Les fins de traitement, monographie du Centre Alfred Binet

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Dans la pré­face de ce numéro paru en décem­bre 2021 et con­sacré aux fins de traite­ment, Cather­ine Chabert cite le com­men­taire de Didi­er Anzieu dont l’une des patientes en fin d’analyse avait souhaité être enter­rée près de lui : « J’ai tou­jours pen­sé que les cures qui durent sont par­fois éprou­vantes, j’ai tou­jours pen­sé aus­si que les fins d’analyse peu­vent être extrême­ment douloureuses mais l’idée de garder une patiente, près de moi, pour l’éternité, alors, non, ça, je ne peux même pas l’imaginer, je ne pour­rai pas le sup­port­er, je préfère mourir seul ! ». Comme une illus­tra­tion de ce que la sépa­ra­tion, à laque­lle con­fronte une fin d’analyse, ren­ver­rait au fan­tasme d’éternité. Ain­si, la sépa­ra­tion et ses angoiss­es afférentes depuis la nais­sance jusqu’à l’adolescence moment où Cather­ine Chabert pos­tule pour un proces­sus dif­férent de celui du deuil, s’apparentant plutôt à la perte floue, mal iden­ti­fiée, à l’instar de l’objet per­du de la mélan­col­ie. Se faisant, elle pointe la prox­im­ité de la sépa­ra­tion et de la perte, et nous inter­roge sur le statut et les traces et de l’absence et de la perte dans nos sys­tèmes de représen­ta­tions, à l’aune de l’objectivité événe­men­tielle.

Selon Cather­ine Chabert, le mérite de cet ouvrage est d’avoir su mon­tr­er à quel point chaque fin de traite­ment est sin­gulière, tout en ren­voy­ant à des con­fig­u­ra­tions clin­iques com­munes, élaborées par Mélanie Klein en tant qu’instauration de l’ambivalence de l’amour et de la haine pour le même objet. Et du coup, l’opération psy­chique con­sti­tuée par la pro­jec­tion de la haine à laque­lle on assiste par­fois en fin de traite­ment témoignant d’un trans­fert négatif pour quit­ter plus facile­ment un ana­lyste que l’on n’aimerait plus. Ou encore, aban­don­ner plutôt que per­dre ce qui mobilise chez le sujet sa capac­ité à retrou­ver l’objet per­du en représen­ta­tion, avec pour béné­fice, donc, le tri­om­phe de la réal­ité psy­chique.

Cather­ine Chabert évoque aus­si « l’épreuve de sépa­ra­tion qui con­stitue l’acmé de cette prob­lé­ma­tique, c’est-à-dire le com­plexe d’Œdipe » en tant qu’indispensable à l’instauration de l’ambivalence qu’elle per­met d’orchestrer.

Alors si cha­cun des auteurs réus­sit à nous mobilis­er sur la posi­tion con­tre-trans­féren­tielle du thérapeute au regard de la fin de traite­ment, dif­férente selon qu’elle con­cerne un enfant, un ado­les­cent ou un adulte, Cather­ine Chabert décrit « une posi­tion sin­gulière pour le thérapeute : entre la sat­is­fac­tion, voire la jubi­la­tion du fait des effets béné­fiques de la cure, et la désil­lu­sion, la décep­tion voire l’amertume pro­duites par ses butées, la marge est par­fois étroite. »

Dans ce nou­veau numéro de la revue, les soignants du Cen­tre Alfred Binet de l’ASM 13, psy­ch­an­a­lystes pour la plu­part, illus­trent à la lumière de leur clin­ique le proces­sus thérapeu­tique à l’œuvre en tant que fil rouge des fins de traite­ment, thème abor­dé d’emblée par Sarah Byd­lows­ki. Et ce alors que, reprenant René Diatkine : « La fin de traite­ment n’est pas facile à régler. Le per­fec­tion­nisme formel devrait être évité […], et ce n’est qu’intuitivement que l’on peut décider quand l’enfant peut se pass­er de son thérapeute. » Elle remar­que qu’en ne pou­vant ignor­er la symp­to­ma­tolo­gie, la posi­tion du psy­ch­an­a­lyste d’enfants représen­tera un com­pro­mis par rap­port aux cas de cures d’adulte. En effet, les par­ents étant par­tie prenante du traite­ment de l’enfant, il est rare que tous aient la même vision de son évo­lu­tion en dehors des dif­fi­cultés ini­tiales qui les avaient amenés à con­sul­ter. Sou­vent, nous dit Sarah Byd­lows­ki, le thérapeute devra laiss­er par­tir le petit patient tout en sen­si­bil­isant l’entourage à ce qui n’est pas encore vis­i­ble de l’appareil psy­chique, instau­rant par là une rela­tion de con­fi­ance qui pour­ra les inciter à revenir le cas échéant. Car, reprenant les mots de Colette Chi­land : « Si nous soignons un enfant, l’avenir de cet enfant nous importe au plus haut point. Il ne s’agit pas seule­ment pour nous de faire dis­paraître un symp­tôme, il s’agit de per­me­t­tre au développe­ment de pour­suiv­re ou de repren­dre un cours béné­fique, il s’agit d’éviter, si faire se peut, la mal­adie men­tale grave à l’âge adulte. Le plus tard est au cen­tre de notre tra­vail. »

Pierre Denis, lui, va pré­cis­er Le tra­vail de fin de traite­ment avec l’enfant et les enjeux qu’il engage dans le proces­sus qui s’articule autour de la dynamique du trans­fert. Fidèle à la pen­sée de Nora Kurts, sur la fin de traite­ment élargie à sa final­ité en tant que tra­vail de cul­ture sans fin, il se demande quel degré d’inachèvement lais­serait présager d’un avenir favor­able ou d’une rechute, au regard d’une symp­to­ma­tolo­gie infan­tile poly­mor­phe.

Dans le cas de l’enfance, comme dans les patholo­gies non névro­tiques, l’entreprise thérapeu­tique ten­dra à con­stituer peu à peu une névrose de trans­fert plutôt qu’à la décom­pos­er pièce par pièce (Freud) en vue de sa dis­so­lu­tion. En effet, avec l’enfant, pour­suit Pierre Denis, il s’agira moins de lui arracher des armes de défense que de lui en fournir tels que déplace­ments, con­tre-investisse­ments, sub­li­ma­tions… Alors si « Là où était du ça, du moi doit advenir » (Freud), c’est la capac­ité du psy­ch­an­a­lyste à jouer au même jeu que son petit patient, spat­ule ou bobine, qui est « l’instrument priv­ilégié et de l’installation et de la pour­suite de la névrose de trans­fert » (Référence à un com­men­taire de A. Bau­douin). Et de con­clure que c’est de l’issue du con­flit entre autonomie proces­suelle, au sens de César et Sara Botel­la, et effets de la névrose infan­tile que dépen­dra la qual­ité de la sépa­ra­tion entre thérapeutes et jeunes patients.

L’orthophoniste Sylvie Robel évoque elle, à son tour, à par­tir du traite­ment de deux patients com­ment Penser l’absence : his­toire et nar­ra­tiv­ité, grâce à l’accès par une réflex­ion métalin­guis­tique à la cul­ture et à la lit­téra­ture.

Le point de vue du pédopsy­chi­a­tre dans les patholo­gies graves de la petite enfance en tant que fil con­tinu des soins sera décrit par Dominique Dey­on. Elle pose la ques­tion à l’aune de soins stan­dard­is­és et du cas du petit Karim de la « Tem­po­ral­ité et psy­chi­a­trie de l’enfant : éloge de la durée », titre de la mono­gra­phie du Cen­tre de 2004, tou­jours d’actualité. Ce qu’illustre Brigitte Bernion à par­tir des mou­ve­ments proces­suels du traite­ment psy­chothérapique de Karim durant les qua­tre années d’une Thérapie avec fin et sans fin, de ses béné­fices et de ses lim­ites à l’orée de l’adolescence.

Quant à Pas­cale Jean­neau-Tolila, psy­chi­a­tre et psy­ch­an­a­lyste, elle nous amène à réfléchir Les fins de traite­ment – se ren­con­tr­er pour se sépar­er chez l’adulte et l’enfant, avec l’idée que dans tous les cas pour pou­voir se sépar­er il faut qu’il y ait eu ren­con­tre. Alors suiv­ant que cette ren­con­tre repro­duise à l’identique le col­lage mater­nel dans le cas des schiz­o­phrènes hos­pi­tal­isés, un accrochage plus ou moins incon­di­tion­nel, le con­tre-trans­fert, nous mon­tre cette soignante, reprenant Paula Heimann, est un « instru­ment de recherche à l’intérieur de l’inconscient du patient ». C’est en tout cas la parade, trou­vée par Pas­cale Jean­neau-Tolila aux pris­es avec « La com­pul­sion à soign­er l’autre », citant les mots de Dominique Bour­din, où la cul­pa­bil­ité pri­maire pousserait à un sur­in­vestisse­ment de l’idéal du dévoue­ment à autrui.

Véronique Lau­rent, elle, au tra­vers de sa clin­ique de groupal­iste pour enfants invite à une réflex­ion sur la qual­ité de la ren­con­tre et sur le proces­sus de change­ment engagé, préal­able à toute sépa­ra­tion. Son approche rap­pelle que, et selon Freud, « la psy­cholo­gie de la foule est la plus anci­enne psy­cholo­gie de l’homme », et que donc, la psy­cholo­gie indi­vidu­elle représen­terait un pro­grès sur l’attraction régres­sive de la psy­cholo­gie col­lec­tive. Les organ­isa­teurs fan­tas­ma­tiques internes ou « groupes internes » (avant-pro­pos à l’ouvrage de Didi­er Anzieu), selon Véronique Lau­rent, véri­ta­bles artic­u­la­tions entre le sujet et le groupe, sont autant de con­fig­u­ra­tions du lien, ren­voy­ant à la con­cep­tion de René Kaes de ce que « l’inconscient est struc­turé comme un groupe ». Du coup on com­prend que pour par­tielle qu’elle soit, l’individualisation comme la sépa­ra­tion d’avec l’union groupale ne soit pas sans risque. D’où la propo­si­tion con­clu­sive de « se sépar­er ensem­ble », ce qui engagerait le Moi dans une rela­tion à l’objet moins con­traig­nante où la libéra­tion du poten­tiel héroïque de cha­cun passerait par la recon­nais­sance de sa sin­gu­lar­ité.

Le joli cas clin­ique dévelop­pé par l’orthophoniste Isabelle Prat-Maupu mon­tre le plaisir partagé dans la rela­tion avec une petite patiente qui lui a per­mis non seule­ment un accès au lan­gage mais une appé­tence telle pour la con­nais­sance que le temps de la sépa­ra­tion est dif­fi­cile à envis­ager.

Se ren­con­tr­er pour se sépar­er s’interroge Jacques Angel­er­gues, à la fin de l’ouvrage, pour qui, et reprenant la for­mule de Freud « … l’inconscient de la vie d’âme est l’infantile ». Plus exacte­ment, ce pédopsy­chi­a­tre psy­ch­an­a­lyste se demande à l’évocation du cas de sa patiente la petite Juli­ette, quelles sont les con­di­tions de déploiement d’un trans­fert per­me­t­tant à l’enfant de mobilis­er ses proces­sus pré­con­scients dif­férem­ment. Autre façon, peut-être, de penser la sépa­ra­tion en ter­mes de change­ment d’objet chez la petite fille, que Lisa Résaré énonce dans son arti­cle par : « …com­ment séduire mon père (être séduite par lui) sans ris­quer de per­dre ma mère ? »