Classes préparatoires, grandes écoles et subjectivité

Après le bac­ca­lau­réat et en moyenne âgés de 18 ans, cer­tains étu­diants choi­sissent de pré­pa­rer les concours d’entrée dans les Grandes Écoles (GE) au sein de classes pré­pa­ra­toires. À cet âge, le pro­ces­sus d’adolescence n’est pas encore arri­vé à son terme, et de nom­breux conflits, notam­ment liés aux réac­ti­va­tions pul­sion­nelles et à la fra­gi­li­sa­tion nar­cis­sique propres à cette période, sont encore très actifs ; plus spé­ci­fi­que­ment, les réamé­na­ge­ments de la sexua­li­té occupent alors une place cen­trale et repré­sentent un enjeu cru­cial pour l’advenir psy­chique. Il est alors ques­tion pour eux de trou­ver des voies de déga­ge­ment et d’élaboration de ces pro­blé­ma­tiques, afin de construire leur iden­ti­té et leur sexua­li­té d’adulte. Pour­tant, pré­ci­sé­ment à ce moment et pen­dant deux, voire trois ans, il leur fau­dra four­nir un tra­vail intel­lec­tuel conti­nu et inten­sif, afin d’atteindre le niveau d’excellence leur per­met­tant d’intégrer les pres­ti­gieuses Grandes Écoles fran­çaises. Les pré­pa­ra­tion­naires, ain­si qu’ils sont appe­lés, devront donc se sou­mettre à une dis­ci­pline extrê­me­ment rigou­reuse, concer­nant aus­si bien le corps que l’esprit, et concen­trer tous leurs efforts sur l’exercice effi­cace de leurs pro­ces­sus de pen­sée. En effet, la pré­pa­ra­tion des concours implique de répondre à des exi­gences d’excellence et de com­pé­ti­ti­vi­té, dans le cadre d’un tra­vail intel­lec­tuel qui n’admet, pour ain­si dire, aucune relâche. Ces exi­gences s’accompagnent notam­ment, de la part de l’institution « classe pré­pa­ra­toire », d’une pres­crip­tion de déta­che­ment émo­tion­nel et de contrôle de soi ; par ailleurs sont valo­ri­sés la com­pé­ti­tion et l’endurcissement des étu­diants, afin que ceux-ci n’expriment ni ne res­sentent la souf­france géné­rée par le tra­vail et atteignent l’excellence. Ain­si et alors que l’enjeu n’est ici rien de moins que celui de la construc­tion de leur sub­jec­ti­vi­té, il appa­raît essen­tiel de com­prendre com­ment se négo­cie la balance entre ces dif­fé­rents inves­tis­se­ments. Une recherche actuel­le­ment en cours, por­tant sur une cohorte de 51 étu­diants sui­vis pour cer­tains depuis quatre ans (depuis leur entrée en CPGE jusqu’à la fin de leurs études en GE), met au tra­vail cette ques­tion à dif­fé­rents niveaux. Il paraît en effet essen­tiel de déter­mi­ner d’une part dans quelle mesure il leur est pos­sible ou non de ména­ger un espace d’élaboration des conflits psy­chiques et de réamé­na­ge­ment pul­sion­nel en regard de l’investissement intel­lec­tuel inten­sif qui leur est impo­sé, et si oui, à quelles condi­tions et selon quelles moda­li­tés. D’autre part, il nous faut nous inter­ro­ger sur la qua­li­té même du tra­vail intel­lec­tuel deman­dé et sur les condi­tions dans les­quelles évo­luent les étu­diants ; ce sont plus spé­ci­fi­que­ment les consé­quences que peuvent avoir sur leur fonc­tion­ne­ment psy­chique les exi­gences par­ti­cu­lières des CPGE, ain­si que le chan­ge­ment radi­cal qui se pro­duit lors de leur entrée dans les GE, qui sont ana­ly­sés ici. Autre­ment dit, est-il pos­sible, et à quelles condi­tions, de trou­ver un cer­tain équi­libre dans un contexte par­ti­cu­liè­re­ment contrai­gnant, pour que l’accès à la réus­site ne se fasse pas au détri­ment de la construc­tion de soi ?   Bien que cette recherche ne soit pas encore ache­vée, cer­tains élé­ments semblent déjà se déga­ger2. Il appa­raît notam­ment pos­sible de dis­tin­guer trois périodes : un pre­mier temps d’arrivée en classe pré­pa­ra­toire, qui s’étend sur la durée du pre­mier tri­mestre envi­ron, un deuxième temps que l’on pour­rait qua­li­fier de « vitesse de croi­sière » et qui s’étend en moyenne du deuxième tri­mestre de la pre­mière année à la fin de la deuxième année, et le troi­sième temps, post – concours, de la Grande École3. Il n’est pour le moment pos­sible que d’esquisser cer­taines réponses, et les points expo­sés ici ne sont pas révé­la­teurs de toute la dyna­mique du sys­tème CPGE – GE ; les voi­ci tou­te­fois.   D’une façon géné­rale, très peu de pré­pa­ra­tion­naires semblent pou­voir se confron­ter à la classe pré­pa­ra­toire sans éprou­ver un pre­mier choc, face notam­ment à la quan­ti­té de tra­vail qui les sub­merge dans la majo­ri­té des cas. Habi­tués la plu­part du temps à ne pas – ou presque pas – four­nir d’effort pour obte­nir de bons résul­tats, la tran­si­tion entre le lycée et la CPGE se fait rare­ment en sou­plesse ; c’est en effet toute l’économie, aus­si bien psy­chique que réelle, qui est alors remise en ques­tion, les pré­pa­ra­tion­naires devant réor­ga­ni­ser leur temps et leurs moda­li­tés rela­tion­nelles de façon le plus sou­vent dras­tique. Le temps alors pas­sé sans tra­vailler est géné­ra­le­ment source d’une culpa­bi­li­té intense, et ceux qui sup­portent le mieux cet état de fait sont fina­le­ment les étu­diants qui par­viennent à répri­mer leurs pul­sions et à remettre à plus tard l’investissement de plai­sirs idéa­li­sés et surin­ves­tis pour le temps des grandes écoles. Leur ren­contre avec les ensei­gnants ne se fait pas non plus tou­jours faci­le­ment, bien que les dis­cours soient plus ambi­gus sur ce point. L’exigence de tra­vail – et de résul­tats – des pro­fes­seurs, asso­ciée par­fois à leur impos­si­bi­li­té à com­prendre les dif­fi­cul­tés de leurs élèves, se double pour cer­tains de l’utilisation de tech­niques péda­go­giques cen­sées moti­ver les étu­diants mais engen­drant par­fois une désta­bi­li­sa­tion extrême chez ces der­niers (exemple d’un pro­fes­seur cité par un élève : « alors, tu veux savoir où tu en es ? Ima­gine toi que tu es sur un vélo et que tous les autres sont sur une auto­route ». Ou encore, face à un élève qui n’arrive pas à résoudre un exer­cice : « Oh là là, t’as jamais fait de maths de ta vie ou quoi ? Mais qu’est-ce qui se passe cette année, c’est pas pos­sible, y a vrai­ment eu des erreurs de cas­ting ! ») La sévé­ri­té de la nota­tion, asso­ciée à des épreuves régu­liè­re­ment vou­lues trop longues et donc impos­sibles à ter­mi­ner, est éga­le­ment cou­rante bien que non sys­té­ma­tique par­mi les ensei­gnants. Un étu­diant que nous appel­le­rons Sébas­tien, ren­con­tré pour la pre­mière fois alors qu’il était en deuxième année de CPGE scien­ti­fique et actuel­le­ment en der­nière année d’une grande école d’aéronautique, évoque lors du pre­mier entre­tien cli­nique un cer­tain nombre d’éléments, dont nous extra­yons les sui­vants : La voie de la CPGE s’est « tra­cée un peu toute seule » de par ses résul­tats ; tou­te­fois, aimant beau­coup sor­tir et faire du sport lorsqu’il était au lycée, il avait énor­mé­ment d’appréhension à l’idée qu’il allait devoir arrê­ter toutes ses acti­vi­tés. À la fin de la pre­mière année, il a vou­lu aban­don­ner ; c’était trop dur et ses résul­tats n’étaient pas très bons. Au début, « ça allait », mais au mois de Jan­vier, il s’est « pris une grosse claque qui fait mal ; on com­prend plus les cours ; on tra­vaille, ça marche plus, il y a un dégoût du tra­vail, les profs sont inhu­mains. » Il évoque notam­ment le pro­fes­seur de mathé­ma­tiques, « trop dif­fé­rent, trop éli­tiste, du grand n’importe quoi. » Selon lui, cet ensei­gnant ne le res­pec­tait pas, l’appelait « Seb » tout en le « cas­sant » métho­di­que­ment pen­dant les colles4. Il lui disait qu’il ne savait rien, qu’il était mau­vais, l’a humi­lié devant les autres. Par ailleurs, le rythme en cours de phy­sique était « effré­né », l’enseignant était « une vraie machine, il avan­çait sans se sou­cier des élèves. » À par­tir de ce moment-là, il n’a plus été ques­tion pour lui que de « gar­der la tête hors de l’eau », et la fin de l’année a été « catas­tro­phique ». Il vou­lait même par­tir vivre en Amé­rique du Sud (d’où sa famille mater­nelle est ori­gi­naire) mais, suite à une dis­cus­sion avec son père, il « s’est accro­ché. Il faut se for­cer à tra­vailler ; on a signé pour deux, trois ans, main­te­nant il faut aller jusqu’au bout. »   À par­tir de la de
uxième année, il a l’impression que les pro­fes­seurs sont plus humains, qu’il est plus écou­té, et a com­men­cé à reprendre goût aux maths en retrou­vant des ensei­gnants qui lui ont don­né envie de tra­vailler. Cepen­dant, même s’il dit être plus effi­cace et qu’il décrit de manière assez authen­tique son plai­sir dans le tra­vail, il reste scep­tique devant ce sys­tème qui n’a pour lui pas beau­coup de sens : « ici il faut tra­vailler comme des chiens pen­dant deux ans, et après on fait plus rien quand on a inté­gré une école. » Par ailleurs, il se dit très angois­sé, même s’il ne sait pas pour­quoi. Par­fois, il n’arrive pas à dor­mir, ce qui accen­tue son malaise, et s’il arrive à tenir c’est uni­que­ment, dit-il, parce qu’il sait que « ça s’arrêtera au bout de deux ans ».   Depuis son arri­vée en CPGE, il vit en foyer près du lycée, et rentre chez ses parents le week-end ; la sépa­ra­tion d’avec sa famille est mani­fes­te­ment dif­fi­cile. Lorsqu’il revient le week-end, il se sent éloi­gné de la vie quo­ti­dienne fami­liale, regrette de ne pas avoir été infor­mé des évè­ne­ments de la semaine par ses parents qui essaient ain­si de ne pas le per­tur­ber dans son tra­vail, et se sent exclu, décon­nec­té, dans ce qu’il décrit comme un sen­ti­ment d’étrangeté qui ne s’atténue pas mal­gré le temps qui passe. Les affects dépres­sifs ini­tiés par la sépa­ra­tion d’avec les parents semblent ren­for­cés par sa rup­ture avec sa petite amie de lycée, encore très inves­tie, bien que la sépa­ra­tion, cor­res­pon­dant à l’arrivée en CPGE, date déjà de l’année pré­cé­dente.   Enfin, une autre grande dif­fi­cul­té réside pour lui dans le fait de trou­ver un équi­libre entre le tra­vail et sa vie per­son­nelle. Il dit essayer de gar­der « un sem­blant de vie sociale », ce qui reste mani­fes­te­ment extrê­me­ment com­pli­qué : « par­fois je suis en soi­rée et je me mets à par­ler des cours, et tout le monde me dit de me taire. Et puis d’autres fois, je me sens com­plè­te­ment déca­lé par rap­port à ce que disent les autres, ce qu’ils disent c’est un peu futile alors je par­ti­cipe pas. » Pour ne pas se sen­tir « com­plè­te­ment geek de pré­pa », il a actuel­le­ment une rela­tion avec une jeune fille de son foyer, qu’il n’investit en fait que très peu. Ce manque d’investissement engendre d’ailleurs chez lui un mou­ve­ment impor­tant de culpa­bi­li­té, dont il ne par­vient pas non plus à se déga­ger.   Cet extrait cli­nique, et plus glo­ba­le­ment l’ensemble de ces élé­ments nous per­mettent de pen­ser qu’il existe un vrai pro­blème de tem­po­ra­li­té et de quan­ti­té, pour ces étu­diants qui doivent subi­te­ment rema­nier leurs inves­tis­se­ments et leur éco­no­mie psy­chique, alors même qu’ils ne sont pas encore sor­tis des conflits liés à l’adolescence, et qui n’y par­viennent sou­vent qu’à la condi­tion de rêver un « après » mer­veilleux et sans contrainte.   Si géné­ra­le­ment ils réus­sissent fina­le­ment à négo­cier cet équi­libre et sur­tout à inves­tir dans un second temps la réa­li­té de la Grande École, cer­tains semblent res­ter comme sidé­rés et, le tra­vail étant sou­dai­ne­ment dis­qua­li­fié au pro­fit des loi­sirs et du plai­sir, ne savent pas com­ment don­ner un sens à cet espace lais­sé vacant et vécu comme un vide. Dans tous les cas ren­con­trés jusqu’ici cepen­dant, il est frap­pant de consta­ter que la levée de la charge de tra­vail sco­laire ne peut pas être relayée par un tra­vail d’élaboration du temps pas­sé en CPGE. Que l’étudiant inves­tisse posi­ti­ve­ment ou pas sa « nou­velle vie » en GE, la période de classe pré­pa­ra­toire appa­raît certes dans le dis­cours comme un temps qui a été utile en termes d’apprentissage d’une cer­taine effi­cience et ren­ta­bi­li­té, mais la souf­france, pour­tant évo­quée lorsque l’étudiant était en CPGE, est soit déniée et bana­li­sée, soit évo­quée comme un mau­vais sou­ve­nir qu’il faut abso­lu­ment rayer de sa vie. Que s’est-il donc pas­sé entre le temps où les pré­pa­ra­tion­naires étaient en mesure de vivre et de com­mu­ni­quer leur souf­france, et celui où celle-ci laisse place à un dis­cours emprunt de ratio­na­li­sa­tion voire, par­fois, de cynisme ? Nous avons pour le moment déga­gé quelques pistes, notam­ment issues des recherches menées en psy­cho­dy­na­mique du tra­vail, qui mettent l’accent sur les défenses construites par le sujet, au sein du groupe de tra­vail et avec ses pairs, pour lut­ter col­lec­ti­ve­ment contre la souf­france. Nous n’avons pas la pos­si­bi­li­té ici de déve­lop­per le cœur de ces recherches, mais il est tou­te­fois impor­tant d’insister sur le fait que c’est le déni – des contraintes et de la souf­france induite par le tra­vail –  qui consti­tue avec le cli­vage du moi la clef de voute du sys­tème défen­sif des sujets. Déni qui, bien que favo­ri­sant la rigi­di­fi­ca­tion du sys­tème défen­sif – et conco­mi­tam­ment la fra­gi­li­sa­tion du moi –, per­met au sujet d’accéder à un haut niveau d’efficience sans céder sous le poids des exi­gences de la CPGE. Or, lorsque l’étudiant arrive en grande école – ici scien­ti­fique –, les contraintes changent, mais l’idéologie reste la même : pas de place pour la fai­blesse, ni pour les cas de conscience lorsqu’il y en a. Les élé­ments rap­por­tés par les étu­diants ayant inté­gré après les concours varient de fait assez peu : un cer­tain cor­po­ra­tisme semble y être de mise, tout étant orga­ni­sé pour que per­sonne n’ait besoin de sor­tir du cam­pus et pour que les étu­diants res­tent tou­jours entre eux – les acti­vi­tés spor­tives, les bars, les cours, et même le super­mar­ché, tout est dis­po­nible sur place5. L’inscription dans une asso­cia­tion est presque obli­ga­toire, et répond à une pres­crip­tion impli­cite de res­ter tou­jours en groupe et de par­ti­ci­per à la vie de l’école ; c’est même l’activité asso­cia­tive qui peut faire la dif­fé­rence au moment de l’embauche, plus que le par­cours sui­vi pen­dant la for­ma­tion. Cepen­dant et bien qu’associative, la fina­li­té de cette acti­vi­té n’est pas seule­ment altruiste, mais a éga­le­ment  et peut-être sur­tout en jeu l’apprentissage de l’action et de la pen­sée col­lec­tive : citons par exemple le modèle, retrou­vé dans un grand nombre d’écoles, de la « junior entre­prise », asso­cia­tion que les étu­diants intègrent après de véri­tables entre­tiens d’embauche, fil­més, et qui fonc­tionne selon les prin­cipes de l’entreprise et en col­la­bo­ra­tion avec celle-ci. Par ailleurs, les fêtes et soi­rées prennent sou­dain le devant de la scène, et s’accompagnent d’une alcoo­li­sa­tion mas­sive ain­si que d’une consom­ma­tion sexuelle par­fois effré­née et ne par­ve­nant pas à faire sens pour une par­tie d’entre eux6. Le tra­vail, éri­gé comme valeur essen­tielle au temps de la classe pré­pa­ra­toire, est à pré­sent dépré­cié, et le conte­nu des ensei­gne­ments ne sus­cite que rare­ment l’intérêt véri­table des étu­diants. Bien sûr, ces der­niers se disent majo­ri­tai­re­ment satis­faits de cette vie qu’ils mènent au sein des grandes écoles ; leur dis­cours n’est par ailleurs évi­dem­ment pas le même lorsque ce sont des filles et lorsque ce sont des gar­çons – point qui méri­te­rait, comme le lec­teur s’en doute, d’être plus ample­ment déve­lop­pé. Mais pour ceux qui résistent, ceux qui ne trouvent leur compte ni dans les alcoo­li­sa­tions col­lec­tives, ni dans l’activisme sexuel, ni dans l’apprentissage de la per­for­mance, il semble que l’amorçage de ce nou­veau tour­nant de vie soit empreint d’une dés­illu­sion dont l’intensité est à la mesure des espoirs et des rêves construits en classe pré­pa­ra­toire. Ce refus d’adhérer à l’idéologie col­lec­tive a incon­tes­ta­ble­ment des consé­quences. Il se paie notam­ment d’une dis­tan­cia­tion d’avec le groupe de pairs, d’un iso­le­ment et, pour cer­tains, d’une décom­pen­sa­tion dépres­sive, fai­sant elle-même écho au mou­ve­ment dépres­sif retrou­vé fré­quem­ment dans la période sui­vant immé­dia­te­ment la fin des concours, mar­quée par le vide lais­sé par la quan­ti­té de tra­vail sou­dai­ne­ment réduite à zéro. « J’ai l’impressio
n de deve­nir une loque, me dit Sébas­tien. Les acti­vi­tés des asso­cia­tions, il faut dire la véri­té, elles sont futiles, elles sont fausses. Dans le tra­vail, il n’y a plus aucune place pour la réflexion, il faut appli­quer bête­ment des for­mules sans com­prendre d’où elles viennent. Et puis j’arrive plus à me moti­ver, pour rien. Avant j’adorais le sport, là j’y arrive même plus. Je m’inscris à des sports, et puis j’abandonne. (…) Se bour­rer la tronche en per­ma­nence, c’est pas inté­res­sant : on boit, on se retrouve au pieu, et le len­de­main matin je sais même pas com­ment la fille s’appelle. C’est vrai­ment n’importe quoi, en plus ça me donne l’impression d’être uti­li­sé, je déteste ça. (…) En fait main­te­nant, quand j’arrive chez moi, j’ai juste envie de dor­mir, de man­ger, d’appeler un copain et d’aller prendre une bière. »   Gageons qu’au fur et à mesure que se pour­sui­vra cette recherche et que conti­nue­ront les ren­contres avec les étu­diants, des élé­ments sup­plé­men­taires de com­pré­hen­sion se déga­ge­ront et des pistes se consti­tue­ront quant aux issues et aux che­mins que pour­ront emprun­ter ces jeunes gens pour, enfin, deve­nir adultes sans se perdre soi-même.

Roxane Dejours, psy­cho­logue cli­ni­cienne.

NOTES :
  1. CPGE : Classes Pré­pa­ra­toires aux Grandes Écoles
  2. Nous fai­sons ici réfé­rences aux CPGE scien­ti­fiques et com­mer­ciales uni­que­ment ; les étu­diants de CPGE lit­té­raires ont été ren­con­trés un peu plus tar­di­ve­ment et les dif­fé­rences, qui existent assu­ré­ment par rap­port aux deux autres par­cours, n’ont pas encore été com­plè­te­ment ana­ly­sées.
  3. En effet, les 13 étu­diants ren­con­trés il y a quatre ans, alors en CPGE, ont tous inté­gré une Grande École à l’issue des concours.
  4. Les colles sont des inter­ro­ga­tions orales régu­lières, indi­vi­duelles ou en binôme, voire tri­nôme, dans le but d’entraîner les étu­diants aux concours.
  5. Notons tou­te­fois que cette orga­ni­sa­tion peut connaître des varia­tions en fonc­tion du type de GE.
  6. Ces pra­tiques d’alcoolisation mas­sive ont notam­ment été étu­diées et ana­ly­sées par les socio­logues ; voir par exemple Masse, B. (2002), Rites sco­laires et rites fes­tifs : les « manières de boire » dans les grandes écoles, in Socié­tés contem­po­raines, n°47, p. 101–129