Psychothérapies d’enfants en temps de confinement : Le choix de la latence

Psy­cha­na­lyste avec des enfants, j’ai pour ma part fait le choix de sus­pendre les psy­cho­thé­ra­pies avec ces der­niers, mais de main­te­nir ce que j’appellerai la dimen­sion rela­tion­nelle dans le cas de l’analyse d’une fillette. Je pré­cise que les psy­cho­thé­ra­pies en ques­tion concer­naient des enfants de six à dix ans, qui évo­luent dans un registre net­te­ment névro­tique, et que l’analyse est celle d’une fillette dont l’accession au stade géni­tal et à une orga­ni­sa­tion oedi­pienne menant à un « halo géni­tal » ( M.Bouvet) a été mise en dan­ger pré­co­ce­ment.

Com­ment pen­ser ce choix de la latence ?
On peut construire ce ques­tion­ne­ment en se réfé­rant à deux axes bien connus de nous tous : le cadre et le trans­fert (et son ana­lyse), et arti­cu­ler ces deux axes fon­da­teurs à la ques­tion du couple exhibitionnisme/voyeurisme. Et, par­tant de là, se cen­trer tant sur l’effacement des fron­tières entre réa­li­té et réa­li­té psy­chique que sur l’effet de confu­sion poten­tielle induit entre l’analyste en per­sonne et l’analyste objet de trans­fert.

Com­ment en effet éla­bo­rer l’exhibitionnisme agi par l’enfant, dans un pro­to­cole en « visio », quand il s’inscrit dans une scène par essence intime, j’entends celle de son domi­cile, de sa chambre ou autre, seuls endroits d’où il peut s’adresser à moi pen­dant le confi­ne­ment ? Plus pré­ci­sé­ment, com­ment pour­rais-je cor­rec­te­ment en pre­mier lieu dis­cri­mi­ner la mise en jeu et en acte de cette pul­sion par­tielle, en second lieu l’inscrire dans une régres­sion et enfin en com­prendre le sens trans­fé­ren­tiel, dans un contexte qui prend le risque d’établir l’exhibition elle-même comme cadre ?  D’une cer­taine façon, inter­pré­ter l’exhibitionnisme – qui d’ailleurs ne s’interprète pas sys­té­ma­ti­que­ment dans la séance – de mon patient serait au mieux inadé­quat, au pire une dis­tor­sion. Je ne pour­rais pas authen­ti­que­ment pen­ser qu’il cherche à me faire voir, puisque j’aurais moi-même mis en place les outils du voyeu­risme.
Quant à mon voyeu­risme, je devrais comp­ter sur une inhi­bi­tion de grande inten­si­té pour ne pas per­ce­voir et inves­tir ma per­cep­tion : ah, le voi­là LE jouet dont il m’a par­lé, LE dou­dou magni­fié qui n’est que ce petit bout de chif­fon etc… La curio­si­té infan­tile de l’analyste serait mena­cée de se réa­li­ser bru­ta­le­ment, d’être agie, et en ce sens, je remer­cie beau­coup Paul Israël de nous faire par­ta­ger sa pen­sée d’un cadre pro­tec­teur de l’analyste, qui ren­voie nous dit-il au cadre comme bar­rière ou inter­dit de l’inceste. Dans cette ren­contre du fan­tasme et de la réa­li­té, je crain­drais tout autant que la « tran­si­tion­na­li­té ima­gi­na­tive » entre mon jeune patient et moi soit, pour moi, beau­coup trop abra­sée. Bien sûr cela  alté­re­rait péni­ble­ment la dis­sy­mé­trie, mais encore cette sub­tile construc­tion à deux d’une réa­li­té fic­tive qui nous per­mette de jouer. S.Lebovici avait eu cette for­mule selon laquelle le jeu est une acti­vi­té réel­le­ment vécue qui pour autant ne cesse d’être per­çue par l’enfant comme fic­tive. C’est toute cette dimen­sion de fic­tion qui pour moi ris­que­rait de dis­pa­raître dans cette inti­mi­té, même fic­tive, dûe au regard obli­gé dans les outils dits de visio, acti­vant les pul­sions voyeu­ristes et exhi­bi­tio­nistes.
Quant à la règle fon­da­men­tale, si elle connaît des exten­sions et des amé­na­ge­ments dans la cli­nique psy­cha­na­ly­tique avec l’enfant, elle reste au cœur de toute cure, dans laquelle « le pen­ser » est pro­mu, ce qui per­met évi­dem­ment de mesu­rer, par­fois d’interpréter, ce qui ne res­sort pas de son champ.  La séance avec l’enfant est émaillée d’agirs, et l’enfant comme son ana­lyste ont à ana­ly­ser leurs sens, avec le quan­tum de sur­prises cher aux cli­ni­ciens avec l’enfant. Pour ces psy­cho­thé­ra­pies avec des enfants, je me suis deman­dée si les main­te­nir par écran inter­po­sé ne nous expo­se­rait pas l’un et l’autre à un brouillage de la qua­li­té par­ti­cu­lière des agirs qui appellent récep­tion et remise en sens dans le pro­ces­sus et dans le cours de la séance. La séance – visio avec l’enfant : une pure culture d’agirs ?

Un autre point à ques­tion­ner de près est celui de la modi­fi­ca­tion bru­tale de la rela­tion avec les parents de notre jeune patient. La souf­france, la culpa­bi­li­té et la réti­cence par­fois des parents à admettre qu’ils s’en remettent à un tiers pour aider leur enfant font le lit d’une légi­time riva­li­té avec l’analyste ; quel che­min cette riva­li­té contre-inves­tie en temps nor­mal va-t-elle emprun­ter dans le cadre de ces séances, cela s’analysera au cas par cas. Une pos­si­bi­li­té mal­heu­reuse serait qu’elle flambe, y com­pris sous la forme de la plus directe séduc­tion : l’analyste dans le salon, prêt à y par­ta­ger le thé ou le café.

Avec ces pen­sées d’une latence néces­saire pour la psy­cho­thé­ra­pie de ces jeunes patients rele­vant du champ de la névrose, j’ai à l’inverse main­te­nu les séances d’analyse d’une fillette. Pour elle, un pas­sé de dépres­sion pré­coce et l’accession dif­fi­cul­tueuse à une orga­ni­sa­tion oedi­pienne m’ont conduite à opé­rer une dis­so­cia­tion entre la dimen­sion rela­tion­nelle du trans­fert, et du contre-trans­fert, et sa dimen­sion ana­ly­tique. J’ai sou­te­nu cette dimen­sion rela­tion­nelle en met­tant en place des séances par Skype, aidée par l’organisation tou­jours très conti­nue de ses parents. Je savais que l’inhibition motrice était suf­fi­sante avec cette fillette pour ins­tau­rer des séances où elle serait, comme dans mon bureau, assise et calme. Ces séances ont réser­vé la sur­prise de la mise en jeu en leur sein de la repré­sen­ta­tion et de la figu­ra­tion de la scène pri­mi­tive,  qui se pré­pa­raient mais sem­blaient encore loin de se pré­sen­ter. La ques­tion de la séduc­tion est dans ce contexte aigüe, le rap­pro­ché de nos visages sur l’écran ins­tau­rant une inti­mi­té et une proxi­mi­té aux effets para­doxaux. La proxi­mi­té sen­so­rielle par­ti­cu­lière pro­mue par ce media m’interroge, cette fois-ci c’est mon propre exhi­bi­tion­nisme que je ques­tionne : Flo­ra a toute pos­si­bi­li­té de scru­ter sur mon visage l’investissement fort qui est le mien, Eros trop chaud répare certes une dis­tance dépres­so­gène avec l’objet pri­maire, mais pour­rait bien faire flam­ber la scène….sans que j’aie les moyens suf­fi­sants dans ce contexte pour inter­pré­ter et rendre à qui de droit cet amour trans­fé­ros­ky­pé

Marie-Laure LÉANDRI, membre de la SPP