« …Ce que nous étions en train de faire en ce moment était comme l’ombre projetée sur la terre de la vision qui se passait là-haut dans le ciel, tellement claire et brillante. Et j’ai su que la réalité était là-bas et qu’ici était son rêve assombri. »
A partir du récit, en 1930, de la mise en acte et en représentation, sous forme de cérémonie et dans un but de guérison, de la vision onirique d’un jeune indien sioux, présentant des symptômes psychotiques, plusieurs réflexions relatives au psychodrame me sont apparues. L’animisme, l’onirisme, la pensée magique ainsi que le jeu des représentations en sont les principales sources.
« Je crois vous l’avoir dit mais si je ne l’ai pas fait vous l’aurez compris, un homme qui a eu une vision n’est pas apte à se servir du pouvoir de cette vision tant qu’il ne l’a pas représentée sur terre pour être vue par le peuple…
L’homme qui parle ainsi est un vieil indien Lakota, Elan Noir, grand prêtre et guérisseur qui raconte à John Neihardt, en 1932, l’histoire de sa vie.1 Il donne ici un aperçu saisissant des productions de la pensée animiste dont nous pouvons penser qu’elle est une composante importante à l’œuvre au psychodrame.
Il poursuit :
« Et si la grande peur ne m’avait pas saisi comme elle l’a fait, me forçant à faire mon devoir, j’aurais été moins utile au peuple qu’un homme qui n’aurait jamais fait le moindre rêve, et quand même j’aurais gardé en moi la mémoire d’une aussi grande vision. Mais la peur est venue et je suis sûr que si je ne lui avais pas obéi elle m’aurait rapidement tué. »
Mais l’intérêt de ce récit tient aussi à son point de départ onirique.
A l’âge de neuf ans en proie à une forte fièvre qui manque de l’emporter, il traverse un profond état onirique qu’il n’aura de cesse par la suite de représenter et mettre, en quelque sorte, en scène sous forme de cérémonie, en faisant participer dans cette réalisation de sa vision la communauté Lakota. Le but en deviendra de guider et sauver la tribu indienne lentement décimée par les soldats blancs, mais elle est à l’origine indissociable d’une tentative de guérison du mal qui le frappe, alors qu’adolescent il est en proie à des hallucinations et des terreurs effroyables, s’isole, ne supporte plus aucune présence.
Il est conduit à un vieux médecin indien par ses parents, qui assistent impuissants à la progression de la maladie vers la « folie ». Il a alors 17 ans, son état ne cesse d’empirer, il court d’un lieu à l’autre jusqu’à l’épuisement pour fuir ses peurs. Il se sent harcelé, attaqué par les bruits de la nature, les cris des oiseaux, qui lui semblent s’adresser à lui, commenter ses actes.
C’est le vieux sorcier indien qui prescrit ce traitement à valeur sacrée et qui organise sa mise en scène sur les indications de l’adolescent. Le traitement nécessite beaucoup de participants, de chevaux, d’actions symboliques, et tend à la reproduction la plus fidèle de la vision qu’il a eu, des mouvements, des paroles, et des sons qui l’accompagnaient :
« Il y avait quatre chevaux noirs pour représenter l’ouest, quatre chevaux blancs pour le nord, quatre alezans pour l’est, quatre fauves pour le sud. Pour chacun d’eux de jeunes cavaliers avaient été choisis. Il y avait un cheval bai pour moi comme dans ma vision, quatre parmi les plus belles jeunes filles du village étaient prêtes à jouer leur rôle et il y avait six vieillards pour les grands-pères…« 1
La description de la « grande vision » à laquelle se réfère la cérémonie est longue et détaillée. J’en choisis de courts extraits :
« … Nous sommes arrivés au dessus d’un endroit où trois cours d’eau en formaient un grand, un flot d’eaux puissantes, et il y avait là quelque chose de terrible. Des flammes s’élevaient des eaux et un homme bleu (un soldat des envahisseurs blancs) vivait dans les flammes. Une poussière flottait autour de lui, l’herbe était courte et fanée, les arbres se desséchaient, les êtres vivants, bipèdes et quadrupèdes, étaient couchés là, haletants et les ailes étaient trop faibles pour voler.
Puis les cavaliers des chevaux noirs ont crié « hoka hey ! » et ont chargé sur l’homme bleu, mais ils ont été repoussés. Et les troupes blanches ont crié en chargeant, et ont été battues. Puis les troupes rouges, puis les jaunes.
Et après qu’elles eurent toutes échoué, elles ont crié ensemble : « Aigle étends ton aile ! »… Et le monde a été rempli de toutes sortes de voix qui m’ont acclamé. Alors j’ai chargé, j’avais la coupe d’eau dans une main et dans l’autre l’arc qui est devenu une lance, et j’ai foncé et la pointe de la lance a jeté un violent éclair. L’éclair a poignardé le cœur de l’homme bleu, et tandis qu’il était frappé j’ai entendu rouler le tonnerre et de nombreuses voix ont crié « Un-hee ! » signifiant que j’avais tué. Les flammes se sont éteintes…« 1
Il poursuit plus loin, en reliant la mort du destructeur de la nation indienne à celle de tous les disparus indiens, le travail de deuil étant enfin rendu possible par la reconnaissance de la disparition des anciens objets d’attachement, et conduisant à la renaissance des familles décimées :
« … et bientôt j’ai vu devant moi le cercle d’un village… Je suis entré dans le village, chevauchant avec les quatre troupes de chevaux derrière moi, les noirs, les blancs, les alezans et les fauves. Et cet endroit était plein de lamentations et de chagrin à cause des morts… et quand j’ai regardé autour de moi j’ai vu que presque dans chaque tente les femmes et les enfants et les hommes étaient couchés mourant parmi les morts… et tandis que je chevauchais j’avais envie de pleurer.
Mais quand j’ai regardé derrière moi, les femmes et les enfants et les hommes étaient en train de se lever et s’avançaient avec des visages heureux.
Et une voix a dit : » Vois, ils t’ont donné le centre du cercle de la nation pour la faire vivre.« 1…
On peut penser que s’accomplit là en même temps, un deuil d’une autre nature, un passage, bouleversé par les violences traumatiques, un passage de l’état d’enfance à un possible devenir, une possible maturité. L’entrée dans le village, les morts qu’il voit se lever quand il regarde derrière lui, et l’accession à ce statut de sauveur de la nation, peuvent être lus comme la résolution, offerte par le rêve, des thématiques œdipiennes projetées dans la culture et l’histoire dans laquelle il se meut. Ces thématiques sont transcendées par la mission grandiose et sacrée qui lui échoit de s’opposer à la mort et la destruction, d’offrir à la vie la possibilité de renaître de ses cendres.
On peut noter au passage, l’acte de se retourner alors qu’il s’avance, de regarder derrière, présenté dans les mythes comme dangereux, interdit (Orphée, la femme de Loth changée en statue de sel…) probablement parce qu’il représente alors la valence mortelle du lien aux disparus, au passé, à ce qu’on ne peut et donc ne doit plus voir, le désir véhiculé par le regard, caché, coupable, destructeur, ce qui est derrière. Ce n’est nullement le cas ici : au contraire le regard protège, fait renaitre, il emporte vers l’avenir ou relie à l’avant de la catastrophe. Continuer d’avancer et regarder derrière, c’est construire un nouveau passé.
Enfin on voit plus loin, comment l’onirisme est porteur d’une dangereuse folie rendant le monde parfaitement intelligible dans une forme de fusion aux éléments, mais indiquant déjà la mission sacrée qui redonnera sens à sa propre vie face à l’horreur et la disparition annoncée :
… Puis je me suis trouvé sur la montagne la plus haute de toutes, et tout autour en dessous de moi était le cercle complet du monde. Et durant le temps que je me trouvais là, j’ai vu plus que je n’en puis dire, et j’ai compris plus que je n’ai vu. Car je voyais les formes de toutes choses en esprit, d’une manière sacrée, et la forme de toutes les formes telles qu’elles doivent vivre ensemble comme étant un seul être… »
Elan Noir gardera longtemps secrète cette vision dans laquelle il voit à la fois le signe d’un pouvoir qui lui aurait été donné et le poids terrible, voire maléfique, d’une mission trop immense pour lui si elle ne prend pas sens sous le regard et par la connaissance des autres. Par leur participation dans une mise en acte qui permet que chacun en intègre des fragments, y joue un rôle, et que tous ensemble réunissent.
La valeur résolutive de la vision tient à son partage et sa représentation. La mise en acte en constitue le trait d’union. Hors le partage et la réunion c’est la charge mortelle de la vision qui envahit le sujet. L’ambivalence, le clivage, prennent le dessus. Il est le meurtrier qu’il prétend combattre. L’exposition de la vision et l’approbation par la tribu qu’elle implique, désamorcent la charge traumatique, en la « dissolvant » et l’élevant dans l’idéal du moi.
Le dévoilement pulsionnel, la destructivité et la réalisation œdipienne meurtrière qui y est contenue, recèlent une charge interne insoutenable qui peut faire voler en éclat le moi. La mise au dehors, dans les conditions décrites, la transforme en projets altruistes, en mission sacrée. Elle est un don, le sacrifice d’une part intime de soi dans une visée altruiste et y puise sans doute une part de sa valeur thérapeutique.
Le récit rapporte qu’Elan noir est guéri ensuite et accède à une identité stable.
» Le jeu du psychodrame met en extériorité un drame d’intériorité qui ne se jouait plus, dans la brisure narcissique » (Jean Gillibert)2
Au psychodrame, c’est le jeu, le jeu partagé, qui préside à cette mise au dehors et qui rappelle à bien des égards les éléments qui semblent les plus significatifs du cérémonial mis en place autour du récit d’Elan noir.
Reprenons un par un ces éléments :
- La représentation sous le regard de tous, de cette expérience interne qui est ainsi mise au dehors, comme pour rétablir un lien au monde, une circulation.
– le fait que cette représentation passe par une mise en acte et en scène, accompagnée de chants et de paroles.
– Tous les membres de la tribu sont à la fois acteurs et spectateurs, avec cependant un ordonnateur qui observe. La vision n’est pas considérée comme un délire, un phénomène morbide à évincer, mais est reconnue et porteuse d’un sens profond, même si c’est ici dans un sens plus collectif qu’individuel, plus sacré que psychologique.
– Il y a tentative de reproduction exacte de la vision, sans surprise, mais à travers une élaboration commune sur son sens (le récit, la mise en scène). Tout ce qui est à découvrir est dans la vision initiale, mais on le verra, elle n’est elle-même qu’une partie d’un ensemble plus vaste. De plus, elle subit un travail de ré – énonciation particulier, certaines parts plus sombres n’en étant pas directement représentées, et faisant l’objet de ce qu’on pourrait appeler un « travail de culture » au sens de Freud, un travail de secondarisation, et de sublimation.
– Cette vision et sa mise en représentation, se rapportent à un au delà, hors du temps, un ailleurs non altéré, un ailleurs qui gouverne, détenteur de vérité absolue, dont elles ne sont qu’une perception affadie. De par la « mise en scène », la mobilisation de la communauté indienne qui signifie implicitement que tous sont impliqués, à la fois « soigneurs » et « soignés », de par l’effort de représentation se rétablit la relation entre le monde d’en bas et celui d’en haut.
– La vision reproduite est en soi une interprétation donnée au peuple qui passe par la médiation de l’homme « malade ». Le traumatique, le génocide progressif, physique et culturel, le malheur de la nation indienne décimée, est soulagé par le truchement de cette représentation collective.
Ce qui, de la vision initiale, n’est pas représenté
Dans la vision initiale figurait le meurtre de l’agresseur désigné : « …j’ai foncé et la pointe de la lance a jeté un violent éclair. L’éclair a poignardé le cœur de l’homme bleu, et tandis qu’il était frappé j’ai entendu rouler le tonnerre et de nombreuses voix ont crié : « un hee », signifiant que j’avais tué. Les flammes se sont éteintes. Les arbres et les plantes n’étaient plus desséchées et bruissaient joyeusement…
Et une voix a dit : « Vois, ils t’ont donné le centre du cercle de la nation pour la faire vivre.« 1
Ce meurtre, effacé de la cérémonie, est le point de départ de la résolution traumatique, qui dans la mise en scène est figurée par le rétablissement de tous les liens à l’intérieur de la nation indienne et avec les éléments naturels et leurs dieux : ancêtres et générations à venir, points cardinaux vers lesquels se dirigent les chevaux et qui représentent également les saisons, jeunes filles les plus belles, objets de désir et promesses de fécondité…
Il est remarquable que l’ennemi blanc ne soit pas représenté, n’ait aucun rôle, aucune place dans la cérémonie, comme on aurait pu l’imaginer d’une psychomachie opposant bien et mal en les mettant en scène. Il y a là une visée étrangère à ce type d’opposition manichéenne, idéalisation et purification ne s’embarrassant pas de ce qui est finalement considéré comme temporaire et négligeable (la présence de l’envahisseur blanc opposée à la pérennité de la nature du monde).
Mais la violence reste figurée dans l’aspect à la fois magnifique et effrayant des guerriers et dans la mise en mouvement des charges et des assauts que comporte cette « danse du cheval », qu’Elan noir doit réaliser sous le regard du peuple pour guérir de son trouble, ses hallucinations, et ses peurs terrifiantes.
La puissance résolutive de ce dispositif, qui va de l’individuel au collectif, est impressionnante : la guérison se produit en effet. Elle n’était sans doute pas certaine.
Il faut bien souligner la différence constamment maintenue entre l’onirisme et le réel. Il n’y a pas là de continuité entre l’hallucination onirique et le mode de pensée psychotique à l’état de veille.
La vision onirique d’Elan Noir, dans l’état particulier qui la produit est plutôt un rempart contre l’hallucination psychotique qui risquerait de gouverner la vie psychique. Mais cela requiert certaines conditions d’écoute et d’accomplissement.
Et cela n’est pas sous la seule dépendance des « croyances indiennes », mais paraît relever de mécanismes à l’œuvre dans toutes les cultures.
La question du jeu
C’est bien la différence essentielle avec le psychodrame et la limite de notre compréhension dans ce qui constitue le repérage d’un dispositif à valeur thérapeutique. Dans « la danse du cheval », et la précision avec laquelle elle est ordonnée, il n’y a en principe pas place pour les variations, la surprise et les créations inattendues dans lesquelles entraine le jeu. Il n’y a pas place pour l’improvisation, l’inspiration qui découle d’un éprouvé, d’une compréhension nouvelle dans l’ici et maintenant et entraine un ré – ordonnancement du « matériel ».
Le jeu peut exister cependant à deux niveaux, même si cela n’est pas pris en compte par le narrateur :
– dans l’écart entre le récit qu’a fait Elan Noir et sa « mise en scène » qui en est une interprétation donnée par le vieux médecin et sans doute à travers plusieurs élaborations successives de chacun des deux, et qui résultent de leurs échanges.
- dans ce que va comporter l’exécution même de la mise en scène, avec ses inévitables imprévus, et ce que ressentent et pensent les protagonistes en y assistant tout en la faisant. Quelque dévoués qu’ils soient à cette exécution, ils ont leur vie propre, tout comme Elan Noir, et leur vision n’est pas la sienne.
L’animisme
En dépit des notables différences que cette cérémonie présente avec le psychodrame que nous pratiquons, ce récit recueilli en 1930 par John Neihardt nous permet de nous arrêter brièvement sur l’animisme et la pensée magique, la mise en acte, et la place du visuel dans un dispositif thérapeutique.
De par la projection qui permet de comprendre et d’animer le monde, l’animisme déploie un moyen de conjurer l’impuissance, la menace et le vide. L’inconnaissable devient familier, le lointain accessible, l’inexplicable intentionnel. Ce ne sont pas seulement les motions internes d’hostilités qui sont projetées dans le monde extérieur. Il y a une mobilité de ce qui anime, habite les êtres et les choses et qui peut se transposer, circuler, se transformer.
Il est clair que la dynamique même du psychodrame puise dans la dimension animique, laquelle est intimement liée à la circulation des représentations et également à l’hypothèse ou à l’intuition d’une autre présence, une autre conscience à l’intérieur du sujet qui assiste, qui accompagne tout jeu de la pensée. Mais on voit aussi le risque à déjouer, d’une croyance erronée, fixée et réifiée, d’une action magique excluant un processus prenant sens, d’une expansion délirante détournant le sens dans la distorsion du réel.
Selon Freud3 l’accent psychique se trouve déplacé « des motifs de l’action magique, sur les moyens de celle-ci et sur l’action elle-même… »
Il y aurait contiguïté entre l’action effectuée et l’évènement souhaité.
« Les relations qui existent entre les représentations sont présupposées également entre les choses, et l’image en miroir du monde intérieur ne peut, à l’époque animiste que rendre invisible cette autre image du monde que nous croyons connaître ».
Dans la surestimation de l’acte psychique, les choses s’effacent derrière les représentations qu’on en a. Et le rôle du psychodrame sera de déjouer la toute puissance de la représentation lorsqu’elle asservit en direction de la croyance, et réduit la liberté de l’être, qui est jeu avec son monde interne et ses impasses, en même temps que reconnaissance de l’altérité, et de l’irréductibilité de « la chose ».
Dans l’animisme, ce qui se situe du côté de la croyance, la projection et la toute puissance de l’acte de pensée se trouve correspondre à des exigences du registre narcissique, qui exposeraient à de considérables dérives au psychodrame.
Mais c’est la question de l’action et sa valeur résolutive, dans son exposition au regard et ses liens au registre onirique, symbolique et hallucinatoire qui retiendra mon attention.
Représentation, jeu, disposition à l’action
Dans ce qui suit je m’appuierai essentiellement sur l’article de Marie Leclaire et Dominique Scarfone : « Epreuve de réalité et jeu« 4. J’y ai trouvé des réflexions tout à fait éclairantes sur la place de la mise en acte au psychodrame.
Freud pose au départ l’hypothèse de l’hallucination primitive comme moyen de satisfaction pour l’enfant incapable d’action, mais ajoute ensuite une autre voie, celle des hallucinations motrices qui nous intéressent dans le psychodrame.
En effet, serait posée ainsi une contribution motrice au développement des représentations. L‘expérience de satisfaction aboutirait au frayage de deux images, à la constitution de deux types de traces mnésiques : les premières se rattachant à l’image de l’objet, les secondes de nature motrice : images motrices des mouvements associés à la satisfaction, ayant provoqué de nouvelles excitations sensorielles de la peau et des muscles.
Ainsi soulignent les auteurs : « l’hallucination primitive réactive le souvenir de l’objet lié à la satisfaction, l’hallucination motrice réactive le souvenir du mouvement lié à la satisfaction », après avoir précisé : « A l’origine, un frayage étroit s’établit entre l’image de l’objet, l’image motrice, et la satisfaction ».
Dans le passage de la passivité à l’activité, dès que les souvenirs moteurs sont activés, la satisfaction se trouve présentée, sans se préoccuper de l’objet auquel elle était initialement associée.
Ainsi l’hallucination motrice trouve dans la perception un objet et réinvestit à partir de lui des images motrices.
Et les auteurs concluent : « la représentation est, en vertu de cette connexion originaire entre image de l’objet et image motrice, d’emblée et toujours une disposition à l’action ».
Le concept de représentation corporelle d’action de Philippe Claudon5, me semble rejoindre à travers la clinique ces réflexions. Chez certains enfants ayant un recours préférentiel à la motilité, la représentation de soi passerait par une représentation d’action étroitement liée à un halo proprioceptif. Une sorte d’enveloppe motrice se constituerait comme un repère de continuité de soi devant un flou des objets internes, une difficulté à habiter le corps propre, une angoisse de mort associée à la passivité.
Ces considérations ouvrent des pistes de réflexion particulières, mais concernent des aspects généraux de ce qui s’actualise des motions inconscientes dans le jeu psychodramatique et le mouvement des corps. Dans cette perspective on voit l’intérêt du psychodrame dans les états limites et les troubles de l’attention avec hyperactivité6.
On mesure également combien « l’expérience » psychodramatique, dans son effet d’actualisation, produit une activation d’images et d’images de mouvements, qui peuvent se retrouver dans le mouvement même de la parole qui circule et rebondit entre les protagonistes.
Si nous revenons à « la danse du cheval » d’Elan Noir, nous nous trouverions dans un champ très différent de celui du psychodrame, de par la fixité annoncée de la mise en scène de la vision et la valeur sacrée qui lui est conférée.
Mais dans la mise en acte, le rapport au visuel et au rêve, le partage des figurations et leur mise en commun, avec la prise de risque narcissique ou la confirmation narcissique inhérentes au déroulement, on se retrouve très près des effets de psychodrame.
Se conjuguent ainsi le regret d’un rapprochement idéal aux premiers objets perdus, d’une unité fantasmée retrouvée, et dans le jeu la prise de mesure de l’altérité, là où les mouvements d’identification narcissique tirent leur force mimétique dans les jonctions corps /psyché.
Ainsi le « travail » du psychodrame confirme bien certaines analogies avec le travail du rêve. Un rêve éveillé et partagé.
Reste bien sûr toute la question de l’interprétation et celle du transfert. Nous voyons là que d’autres ressorts, profonds confèrent au dispositif son pouvoir de guérison, lequel va bien au delà du sujet lui même, qui est en quelque sorte porteur de la maladie de la communauté indienne, face aux menaces de génocide.
La fin de l’histoire est triste.
Elan Noir assistera impuissant à l’extinction de la nation indienne. Peu avant la parution du livre, il adressera une dernière supplique au Grand Esprit, maître de la terre et des étoiles, du haut du pic Harney : » Une fois encore, peut être la dernière fois sur cette terre, je rappelle la grande vision que tu m’as envoyée… Ecoute moi, non pour moi même, mais pour mon peuple… Ecoute moi, afin qu’ils puissent revenir dans le cercle sacré et trouver la bonne route rouge, l’arbre protecteur!« 1
Par cette journée ensoleillée, sèche et claire, une petite pluie glacée et un grondement de tonnerre vinrent se mêler à ses larmes.
Mais les notions de « mise en commun », de « réélaborations successives », et d” « interprétation » à travers le travail de psychodrame, permettent de mieux approcher ce qui a été opérant dans l’histoire étudiée : effet anti traumatique dans un contexte historique de nature génocidaire, redécouverte de la capacité d’être face à la violence instinctuelle et la confrontation à l’altérité.
Bernard TOUATI, Psychanalyste, Psychodramatiste, Centre Alfred Binet, Paris.
NOTES :
- Neihardt J., Elan Noir, Mémoires d’un sioux, (1932), Ed Stock 1977.
- Gillibert J.(1985), Le psychodrame de la psychanalyse, Ed.Champ Vallon.
- Freud S. (1913), Totem et Tabou, in OC, Vol XI, Paris, puf, 1998.
- Leclaire M., Scarfone D., Epreuve de réalité et jeu, in RFP, 2004, 1, p.19–37, puf.
- Claudon P.(2007), Enfants hyperactifs, enfants instables, se repérer, comprendre, prévenir, Ed.In Press.
- Touati B. (2012), Excitation, symptôme, psychodrame, in Inhibition, symptôme, psychodrame, Spasm Etap, 31 rue de Liège, Paris 8è.