Prix de l’IJP- Acte IV : La régie psychanalytique et le facteur maternel de séance

« … car fina­le­ment, nul ne peut être abat­tu in absen­tia ou in effi­gie ». Freud ter­mine ain­si son texte La dyna­mique du trans­fert (1912). Que dirait-il, s’il avait eu notre expé­rience des séances à dis­tance, du res­sen­ti du tra­vail autour des figures visi­tant le trans­fert alors que l’absence se fait pré­sence ?
Des nom­breux échanges qui ont eu lieux der­niè­re­ment, amènent quelques remarques qui me semblent évo­ca­trices d’idée nou­velles dans nos réflexions covi­diennes. Alors que celles-ci s’attachaient plu­tôt aux effets sur nos patients, elles abordent enfin l’analyste dans son embar­ras. En géné­ral on évoque la fatigue, mais aus­si un sen­ti­ment de soli­tude et de la tris­tesse. Une sorte de noso­gra­phie rudi­men­taire de la télé­con­sul­ta­tion, qui ne peut être ins­crite dans un mou­ve­ment trans­fé­ren­tiel enten­dable et donc éla­bo­rable, mais se situe­rait plu­tôt dans une réponse psy­chique plus géné­rale aux carences du dis­po­si­tif dis­tan­cié : « les patients me manquent », entend-on dire ici et là.

« Le but de la recherche de méthode n’est pas de trou­ver un prin­cipe uni­taire de toute connais­sance, mais d’indiquer les émer­gences d’une pen­sée com­plexe (…)»

Edgar Morin, Science avec conscience (1982)

« Crash-test » du set­ting ana­ly­tique
Mais de quelles carences parle-t-on ? Quels troubles struc­tu­raux cette situa­tion pan­dé­mique a‑t-elle mobi­li­sé dans nos vécus, sur le prin­cipe d’un bain révé­la­teur appli­qué à des cli­chés que nous pen­sions figés pour tou­jours, et qui sur­prennent par leurs varia­tions sur le thème du « set­ting ana­ly­tique ». Nous aurions pu en effet man­quer jusque-là une dimen­sion, pos­tu­lée théo­ri­que­ment et éprou­vée par­ti­cu­liè­re­ment dans cer­taines cures, mais pas aus­si lar­ge­ment expé­ri­men­tée qu’elle l’est aujourd’hui. C’est une rare occa­sion de « tes­ter » notre outil de cadre « non moi » de l’analyste dans des condi­tions extrêmes de dis­tor­sion. Un peu comme le font les spé­cia­listes de la sécu­ri­té auto­mo­bile en pré­ci­pi­tant des voi­tures contre un mur pour mettre à l’épreuve les sys­tèmes de sécu­ri­té garan­tis­sant l’intégrité des pas­sa­gers. Nous avons été pro­je­tés sur le mur du confi­ne­ment, et avons recueilli quelques effets inté­res­sants en retour. Sûre­ment dans peu de temps y aura-t-il des tra­vaux uni­ver­si­taires plus quan­ti­ta­tifs et struc­tu­rés sur l’ensemble de ces ques­tions, mais en atten­dant, nous pou­vons nous auto­ri­ser à for­mu­ler quelques hypo­thèses dont une, cen­trale, qui sui­vrait la logique des élé­ments direc­te­ment imper­cep­tibles, mais tou­te­fois essen­tiels dans le fonc­tion­ne­ment d’un phé­no­mène com­plexe. Si en phy­sique, ces phé­no­mènes relè­ve­raient par exemple de l’univers  quan­tique, en psy­cha­na­lyse, ce serait entre autre l’ordre fami­lier des forces pul­sion­nelles intra et inter­per­son­nelles, auquel s’ajoute désor­mais un intrus social avec sa réa­li­té infec­tieuse omni­pré­sente, qui trouble l’expérience de la séance dans ses assises connus.

La focale est ici por­tée sur la régie de la scène ana­ly­tique, et son opé­ra­teur « mas­qué » (déjà avant le Covid), c’est à dire le fac­teur mater­nel, devant jus­te­ment garan­tir les assises de la cure, inclus d’habitude dans ce qu’on nomme le cadre, set­ting ou champ-nous y revien­drons.

L’histoire des concepts en psy­cha­na­lyse a tou­jours pro­fi­té des à‑coups de l’histoire, par­fois tra­giques, pour  éclai­rer de nou­veaux axes, à com­men­cer par le rema­nie­ment de 1920, ou les tra­vaux sur l’attachement après la seconde guerre mon­diale. Il en a éga­le­ment été ain­si de la mise en valeur pro­gres­sive du contre-trans­fert, consi­dé­ré pour­tant jusque dans les années 70 en France, comme un pos­sible frein à la cure. Il arri­vait par exemple à Serge Lebo­vi­ci de com­pli­men­ter une pré­sen­ta­tion cli­nique, tout en regret­tant que l’analyste ait du contre-trans­fert… En Grande Bre­tagne dès les années 1960, après l’intérêt mar­qué de M. Klein pour le monde interne du bébé sou­mis aux fan­tasmes incons­cients ain­si qu’aux angoisses schi­zo-para­noïdes, D.W. Win­ni­cott-en tant que pédiatre‑a fait le pre­mier ren­trer l’environnement mater­nel dans la théo­rie et la pra­tique. W.R Bion, fera dif­fé­rem­ment appel à une fonc­tion mater­nelle pri­mor­diale, redé­fi­nis­sant la notion klei­nienne d’identification pro­jec­tive pour expli­quer l’essence de la com­mu­ni­ca­tion incons­ciente entre la mère et l’enfant, où la rêve­rie mater­nelle donne sens aux émo­tions crues (row emo­tions). Les écrits de cette période s’attachaient ain­si à pré­ci­ser les fonc­tions mater­nelles de la cure où le maté­riel de séance était pris au pied de la rela­tion mère-enfant, la cure visant essen­tiel­le­ment à res­tau­rer ce lien convo­qué et offert par l’analyste.

Fac­teur mater­nel de séance
Il y aurait donc un com­po­sant dis­cret, agent de l’intégrité de la séance telle que nous la connais­sons et qui nous aurait dans une cer­taine mesure échap­pée.
D’une part la coex­ci­ta­tion libi­di­nale dont nous par­lions pré­cé­dem­ment assure une charge éner­gé­tique pour les besoins éco­no­miques de la cure1.  Mais à elle seule, elle n’explique pas cette note mélan­co­lique évo­quée du côté des ana­lystes, devant faire avec une ver­sion déma­té­ria­li­sée de leurs patients. Cette coex­ci­ta­tion, sorte de cœur nucléaire de la séance, néces­si­te­rait d’être adjointe d’une qua­li­té com­plé­men­taire pour rendre véri­ta­ble­ment compte de notre « patient blues ». Une col­lègue de Bue­nos Aires, sou­te­nait qu’une cure puisse se démar­rer par un sys­tème dis­tan­cié et qui plus est, sans que jamais une ren­contre n’ait lieu. Depuis plus de deux ans, elle suit en effet deux ana­ly­sants chi­nois dans ces condi­tions. Je lui objec­tais que ces deux patients sont psy­chiatres et faute de mieux, ils sont condam­nés à une cure à dis­tance s’ils veulent se for­mer à la psy­cha­na­lyse dans leur zone géo­gra­phique encore dépour­vue. De plus, je lui ai sou­mis l’idée que sans doute leur fan­tasme concer­nait bien une scène pri­mi­tive ana­ly­tique pou­vant être un jour recons­ti­tuée, par exemple, qu’une fois admis au sein de l’IPA, ils pour­raient ren­con­trer leur ana­lyste dans un congrès inter­na­tio­nal auquel ils espé­raient sûre­ment par­ti­ci­per dans le futur. Tou­jours est-il, que si nous avons tant de mal à consi­dé­rer qu’un démar­rage de cure à dis­tance soit à prio­ri indi­qué, c’est qu’une fois de plus nous sous-enten­dons des élé­ments inva­riables com­muns à toute ini­tia­tion de pro­ces­sus ana­ly­tique. Autre­ment dit, nous nous met­tons en demeure d’expliciter ce qui appar­tient au domaine de la « régie psy­cha­na­ly­tique », cet arrière plan si dif­fi­cile à iden­ti­fier s’il ne s’était dévoi­lé pen­dant la crise du Covid. Il semble assu­rer en cou­lisses le fonc­tion­ne­ment de la scène ana­ly­tique, du début jusqu’à la fin de la cure. Et quand la scène se trouve sou­dai­ne­ment en dan­ger, trou­blée dans ses repères, la régie est appe­lée à la res­cousse.

Pour essayer d’y répondre, admet­tons que la séance soit sou­mise à une acti­vi­té par­tiel­le­ment ana­logue à ce que décrit la notion mathé­ma­tique de fac­teur, dont le Larousse nous dit qu’il « s’emploie sui­vi d’un nom appo­sé pour indi­quer l’élé­ment déter­mi­nant qui inter­vient dans le résul­tat, dans l’é­vé­ne­ment ». Dans « l’évènement séance » pour­rait-on ajou­ter. Pour nous, ce serait le rap­port entre les élé­ments latents de la séance et ceux mani­festes au sein des­quels un fac­teur mater­nel de séance pour­rait être mis en évi­dence comme garant de la cohé­rence interne du pro­ces­sus en termes de conte­nu et de conte­nant. Il ne se situe­rait pas uni­que­ment dans des niveaux de régres­sion impor­tants où on pour­rait plu­tôt l’attendre, mais dans son poten­tiel d’action. Lorsque ce poten­tiel est obli­té­ré par l’absence des corps, il peut se main­te­nir par com­pen­sa­tion des res­sources obje­tacles internes, que tou­te­fois la durée de l’expérience peut pro­gres­si­ve­ment mena­cer. Dans des confi­gu­ra­tions limites ou désor­ga­ni­sées sur un mode plus ou moins proche de la psy­chose, le compte à rebours est plus rapide et son usure plus reten­tis­sante, notre désar­roi d’autant plus mar­qué. Pour pen­ser ce niveau de dys­fonc­tion­ne­ment pro­ces­suel, il me semble éclai­rant de pui­ser chez Win­ni­cott son modèle d’étayages phy­siques et psy­chiques four­nis par la mère à l’enfant : les bien connus hand­ling et hol­ding. Mais pour évi­ter un mal­en­ten­du pos­sible, pré­ci­sons qu’il ne s’agit nul­le­ment d’attribuer à la cure des aspects de l’un et l’autre dans des pro­por­tions variables : le piège phé­no­mé­no­lo­gique étant que tout ce qui se passe sur une scène thé­ra­peu­tique, suc­cès comme échecs, puisse se réduire à une carence ou un excès dans ces pôles de la rela­tion. Si cette réfé­rence nous est impor­tante, c’est sur­tout de par son empreinte, ses traces psy­chiques et non son « prin­cipe actif » com­por­te­men­tal qui serait cari­ca­tu­ra­le­ment de « jouer à la maman dans les cures » pour qu’elles fonc­tionnent. Ce dépôt psy­chique ancien, serait davan­tage un prin­cipe de base du fonc­tion­ne­ment de notre régie psy­cha­na­ly­tique. Hand­ling et hol­ding demeurent jus­te­ment scel­lés dans la règle d’abstinence, pour ce qui est de leur registre agit, ne reste que leur retour dans le champ ana­ly­tique ain­si que le défi­nissent Made­leine et Willie Baran­ger, c’est à dire un phé­no­mène accep­tant des fluc­tua­tions, des varia­tions, dont le cadre fait par­tie mais ne se réduit pas à lui (1962)2.  Le fac­teur mater­nel de séance est un frag­ment invi­sible mais indis­pen­sable pour la péren­ni­té de la cure, lut­tant contre l’assèchement pro­gres­sif de ce champ qui menace les deux acteurs de la cure pour des rai­sons qui nous semblent de nature essen­tiel­le­ment éco­no­miques. L’impossibilité d’un par­fait arti­fice pour res­ti­tuer un corps au trans­fert, ras­sure quant aux enjeux de véri­té d’être ensemble, dans un écart avec nos arte­facts de sub­sti­tu­tions modernes : la proxi­mi­té des corps n’est pas équi­va­lente à son image sur un écran ou à la voix seule, tout autant qu’une chaus­sure à talon n’est le pénis que dans l’univers men­tal du féti­chiste.

Ain­si la poten­tia­li­té de sai­sir le patient au bord de son effon­dre­ment, comme Win­ni­cott a pu le faire en tenant pen­dant des heures sa patiente par les mains3 , serait de fait impos­sible dans une séance à dis­tance, excluant cette moda­li­té extrême d’intervention de corps à corps consti­tu­tive d’un fan­tasme de rem­part ultime contre l’effondrement ou sur un autre ver­sant, d’accès au corps de l’analyste dans un registre agres­sif ou éro­tique.  Ain­si le sou­tien, l’agression et la séduc­tion se pré­sentent en tant qu’agirs certes répri­més mais dis­po­nibles dans le réel des séances en pré­sence. Ces argu­ments conduisent à ce que l’on dis­tingue une mise en fac­teur ain­si qu’une qua­li­fi­ca­tion des forces orga­ni­sa­trices de la régie ana­ly­tique.

Si en effet, ce fac­teur mater­nel met bien en rap­port les aspects latents et mani­festes de la séance, il couple d’un côté la coex­ci­ta­tion, avec des fonc­tions pare-exci­ta­trices cachées dans l’ombre tant que la situa­tion externe ne l’oblige à en sor­tir. Une fois dans la lumière ce mater­nel ne se conten­te­rait pas d’être une option à prendre ou à endeuiller, il serait lié à la pré­sence des poten­tiels d’action évo­qués plus haut, répon­dant ain­si aux moda­li­tés des soins mater­nelles pri­maires com­pi­lant le fémi­nin pure, la cen­sure de l’amante et la mère inces­tueuse, sortes de nou­velles Parques de la situa­tion ana­ly­tique. Le fac­teur mater­nel de séance, variable et com­po­sé, serait bien le socle de toutes cures, dont le trait d’union est clas­si­que­ment la régres­sion, et symé­tri­que­ment la néces­si­té d’en sor­tir, pour emprun­ter les voies pro­gré­dientes du trans­fert sur l’analyste, dont l’une des contraintes tech­niques est d’être suf­fi­sam­ment pré­sent, pour être suf­fi­sam­ment bon !

Notre méta­phore s’attache à suivre en aplomb les empreintes de cer­tains attri­buts psy­chiques du mater­nel, comme celles d’une mère qui fait l’effort de com­prendre la nature des pleurs de l’enfant pour y répondre au mieux, ou encore celle qui assure les inter­ven­tions indis­pen­sables pour que l’enfant apprenne à mar­cher, pré­ve­nant à juste mesure qu’il ne se mette trop en dan­ger. Un temps du lien par lequel nous sommes tous pas­sés, et avons ins­crit une ver­sion toute per­son­nelle de ce mater­nel des pre­miers temps, pré­sence auxi­liaire dont l’après-coup revient tou­jours-je crois- dans les marges de nos cures per­son­nelles ain­si que dans celles de nos patients. Mais une chose parait cer­taine en évo­quant les marges et sou­li­gnant à plu­sieurs reprises l’identité fur­tive de ce fac­teur mater­nel, c’est qu’il ne serait vrai­sem­bla­ble­ment pas à l’ordre du jour si le covid ne l’avait par révé­lé par notre corps absent.

Ain­si, ce fac­teur appli­qué au cadre, pour­rait varier comme les termes mani­festes et latents4  dont le pro­duit donne en résul­tat la séance. La spé­ci­fi­ci­té de cette pers­pec­tive est d’admettre que cha­cun des termes est fonc­tion de ce fac­teur mater­nel à visée de réa­li­sa­tion de la séance dans ses condi­tions opti­males, assu­rant la conti­nui­té de la cure. Une écri­ture pour­rait le sché­ma­ti­ser de la façon sui­vante :
(FMxVL) + (FMxVM) = S5
De l’équilibre de cette équa­tion, dépend la relance de l’investissement d’un tra­vail thé­ra­peu­tique au long cours, ce qui étonne par­fois nos col­lègues soi­gnants, ne com­pre­nant pas que le patient silen­cieux qu’ils voient de leur cabi­net puisse faire avec nous un tra­vail depuis des années, plu­sieurs fois par semaine : « mais qu’est-ce qu’il peut avoir encore à te dire ? », à com­prendre : « que ferait-on de dif­fé­rent pour qu’une telle démarche réus­sisse alors que des élé­ments pseu­do objec­tifs pour­raient la condam­ner à prio­ri ? » Au fond, nous ne fai­sons rien d’autre que de pro­po­ser une offre de qua­li­té d’é­coute, nous nous offrons en notre pré­sence, nous four­nis­sons un envi­ron­ne­ment fiable, bref, nous essayons d’être plei­ne­ment là où les patients s’at­tendent à nous trou­ver, et sur­tout au-delà. Bien sûr, nous le consta­tons encore mieux depuis la crise du cadre induite par la pan­dé­mie. À quel point patients et ana­lystes pour­raient souf­frir de ne pou­voir faire le deuil de cet ultime mar­queur de la situa­tion ana­ly­tique, un autre roc du bio­lo­gique6 : le mater­nel des soins pri­maires conte­nu dans notre pré­sence cor­po­relle et sa capa­ci­té à l’action-la part tou­jours rési­duelle du neben­mensch (l’autre secou­rable) qui ne pour­rait être objet de deuil, tout comme le hil­flo­sig­keit (extrême détresse, désaide) ne peut être l’objet d’une pro­jec­tion com­plète.

Un acci­dent de pen­sée en séance
L’histoire qui a contri­bué à cet article, relève d’un évè­ne­ment de séance rap­por­té par un col­lègue, à pro­pos d’une jour­née où l’enchainement des patients par télé­phone, a pré­ci­pi­té un acci­dent dans son tra­vail de figu­ra­bi­li­té (Dars­tell­bar­keit), comme le diraient S. et C. Botel­la (CPLF ‑2001). Après avoir eu plu­sieurs patients au télé­phone, et déjà ins­tal­lé dans cette pra­tique mixte entre patients pré­sents et à dis­tance due au confi­ne­ment, le col­lègue reçoit une patiente en face à face depuis plus d’un an, laquelle ces der­niers temps évoque les dif­fi­cul­tés avec son fils ado­les­cent. Il per­çoit pour la pre­mière fois, une res­sem­blance phy­sique avec sa propre mère décé­dée depuis 20 ans. Après avoir ten­té de chas­ser cette image qui s’imposait avec force, il a lais­sé cette figu­ra­tion s’implanter, favo­ri­sant même ce phé­no­mène en enle­vant ses lunettes, crai­gnant dit-il, que trop d’acuité visuelle aurait pu chas­ser ce moment de régres­sion. Il ajoute qu’il a tout à coup res­sen­ti un plai­sir des retrou­vailles avec sa mère, sur un mode simi­laire aux rêves qu’il fai­sait à la suite de son décès, ces rêves où les morts nous rendent visite et qui nous font du bien. Il passe ain­si une par­tie consi­dé­rable de la séance avec cette chi­mère, pro­lon­geant au pos­sible cet étrange moment d’hallucinose (une hal­lu­ci­na­tion non psy­cho­tique, A. Jean­neau-1990).

L'Avventura (1960) de Michelangelo Antonioni
« L’Av­ven­tu­ra » (1960) de Miche­lan­ge­lo Anto­nio­ni

Nous allons lais­ser de côté les élé­ments per­son­nels et contre-trans­fé­ren­tiels qui, après un exa­men appro­fon­di, ont sans aucun doute joué un rôle impor­tant. Nous allons lais­ser cette vignette évo­quer quelque chose de tout à fait dif­fé­rent, qui se joue dans la sin­gu­la­ri­té de cet évé­ne­ment, dans le tra­vail men­tal d’un ana­lyste expé­ri­men­té, sou­dai­ne­ment dépos­sé­dé de sa scène ana­ly­tique habi­tuelle, essayant de la retrou­ver dans cette expé­rience récon­for­tante entre rêve­rie diurne et hal­lu­ci­na­tion. Cette his­toire m’a paru contri­buer à fon­der l’importance d’un fac­teur mater­nel de séance, lequel à force d’être dis­lo­qué, voir dénié, revient au niveau du sys­tème repré­sen­ta­tion­nel, rat­tra­pant ce qui manque au cadre dans son sec­teur de régie et d’intendance. Il est clair que l’appel à la mère de l’analyste brasse éga­le­ment les iden­ti­fi­ca­tions hys­té­riques mobi­li­sées par une patiente en pré­sence et qui plus est en face à face, telle une gâchette ayant ini­tié et exploi­té cette brèche crée par la souf­france des fonc­tions conte­nantes mutuelles dans son champ ana­ly­tique.

Mot de la fin
Tout aurait été dit sur la mère en psy­cha­na­lyse, comme en plai­san­tait L. Aben­sour, rap­por­teuse au CPLF de 2010, consa­cré au mater­nel.
Et si on nous demande : « Où est le père dans tout ça ? ». Nous vou­lons juste don­ner une réponse super­fi­cielle mais pré­cise : le père est, comme d’ha­bi­tude, dans la tête de la mère, car nous ne consi­dé­rons pas ici comme un modèle, le fonc­tion­ne­ment d’une mère psy­cho­tique, effon­drée sur elle-même, pri­vée d’un tiers.
Sans doute que le fémi­nin et le mater­nel n’ont pas tota­le­ment per­du leur sta­tut de conti­nent noir : l’actualité du covid a opé­ré une sin­gu­lière syn­thèse des figures du soin psy­chique, ayant quelques traits com­muns avec une métho­do­lo­gie de recherche que l’on pour­rait cari­ca­tu­rer comme une mani­pu­la­tion de labo­ra­toire :
sépa­rez les élé­ments, lais­sez agir…
Qu’obtient-on?…
Encore du mater­nel !

Pio­tr Kzra­kows­ki
Remer­cie­ment infi­nis à Moni­ca Horo­vitz, intrai­table lec­trice béné­vole de ce texte, à qui n’échappe aucune approxi­ma­tion de confort, celles qui res­tent ne sont dues qu’à mon entê­te­ment…
Mer­ci éga­le­ment à Samir Fel­lak et Jérôme Glas, pour leurs remarques per­ti­nentes.

NOTES :

  1. Krza­kows­ki P., « Télé­con­sul­ta­tion : vivre sur ses acquis-Un point de vue éco­no­mique » (cf. nbp 1)
  2. Baran­ger M., W., (1961–1962), « La situa­tion ana­ly­tique comme champ dyna­mique », RFP, vol. 49, no 6, 1985, p. 1543–1571.
  3. Lit­tle M., « Lorsque Win­ni­cott tra­vaille dans les zones où dominent les angoisses psy­cho­tiques – un compte ren­du per­son­nel », in Trans­fert et états-limites, PUF, 2002, pp. 105–155
  4. C’est à dire l’ensemble des pro­jec­tions sur l’analyste et le cadre rele­vant à conte­nu rela­tif au champ ana­ly­tique. Le ver­sant mani­feste opère du côté du maté­riel concret du cabi­net et de la per­sonne de l’analyste sou­mis à une sub­jec­ti­va­tion secon­daire.
  5. « VL » et « VM » figurent les ver­sant latents et mani­festes, tan­dis que « FM », repré­sente la constante de fond fac­teur mater­nel, enfin « S », est la séance. Il n’est pas ques­tion d’ennuyer le lec­teur avec des pseu­do for­mules qui vou­draient imi­ter Lacan ou Bion. Celle-ci donne à voir gra­phi­que­ment que de part et d’autre des deux ver­sants, le FM peut inter­ve­nir dif­fé­rem­ment et mena­cer jusqu’à la fai­sa­bi­li­té de la séance : quand cer­tains patients refusent la pro­po­si­tion d’un main­tien du tra­vail thé­ra­peu­tique à dis­tance, par exemple.
  6. Dif­fé­rente de celui d’Analyse finie et Ana­lyse infi­nie où Freud met à jour une résis­tance par­fois indé­pas­sable « liée à deux thèmes en cor­res­pon­dance mutuelle, pour la femme, l’envie du pénis, l’aspiration posi­tive à la pos­ses­sion d’un organe géni­tal mas­cu­lin, pour l’homme la rébel­lion contre sa posi­tion pas­sive ou fémi­nine » (Freud S. 1937).