de cette ana­lyse le manie­ment de la rela­tion trans­fé­ro-contre-tran­fé­ren­tielle afin d’approcher au plus près les enjeux œdi­piens, d’en faci­li­ter leur éla­bo­ra­tion et leur liqui­da­tion. Elle illustre avec beau­coup de finesse, l’importance de la qua­li­té d’investissement objec­tale des enfants à l’entrée à l’école – et qui fai­sait défaut à sa patiente. C’est-à-dire la capa­ci­té de se sépa­rer, d’investir un exté­rieur en fonc­tion de la qua­li­té de ses objets internes. La fin de la thé­ra­pie et la levée du symp­tôme sco­laire s’accompagnent ain­si d’une meilleure consti­tu­tion de l’espace interne qui se conso­lide avec un dedans et un dehors plus orga­ni­sé, avec une pos­si­bi­li­té de satis­fac­tion hal­lu­ci­na­toire de désir.Beaucoup d’enfants avec des dif­fi­cul­tés sco­laires pré­sentent très sou­vent des retards dans le lan­gage oral et/ou écrit. Le lan­gage est avant tout sen­so­riel, cor­po­rel, affec­tif, avant de pas­ser par les codes et la sym­bo­li­sa­tion des mots.

Maria Bedos, ortho­pho­niste au Centre Alfred Binet, nous fait part de son expé­rience cli­nique auprès des enfants en bas âge, de l’importance de l’environnement, des expé­riences sen­so­rielles qui sont consti­tu­tives du temps repré­sen­table, du temps qui se construit, qui est res­sen­ti depuis le début de la vie et qui est expri­mé dans le lan­gage. Cette ques­tion de la tem­po­ra­li­té s’inscrit éga­le­ment dans le déve­lop­pe­ment cog­ni­tif de l’enfant, mais aus­si dans le cadre thé­ra­peu­tique au cours des séances. La construc­tion du lan­gage est por­tée par l’émerveillement fami­lial et le plai­sir à pen­ser, à par­ta­ger. Le lan­gage, char­gé de codes et de sym­bo­li­sa­tions mul­tiples, trans­crit la tem­po­ra­li­té et la spa­tia­li­té. La sen­so­ria­li­té, la ryth­mi­ci­té et l’accordage affec­tif1  sont déter­mi­nants dans le sou­tien de la construc­tion du lan­gage et de la com­mu­ni­ca­tion. Cette pré­sen­ta­tion du tra­vail de l’orthophoniste avec des enfants pré­sen­tant des troubles du lan­gage, se dis­tingue des pers­pec­tives ins­tru­men­tales uni­que­ment réédu­ca­tives.
Maria Bedos revient sur l’importance du plai­sir du fonc­tion­ne­ment men­tal entra­vé chez cer­tains enfants. Selon elle, tra­vailler avec un enfant sans lan­gage c’est avoir le pro­jet de mettre en place avec lui une conti­nui­té de pen­sée qui lui per­met­tra de pas­ser de la déno­mi­na­tion au récit, de la repré­sen­ta­tion de choses à la repré­sen­ta­tion de mots, de la sen­so­ria­li­té de l’affect jusqu’à sa recon­nais­sance en repré­sen­ta­tions par­ta­gées, par­lées et sou­te­nues par l’entourage.
Cer­tains enfants qui pré­sentent des troubles apha­siques néces­sitent une prise en charge spé­ci­fique de type Gel­bert où il s’agit de tra­vailler sur les connexions entre lan­gage oral et lan­gage écrit avec une méthode spé­ci­fique de réédu­ca­tion. Cette approche neu­ro-déve­lop­pe­men­tale a un grand inté­rêt si elle ne fait pas l’économie de l’établissement d’une rela­tion thé­ra­peu­tique.

Hélène Séchet-Cailla­rec, ortho­pho­niste éga­le­ment au Centre Alfred Binet à par­tir de deux cas cli­niques montre com­bien la tech­ni­ci­té et les outils propres à l’orthophonie viennent sou­vent dans un deuxième temps. L’établissement d’un espace tran­si­tion­nel à deux, entre le patient et la thé­ra­peute, fait de ryth­mi­ci­té, de rituels, de tem­po­ra­li­té, de jeux, d’affect et la prise en compte du lien trans­fé­ro-contre-trans­fé­ren­tiel, est un préa­lable pour que l’enfant puisse inves­tir ses séances.
Du sens au récit oral, du récit oral à la trace, de la trace au récit écrit. Ces deux vignettes cli­niques très dif­fé­rentes mettent en avant le tra­vail thé­ra­peu­tique lié au lan­gage pour arri­ver à l’utilisation d’outils dans toute leur tech­ni­ci­té réédu­ca­tive voire péda­go­gique. Le tra­vail de l’orthophoniste pro­pose en amont d’un tra­vail réédu­ca­tif, un espace com­mun où une rela­tion thé­ra­peu­tique peut s’établir.Un article de René Diat­kine (publié dans les textes de Centre Alfred Binet – n°3/1983), a été ajou­té à cette mono­gra­phie. Il fait part de ses réflexions sur les troubles du lan­gage chez l’enfant d’âge pri­maire. Il revient sur la consta­ta­tion que les trai­te­ments ortho­pho­niques fonc­tionnent mieux quand ils s’inscrivent dans une rela­tion thé­ra­peu­tique. En effet, lorsque la réédu­ca­tion pure­ment tech­nique vient trop vite, de nom­breux trai­te­ments échouent. Il qua­li­fie le tra­vail de l’orthophoniste comme étant une thé­ra­pie de lan­gage. René Diat­kine en tant que psy­chiatre consul­tant y dis­cute notam­ment les indi­ca­tions : entre psy­cho­thé­ra­pie et trai­te­ment du lan­gage. Ce qui est très ins­truc­tif et encore d’actualité dans les réunions de syn­thèse. Il y détaille les liens étroits entre psy­cho­pa­tho­lo­gie et troubles du lan­gage. Il sou­ligne aus­si les aspects trau­ma­tiques de l’échec chez des enfants « sans pro­blèmes » et leur fixa­tion. Là encore, il s’agit de pou­voir pen­ser les entraves de l’accès au plai­sir du fonc­tion­ne­ment men­tal.

Dans cette mono­gra­phie, nous avons aus­si les contri­bu­tions des ins­ti­tu­tions de l’Inter-secteur de pédo­psy­chia­trie de l’ASM 13 : les Uni­tés René Diat­kine, l’Hôpital de jour pour ado­les­cents et la Mai­son des cinq sens (MD5S).
La MD5S est une uni­té expé­ri­men­tale de pré­ven­tion qui se situe entre l’école et le soin psy­chique. Les enfants y res­tent en moyenne 9 mois. L’équipe montre com­ment peut se tis­ser un maillage entre les écoles, les familles et le soin. La ren­contre de l’enfant et des parents avec un espace ins­ti­tu­tion­nel conte­nant qui s’inscrit en amont des soins psy­chia­triques per­met une véri­table pré­ven­tion de troubles psy­chiques graves. Les espaces dif­fé­ren­ciés, les dif­fé­rentes enve­loppes, la fonc­tion du tiers ins­ti­tu­tion­nel, le tra­vail en groupe, la pos­si­bi­li­té petit à petit d’accéder au jeu et au faire sem­blant auto­risent l’enfant à inves­tir un espace thé­ra­peu­tique qui fait expé­rience pour s’inscrire dans sa vie quo­ti­dienne et dans une fonc­tion sym­bo­li­gène. Dans la vignette cli­nique, nous pou­vons suivre le par­cours d’un enfant dont l’intégration sco­laire est per­tur­bée par des agirs inces­sants et un excès d’excitation. Sa mère a un par­cours trau­ma­tique d’exil. Son fils manque de conte­nance et de pare-exci­tant, il ne peut inves­tir la tâche sco­laire. En abor­dant dans les pre­miers temps l’archaïque en groupe, le tra­vail en équipe a per­mis aux pro­ces­sus de sym­bo­li­sa­tion et de secon­da­ri­sa­tion de deve­nir plus effec­tifs. L’enfant devient alors plus dis­po­nible pour inves­tir l’objet savoir, plu­tôt que de répé­ter des agirs venant ques­tion­ner les trau­ma­tismes dans le lien aux autres, trau­ma­tismes mar­qués par la carence.

La pré­sen­ta­tion de l’Hôpital de jour, qui accueille des ado­les­cents pour la plu­part autistes, illustre le mil­le­feuille ins­ti­tu­tion­nel. La cli­nique de l’archaïque est au centre de l’attention. Audrey Ramat en fait la des­crip­tion avec des réfé­rences à D. Melt­zer, à G. Haag et W.R. Bion. Elle constate que « pro­gres­si­ve­ment le tra­vail de conte­nance, par l’alternance des dis­po­si­tifs indi­vi­duels et grou­paux figu­rée dans l’emploi du temps, par le posi­tion­ne­ment du cadre et ses règles, par le tra­vail des espaces inter­mé­diaires et du tiers, doit offrir la pos­si­bi­li­té de consti­tuer des enve­loppes pare-exci­tantes » (p. 150). Cette ryth­mi­ci­té per­met de favo­ri­ser les pro­ces­sus de dif­fé­ren­cia­tion.
Dans cette ins­ti­tu­tion com­pre­nant des temps de classe avec une ins­ti­tu­trice spé­cia­li­sée, l’auteure nous pré­cise l’importance de pou­voir recon­naître la répé­ti­tion et l’élaborer en équipe afin qu’un pro­ces­sus de sym­bo­li­sa­tion puisse adve­nir et que ces ado­les­cents puissent trou­ver des repères et des savoirs qui s’inscrivent psy­chi­que­ment.

Fabrice Hayem parle de son tra­vail de thé­ra­peute à l’Unité de Soins Inten­sifs du Soir, créée par René Diat­kine et Claude Avram. Il décrit les dif­fé­rents espaces de l’institution, le grand groupe, les petits groupes de psy­cho­pé­da­go­gie qui peuvent s’apparenter à un groupe fami­lial. Ces dif­fé­rentes enve­loppes per­mettent de favo­ri­ser un espace de conte­nance et de pare-exci­ta­tions. Les pro­ces­sus grou­paux y sont décrits cli­ni­que­ment, comme l’illusion grou­pale, l’indifférenciation, la régres­sion vers des vécus archaïques, pour en arri­ver à des mou­ve­ments grou­paux davan­tage secon­da­ri­sés. La sym­bo­li­sa­tion ren­due pos­sible devient un attrac­teur pour le groupe. La capa­ci­té de jouer advient au sens du « playing » de D.W. Win­ni­cott. Fabrice Hayem relate le par­cours d’un enfant au sein de cette uni­té. Il conclut ain­si : « par le groupe les enfants apprennent à jouer et prennent confiance en eux et en leur envi­ron­ne­ment. L’organisation pro­gres­sive d’un espace interne où la conflic­tua­li­té se déve­loppe cor­res­pond à la mul­ti­pli­ca­tion de la rela­tion aux autres. Ils apprennent en jouant, découvrent et répètent cette expé­rience sai­sis­sante de prendre du plai­sir à se ques­tion­ner et s’interroger. Ils prennent du plai­sir à apprendre et finissent par se rendre compte qu’ils peuvent prendre du plai­sir à tra­vailler » (p. 170)

L’Unité Ben­ja­min est un dis­po­si­tif ins­ti­tu­tion­nel qui accueille des enfants d’âge pri­maire, trois demi-jour­nées par semaine sur des temps sco­laires. L’é­quipe évoque le par­cours de deux patients pré­sen­tant des troubles du com­por­te­ment, n’investissant pas les appren­tis­sages et pour les­quels une sco­la­ri­sa­tion à temps plein n’est pour le moment plus pos­sible. La vie ins­ti­tu­tion­nelle avec ses temps indi­vi­duels et grou­paux, le tra­vail de lien avec l’école, les temps de consul­ta­tion avec la famille, leur per­met pro­gres­si­ve­ment de se repré­sen­ter une conti­nui­té psy­chique, ain­si qu’une tem­po­ra­li­té. Le groupe favo­rise l’élaboration de la perte, du manque, et des angoisses archaïques. L’inscription dans l’institution aide peu à peu l’enfant, à s’inscrire davan­tage dans son corps, dans ses rela­tions à ses pairs, aux adultes et dans sa rela­tion au savoir. La dif­fé­ren­cia­tion opère et va auto­ri­ser la psy­chi­sa­tion d’un tiers sym­bo­lique. La satis­fac­tion pul­sion­nelle immé­diate peut doré­na­vant être dif­fé­rée, les agirs dimi­nuent, et l’investissement de l’objet devient pos­sible et moins ris­qué.

En post­face, Nico­las Hes­pel, évoque son par­cours d’instituteur spé­cia­li­sé, for­ma­teur, réfé­rent MDPH jusqu’à deve­nir direc­teur spé­cia­li­sé d’un centre sco­laire. Il revient sur l’évolution de la prise en charge des élèves en situa­tion d’échec sco­laire depuis les années 70. À cette époque, des dis­po­si­tifs expé­ri­men­taux ont vu le jour, avec des classes spé­cia­li­sées inté­grées au sein d’établissements, direc­te­ment en lien avec les ser­vices de pédo­psy­chia­trie. Cela offrait une autre alter­na­tive aux orien­ta­tions en IME ou en Hôpi­tal de jour. La prise en charge était cen­trée sur la prise en charge des enfants dans leur glo­ba­li­té, dans une pers­pec­tive psy­cho­dy­na­mique jusque dans les années 90. Le redou­ble­ment et l’orientation pro­fes­sion­nelle fai­saient par­tie des pos­si­bi­li­tés. L’émergence des sciences cog­ni­tives a entrai­né un chan­ge­ment de para­digme, avec des débats sur l’apprentissage de la lec­ture, la recon­nais­sance de la dys­lexie, des troubles du lan­gage oral et leur impact sur les acqui­si­tions sco­laires. Actuel­le­ment la pers­pec­tive socio­lo­gique et cultu­relle de l’échec sco­laire a cédé le pas à une vision médi­cale cal­quée sur les études anglo-saxonnes des « disa­bi­li­ty stu­dies » (p. 202). La place de la famille est mise de côté et le défaut fonc­tion­nel est poin­té du doigt. Il évoque les grandes lignes de chan­ge­ments suite à la loi de 2005. Dans sa conclu­sion, il constate la néces­si­té de réduire les cli­vages entre soi­gnants et équipes péda­go­giques afin de ren­for­cer leur col­la­bo­ra­tion. Il insiste sur la néces­si­té de for­ma­tion du corps ensei­gnant et du tra­vail en petits groupes.L’ensemble de ces pré­sen­ta­tions cli­niques riches d’apports théo­riques reprennent des points d’appuis indis­pen­sables à la prise en charge des enfants en mal d’apprendre.
La ques­tion du déve­lop­pe­ment cog­ni­tif de l’enfant est intrin­sè­que­ment liée à son déve­lop­pe­ment psy­choaf­fec­tif. Les apports des neu­ros­ciences et des sciences cog­ni­tives sont inté­res­sants si elles n’excluent pas les apports de la psy­cha­na­lyse. Il serait fruc­tueux de pen­ser leur arti­cu­la­tion et leur com­plé­men­ta­ri­té plu­tôt que de les oppo­ser.
Dans cet ouvrage que je vous recom­mande vive­ment, nous voyons à quel point il n’est pas pos­sible de faire l’impasse sur la com­pré­hen­sion du symp­tôme dans le fonc­tion­ne­ment psy­chique du sujet et de son envi­ron­ne­ment.

Éric Bon

NOTES :

  1. Stern D. (1989), Le monde inter­per­son­nel du nour­ris­son, Paris, PUF, 384 p.