Être unique en son genre

En 2019, le 79e Congrès des Psy­cha­na­lystes de Langue Fran­çaise (CPLF) se tien­dra en France, à Paris, et sera orga­ni­sé par le Conseil du CPLF de la SPP avec le concours de l’Association psy­cha­na­ly­tique de France (APF), et la par­ti­ci­pa­tion des 21 autres socié­tés com­po­santes du CPLF dont les pré­si­dents ou repré­sen­tants forment ensemble le Bureau inter­na­tio­nal du CPLF. La tâche de ce der­nier est d’anticiper et de dis­cu­ter, sur pro­po­si­tion du Conseil, les thèmes et les lieux des futurs congrès, et d’infléchir ceux-ci en fonc­tion du contexte et des cir­cons­tances, tant dans leurs formes que dans leurs conte­nus. 23 socié­tés et asso­cia­tions com­posent ain­si le Bureau du CPLF, et deux orga­ni­sa­tions lui sont asso­ciées : les socié­tés psy­cha­na­ly­tiques de Bel­gique, bré­si­lienne de Bra­si­lia (SPBsb), de Por­to Allègre (SPPA), de Rio de Janei­ro (Rio 92) et de Sao Pau­lo (SBPsp), bri­tan­nique, cana­dienne, espa­gnole, hel­lé­nique, israé­lienne, ita­lienne, de Paris, por­tu­gaise, rou­maine, suisse et SPRF (Socié­té Psy­cha­na­ly­tique de Recherche et de For­ma­tion) ; et les asso­cia­tions psy­cha­na­ly­tiques de France, d’Istanbul, d’Italie, de Madrid, Psike (Istan­bul). L’Association Psy­cha­na­ly­tique Argen­tine (APA) et Núcleo por­tu­gais de Psy­cha­na­lyse sont asso­ciés au CPLF.

Le Congrès

Il se tien­dra à la Mai­son de la Mutua­li­té, dans ce splen­dide théâtre Art déco de 1930 aux 1789 places, chiffre sym­bo­lique qui anti­ci­pait son futur des­tin de deve­nir un célèbre lieu poly­va­lent de la vie poli­tique et cultu­relle pari­sienne et fran­çaise. Pri­va­ti­sé pour le CPLF, ce bâti­ment est situé au cœur du quar­tier latin, haut lieu his­to­rique de la trans­mis­sion où était dis­pen­sé dans les uni­ver­si­tés, La Sor­bonne en par­ti­cu­lier, un ensei­gne­ment en latin – d’où son nom, le quar­tier du latin –, qui fut tra­ver­sé par toutes les avan­cées du savoir et les ava­tars de la pen­sée humaine.

La psy­cha­na­lyse ne peut que se recon­naître dans un tel contexte, et en pro­fi­ter pour s’épanouir. Le CPLF se trans­forme régu­liè­re­ment d’une année sur l’autre. Il tente de s’adapter à chaque par­te­naire, à chaque pays où il se tient, à chaque thème. Pour 2019, c’est le rap­pro­che­ment des termes de bisexua­li­té psy­chique, sexua­li­tés et genres, qui a orien­té l’organisation du congrès. Se retrouve convo­quée toute une série de notions et d’expressions contem­po­raines ne fai­sant pas par­tie de la ter­mi­no­lo­gie de la langue com­mune, ni du lexique psy­cha­na­ly­tique, ni éro­to­lo­gique, telles que la « tran­si­tion sexuelle », la « fabrique des sexes », le « corps-migra­toire des réfu­giés gays ou trans­genres », ain­si qu’une kyrielle d’innombrables autres termes cher­chant à défi­nir par de nou­velles appel­la­tions, dont un grand nombre de néo­lo­gismes anglo­phones, les mul­tiples varia­tions d’être-au-monde com­po­sant une séméio­lo­gie de l’identité ou orien­ta­tion sexuelle, et lais­sant devi­ner le sou­hait très sin­gu­lier d’être unique en son genre. Depuis 2014, aux USA, une liste de 52 ou 56 termes est pro­po­sée par Face­book au choix des uti­li­sa­teurs de comptes, afin qu’ils puissent se retrou­ver au sein de cette liste, au plus juste de ce qu’ils consi­dèrent cor­res­pondre à leur per­son­na­li­té du point de vue de leur iden­ti­té ou orien­ta­tion sexuelle. Cette liste consti­tue Le dic­tion­naire des 52 nuances de genre de Face­book.1 Cette année, il nous aura fal­lu tenir compte de cette réa­li­té. Aus­si avons-nous déci­dé d’inviter des per­son­na­li­tés d’autres dis­ci­plines qui intègrent au sein de leurs réfé­rences lexi­co­gra­phiques les notions de mas­cu­lin, fémi­nin et genre, afin qu’elles nous parlent de leurs défi­ni­tions et de leurs usages de celle-ci, de ses apports et de ses limites. Ce seront bien sûr les Rap­ports rédi­gés et dis­tri­bués avant le congrès qui for­me­ront le socle du congrès, et qui seront mis à l’honneur dès l’ouverture. Cette année, c’est Fran­çois Richard pour la SPP et Jean-Michel Lévy pour l’APF qui les pré­sen­te­ront par leurs confé­rences d’introduction sui­vies des inter­ven­tions de leurs dis­cu­tants res­pec­tifs. Immé­dia­te­ment après auront lieu les deux séries de huit ate­liers ani­més cha­cun par 3 col­lègues de socié­tés com­po­santes, par­mi les­quels l’un d’eux assu­re­ra la fonc­tion de relan­ceur de la dis­cus­sion. Ces ate­liers sont cen­trés sur les apports cli­niques et théo­riques de chaque rap­port. Puis six tables rondes s’inscriront dans le thème géné­ral afin d’en appro­fon­dir tel ou tel aspect, certes en réfé­rence aux rap­ports, mais avec la liber­té d’élargir le champ du thème. Par­mi ces six tables rondes, deux seront consa­crées à la psy­cha­na­lyse avec l’enfant et l’adolescent, et l’une d’elles rece­vra des per­son­na­li­tés éma­nant d’autres dis­ci­plines qui nous feront par­ta­ger l’intérêt et les limites des caté­go­ries du mas­cu­lin, du fémi­nin et du genre du point de vue de l’heuristique propre à leurs dis­ci­plines res­pec­tives. Côté ana­lystes en for­ma­tion, quatre ate­liers cli­niques, avec dans cha­cun un ana­lyste for­ma­teur, sont orga­ni­sés par les AeF de l’IPSO et des Ins­ti­tuts des socié­tés com­po­santes. Enfin les ate­liers de l’International Jour­nal of Psy­cho­ana­ly­sis (IJP) et de la Revue fran­çaise de psy­cha­na­lyse (Rfp) nous rap­pel­le­ront les rap­ports de la psy­cha­na­lyse, son éla­bo­ra­tion et sa trans­mis­sion, avec l’écriture. Au total, ce sont plus de 80 inter­ve­nants, sans comp­ter les pré­si­dents de séances ni les secré­taires scien­ti­fiques du Congrès, qui nour­ri­ront de leurs apports les dis­cus­sions avec les congres­sistes en plé­nières et ate­liers.

Le thème : Bisexua­li­té, féminin‑masculin, méta­phores et poly­sé­mie

Le titre du congrès place la bisexua­li­té psy­chique en exergue, et convoque plu­sieurs autres termes qui dési­gnent des champs de réa­li­té dif­fé­rents, les sexua­li­tés et les genres. La bisexua­li­té psy­chique est une notion psy­cha­na­ly­tique à laquelle Freud s’est réfé­rée dès ses tra­vaux en his­to­lo­gie, puis qui a été déve­lop­pée par divers auteurs (C. David). Les sexua­li­tés relèvent depuis Krafft-Ebing de la sexo­lo­gie à laquelle il a four­ni une clas­si­fi­ca­tion orga­ni­sée par la recon­nais­sance d’une psy­cho­pa­tho­lo­gie de la sexua­li­té. Les genres déclinent la notion de genre et ses divers homo­nymes. Le genre gram­ma­ti­cal fut iden­ti­fié par Pro­ta­go­ras suite à Aris­tote. Il dif­fé­ren­cie les caté­go­ries du mas­cu­lin, du fémi­nin et du neutre selon que les réfé­rents pos­sèdent ou non un sexe. La notion de genre sera ensuite uti­li­sée dans diverses clas­si­fi­ca­tions et dans plu­sieurs autres champs du savoir avec des sens variés. À par­tir de sa valeur dif­fé­ren­cia­trice en bio­lo­gie (les espèces) et en lin­guis­tique (gram­maire), elle fut asso­ciée au sexe par les socio­logues dési­gnant ain­si les dif­fé­rences non bio­lo­giques entre les hommes et les femmes. Grâce à la socio­lo­gie puis à l’anthropologie ont été dis­tin­gués le genre sexuel lié aux don­nées non bio­lo­giques, en par­ti­cu­lier sociales et psy­cho­lo­giques, et le type sexuel défi­ni par la bio­lo­gie. La notion de genre fut reprise ensuite par la psy­chia­trie et la méde­cine, et par la psy­cha­na­lyse aux États-Unis, avant de se dif­fu­ser très lar­ge­ment et à l’excès dans tous les champs de la culture, par­ti­cu­liè­re­ment dans les médias et dans de nom­breux groupes de pres­sion remet­tant en cause la sta­bi­li­té et les réfé­ren­tiels impli­qués dans la notion d’identité sexuelle, intro­dui­sant en contre­par­tie celle d’identité de genre, l’une et l’autre étant abor­dées comme des construc­tions, pour se pro­lon­ger dans les études de genre. Cette ten­ta­tive de libé­rer l’identité de sa réfé­rence à la seule per­cep­tion tan­gible, s’est pro­lon­gée par des consi­dé­ra­tions poli­tiques avec une accu­sa­tion des défi­ni­tions tra­di­tion­nelles d’être idéo­lo­giques, tout  en bran­dis­sant des argu­ments qui en intro­duisent d’autres. Des déve­lop­pe­ments plus récents ont remis en cause éga­le­ment la notion même d’identité tant sexuelle que de genre, au pro­fit
de la construc­tion de la pen­sée ; ce que sou­te­nait déjà le célèbre apho­risme de Simone de Beau­voir : « On ne naît pas femme, on le devient », lui-même issu de celui, géné­rique, d’Érasme « On ne naît pas homme, on le devient » ; avec en contre­point l’affirmation de la bio­lo­gie géné­tique, selon laquelle, « on ne devient pas femme, on naît femme ». Ces quelques mots d’introduction appellent une remarque. Le thème rete­nu est impli­qué dans d’intenses polé­miques, ce qui donne à pen­ser.

Incli­na­tion au conflit et polé­miques.

La bisexua­li­té psy­chique a été ini­tia­le­ment consi­dé­rée par Freud comme une dis­po­si­tion consti­tu­tion­nelle, un fond de pré­dis­po­si­tion du psy­chisme. Puis très rapi­de­ment, il l’associe aux iden­ti­fi­ca­tions pré­coces et post-œdi­piennes, hys­té­riques, nar­cis­siques et fon­da­trices, la libé­rant, ain­si que ses corol­laires, le mas­cu­lin et le fémi­nin, de défi­ni­tions les asso­ciant trop étroi­te­ment à l’homme et à la femme, mais impli­quant le mater­nel, le pater­nel et le conflit œdi­pien. À la fin de son œuvre, Freud com­plexi­fie la signi­fi­ca­tion de l’expression bisexua­li­té psy­chique, de deux façons ; en intro­dui­sant un conflit au sein de la bisexua­li­té, entre mas­cu­lin et fémi­nin, sou­li­gnant un manque d’étonnement envers le choix d’objet bisexuel.
Il inter­roge ain­si la contrainte à la base d’un choix d’objet sexuel exclu­sif, choix non conci­liant. L’étonnement pour­rait donc se for­mu­ler de la façon sui­vante : pour­quoi ne sommes-nous pas tous bisexuels ? Alors que le fan­tasme pro­pose si faci­le­ment la solu­tion d’un équi­libre non conflic­tuel entre ces deux orien­ta­tions ? Freud intro­duit alors une « incli­na­tion au conflit » plus fon­da­men­tale que la bisexua­li­té psy­chique qui devient une qua­li­té du fonc­tion­ne­ment psy­chique indis­pen­sable à la réa­li­sa­tion d’un choix d’objet, celui-ci ren­for­çant celle-là. Cette incli­na­tion au conflit Freud la fait dépendre de la dua­li­té pul­sion­nelle, de l’ambivalence pul­sion­nelle fon­da­men­tale, de la réduc­tion de l’attraction régres­sive des pul­sions exi­geant une trans­po­si­tion d’une part de la libi­do sexuelle en libi­do nar­cis­sique inves­tie dans le fonc­tion­ne­ment du psy­chisme et sous­trait à la rela­tion d’objet. Sou­li­gnons que cette incli­na­tion au conflit a été mise en acte dès la nais­sance de la psy­cha­na­lyse, non pas à l’intérieur de la bisexua­li­té, mais à pro­pos de la bisexua­li­té, entre Freud et Fliess, sur la pater­ni­té de cette notion, Fliess se sen­tant spo­lié par Freud de celle-ci. Elle s’est repor­tée ensuite au sein des polé­miques autour de la notion de genre. Et elle appa­raît après coup comme une matrice de polé­miques agies. En fait, la mise à l’écart des conflits qui la concernent semble reve­nir du dehors par­fois avec une extrême vio­lence se por­tant sur les corps eux-mêmes ; avec ses sca­ri­fi­ca­tions, muti­la­tions, trans­for­ma­tions ins­crites dans des per­for­mances esthé­tiques ou des pro­jets de vie incar­nés. L’autre com­plexi­fi­ca­tion intro­duite tar­di­ve­ment par Freud porte sur une asy­mé­trie entre mas­cu­lin et fémi­nin, asy­mé­trie issue du fait que le terme fémi­nin se trouve orien­té vers une nou­velle accep­tion par le biais de l’expression « refus du fémi­nin chez l’homme et chez la femme ». La fémi­ni­té est dès lors liée à la résis­tance la plus tenace qui soit, au point d’être qua­li­fiée de « roc du bio­lo­gique », empê­chant l’avènement d’un fonc­tion­ne­ment psy­chique valant accep­ta­tion de notre impuis­sance à éli­mi­ner la réa­li­té de tout manque. Selon cette logique, la bisexua­li­té est une ten­ta­tive de satis­faire une aspi­ra­tion de com­plé­tude par l’appropriation du dou­blet mas­cu­lin-fémi­nin, et de limi­ter ain­si les éprou­vés de manque. Freud parle de la « pleine fonc­tion bisexuelle ». Une consé­quence de ce refus est l’affaiblissement de la prime de désir, dans la mesure où ce der­nier naît du manque, mais aus­si le rava­le­ment de l’objectalité en rela­tion nar­cis­sique ou anti-trau­ma­tique, et le vacille­ment de l’humilité pro­pice à l’érogénéité du « tu me manques ». La lit­té­ra­ture et la mytho­lo­gie ont déployé, et conti­nuent de le faire lar­ge­ment, la lignée fan­tas­ma­tique d’une telle appro­pria­tion de l’une des deux faces de la dif­fé­rence des sexes, celle du mas­cu­lin-fémi­nin, comme ten­ta­tive d’esquiver les exi­gences inhé­rentes à son autre face, le couple nan­ti-dépour­vu, couple qui remet en cause la com­plé­tude espé­rée a‑conflictuelle par le biais de la réunion des deux sexes, que cela soit par un her­ma­phro­disme soli­taire ou avec un autre, joli­ment qua­li­fié de « moi­tié ». Les termes de bisexua­li­té, de mas­cu­lin et de fémi­nin, sont ain­si deve­nus sous la plume de Freud des méta­phores de moda­li­tés psy­chiques qu’il convient d’approcher méta­psy­cho­lo­gi­que­ment, leurs déno­mi­na­tions res­tant dépen­dantes des objets de la réa­li­té per­cep­tible sur les­quels ces moda­li­tés incons­cientes se sont ini­tia­le­ment trans­po­sées afin de pou­voir s’installer en tant que fonc­tions psy­chiques. Tel est le cas éga­le­ment des termes de mater­nel, pater­nel, voire même de père, mère, enfants, etc. quand ils sont uti­li­sés en séance, poly­sé­mie qu’ils conservent sou­vent dans l’écriture de la psy­cha­na­lyse, géné­rant alors par­fois des qui­pro­quos et mal­en­ten­dus. Du point de vue psy­cha­na­ly­tique, bisexuel, fémi­nin, mas­cu­lin ne sont ni à confondre ni à super­po­ser avec le sexe ana­to­mique, bio­lo­gique, chro­mo­so­mique, ni à attri­buer res­tric­ti­ve­ment à ce qui est dési­gné, voire assi­gné de façon conjonc­tu­relle comme rele­vant de l’homme ou de la femme. Pour la psy­cha­na­lyse, la bisexua­li­té psy­chique qua­li­fie plus par­ti­cu­liè­re­ment le fonc­tion­ne­ment auto-éro­tique du psy­chisme, donc le sexuel du nar­cis­sisme, les auto-éro­tismes tant d’organes que d’objets. Elle devient mani­feste dans toutes les acti­vi­tés mas­tur­ba­toires. Dans cette même logique méta­pho­rique d’autres dou­blets s’associent au terme de bisexua­li­té tels que actif-pas­sif, conte­nu-conte­nant, etc., à tel point que les constel­la­tions pro­po­sées par Freud en tant que Œdipe du gar­çon et Œdipe de la fille, sont à pen­ser en terme d’Œdipe mas­cu­lin et Œdipe fémi­nin, et de façon encore plus pré­cise, comme deux moda­li­tés, voire deux caté­go­ries d’Œdipe, un Œdipe-fille et un Œdipe-gar­çon. Les deux sont tota­le­ment indé­pen­dants des iden­ti­tés de gar­çon et de fille, et dési­gnent avant tout deux rap­ports au sur­moi, une pré­ci­pi­ta­tion en guise de refuge dans le pre­mier cas, une esquive au pro­fit du chan­ge­ment d’objet dans le second. Le même conflit entre renon­cer ou non se retrouve dans les deux solu­tions dites « gar­çon » et « fille », celles du refuge et de l’esquive.

Sexua­li­tés

Le choix des trois termes du titre pour­rait être inter­pré­té comme le sou­hait de pro­lon­ger et pour­suivre le rema­nie­ment que fit Freud lui-même de ses Trois Essais de la théo­rie sexuelle, donc de répé­ter le geste de Freud de com­plé­ter sans cesse son ouvrage de 1905 ; de l’enrichir de nou­velles réa­li­tés concer­nant la sexua­li­té, et de nou­velles réflexions sur l’implication du pul­sion­nel et des pro­ces­sus psy­chiques dans la vie sexuelle, et en par­ti­cu­lier dans l’identité sexuelle et l’identité de genre ; donc de le com­plé­ter comme le fit Freud, sans chan­ger la struc­ture de l’ouvrage, ni cher­cher à lui impo­ser des rema­nie­ments de fond afin de lui don­ner plus de cohé­rence appa­rente. C’est ain­si que nous avons rap­pro­ché la bisexua­li­té psy­chique, en tant que qua­li­té interne du psy­chisme, et les sexua­li­tés, ces nom­breuses varia­tions de la vie sexuelle des humains, cette séméio­lo­gie de l’érotologie à laquelle sont atten­tifs tant les sexo­logues que les psy­cha­na­lystes. Le xxe siècle, avec ses diverses libé­ra­tions sexuelles, a enri­chi la célèbre Psy­cho­pa­thia Sexua­lis de R. Krafft-Ebing, mais aus­si exal­té la fan­tas­ma­tique éro­tique par les apports de l’éthologie venant don­ner corps et réa­li­té aux plus fan­tasques fan­tai­sies. Un seul et bel exemple, qui concerne la bisexua­li­té et notre pro­pen­sion joyeuse
à coop­ter du règne ani­mal des élé­ments nous per­met­tant de satis­faire sous forme hal­lu­ci­na­toire nos fan­tai­sies bisexuelles et leur rap­port à la cas­tra­tion ; celui d’un nudi­branche, la limace de mer du japon ! « Pre­nez le nudi­branche Chro­mo­dris reti­cu­la­ta, une limace de mer du Japon, vivant dans les récifs de coraux peu pro­fonds. Ces limaces sont toutes dotées d’organes sexuels à la fois mâles et femelles et peuvent s’en ser­vir en même temps. Le pénis de cha­cune d’elles s’adapte à leur ori­fice et elles se pénètrent simul­ta­né­ment. Mais ce n’est pas tout. Après quelques minutes, elles perdent toutes deux leurs pénis qui tombent au fond de l’océan – mais vingt-quatre heures plus tard – elles le font repous­ser, ce qui leur per­met de se réac­cou­pler, tou­jours et encore2 ». Dans ses Trois Essais, Freud avait de façon impli­cite confron­té les varia­tions sexuelles (1er essai) et la sexua­li­té infan­tile (2e essai). En fili­grane existe un autre réfé­ren­tiel qu’il avait lui-même intro­duit dans sa quête d’une étio­lo­gie sexuelle, entre les fixa­tions à la sexua­li­té infan­tile des névroses de trans­fert et les més­usages de la sexua­li­té des névroses actuelles. Cette dif­fé­ren­cia­tion sous-tend la séméio­lo­gie expo­sée dans le pre­mier cha­pitre, puis est lais­sée en latence au pro­fit de la sexua­li­té infan­tile et de l’avènement en deux temps, selon le pro­cès de l’après-coup, de la sexua­li­té humaine.
Si la cas­tra­tion puni­tive est d’office pré­sente dans ce che­mi­ne­ment en tant que réponse aux trans­gres­sions inces­tueuses, elle trou­ve­ra une place fon­da­trice par le biais du troi­sième fan­tasme ori­gi­naire – la cas­tra­tion réa­li­sée par le père –, offrant une théo­rie cau­sale au tra­vail psy­chique requis par la confron­ta­tion à la réa­li­té de la cas­tra­tion, à sa per­cep­tion directe (le vu), et aux mes­sages de menace qui aver­tissent de son exis­tence (l’entendu).

Genres

Par contre, la notion de genre est absente des Trois Essais. Les pré­misses de cette notion appa­raissent juste à l’époque de la nais­sance de la psy­cha­na­lyse, chez E. Dur­kheim (1897), puis chez les anthro­po­logues (M. Mead : « le rôle sexué », 1935). Le terme lui-même de genre, avec sa signi­fi­ca­tion impli­quant le sexe, a été intro­duit en 1955 par John Money (psy­cho­logue et sexo­logue) dans l’expression : le « rôle de genre », puis fut repris par des psy­cha­na­lystes tels que R. Stol­ler et R. Green­son qui for­ge­ront le concept d’identité de genre. Ces notions seront reprises par le struc­tu­ra­lisme dans sa dua­li­té nature-culture, et par d’autres dis­ci­plines comme l’histoire, et plus par­ti­cu­liè­re­ment dans ce qui sera dénom­mé  les Études de genre, les plus célèbres étant celle de J. But­ler sur les mino­ri­tés sexuelles.
Il n’est pas inutile de rap­pe­ler que la dif­fé­ren­cia­tion du sexe bio­lo­gique et du sexe du genre a en fait été intro­duite beau­coup plus tôt, en 1860, bien avant l’avènement du terme de genre réfé­rée au sexe. La recon­nais­sance de cet écart s’est accom­pa­gnée d’un très haut niveau de conflit au sein de l’Allemagne nais­sante, conflit dou­blant celui poli­tique de la Prusse de Bis­marck avec les autres pro­vinces concer­nées par cette uni­fi­ca­tion. Le pre­mier mili­tan­tisme sexuel por­té offi­ciel­le­ment sur les scènes publique et juri­dique, avec des impli­ca­tions et retom­bées poli­tiques, date des années 1860, et fut mené par Karl Hein­rich Ulrichs (1825–1895), juriste, jour­na­liste et homo­sexuel qui ten­ta en vain d’empêcher l’intégration dans le nou­veau code pénal de la future Alle­magne, cen­sé uni­fier les codes contra­dic­toires des diverses pro­vinces, d’un article exis­tant dans le code pénal de la Prusse condam­nant la « for­ni­ca­tion contre-nature ». Ulrichs récla­mait l’émancipation de ce qu’il dénom­mait l’uranisme – le terme d’homosexuel date de 1869 –. La pos­té­ri­té a gar­dé atta­chée à sa per­sonne cette belle phrase qui repré­sente sa doc­trine rédi­gée en douze trai­tés : « Une âme de femme enfer­mée dans un corps d’homme. »
La notion de genre est donc née de la recon­nais­sance des divers écarts exis­tant entre le sexe ana­to­mique, les fonc­tions sexuelles assi­gnées par le socius, la liber­té de la fan­tas­ma­tique sexuelle, le sexe bio­lo­gique, réa­li­tés rele­vant de caté­go­ries dif­fé­rentes et toutes impli­quées dans l’identité et l’orientation sexuelle, ces construc­tions les com­bi­nant selon diverses moda­li­tés, plus ou moins mobiles ou sta­tiques, évo­lu­tive ou stables.

ins­crip­tion en ligne http://colloques.societe-psychanalytique-de-paris.net/


NOTES :

  1. https://www.facebook.com/search/str/le+dictionnaire+des+52+nuances+de+ genre+de+facebook/keywords_search http://www.slate.fr/culture/83605/52-genre-facebook-definition
  2. Sy Mont­go­me­ry (2018), L’Âme d’une pieuvre, Paris, Cal­mann-Lévy.