La déposition de Pascale Robert-Diard, un fils en sacrifice

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Cour d’assises  de Rennes,  7 avril 2014 : « Ce jour-là, j’ai connu l’effroi ».  C’est Pas­cale Robert-Diard qui l’écrit dans son der­nier livre La Dépo­si­tion, (Édi­tions l’Iconoclaste). Et pour­tant cette jour­na­liste aguer­rie du Monde (entrée en 1986 au ser­vice poli­tique et depuis 2002 à la chro­nique judi­ciaire) en a sui­vi des affaires et des plus spec­ta­cu­laires avec leurs lots de tra­gé­dies, de révé­la­tions, de retour­ne­ments. La comé­die humaine à son paroxysme, c’est son rayon.

Cet effroi, qu’elle a res­sen­ti vis­cé­ra­le­ment, c’est le moment inouï, où en public, dans le pré­toire, une des affaires non élu­ci­dées les plus média­tiques des qua­rante der­nières années : « L’affaire Le Roux » a trou­vé son épi­logue fra­cas­sant à tra­vers la révé­la­tion d’un secret de famille. Pour reprendre une décla­ra­tion de l’avocat de la défense, Maître Fran­çois Saint-Pierre « C’est un coup de théâtre ou plu­tôt une tra­gé­die qui s’ouvre ». C’est par la dépo­si­tion tota­le­ment inat­ten­due et à charge  d’un fils contre son père que les men­songes  de toute une vie, de toute une famille, s’effondrent en direct. Une véri­té est enfin  révé­lée. Pour rajou­ter du drame au drame, ce fils qui condamne est aus­si celui qui pen­dant des années s’est bat­tu farou­che­ment aux côtés de son père pour le sou­te­nir, le défendre, l’innocenter. Noyé dans les men­songes et broyé par l’étau du conflit moral qui l’enserre, il choi­sit ce jour là, envers et contre tous les siens, de remon­ter à la sur­face du réel et comme en apnée devant une assem­blée pétri­fiée, faire écla­ter la lumière sur les ombres du pas­sé.

Pour bien sai­sir l’enjeu et la por­tée de ce remar­quable livre de Pas­cale Robert Diard, reve­nons briè­ve­ment  sur cette affaire. Tout le monde, ou presque, la connaît. C’est celle de la dis­pa­ri­tion d’Agnès Le Roux. « Le casi­no, l’argent, l’héritière, l’amant, com­ment se las­se­rait-on de ce mys­tère ? ». Une jeune femme de 27 ans, belle et for­tu­née dont la mère pos­sède un casi­no à Nice, le Palais de la Médi­ter­ra­née, dis­pa­raît mys­té­rieu­se­ment à la Tous­saint 1977.  Très vite son amant  Mau­rice Agne­let, ancien avo­cat du casi­no, est soup­çon­né et écroué (une tran­sac­tion sus­pecte de 3 mil­lions de Francs Suisse consti­tue­rait le mobile). Mais il obtient un non-lieu en 1985, faute de réponses appor­tées aux ques­tions clés sur le crime sup­po­sé « Quand ? Com­ment ? Où ? ».  Bien que des charges lourdes pèsent contre lui, en l’absence de preuves, de corps retrou­vé et doté d’un ali­bi solide,  il échappe à la jus­tice. Celle-ci va le rat­tra­per en 1999,  son ex-maî­tresse avoue qu’elle a men­ti quand elle lui a offert par amour un ali­bi. L’affaire est relan­cée. Rebon­dis­se­ment, en 2006, l’accusé est acquit­té aux assises de Nice au béné­fice du doute. Le par­quet fait appel en 2007, il est condam­né à Aix-en-Pro­vence à 20 ans de réclu­sion pour meurtre. Mais retour­ne­ment à nou­veau, la Cour euro­péenne des droits de l’homme ordonne un troi­sième pro­cès qui s’ouvre en 2014 à Rennes où le drame va se jouer.

Guillaume un des fils de l’accusé y  déclare que son père lui aurait avoué alors qu’il avait 14 ans : « De toute façon, tant qu’ils ne retrouvent pas le corps, je suis tran­quille. Et moi le corps, je sais où il est ».  Confi­dence que sa mère lui aurait confir­mée en appor­tant les réponses aux fameuses ques­tions. Où ? à Monte Cas­si­no en Ita­lie. Quand ? à la Tous­saint 77.  Com­ment ? D’une balle dans la tête en plein som­meil. Le corps d’Agnès aurait été dénu­dé et  aban­don­né dans la forêt. Suite à cette dépo­si­tion, le pro­cès s’effondre, le ver­dict semble scel­lé à cet ins­tant même, devant une assem­blée pétri­fiée. L’accusé, son ex-femme et leur autre fils réfutent cette véri­té. La cour n’aura pour sa part plus aucun doute. Après les déli­bé­rés, elle annonce 20 ans d’emprisonnement.

Les ingré­dients de cette his­toire sont tout aus­si ciné­ma­to­gra­phiques que hau­te­ment roma­nesques. André Téchi­né ne s’y est pas trom­pé en réa­li­sant en 2014 L’homme qu’on aimait trop, autour du per­son­nage fas­ci­nant de l’accusé : mani­pu­la­teur, séduc­teur et per­vers. Pas­cale Robert-Diard, va s’attacher elle à la figure de Guillaume Agne­let et au poids  du secret que lui fait por­ter Mau­rice.  Mais comme l’écrit Nietzche qu’elle cite : « Ce que le père a tu, le fils le pro­clame ».

Bou­le­ver­sée après cet ultime pro­cès, elle n’a pas vou­lu en res­ter là.  Com­ment par­vient-on  à rompre ain­si trente ans de silence ? Elle a écrit à Guillaume, l’a ren­con­tré et nous livre aujourd’hui ce livre pas­sion­nant sur la méca­nique du secret  et les rouages si com­plexes du men­songe.  Avec en arrière-plan, le dérou­lé d’un pro­cès d’assises sous haute ten­sion avec ses rites – pour ne pas dire sa litur­gie – qui offre à son texte toute sa dra­ma­tur­gie et tient le lec­teur en haleine de bout en bout. Com­ment, seul contre tous les siens, et en public, ce fils a‑t-il trou­vé la force et la déter­mi­na­tion pour faire voler en éclat cette col­lu­sion fami­liale ? Il lui en a fal­lu du cou­rage pour bri­ser l’omerta impo­sée par les liens du sang et par­ve­nir à poser des mots sur la véri­té. En tant que simple témoin, Guillaume était bien seul à la barre, sans avo­cat à ses côtés. Ce livre rend admi­ra­ble­ment compte des res­sorts psy­cho­lo­giques d’une telle épreuve.

Pas­cale Robert-Diard cite Jacques Ver­gès qui évoque  « Le côté trem­blé de la véri­té », qu’elle-même en tant qu’auteur sai­sit avec cette écoute, ce regard  sans mani­chéisme qu’on lui connaît dans ses chro­niques et que l’on retrouve ici, dans ce texte d’une haute tenue lit­té­raire et sou­te­nu par une belle sin­cé­ri­té qui jamais ne juge, ni n’accable per­sonne. Elle nous fait res­sen­tir dans un style tout à l’épure, non pas la sau­va­ge­rie, mais « l’hommerie » – comme la qua­li­fiait  si jus­te­ment Georges Sime­non – qui se révèle dans la vio­lence des pré­toires.

Le livre se clôt par le texte inté­gral sur 16 pages de l’arrêt de la Cour d’assises de Rennes du 11 avril 2014 qui motive la condam­na­tion de Mau­rice Agne­let à la peine de vingt ans de réclu­sion cri­mi­nelle.  La véri­té, et rien que la véri­té…

NB : Et si en refer­mant  cet ouvrage comme moi vous avez la curio­si­té de savoir qui est ce Jean-Marc Théol­leyre à qui il est dédié, cli­quez sur  lien ci-après c’est un  beau cadeau que nous fait Pas­cale Robert-Diard  sur son blog, il démontre com­ment Jus­tice et Lit­té­ra­ture peuvent comme dans La Dépo­si­tion, se ren­con­trer. http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2008/03/24/duras-theolleyre-et-la-chronique-judiciaire/

La Dépo­si­tion, Pas­cale Robert-Diard. Edi­tions l’Iconoclaste, Paris 2016, 300p.