L’éthique analytique en psychosomatique

·

·

par

Pour intro­duire le pro­pos : Cette inter­ven­tion de Claude Smad­ja a eu lieu dans le cadre du sémi­naire d’éthique de la SPP ani­mé par Jean-Michel Porte, Claire-Marine Fran­çois-Pon­cet et Panos Alou­pis. La réflexion géné­rale de ce sémi­naire porte sur les spé­ci­fi­ci­tés de l’éthique ana­ly­tique et com­ment celle-ci nous dif­fé­ren­cie des autres champs thé­ra­peu­tiques.
Dans l’idéal, l’éthique ana­ly­tique consis­te­rait en l’application d’une méthode d’accès à l’inconscient sans autre pré­oc­cu­pa­tion morale que celle de la pour­suite du trai­te­ment pour lequel le patient a consul­té : « le trai­te­ment est bâti sur la véri­di­ci­té ; C’est en cela que réside une bonne part de sa valeur éthique (…). Il est dan­ge­reux de quit­ter ce fon­de­ment » . L’application de cette méthode –fon­dée sur les prin­cipes de l’association libre et de l’écoute flot­tante- abou­ti­rait à une plus grande auto­no­mie du moi et des trans­for­ma­tions psy­chiques dont les effets thé­ra­peu­tiques indi­rects appa­rai­traient comme une « gué­ri­son de sur­croît ».

Mais dans la pra­tique, selon les patients et les moments du pro­ces­sus ana­ly­tique, la dimen­sion thé­ra­peu­tique de la cure sol­li­cite une par­ti­ci­pa­tion active de l’analyste, au-delà de sa fonc­tion ana­ly­tique. Alors com­ment gar­der un mode de pen­sée ana­ly­tique mal­gré les limites de l’analysable ? Quelle licence peut s’accorder l’analyste dans l’élargissement de la méthode au béné­fice du pro­ces­sus de la cure ? L’éthique de l’analyste, néces­sai­re­ment conflic­tuelle, risque de navi­guer entre l’écueil de la toute puis­sance et celui de l’inhibition. Du point de vue de l’éthique, l’institution repré­sente le seul tiers par sa capa­ci­té de renou­ve­ler la réflexion, la théo­rie, la for­ma­tion et les lieux d’échange inter-ana­ly­tique ou de débat comme ce sémi­naire.
Le champ de la psy­cho­so­ma­tique est exem­plaire du point de vue éthique dans la mesure où ses avan­cées théo­riques et l’institutionnalisation de sa réflexion et de sa for­ma­tion ont per­mis d’explorer une cli­nique inac­ces­sible par l’analyse aupa­ra­vant. Ce recul des fron­tières de l’analysable nous touche pour chaque patient dans la mesure où il inclut toutes les dimen­sions d’un ordre soma­tique ou d’une acti­vi­té psy­chique non acces­sibles à l’interprétation ana­ly­tique clas­sique.

Claire-Marine Fran­çois-Pon­cet, Psy­cha­na­lyste SPP.

Expo­sé de Claude Smad­ja :

Pour éta­blir la dis­cus­sion sur la posi­tion éthique du psy­cha­na­lyste face au malade soma­tique, la pre­mière direc­tion serait : com­ment la psy­cho­so­ma­tique vient à la psy­cha­na­lyse ? La deuxième direc­tion, c’est com­ment la psy­cha­na­lyse vient à la psy­cho­so­ma­tique. Si je pose ces deux ques­tions-là, c’est parce que rien n’est moins natu­rel pour un psy­cha­na­lyste que de s’occuper de malades soma­tiques.
La psy­cha­na­lyse au début de son his­toire n’était pas faite pour les malades soma­tiques, elle était faite pour les malades qui avaient un état psy­cho­pa­tho­lo­gique alté­ré. Il y a un pro­blème d’hétérogénéité fon­da­men­tale entre la praxie psy­cha­na­ly­tique et l’objet malade soma­tique, c’est venu petit à petit dans l’histoire, ce n’est pas venu tout de suite. Freud, avec ses pre­miers tra­vaux, a éla­bo­ré un modèle qui incluait les symp­tômes du corps, ce sont les symp­tômes hys­té­riques, mais ces symp­tômes du corps dans ce modèle étaient des pro­lon­ge­ments des tra­duc­tions de conflits d’ordre psy­chique incons­cients. C’était très clair pour Freud, il n’y avait pas de doute sur la valeur psy­chique des symp­tômes cor­po­rels. Et puis, il y avait un autre cor­tège de symp­tômes du corps, qu’on appe­lait à l’époque des symp­tômes fonc­tion­nels, qui étaient jus­ti­ciables, pour Freud, d’une expli­ca­tion psy­cho­lo­gique. A savoir que ces symp­tômes fonc­tion­nels étaient le pro­duit, le résul­tat d’une intoxi­ca­tion par la libi­do ou plu­tôt pour être plus rigou­reux par l’excitation sexuelle, puisque le modèle de la névrose actuelle énonce que l’excitation sexuelle soma­tique ne par­vient pas à fran­chir la bar­rière soma­to­psy­chique, ne par­vient pas à joindre les repré­sen­ta­tions de l’inconscient et donc une stase sur­vient dans le soma équi­va­lente à une intoxi­ca­tion. Le modèle de cer­taines mala­dies, comme la mala­die de Base­dow, était mis en avant par Freud. Donc, les symp­tômes fonc­tion­nels n’étaient pas des symp­tômes qui étaient liés à une conflic­tua­li­té psy­chique mais qui étaient quand même liés à une alté­ra­tion du tra­jet pul­sion­nel, du soma vers l’inconscient, vers la psy­ché. En ce qui concerne la psy­cho­so­ma­tique pure et dure, c’est-à-dire les mala­dies orga­niques car la psy­cho­so­ma­tique stric­to sen­su concerne des mala­dies orga­niques et non pas les symp­tômes fonc­tion­nels, et bien en ce qui concerne les mala­dies orga­niques, la psy­cha­na­lyse n’était pas concer­née.

On voit bien dans Dora par exemple, les pré­cau­tions que prend Freud par rap­port à un diag­nos­tic soma­tique et lorsqu’il existe un diag­nos­tic soma­tique, et bien la psy­cha­na­lyse évi­dem­ment n’est pas indi­quée. Plus encore, Freud avait lan­cé une règle qui excluait du trai­te­ment psy­cha­na­ly­tique les symp­tômes de la névrose actuelle. Pour Freud, seuls les symp­tômes de conver­sion hys­té­rique rele­vaient d’un trai­te­ment ana­ly­tique. Voi­là l’état de base des rela­tions entre les mala­dies orga­niques, psy­cho­so­ma­tiques, et ce qui va deve­nir la psy­cho­so­ma­tique et la psy­cha­na­lyse. Il faut dire tout de suite que Freud avait une posi­tion qui par­tait tou­jours du psy­chisme, et tout ce qu’il a pu abor­der concer­nant les symp­tômes soma­tiques était une consé­quence aléa­toire du déve­lop­pe­ment de l’économie libi­di­nale ou plus tard de l’économie pul­sion­nelle en géné­ral, tan­dis que quelques années plus tard Mar­ty, lui, par­tait du soma. Toutes ses réflexions par­taient du soma, toutes ses pré­oc­cu­pa­tions par­taient du soma, c’est une posi­tion tout à fait inverse, c’est pour ça que nous avons l’habitude de dire que si Freud, en tout cas je le dis et je le répète constam­ment, si Freud est à l’origine des théo­ri­sa­tions psy­cho­so­ma­tiques contem­po­raines, ce n’est pas parce qu’il était un psy­cho­so­ma­ti­cien. Il par­tait de posi­tions psy­chiques et cer­taines des consé­quences de la vie psy­chique et des inves­tis­se­ments pul­sion­nels abou­tis­saient à des situa­tions soma­tiques, c’est dans ce sens-là que les choses se pas­saient pour Freud. Et puis, quelques temps se passent du vivant de Freud, et cer­tains ana­lystes approchent des malades soma­tiques et déve­loppent ce que l’on appe­lait à l’époque une psy­cha­na­lyse des mala­dies orga­niques.

Il y en a plu­sieurs et le plus célèbre est Grod­deck, mais il faut se rendre compte de quelque chose tout de suite, c’est que pour ces psy­cha­na­lystes qui vou­laient appli­quer la psy­cha­na­lyse aux malades soma­tiques, ils ne pou­vaient le faire qu’en uti­li­sant le modèle psy­cha­na­ly­tique exis­tant, et le seul modèle qui exis­tait, c’était le modèle de la pre­mière topique, et de la pre­mière théo­rie des pul­sions. Je dis cela parce que ces psy­cha­na­lystes-là ont com­men­cé à s’occuper de malades soma­tiques autour des années 1915, en tout cas avant le tour­nant de 1920. Le seul modèle psy­cha­na­ly­tique exis­tant était le modèle de la pre­mière topique, pre­mière théo­rie des pul­sions, or il se trouve que ce modèle-là ne pou­vait rendre intel­li­gible que des symp­tômes fonc­tion­nels, je ne parle pas des symp­tômes hys­té­riques qui sont, encore une fois, des symp­tômes qui rentrent dans le cadre, l’ordre psy­chique. Mais, ce modèle était abso­lu­ment inca­pable en théo­rie de rendre compte des mala­dies orga­niques, il a fal­lu un for­çage de Grod­deck pour expli­quer que le can­cer, la sclé­rose en plaques, la mala­die de Crohn, c’était pareil. Il le dit tel quel : « c’était pareil », cela avait un sens sym­bo­lique, il n’y avait aucune dif­fé­rence, aucune dif­fé­ren­cia­tion, aucun écart entre le sens qu’on peut don­ner à un symp­tôme hys­té­rique ou obses­sion­nel et le sens que l’on peut don­ner à un can­cer par exemple. C’est l’abus de Grod­deck, ceci dit c’est évi­dem­ment sédui­sant de faire les choses comme ça, j’ai ren­con­tré énor­mé­ment de méde­cins qui approchent la psy­cho­so­ma­tique par la voie de Grod­deck, c’est évi­dem­ment ce qu’il y a de plus simple et de plus facile, mais c’est en théo­rie tota­le­ment faux. Donc, ils ne pou­vaient pas faire autre­ment, parce qu’il n’existait pas de modèle théo­rique, en psy­cha­na­lyse, qui pou­vait rendre compte des spé­ci­fi­ci­tés de la mala­die orga­nique. Il a fal­lu attendre le modèle de la seconde théo­rie des pul­sions et de la seconde topique, pour pou­voir appro­cher la com­pré­hen­sion des pro­ces­sus de soma­ti­sa­tion. Freud ne l’a pas fait, encore une fois, parce que ce n’était pas sa pré­oc­cu­pa­tion, mais il a don­né quelques indi­ca­tions qui sont abso­lu­ment remar­quables, qui nous servent encore aujourd’hui et qui sont des indi­ca­tions qu’il a tiré de l’économie libi­di­nale ou de l’économie pul­sion­nelle, des­truc­ti­vi­té com­prise.

Il y a trois indi­ca­tions majeures, qui sont des nota­tions cli­niques de Freud. La pre­mière figure dans Au-delà du prin­cipe de plai­sir, à la fin du texte, je crois que c’est dans le cha­pitre 7. Freud dit que la névrose trau­ma­tique ‑vous savez que la névrose trau­ma­tique est un état psy­cho­pa­tho­lo­gique très poly­morphe, très hys­té­ri­forme, donc avec des symp­tômes très riches–  dis­pa­raît, du point de vue symp­to­ma­to­lo­gique, lorsque la situa­tion trau­ma­tique à l’origine de la névrose trau­ma­tique coexiste avec une bles­sure cor­po­relle. Autre­ment dit, si un patient qui fait une névrose trau­ma­tique à la suite d’une situa­tion trau­ma­tique, a en même temps une atteinte soma­tique, alors la symp­to­ma­to­lo­gie de la névrose trau­ma­tique dis­pa­raît. C’était abso­lu­ment une énigme pour l’époque. Et Freud donne cette indi­ca­tion qui est capi­tale, cette indi­ca­tion que la libi­do régresse de ses fixa­tions objec­tales à des fixa­tions nar­cis­siques, c’est-à-dire qu’au niveau de la bles­sure soma­tique, la libi­do est appe­lée pour cer­ner la bles­sure ; il y a donc une régres­sion libi­di­nale des fixa­tions aux objets vers la zone du corps qui a été bles­sée et ceci s’accompagne d’un aban­don de la symp­to­ma­to­lo­gie psy­chique. C’est ce que nous appel­le­rons plus tard, à l’Ecole de Paris, la démen­ta­li­sa­tion, c’est-à-dire que les expres­sions psy­chiques des conflits dis­pa­raissent et nous avons quelqu’un qui sera inex­pres­sif du point de vue psy­cho­pa­tho­lo­gique.

Deuxième indi­ca­tion, deuxième nota­tion freu­dienne, elle figure dans Le pro­blème éco­no­mique du maso­chisme en 1924, Freud s’occupe du maso­chisme moral et de la culpa­bi­li­té incons­ciente, et il dit que dans la névrose, la souf­france du névro­sé est le prix à payer pour sa culpa­bi­li­té incons­ciente. Et il sou­ligne éga­le­ment que les névroses les plus graves du point de vue symp­to­ma­to­lo­gique, celles qui ont résis­té à tous les trai­te­ments, deviennent asymp­to­ma­tiques lorsque le patient a soit contrac­té une mala­die grave, soit a été tou­ché par un trau­ma­tisme de sa vie per­son­nelle ou de sa vie amou­reuse. Autre­ment dit, un névro­sé qui a des symp­tômes, donc une expres­si­vi­té psy­chique à ses conflits est sus­cep­tible d’effacer ses symp­tômes s’il lui arrive de tom­ber malade soma­ti­que­ment. Et Freud d’expliquer que la culpa­bi­li­té incons­ciente est pas­sée de l’ordre psy­chique à l’ordre soma­tique et, en quelque sorte, la seule chose qui compte pour le névro­sé, est de conser­ver une cer­taine quan­ti­té de souf­france. Autre­ment dit, il admet que la culpa­bi­li­té incons­ciente et l’expression de la souf­france qui va avec, sont sus­cep­tibles de cir­cu­ler de l’ordre psy­chique à l’ordre soma­tique, avec comme prix de ce dépla­ce­ment vers le soma­tique une perte de l’expressivité psy­chique, ce que nous appe­lons une démen­ta­li­sa­tion.

Et enfin, il y a une troi­sième nota­tion, et celle-là reste théo­rique, c’est dans Le Moi et le ça,  lorsque Freud évoque le rôle des deux pul­sions et la façon dont elles sont liées l’une à l’autre par intri­ca­tion. S’il y a intri­ca­tion entre les pul­sions de vie et les pul­sions de mort, il doit y avoir aus­si dés­in­tri­ca­tion, et Freud ajoute que lorsqu’il y a dés­in­tri­ca­tion, il y a un grave dan­ger pour la vie des fonc­tions, mais il est encore trop tôt dit-il, pour abor­der ce genre de pro­blèmes qui est tout à fait nou­veau. Alors, j’ai sou­vent dit que c’était pro­phé­tique parce qu’il a fal­lu attendre qua­rante ans pour que Mar­ty et ses com­pa­gnons de route montrent pré­ci­sé­ment où était le dan­ger qui venait des pro­ces­sus de désor­ga­ni­sa­tion et de dés­in­tri­ca­tion pul­sion­nelles, dan­ger pour la vie des fonc­tions, soit, au fond, un pro­ces­sus de soma­ti­sa­tion.

Avec la seconde théo­rie des pul­sions, nous avons un modèle théo­rique qui peut nous per­mettre main­te­nant de par­ler de mala­dies orga­niques et d’intégrer la com­pré­hen­sion du pro­ces­sus de soma­ti­sa­tion dans l’ensemble de l’économie psy­chique du patient. Car la grande nou­veau­té, révo­lu­tion­naire des décou­vertes de Mar­ty et de ses com­pa­gnons, Michel Fain, Michel de M’Uzan, Chris­tian David, au début des années 50, a été d’intégrer l’inintégrable. Au fond, je ne sais pas si vous vous en ren­dez compte, la psy­cho­so­ma­tique consiste à inté­grer deux ordres tota­le­ment hété­ro­gènes l’un à l’autre. Du point de vue du fonc­tion­ne­ment, les élé­ments psy­chiques et les élé­ments soma­tiques obéissent à des ordres dif­fé­rents, des expres­sions dif­fé­rentes et le pari de la psy­cho­so­ma­tique c’est d’intégrer ces deux ordres-là d’éléments pour en faire un seul. Il est beau­coup plus facile ‑et c’est ce qui s’est pas­sé pen­dant des décen­nies et ce qui se passe encore aujourd’hui dans le sec­teur médi­cal, si ce n’est le sec­teur psy­cha­na­ly­tique- de com­prendre ou de se réfé­rer au dua­lisme. On peut asso­cier faci­le­ment un conflit psy­chique, iden­ti­fiable en fonc­tion des modèles psy­cha­na­ly­tiques, avec une mala­die soma­tique, iden­ti­fiable selon le modèle bio­lo­gique en affir­mant une cor­ré­la­tion entre les deux ;  mais inté­grer dans un même pro­ces­sus unique les deux élé­ments, ça c’est une gageure, et c’est ce qu’ont fait les auteurs de l’Ecole Psy­cho­so­ma­tique de Paris.

Cela a com­men­cé au début des années 50 avec Mar­ty, très vite avec Mar­ty et Fain, l’exemple fon­da­men­tal qui a mis en route ces études de psy­cho­so­ma­tique, dans cet esprit moniste, c’est l’étude des céphal­al­gies, des rachi­al­gies ou les études des atteintes gas­triques. Ce qu’avait remar­qué Mar­ty, par exemple, devant un patient qui avait des gas­tral­gies, c’était que devant un cer­tain type de conflits, le patient réagis­sait assez sou­vent par des moda­li­tés carac­té­rielles et puis de temps en temps il ne réagis­sait pas par des moda­li­tés carac­té­rielles, mais il réagis­sait par une crise gas­trique. Il a lié les deux en consi­dé­rant que la crise gas­trique était une autre moda­li­té défen­sive par rap­port à un cer­tain type de conflits qui avait été iden­ti­fié, par exemple dans sa rela­tion à sa mère, et de temps en temps le patient réagis­sait par des moda­li­tés carac­té­rielles, de temps en temps il réagis­sait par des moda­li­tés soma­tiques. Autre­ment dit, la conclu­sion de cela, c’est qu’il y a une uni­té de fonc­tion­ne­ment, une uni­té psy­cho­so­ma­tique dans laquelle prend part l’expression soma­tique à côté des expres­sions psy­chiques ou de carac­tère ou de com­por­te­ment. A par­tir de ce moment-là, le psy­cha­na­lyste face à ce type de patients est ame­né à inté­grer les évè­ne­ments soma­tiques dans l’ensemble des apti­tudes du Moi à réagir à une situa­tion trau­ma­tique. Donc, il n’y a plus de cli­vage entre les expres­sions soma­tiques et les expres­sions psy­chiques, mais ces psy­cha­na­lystes ont déci­dé de consi­dé­rer que ces expres­sions soma­tiques étaient l’une des voies pos­sible d’expression défen­sive du Moi face à une situa­tion trau­ma­tique.

Toute la décen­nie 1950 fut une décen­nie où Mar­ty, Fain ont obser­vé et ont écrit sur des symp­to­ma­to­lo­gies fonc­tion­nelles. C’est à par­tir des années 60 qu’ils ont fait les décou­vertes majeures que nous connais­sons aujourd’hui de la psy­cho­so­ma­tique et ces décou­vertes, ils les ont faites véri­ta­ble­ment en tant que psy­cha­na­lystes, c’est là où on rejoint les ques­tions d’éthique, puisque ce qu’ils ont décou­vert chez cer­tains patients, cette fois-ci des patients qui avaient des soma­ti­sa­tions plus graves, des car­dio­pa­thies, des can­cers, des mala­dies évo­lu­tives diges­tives ou neu­ro­lo­giques, ce qu’ils ont décou­vert, ce sont des alté­ra­tions de la vie de repré­sen­ta­tion. C’est cela qui a mis en place tout le cor­pus théo­rique, cli­nique et tech­nique, pour aider ces patients-là. Car ce qu’ils ont décou­vert, et ils ne s’y atten­daient pas, c’est que ces patients-là, pour beau­coup d’entre eux, étaient des patients qui avaient l’air d’être tout à fait nor­maux, McDou­gall les a appe­lé des nor­mo­pathes d’ailleurs, mais nor­maux ça veut dire quoi ? Cela veut dire tout à fait conforme, adap­té voire sur­adap­té à l’environnement social. Nor­maux c’est ça, ils avaient cette capa­ci­té de sur­adap­ta­tion. Par contre, en tant que psy­cha­na­lystes, ils ont décou­vert des alté­ra­tions abso­lu­ment pro­fondes et gra­vis­simes de la vie de repré­sen­ta­tion. C’est ce qui les a ame­nés à décou­vrir des syn­dromes cli­niques qui font par­tie aujourd’hui du cor­pus de tout psy­cha­na­lyste, la pen­sée opé­ra­toire, la dépres­sion essen­tielle … et Mar­ty, en par­ti­cu­lier, a dû mettre en place une série de règles tech­niques pour abor­der ces patients qui étaient ‑c’est une for­mu­la­tion de McDou­gall- des anti-ana­ly­sants. Vous savez, quand on se trouve devant un patient qui a une pen­sée opé­ra­toire par exemple, c’est-à-dire une vie de repré­sen­ta­tion la plus élé­men­taire et la plus basique, c’est une bles­sure pour le psy­cha­na­lyste (Michel Fain). Le psy­cha­na­lyste est habi­tué à jouer avec les sens, don­ner du sens à ce qu’il écoute, à cher­cher les fan­tasmes der­rière les expres­sions mani­festes, c’est le métier du psy­cha­na­lyste. Lorsqu’il n’y a rien de tout cela, jusque là ce n’était pas une indi­ca­tion de psy­cha­na­lyse, il ne pou­vait rien faire. Et bien, c’est ce pari qui a été rele­vé par les psy­cho­so­ma­ti­ciens sur la base d’une iden­ti­fi­ca­tion de ces troubles pro­fonds de la men­ta­li­sa­tion, de la vie de repré­sen­ta­tion et ensuite sur la base d’aménagements tech­niques propres à aider ces patients avec les outils de la psy­cha­na­lyse. Freud a écrit un texte en 1919, Les voies nou­velles de la thé­ra­peu­tique psy­cha­na­ly­tique ‑André Green a repris ce titre pour son der­nier livre col­lec­tif Le dehors et le dedans- dans lequel il pose qu’avec un cer­tain nombre de situa­tions névro­tiques graves, ce qu’il appe­lait les situa­tions névro­tiques graves ce sont les états-limites d’aujourd’hui, face à ces situa­tions-là, il était néces­saire pour le psy­cha­na­lyste, d’envisager un temps préa­lable à l’analyse, pré­li­mi­naire à la cure type, au trai­te­ment clas­sique, où on ame­nait le patient névro­sé à être prêt à pou­voir accep­ter un trai­te­ment psy­cha­na­ly­tique, une cure psy­cha­na­ly­tique clas­sique, mais évi­dem­ment quelques fois ce temps pré­li­mi­naire pou­vait durer tout le temps… Il évoque dans ce texte des situa­tions pho­biques ou obses­sion­nelles graves, des pho­biques qui ne par­viennent pas à sor­tir de chez eux pour aller aux séances ou des états obses­sion­nels gra­vis­simes. Donc, il sug­gé­rait de pou­voir uti­li­ser d’autres méthodes préa­la­ble­ment à la cure type. C’est un peu cette idée-là qui s’est déve­lop­pée dans les amé­na­ge­ments tech­niques vis-à-vis de ces patients soma­tiques.

Je vous ai dit tout à l’heure que j’allais abor­der ces pro­blé­ma­tiques de deux façons. La pre­mière com­ment la psy­cho­so­ma­tique advient à la psy­cha­na­lyse, c’est ce que je vous ai mon­tré jusqu’aux décou­vertes de Mar­ty, et main­te­nant com­ment la psy­cha­na­lyse va jusqu’à la psy­cho­so­ma­tique, c’est-à-dire com­ment nous res­tons psy­cha­na­lystes et com­ment nous pou­vons aider avec la psy­cha­na­lyse ces patients, qui his­to­ri­que­ment n’étaient pas des indi­ca­tions d’analyse en rai­son de leurs carences, de leur vie de repré­sen­ta­tions. D’abord, il faut situer sché­ma­ti­que­ment deux ordres de dif­fi­cul­té, peut-être trois ordres de dif­fi­cul­té chez ces patients face à un psy­cha­na­lyste psy­cho­so­ma­ti­cien.

La pre­mière dif­fi­cul­té est liée aux spé­ci­fi­ci­tés de fonc­tion­ne­ment men­tal du patient opé­ra­toire. Le point le plus impor­tant dans  le fonc­tion­ne­ment men­tal de l’opératoire ‑je dis opé­ra­toire au sens para­dig­ma­tique, c’est-à-dire que les patients ne sont pas néces­sai­re­ment des opé­ra­toires abso­lus, mais ils sont orga­ni­sés vers le pôle opé­ra­toire du fonc­tion­ne­ment men­tal- est le cli­vage entre l’inconscient et le pré­cons­cient-conscient. Ce cli­vage-là, cette sépa­ra­tion entre le fonc­tion­ne­ment de l’inconscient et le fonc­tion­ne­ment du préconscient/conscient, conduit à inter­rompre les échanges entre les deux sys­tèmes. C’est ce que Mar­ty dit dans un apho­risme, il dit que le Moi des opé­ra­toires est cou­pé de ses sources pul­sion­nelles. Vous savez que dans la Méta­psy­cho­lo­gie de 1915, dans « L’inconscient », il y a un cha­pitre sur les échanges entre les deux sys­tèmes, l’inconscient et le pré­cons­cient, et que ces échanges sont abso­lu­ment néces­saires, vitaux du point de vue psy­chique, puisqu’au fond le second sys­tème, le pré­cons­cient, qui repose sur la pen­sée, sur le dérou­le­ment de la pen­sée est, selon les termes de Freud, un sub­sti­tut de la réa­li­sa­tion hal­lu­ci­na­toire du désir, qui lui est l’objet de l’inconscient, du sys­tème incons­cient. Autre­ment dit, les échanges entre le sys­tème incons­cient et le sys­tème pré­cons­cient sont abso­lu­ment vitaux psy­chi­que­ment pour que le pré­cons­cient tra­duise dans les termes de la pen­sée les sou­ve­nirs, les repré­sen­ta­tions qui figurent dans l’inconscient. Ce qui spé­ci­fie le fonc­tion­ne­ment men­tal de l’opératoire, c’est une cou­pure, un cli­vage entre le sys­tème incons­cient et le sys­tème préconscient/conscient. Le résul­tat c’est ce que Mar­ty et de M’Uzan ont décrit dans La pen­sée opé­ra­toire, c’est une pen­sée désaf­fec­ti­vée, sans sym­bo­lisme, sans méta­pho­ri­sa­tion, sans fan­tasme repé­rable, qui fait que l’analyste ne s’y retrouve pas, parce qu’il ne peut don­ner aucun sens, le sens venant de l’inconscient, le sens venant des pro­ces­sus de méta­pho­ri­sa­tion, de sym­bo­li­sa­tion, de dépla­ce­ment, tout cela qui n’existe pas puisque le pré­cons­cient est abso­lu­ment cli­vé de l’inconscient. C’est le pre­mier élé­ment, la pre­mière dif­fi­cul­té majeure quand on est face à un patient opé­ra­toire.

Une deuxième dif­fi­cul­té interne, qui vient du fonc­tion­ne­ment du patient, c’est le défaut de régres­sion chez la plu­part de ces patients. Beau­coup de ces patients, sans qu’ils soient néces­sai­re­ment opé­ra­toires ont ce que Mar­ty appe­lait un Moi idéal, c’est-à-dire une orga­ni­sa­tion phal­lique nar­cis­sique, dont l’objet est de pro­té­ger le Moi, en per­ma­nence, des bles­sures nar­cis­siques anciennes et réac­ti­vées par les situa­tions actuelles. Le nar­cis­sisme phal­lique devient une orga­ni­sa­tion défen­sive du Moi, et cette orga­ni­sa­tion défen­sive prive le Moi d’une capa­ci­té de régres­sion. Le Moi ne peut pas régres­ser, c’est-à-dire qu’il est tou­jours por­té dans un mou­ve­ment pro­gré­dient qui le conduit à l’épuisement. Un trai­te­ment psy­cha­na­ly­tique sans pos­si­bi­li­té de régres­sion ne peut pas s’opérer, d’autant plus que si on allonge un patient qui est dans cette confi­gu­ra­tion de fonc­tion­ne­ment men­tal, si on allonge un patient qui est dans l’incapacité de sup­por­ter la régres­sion, il court le risque d’une désor­ga­ni­sa­tion soma­tique. Ceci c’est un autre cha­pitre, c’est ce que la psy­cho­so­ma­tique a pu appor­ter en par­ti­cu­lier aux psy­cha­na­lystes au niveau des indi­ca­tions par exemple.

Et puis, il y a un troi­sième élé­ment spé­ci­fique à ces patients, qui rend clas­si­que­ment le tra­vail psy­cha­na­ly­tique clas­sique impos­sible à conduire, c’est la moda­li­té par­ti­cu­lière de trans­fert. Nous sommes en face de patients qui ne sont pas en mesure de dépla­cer sur l’analyste des inves­tis­se­ments pul­sion­nels incons­cients, l’analyste n’identifie pas de mou­ve­ment de trans­fert, toute rela­tion n’est pas un trans­fert. Le trans­fert clas­sique c’est le dépla­ce­ment à par­tir de sources incons­cientes infan­tiles de mou­ve­ments pul­sion­nels dif­fé­ren­ciés sur l’analyste, tout cela se pas­sant incons­ciem­ment. Compte-tenu de ce qui a été dit pré­cé­dem­ment, en par­ti­cu­lier sur le cloi­son­ne­ment de l’inconscient, il n’y a pas de mou­ve­ment trans­fé­ren­tiel clas­sique repé­rable chez ces patients. Alors qu’est-ce qu’on fait ? Parce que là encore le trai­te­ment psy­cha­na­ly­tique clas­sique repose sur la névrose de trans­fert, en tout cas sur les mou­ve­ments trans­fé­ren­tiels qui per­mettent d’identifier les répé­ti­tions conflic­tuelles et de les inter­pré­ter. Cathe­rine Parat dans les années 70 a décrit ce qu’elle a appe­lé un trans­fert de base chez ces patients, trans­fert de base cela veut dire rela­tion psy­cha­na­ly­tique par oppo­si­tion au trans­fert clas­sique. Le trans­fert de base ou la rela­tion psy­cha­na­ly­tique est tout ce que peut faire un patient soma­tique démen­ta­li­sé ou opé­ra­toire, c’est l’établissement d’une rela­tion qui n’est pas un trans­fert, c’est-à-dire qui n’est pas liée aux sources, qui n’est pas le dépla­ce­ment, la pro­jec­tion, de mou­ve­ments pul­sion­nels dif­fé­ren­ciés à par­tir de sources incons­cientes infan­tiles, mais qui est une rela­tion de base, un inves­tis­se­ment fonc­tion­nel qui se porte sur l’analyste et qui a, et c’est ceci qui est impor­tant, qui a une fonc­tion essen­tiel­le­ment nar­cis­sique pour le patient, c’est-à-dire que l’entretien de cette rela­tion et le manie­ment de cette rela­tion par l’analyste qui doit répondre par cette même rela­tion, a des effets sur l’économie nar­cis­sique du patient, tan­dis que le trans­fert clas­sique concerne l’économie objec­tale du patient, œdi­pienne en par­ti­cu­lier, donc voi­là plu­sieurs aspects qui ont été iden­ti­fiés comme des dif­fi­cul­tés spé­ci­fiques de ces patients. Pour un abord psy­cha­na­ly­tique et en réponse à ces dif­fi­cul­tés-là, Mar­ty a mis en place cer­tains amé­na­ge­ments psy­cha­na­ly­tiques qu’il a résu­més dans un apho­risme célèbre qui est « De la fonc­tion mater­nelle à la psy­cha­na­lyse ».

Alors, de quoi s’agit-il ? D’abord, je l’ai sou­vent dit à mes col­lègues, je crois que c’est une mal­adresse de Mar­ty d’avoir dit « De la fonc­tion mater­nelle à la psy­cha­na­lyse » parce que cette for­mule oppose, dif­fé­ren­cie la fonc­tion mater­nelle de la psy­cha­na­lyse. Cela vou­drait dire que la psy­cho­so­ma­tique, pure et dure, celle qui concerne ces patients, serait trai­tée par la fonc­tion mater­nelle et pas par la psy­cha­na­lyse, la psy­cha­na­lyse concer­ne­rait d’autres patients plus évo­lués du point de vue de la men­ta­li­sa­tion. Il faut bien poser que la psy­cho­so­ma­tique est à l’intérieure de la psy­cha­na­lyse et tient une place majeure à l’intérieur de la cli­nique, de la théo­rie et de la tech­nique psy­cha­na­ly­tiques. Quand Mar­ty dit « De la fonc­tion mater­nelle à la psy­cha­na­lyse », je crois qu’il faut dire plu­tôt « de la fonc­tion mater­nelle à l’interprétation psy­cha­na­ly­tique clas­sique ». C’est cela que vou­lait dire Mar­ty, mais cela veut dire que les deux pôles de la fonc­tion mater­nelle et de l’art de l’interprétation appar­tiennent à la psy­cha­na­lyse. C’est cela qu’il faut main­te­nir. Ce sont deux pôles en effet, qui sont liés aux deux pôles que repré­sentent au niveau de la qua­li­té du fonc­tion­ne­ment men­tal, le moins de men­ta­li­sa­tion et le plus de men­ta­li­sa­tion. Ce que vou­lait dire Mar­ty c’est que le psy­cha­na­lyste psy­cho­so­ma­ti­cien face à un patient soma­tique qui a un cer­tain degré de men­ta­li­sa­tion ou un  cer­tain degré de démen­ta­li­sa­tion dans son fonc­tion­ne­ment men­tal, exige de l’analyste qu’il soit plus proche d’une tech­nique de fonc­tion mater­nelle ou qu’il soit plus proche d’une tech­nique de l’interprétation psy­cha­na­ly­tique clas­sique et la cir­cu­la­tion d’un pôle à l’autre chez l’analyste dépend de l’évolutivité du fonc­tion­ne­ment men­tal au cours de la cure. Il y a des patients qui res­tent pen­dant tout leur trai­te­ment, jus­ti­ciables d’une approche par la fonc­tion mater­nelle et il y en a d’autres, fort heu­reu­se­ment, qui évo­luent au cours de la cure, qui sont ame­nés à évo­luer, qui sont ame­nés à régres­ser aus­si, pour­quoi pas. Mar­ty deman­dait au psy­cha­na­lyste d’avoir une flexi­bi­li­té dans sa dis­tance au patient, et c’est là où inter­vient la notion de neu­tra­li­té. La neu­tra­li­té appar­tient au pôle de l’interprétation psy­cha­na­ly­tique clas­sique, puisqu’elle a été mise en place dans les règles tech­niques de Freud. Ce qu’exige l’approche de l’analyste quand il uti­lise la fonc­tion mater­nelle, c’est un amé­na­ge­ment par rap­port à la neu­tra­li­té, c’est-à-dire une plus grande acti­vi­té de l’analyste. Quand je dis acti­vi­té, il faut bien com­prendre ce que cela veut dire.

Dans les années 22–23, Ferenc­zi et Rank avaient écrit un livre qui remet­tait en ques­tion le cours jugé trop long par eux de l’analyse et Ferenc­zi prô­nait une acti­vi­té de l’analyste, c’est-à-dire l’anticipation de situa­tions psy­chiques pour accé­lé­rer le cours de l’analyse. En réa­li­té, l’activité qui est deman­dée à un psy­cha­na­lyste psy­cho­so­ma­ti­cien face à un patient qui est pauvre du point de vue de la vie de repré­sen­ta­tion, elle est tout autre, il ne s’agit pas de pro­vo­quer des conflits chez le patient. Il s’agit, et c’est pré­ci­sé­ment la défi­ni­tion de la fonc­tion mater­nelle du thé­ra­peute, il s’agit pour le psy­cha­na­lyste en face de son patient très pauvre en vie de repré­sen­ta­tion, de lui prê­ter son sys­tème de liai­son psy­chique. René Diat­kine avait cou­tume de dire que la ren­contre entre un psy­cha­na­lyste et un patient, c’est la ren­contre entre deux sys­tèmes de liai­son. Quand on est en face d’un patient qui a un sys­tème de liai­son très pauvre, où il y a peu d’associativité, l’activité qui est deman­dée au psy­cha­na­lyste, c’est de prê­ter au patient ses propres repré­sen­ta­tions, ses propres asso­cia­tions. Dans les années 50, on appe­lait cela le prêt du pré­cons­cient de l’analyste à son patient. Pour­quoi ça fonc­tionne ? Dans le texte « L’inconscient », en 1915, Freud nous montre bien que les échanges entre l’inconscient et le pré­cons­cient vont de l’inconscient au pré­cons­cient bien enten­du, c’est fon­da­men­tal, mais ces échanges vont aus­si dans l’autre sens, c’est-à-dire que l’inconscient va être sen­sible aux apports exté­rieurs ; or chez ces patients, il y a un autre apho­risme de Mar­ty qui dit « L’inconscient reçoit mais n’émet pas ». Cela veut dire que chez un patient opé­ra­toire, l’inconscient étant cou­pé du pré­cons­cient, il n’émet aucun cours de repré­sen­ta­tions vers le pré­cons­cient, par contre il est sus­cep­tible de réagir à des exci­ta­tions venant de l’extérieur ou des inves­tis­se­ments. Le pro­blème c’est que ces inves­tis­se­ments qui viennent de l’extérieur court-cir­cuitent le pré­cons­cient et touchent immé­dia­te­ment l’inconscient, donc ce qui est deman­dé au psy­cha­na­lyste en géné­ral, c’est d’investir le fonc­tion­ne­ment men­tal de son patient d’une manière désexua­li­sée. Ces inves­tis­se­ments-là vont nour­rir l’inconscient et en par­ti­cu­lier les inves­tis­se­ments nar­cis­siques du patient. Si ce sont des inves­tis­se­ments autres, exci­tants, trop sexua­li­sés, ils peuvent avoir pour effet de déve­lop­per une soma­ti­sa­tion ou une nou­velle crise de la soma­ti­sa­tion du patient, le pré­cons­cient étant tota­le­ment court-cir­cui­té dans ces mou­ve­ments-là.

A par­tir de là, il est tou­jours pos­sible d’être psy­cha­na­lyste d’un patient, même gra­ve­ment malade, même gra­ve­ment démen­ta­li­sé. Je pense tou­jours à cette for­mule de Win­ni­cott, qui en face de cer­tains patients, dit je ne sais pas si ce que je fais c’est de la psy­cha­na­lyse, mais je ne pour­rais pas le faire si je n’étais pas psy­cha­na­lyste. Et bien je crois qu’en psy­cho­so­ma­tique c’est aus­si cela, la prio­ri­té est d’être psy­cha­na­lyste et puis quelques fois on ne sait pas si on ne va pas trop loin ou pas assez loin mais ce qu’on fait, on ne le ferait pas si on n’était pas psy­cha­na­lyste.

Claude Smad­ja