Arnold Munnich, pédiatre et généticien, a associé dès 1990 des pédopsychiatres, psychanalystes et psychologues à ses consultations de génétique. Dans l’unité de temps et de lieu de la consultation de génétique, se déploie ainsi une scène clinique où la double écoute du généticien et du psychologue permet au discours des patients d’être entendu simultanément au niveau de la réalité somatique et de la réalité psychique.
Cette discipline encore relativement nouvelle qu’est la génétique, en donnant accès, à travers l’identification de nos gènes et de leur fonction, aux déterminants de l’activité du vivant, réactive une série de fantasmes où les figures du destin, de voyant, de devin, de guérisseur, viennent entourer d’un halo mystérieux et irrationnel des connaissances scientifiques de plus en plus précises.
Arnold Munnich cite Henri Atlan : « mieux connaître les déterminismes qui nous gouvernent nous permet de faire l’expérience d’une plus grande liberté et ne m’interdit pas de faire l’expérience de la nouveauté ». Programme séduisant pour cette discipline qu’est la génétique médicale, loin des oracles, des transcendances et de tous les malentendus qu’elle véhicule, et pour nous analystes.
Ainsi débute son ouvrage :
« J’ai le sentiment d’être le témoin de toute une série de malentendus, d’idées reçues sur les avancées de la génétique et sur ce qu’on peut en attendre ; l’impression d’assister à une sorte de valse-hésitation entre diabolisation et fascination pour cette jeune science. Nous y avons notre part de responsabilité : il est si difficile de nous faire bien comprendre, de communiquer avec les patients comme avec l’opinion, de partager nos certitudes comme nos doutes. Le nœud du problème réside dans le décalage qui existe entre notre réelle capacité à produire des données expérimentales et notre incapacité tout aussi réelle à les comprendre, à les assimiler, à en tirer les leçons, à en déduire des ripostes thérapeutiques.
L’opinion, elle, surestime la science et lui prête plus de pouvoir qu’elle n’en a. Elle surestime plus encore la génétique et s’imagine que notre destinée est inscrite dans nos gènes. Non, nos gènes ne commandent pas notre avenir. Ils ne dictent pas notre futur, aucune fatalité ne leur est attachée. La vie n’est pas une tragédie grecque écrite par avance et les généticiens ne sont pas des oracles. L’information nécessaire à la vie est bien contenue dans nos gènes. Pour autant, l’ADN ne confisque pas notre destin, la liberté nous est donnée et les déterminismes biologiques qui nous gouvernent ne réduisent en rien notre libre arbitre ni ne nous interdisent de faire l’expérience de la nouveauté. Ce serait une bien mauvaise excuse que de se retrancher à tout instant derrière nos gènes. À qui réclamer, sinon à nous- mêmes, la restitution de notre futur ?
Il faut aussi le rappeler en toutes circonstances : les progrès de la médecine ne se commandent pas, les découvertes scientifiques ne s’achètent pas avec de l’argent. Il ne faut pas prendre nos rêves de guérison pour des réalités ni considérer trop vite les problèmes comme résolus. Les faits sont têtus, et répéter cent fois une idée fausse ou erronée n’en fera jamais une vérité. Comme nous n’avons pas toujours ce courage, cette prudence ni cette force de conviction, d’autres se chargent d’interpréter à notre place nos résultats et nos observations.
C’est ainsi que naissent les malentendus, les procès d’intention, les dérapages, les faux espoirs. Ils font l’affaire des médias, des spéculateurs, de tout le monde sauf des patients, pour qui la déception d’une promesse non tenue, c’est un peu comme la double peine : celle d’être malade et celle d’avoir été trompé. »
Arnold Munnich s’emploie ainsi dans ce livre dont le titre entre en résonance avec des questionnements psychanalytiques, à pourfendre les idées reçues sur la toute-puissance de la génétique, dans ses dimensions à la fois curatives et prédictives.
Dans l’exploration des maladies, un décalage important se fait jour entre les capacités actuelles de séquençage du génome (c’est-à-dire de la détermination séquentielle des constituants de nos gènes), et les possibilités des utiliser, de les interpréter, et de traiter les maladies en cause.
Et si les possibilités offertes par cet accès à la connaissance de notre génome et à ses liens avec chacune de nos particularités ouvrent sur des potentialités illimitées, que les progrès de la technicité rendent déjà en partie applicables, sont vertigineuses, elles donnent en contre-partie une place essentielle à la question de l’éthique qui doit pouvoir alors limiter le champ expérimental.
Du dépistage préconceptionnel à la notion de bébé médicament, les psychanalystes ont de beaux jours devant eux à tenter de démêler en amont et en aval, les significations associées à des situations inédites pour chacun des protagonistes.
Quant aux promesses liées à la médecine prédictive, A. Munnich dénonce avec humour les malentendus entretenus par les firmes : « Le risque est donc celui d’exposer chacun de nous à une masse d’informations non filtrées, non décodées, d’interprétation incertaine (« prédisposition à telle maladie ») et de pertinence discutable. Des informations qui peuvent faire beaucoup de mal, de façon complètement infondée. Des bataillons d’hypocondriaques, en perspective, qui viendront frapper sans aucune raison aux portes des hôpitaux. »
Les limitations tant médico-économiques que pratiques, sont encore très importantes et appellent à une grande humilité.
En effet si de très nombreuses maladies génétiques ont été identifiées, toutefois « une même maladie peut fort bien résulter de l’effet d’un quelconque gène parmi plusieurs : d’une dizaine pour les plus simples à quelques centaines pour les plus hétérogènes, les déficiences intellectuelles par exemple. De surcroît, chacun de nos gènes peut être la cause de plusieurs maladies différentes !! » De plus, « quand on scrute le vivant dans son intimité, on s’aperçoit que les patients sont uniques, car porteurs d’anomalies toutes différentes par leur nature ou leur position. Rares sont les patients qui, pour une même maladie et un même gène, portent exactement la même mutation. »
La question du déterminisme génétique reste donc d’une extrême complexité, en dehors de certaines affections bien précises.
L’autisme est à cet égard un problème sensible : en effet, certaines affections dont les symptômes peuvent s’apparenter à ceux classiquement décrits dans l’autisme correspondent à des maladies génétiques répertoriées. Même s’il s’agit le plus souvent d’anomalies génétiques non héritées, survenues par accident, si une affection est identifiée, cela peut permettre dans certains cas à des parents de prévoir d’avoir un autre enfant en évitant le risque d’avoir un 2è enfant atteint.
Arnold Munnich, à l’origine d’un partenariat et d’une recherche originale avec certains hôpitaux de jour prenant en charge des enfants et adolescents autistes, explique que « si l’on combine les techniques d’analyse moléculaire des chromosomes aux méthodes de séquençage à haut débit de l’ADN, on atteint aujourd’hui un taux de diagnostique génétique de l’ordre de 30–35% dans les formes d’autismes associées à une déficience intellectuelle et considérée par les pédopsychiatres comme atypiques. » La maladie dite de « l’X‑fragile » en est la plus connue. Tentant de dépasser les clivages historiques entre médecins généticiens et psychiatres, entre les tenants d’une détermination majeure de certains syndromes et les défenseurs de simples prédispositions génétiques, A. Munnich précise « qu’il est plausible que des mécanismes très différents, les uns organiques, les autres psychodynamiques, concourent à un même symptôme du spectre autistique, par le biais de modifications de la structure de la chromatine engainants nos chromosomes (dites épigénétiques). »
Arnold Munnich s’attèle ainsi, tout au long de son ouvrage passionnant, à dissiper les malentendus qui entourent la génétique médicale et ses applications, la dénaturent et la desservent, comme les Enfants de la Psychanalyse tentent de le faire avec les malentendus suscités par la psychanalyse. La citation d’Albert Camus choisie par Arnold Munnich en exergue de son ouvrage : « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde » ne pourrait-elle d’ailleurs constituer une devise commune pour ces deux disciplines en apparence si éloignées ?
Alexia Blime Cousi, psychanalyste.
A. Munnich (2016), « Programmé mais libre. Les malentendus de la génétique », Plon, Paris.