Le présent de la psychanalyse n°13 – Face aux images

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Dans ce numé­ro, on met des mots sur les images. Une démarche que l’on pour­rait dire en miroir de celle du rêve, qui met des images sur les mots de la pen­sée, ce que Freud a appe­lé « figu­ra­bi­li­té », condi­tion de la pré­sen­ta­tion d’une pen­sée de rêve par une image de rêve.

Des contri­bu­tions d’une bonne dizaine de psy­cha­na­lystes, mais éga­le­ment des auteurs non-ana­lystes, une pro­fes­seure de sciences de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion, une édi­trice et autrice d’ouvrages de jeu­nesse, un phi­lo­sophe, une artiste plas­ti­cienne, deux poètes agré­gés de lettres modernes.

Des images per­çues, des images trai­tées psy­chi­que­ment, des images créées, fabri­quées, c’est ce dont nous parlent les dif­fé­rents auteurs, en voi­ci quelques exemples.

Patri­cia Atti­gui a inti­tu­lé son tra­vail Du pou­voir ima­geant de l’écoute. Dans un joli article, elle s’intéresse à ce qui lie le rêve au trans­fert. Et elle fait l’hypothèse que le pou­voir ima­geant de l’écoute per­met de trou­ver dans l’analyse et dans le trans­fert ce qui peut man­quer à la théo­rie.

Effet de vent, effet de temps, effet de vie, Ana­lyse d’un pay­sage de Sou­tine, par Anne Beyaert-Ges­lin ou com­ment peut s’exprimer le cours du temps dans l’image intem­po­relle.

Dans Freud et Dali, Fré­dé­rick Aubourg parle du rap­port du créa­teur de la psy­cha­na­lyse aux œuvres d’art. Avec une méfiance voire une hos­ti­li­té pour les artistes contem­po­rains, expres­sion­nistes, sur­réa­listes, dont Freud ne tenait guère les œuvres pour de l’art, mais pour de la folie, cer­tains artistes pour des fous…

Paule du Bou­chet inter­roge dans son article : Les enfants pensent-ils en images ?Un inté­res­sant point de vue, car de toute évi­dence les illus­tra­tions que les livres montrent aux enfants imposent quelque chose. De quelles images la lit­té­ra­ture jeu­nesse actuelle parle-t-elle ? L’auteure part de sa propre expé­rience d’enfant. 

Jim Gaba­ret s’intéresse à Une phé­no­mé­no­lo­gie de l’imagination néo­na­tale et infan­tile et Kalyane Fejtö à L’image et son objet, où les images sont les ins­tru­ments pre­miers, les tru­che­ments de la satis­fac­tion hal­lu­ci­na­toire.

Vla­di­mir Mari­nov fait dans Entre dou­leur et attente une lec­ture de la cor­res­pon­dance entre Freud et la Prin­cesse Marie Bona­parte, dia­logue étrange avec l’os de la mâchoire dou­lou­reuse de Freud et l’attente de Marie d’un organe ima­gi­naire qui lui don­ne­rait enfin satis­fac­tion.

Mireille Fogni­ni écrit Mou­ve­ments et trans­for­ma­tions psy­chiques dans l’art de « por­trai­ti­ser ». Ins­pi­rée entre autres par Jean-Claude Rol­land, l’auteure inter­roge les sources de l’inspiration qui peut trans­for­mer le visage du sujet en un por­trait cen­sé lui res­sem­bler dans une image qui ras­semble la figure réelle du modèle et l’image inté­rieure de son peintre.

Dans Guy Roso­la­to, l’objet de pers­pec­tive et l’objet a, Patrick Mérot trace un par­cours au-delà de l’image qui va de la rela­tion d’inconnu et l’objet de pers­pec­tive à l’objet « a » de Lacan. Ce texte exi­geant qui fait appel à une connais­sance des deux points de vue théo­riques de Roso­la­to et de Lacan prouve que la conver­gence des théo­ries est une ouver­ture féconde.

Dans Les cou­leurs de l’irreprésentable, Jean-Michel Lévy montre que l’image, par le biais de la cou­leur, au sein d’une pré­sen­ta­tion sen­so­rielle, peut per­mettre l’affleurement dans la cure d’un maté­riel psy­chique autre­ment inat­tei­gnable ouvrant à la ques­tion des ori­gines.

Dans L’élaboration des pen­sées se rap­por­tant à l’enfance, Lau­rence Apfel­baum relit le texte – contem­po­rain deL’interprétation du rêve – Sur les sou­ve­nirs-écrans (1899). Elle y décèle le plai­sir que Freud en a tiré en appli­quant à son propre sou­ve­nir les règles tech­niques posées pour les pro­duc­tions oni­riques. Un tra­vail qui porte sur la mémoire dans la théo­rie freu­dienne, avec l’accentuation de ses rema­nie­ments – au cours du temps, et par le temps. Le texte de Lau­rence Apfel­baum donne à voir com­ment on pense la psy­cha­na­lyse : ce n’est pas une bio­gra­phie mais bien une his­toire des pen­sées. Quand, où, com­ment sont nées nos pen­sées. Et leur trans­for­ma­tion dans les rap­ports de la mémoire avec la véri­té, la réa­li­té, le temps.

Pour conclure, la pro­messe du titre est tenue et l’on se trouve face à une image de la trace écrite de mots sans lettres for­mant un tableau, hors lec­ture comme les enfants – infans, qui ne parlent pas encore – émettent des sons de lan­gage qui ne savent pas qu’ils sont les pré­cur­seurs d’une langue. Une brève poé­sie de Anne Mor­tal, inti­tu­lée Juste une fenêtre, qui accom­pagne l’image d’un tableau de Kro­ch­ka. Ci-des­sous quelques vers du poème qui, comme un fil, asso­cient le mot à la ligne, la ligne à l’image :

La ligne s’ouvre de qua­si rien et s’arrête.

Assez pour que de la suite des lignes bouge un peu d’air.

Chaque ligne va comme on dort

va son tra­cas et se referme.

D’évidence l’ensemble forme un tableau

Juste une fenêtre.