La folie de l’enfant n’existe plus : Bonne nouvelle ?!
Réflexions d’une pédopsychiatre psychanalyste du XXIème siècle

Même si elle existe cer­tai­ne­ment depuis l’aube de l’humanité, la folie de l’enfant n’a été concep­tua­li­sée que depuis peu, la psy­chia­trie de l’enfant ayant à peine plus d’un demi-siècle. De l’enfant sau­vage  du début du XIXème siècle, aux Troubles du Spectre Autis­tique (TSA) du début du XXIème siècle, les enfants fous ont été étu­diés pen­dant ces deux cents der­nières années de façons mul­tiples et variées, avec der­rière, un débat cou­rant en fili­grane sur le carac­tère inné ou acquis des troubles.  Décrite à par­tir des années 1950,  la psy­chose infan­tile n’existe plus depuis les années 80 dans les clas­si­fi­ca­tions inter­na­tio­nales. Era­di­quée par la psy­chia­trie moderne,  la folie de l’enfant aurait-t-elle pour autant dis­pa­rue ? Sur­ement pas…mais où se cache­rait-t-elle alors aujourd’hui et com­ment la pen­ser avec les outils contem­po­rains ? A tra­vers l’étude des dif­fé­rentes concep­tua­li­sa­tions savantes ayant été inven­tées pour décrire ces enfants au fil des der­niers siècles,  il s’agira dans cet article, de repar­cou­rir l’histoire de la pédo­psy­chia­trie avec un regard cri­tique afin de remettre en ques­tions nos concep­tions théo­riques de la folie infan­tile.  Les enfants fous d’aujourd’hui res­tant fina­le­ment à peu près iden­tiques à ceux d’hier, seul le regard de la socié­té chan­geant au fil des années,  au gré des dif­fé­rents contextes poli­tiques et sociaux.

Qu’un enfant puisse être fou est ain­si long­temps appa­ru comme une aber­ra­tion. N’ayant pas atteint l’âge de rai­son, com­ment pour­rait-il dérai­son­ner ? La vie psy­chique de l’enfant a long­temps été déniée ou idéa­li­sée. Plon­gé dans l’innocence pre­mière, com­ment pour­rait-il être affec­té par un tour­billon de pas­sion (Hoch­mann, 2010) ? Mais avant de par­ler de psy­chose de l’enfant, de quoi par­lait-on pour décrire ces enfants fous ?

L’enfant sau­vage
Le pre­mier cas pédo­psy­chia­trique nom­mé est le célèbre Vic­tor, dit « enfant sau­vage de l’Aveyron », décrit en 1800 par le jeune méde­cin Itard. Cap­tu­ré par des chas­seurs dans le bois de Lacaune, ce gamin d’une dou­zaine d’années avait été aper­çu, depuis trois ou quatre ans, errant nu, mar­chant à quatre pattes et se nour­ris­sant de glands et de baies sau­vages (Hoch­mann, 2009). Il n’avait aucun lan­gage et nul ne savait d’où il venait. Il fut rapi­de­ment conduit à Paris afin d’y être exa­mi­né. Il sou­le­vait en effet une ques­tion scien­ti­fique, voire méta­phy­sique, sur la for­ma­tion de l’esprit humain. Jean-Marc Gas­pard Itard, jeune chi­rur­gien de 25 ans, un des pre­miers oto-rhi­no-laryn­go­lo­gistes, lui, rêvait de gloire, et pen­sait résoudre ce pro­blème méta­phy­sique. L’observation d’Itard n’était donc pas neutre. Il y voyait une belle occa­sion de démon­trer au monde une thèse qu’il défen­dait et qu’il tenait du phi­lo­sophe Condillac. Il vou­lait mon­trer que l’intelligence est enra­ci­née dans les sens et qu’une édu­ca­tion sen­so­rielle serait seule capable de res­tau­rer un déve­lop­pe­ment nor­mal chez un être pri­vé, dès ses pre­mières années, d’interaction avec ses sem­blables. Il s’opposa à son maître Pinel, qui pen­sait que l’enfant sau­vage n’était qu’un idiot incu­rable aban­don­né par sa famille, et osa sup­po­ser que l’enfant était curable. Il deman­da l’autorisation d’entreprendre une éton­nante aven­ture thé­ra­peu­tique qu’il nom­ma lui-même « entre­prise de civi­li­sa­tion ». Itard se lan­ça d’abord dans une obser­va­tion détaillée de l’enfant, et ses mémoires consti­tuent pour le lec­teur une véri­table mine d’or sémio­lo­gique.

Citons Itard décri­vant Vic­tor (1800 ; 1806) :
« Quand on obser­vait celui-ci dans l’intérieur de sa chambre, on le voyait se balan­çant avec une mono­to­nie fati­gante, diri­ger constam­ment ses yeux vers la croi­sée et les pro­me­ner tris­te­ment dans le vague de l’air exté­rieur. Si alors un vent ora­geux venait à souf­fler, si le soleil caché der­rière les nuages se mon­trait tout à coup, éclai­rant plus vive­ment l’atmosphère, c’étaient de bruyants éclats de rire, une joie presque convul­sive pen­dant laquelle toutes ses inflexions diri­gées d’arrière en avant res­sem­blaient beau­coup à une sorte d’élan qu’il aurait vou­lu prendre pour fran­chir la croi­sée et se pré­ci­pi­ter dans le jar­din. Quel­que­fois, au lieu de ces mou­ve­ments joyeux, c’était une espèce de rage fré­né­tique ; il se tor­dait les bras, s’appliquait les poings fer­més sur les yeux, fai­sait entendre des grin­ce­ments de dents, et deve­nait dan­ge­reux pour ceux qui étaient auprès de lui. « Je me suis sou­vent arrê­té des heures entières, et avec un plai­sir indi­cible, à l’examiner assis au bord du bas­sin, à voir comme tous ces mou­ve­ments spas­mo­diques et ce balan­ce­ment conti­nuel de tout son corps dimi­nuaient, s’apaisaient par degré pour faire place à une atti­tude plus tran­quille, et comme insen­si­ble­ment sa figure insi­gni­fiante ou gri­ma­cière pre­nait un carac­tère bien pro­non­cé de tris­tesse ou de rêve­rie mélan­co­lique, à mesure que ses yeux s’attachaient fixe­ment à la sur­face de l’eau.
« On a su cepen­dant que le bruit d’une noix ou de tout autre corps comes­tible de son goût ne man­quait jamais de le faire retour­ner. Cepen­dant il se mon­trait insen­sible aux bruits les plus forts et aux explo­sions des armes à feu. »

Itard consa­cra à l’enfant au moins deux heures par jour, en met­tant au point un véri­table pro­gramme thé­ra­peu­tique, dans lequel on voit poindre les ancêtres de la psy­cho­mo­tri­ci­té, de l’orthophonie, mais aus­si de la psy­cho­thé­ra­pie. Pro­gramme qu’il appli­que­ra conscien­cieu­se­ment pen­dant les cinq années qui sui­vront. Au départ assez cloi­son­né et tenant peu compte des besoins affec­tifs et rela­tion­nels de l’enfant, ce pro­gramme s’avéra être plus souple que pré­vu. Itard par­ti­ra tou­jours des inté­rêts de l’enfant, en ten­tant d’élargir son spectre d’investissement, plu­tôt que de lui impo­ser de façon rigide ses pro­po­si­tions. Il tien­dra compte éga­le­ment des échanges affec­tifs entre lui et l’enfant, et de ses propres mou­ve­ments contre-trans­fé­ren­tiels dans le dérou­le­ment du trai­te­ment. Il remar­que­ra aus­si l’importance du rôle de la nour­rice, Mme Gué­rin, dans les pro­grès réa­li­sés par Vic­tor. Itard sau­ra déve­lop­per des méthodes de com­mu­ni­ca­tion ingé­nieuses à base de pic­to­grammes (qui font pen­ser à l’actuelle méthode TEACCH : Treat­ment and Edu­ca­tion of Autis­tic and rela­ted Com­mu­ni­ca­tion han­di­cap­ped CHil­dren ou trai­te­ment et édu­ca­tion des enfants autistes ou atteints de troubles de la com­mu­ni­ca­tion asso­ciés. Créé dans les années 1970 aux États-Unis, ce pro­gramme uti­lise notam­ment des sup­ports visuels, et des zones spa­tiales dévo­lues à des acti­vi­tés spé­ci­fiques).

Mais le trai­te­ment de Vic­tor sera fina­le­ment consi­dé­ré comme un échec, dont Itard ne se van­te­ra pas. Échec méta­phy­sique, certes ; mais néan­moins, peut-on par­ler d’un échec thé­ra­peu­tique ? Le rap­port d’Itard après les cinq années de trai­te­ment décrit Vic­tor comme « doué d’une capa­ci­té de recon­nais­sance des soins qu’on prend de lui, d’une ami­tié cares­sante, sen­sible au plai­sir de bien faire, hon­teux de ses méprises et repen­tant de ses empor­te­ments ». Vic­tor mani­feste de l’affection vis-à-vis de sa nour­rice, pleure quand elle le quitte et se réjouit lors des retrou­vailles. Itard décrit de façon tou­chante com­ment l’enfant mani­feste de la tris­tesse et de l’empathie lors du décès du mari de Mme Gué­rin.
L’histoire raconte que Vic­tor est mort à 40 ans, tou­jours sans lan­gage, mais qu’il vivait encore chez sa nour­rice, Mme Gué­rin, à laquelle il s’était beau­coup atta­ché. Son com­por­te­ment était tou­jours étrange mais fina­le­ment bien accep­té par un entou­rage res­treint et bien­veillant. Pour­tant, les  juge­ments des contem­po­rains furent sévères, consta­tant la per­sis­tance du mutisme et des troubles du com­por­te­ment. Les symp­tômes de Vic­tor, si bien décrits par Itard, sont étran­ge­ment proches des symp­tômes que l’on observe aujourd’hui chez cer­tains enfants en hôpi­tal de jour, enfants qui portent le diag­nos­tic de « Psy­chose infan­tile » ou de « Trouble Enva­his­sant du Déve­lop­pe­ment non spé­ci­fié », ou de « Trouble du Spectre Autis­tique », selon la clas­si­fi­ca­tion à laquelle on se rap­porte, j’y revien­drai plus loin.
L’enfant sau­vage au début du XIXème siècle fas­ci­na, fut éle­vé qua­si­ment au rang de mythe, la noto­rié­té du cas Vic­tor en témoigne, puis il tom­ba aus­si vite dans l’oubli, voire le rejet. Il ques­tionne les pro­fon­deurs de l’humanité, les dif­fé­rences avec l’animalité, à une époque où com­mencent à s’organiser des spec­tacles eth­niques très popu­laires dans les cafés-théâtres, où sont expo­sées des popu­la­tions abo­ri­gènes pro­ve­nant des colo­nies, dans des mises en scène gro­tesques. Mais ce mythe du sau­vage fas­cine tou­jours, de nom­breux films ou romans rela­tant des his­toires d’enfants éle­vés par les loups font encore à chaque fois recette. Une expo­si­tion de 2011 au musée du quai Bran­ly mon­trait bien com­bien ce mythe du sau­vage, qui nous paraît à pre­mière vue ancien et dépas­sé, est fina­le­ment encore bien actuel ou prêt à resur­gir (Blan­chard, Boetsch et Jaco­mi­jn, 2011).

Le terme d’« enfant sau­vage », pour décrire les enfants fous, nous paraît aujourd’hui bien folk­lo­rique et désuet. Pour­tant, par l’adjectif qu’il pro­po­sait, il avait ce mérite de rendre compte du côté archaïque des symp­tômes psy­cho­tiques de l’enfant, de poin­ter l’absence de pare-exci­ta­tion ou de pro­ces­sus secon­daire, lais­sant libre cours à toute la vio­lence et la sau­va­ge­rie de la pul­sion­na­li­té. La folie de l’enfant ne venait pas de l’enfant lui-même, elle était pro­je­tée sur l’extérieur comme venant d’une absence de civi­li­sa­tion ou d’éducation, et ain­si était plus repré­sen­table.

L’enfant idiot
Après Vic­tor, les cas d’enfants fous sont rares et peu décrits. On parle sur­tout d’« enfants idiots ». L’idiotisme recou­vrait, pour les alié­nistes, les arrêts congé­ni­taux ou acquis du déve­lop­pe­ment intel­lec­tuel, cer­tains états de stu­peur des malades men­taux ain­si que les hébé­tudes consé­cu­tives à de mau­vais trai­te­ments ou à un repli devant une situa­tion extrême. Il s’étendait ensuite à des enfants sin­gu­liers, d’intelligence appa­rem­ment limi­tée, mais qui mani­fes­taient des talents para­doxaux pour cal­cu­ler men­ta­le­ment ou réci­ter le calen­drier ; les « idiots savants » qui fas­ci­naient le public, sus­ci­tant la com­pas­sion et l’idéalisation, comme le mépris et le rejet.
Pen­dant tout le XIXème siècle, c’est l’éducation qui l’emporte sur le soin. La plu­part des idiots étaient consi­dé­rés comme incu­rables, voire mons­trueux ou inhu­mains. La cause orga­nique était indis­cu­table. En 1838, Esqui­rol, dans son ouvrage Des mala­dies men­tales, ne fait pas dans la nuance : « Ce sont des êtres avor­tés, des monstres, au-des­sous de la brute ; […] on ne conçoit pas la pos­si­bi­li­té de chan­ger cet état ; […] à l’ouverture de leur crâne on trouve tou­jours des vices de confor­ma­tion. »

Les anor­maux, débiles ou imbé­ciles
Après les idiots, Binet et Simon décrivent en France « les anor­maux » dont ils pro­posent une hié­rar­chie grâce à leur test men­tal en 1905, allant du « débile édu­cable » et sco­la­ri­sable à « l’idiot inédu­cable » et non sco­la­ri­sable, en pas­sant par « l’imbécile semi-édu­cable » et par­fois sco­la­ri­sable.
Au même moment, aux États-Unis, se déve­loppe une idéo­lo­gie de la tare et de l’hérédité des anor­maux qui abou­tit à des poli­tiques eugé­nistes, fon­dées sur le dépis­tage, l’isolement, la sté­ri­li­sa­tion, voire la cas­tra­tion des anor­maux, même légers, vécus comme un dan­ger pour la race. Ain­si, en 1926, 23 États amé­ri­cains avaient léga­li­sé la sté­ri­li­sa­tion des anor­maux.

Les enfants déments
Empreints d’adultotomorphisme, les auteurs du début du XXème siècle qui trai­taient des troubles men­taux de l’enfant cher­chaient à faire cor­res­pondre chez l’enfant les des­crip­tions cli­niques des mala­dies men­tales des adultes, l’enfant fou deve­nant une sorte de petit adulte fou en minia­ture.
Paul Moreau de Tours fils décrit en 1888, dans un livre inti­tu­lé La Folie des enfants, des cas de manie, de mélan­co­lie et d’hystérie infan­tile. Il se contente de revi­si­ter la tota­li­té de la psy­chia­trie de l’adulte en mon­trant que l’enfant peut lui aus­si en être atteint.
Le pre­mier à pres­sen­tir l’existence chez les jeunes enfants d’une patho­lo­gie spé­ci­fique dif­fé­rente de l’arriération men­tale et de la patho­lo­gie de l’adulte fut l’Italien Sancte de Sanc­tis, qui décri­vit en 1906 la démence pré­co­cis­sime. Repre­nant les apports de Krae­pe­lin ayant décrit la démence pré­coce du jeune adulte, il dis­tingue clai­re­ment chez l’enfant un état pure­ment psy­cho­tique d’un état défi­ci­taire et montre, mal­gré une cer­taine proxi­mi­té, la spé­ci­fi­ci­té des troubles de l’enfant par rap­port aux adultes.

Les enfants schi­zo­phrènes
Après la des­crip­tion de la schi­zo­phré­nie chez l’adulte par Bleu­ler en 1911, on parle désor­mais de « schi­zo­phré­nie infan­tile » pour décrire les enfants fous, enti­té patho­lo­gique qui connaît un vif suc­cès au début du XXème siècle aux États-Unis. Grâce à la décou­verte freu­dienne de la sexua­li­té infan­tile, l’enfant devient un être com­plexe, déchi­ré par des conflits. Ses symp­tômes ne sont plus seule­ment l’expression d’une lésion ou d’un défi­cit fonc­tion­nel, ils sont aus­si une ten­ta­tive de com­mu­ni­ca­tion d’une angoisse ou d’une dou­leur psy­chique ain­si qu’un mode d’adaptation ou un méca­nisme de défense. L’enfant malade n’est plus consi­dé­ré comme un dégé­né­ré incu­rable qu’il faut empê­cher de se repro­duire, mais bien comme un indi­vi­du en souf­france sus­cep­tible d’être soi­gné, sinon gué­ri. Les concep­tions étio­lo­giques psy­cho­gé­né­tiques pré­do­minent, on recherche les causes de la folie dans l’histoire pré­coce de l’enfant, dans ses inter­ac­tions avec ses parents, par­fois en allant  jusqu’à des dérives psy­cho­gé­né­tiques radi­cales culpa­bi­li­sant les familles et les excluant des soins.

Les enfants autistes
En 1943, Léo Kan­ner, pédo­psy­chiatre autri­chien, dis­tingue une caté­go­rie d’enfants qui ne sont ni des arrié­rés men­taux ni des schi­zo­phrènes. Ce syn­drome par­ti­cu­lier, qu’il nomme « l’autisme infan­tile pré­coce », est carac­té­ri­sé par des troubles du lan­gage, un iso­le­ment affec­tif et un besoin contrai­gnant d’immuabilité. Pour lui, le syn­drome auquel il donne son nom est rare, cinq cas pour dix mille. L’autisme est selon lui un trouble inné du contact, une mala­die iden­ti­fiable, ana­logue à un trouble sen­so­riel ou moteur congé­ni­tal.

Les enfants psy­cho­tiques
C’est une pédiatre d’origine hon­groise, Mar­ga­ret Mah­ler, qui va com­plé­ter son œuvre. À Vienne, elle s’est déjà inté­res­sée à des enfants dits « irré­gu­liers », dont le com­por­te­ment aty­pique n’est pas celui des arrié­rés men­taux. Afin de pré­ci­ser les indi­ca­tions et les moda­li­tés de leur trai­te­ment, elle tente de repla­cer leur évo­lu­tion dans une optique déve­lop­pe­men­tale et, à par­tir d’observations directes en crèche, entre­prend de com­pa­rer le déve­lop­pe­ment patho­lo­gique au déve­lop­pe­ment nor­mal. Elle repère ain­si un cer­tain nombre de stades ouvrant ou n’ouvrant pas la voie vers l’individuation. Dans la ligne des concepts freu­diens d’autoérotisme et de nar­cis­sisme pri­maire, elle décrit un pre­mier stade qu’elle qua­li­fie « d’autisme nor­mal », et un second, dit « sym­bio­tique nor­mal ». Dans le déve­lop­pe­ment anor­mal, Mar­ga­ret Mah­ler rejette le terme de schi­zo­phré­nie infan­tile qui lui paraît impropre car il ne per­met pas de dif­fé­ren­cier la dis­so­cia­tion d’un être déve­lop­pé du défaut d’intégration d’un être en déve­lop­pe­ment. Elle pro­pose de rem­pla­cer par le terme de « psy­chose infan­tile » et dis­tingue dans cet ensemble des « psy­choses autis­tiques », des « psy­choses sym­bio­tiques », et des « psy­choses bénignes », qui cor­res­pondent res­pec­ti­ve­ment à une fixa­tion ou à une régres­sion aux stades autis­tiques ou sym­bio­tiques du déve­lop­pe­ment. Elle recon­naît qu’entre ces formes il y a de nom­breuses varia­tions, et elle fut la pre­mière à par­ler de « spectre de traits autis­tiques » (Mah­ler, 1970), terme très en vogue actuel­le­ment et repris dans le DSM‑V.
Quand à l’origine des troubles, Mar­ga­ret Mah­ler s’est tou­jours tenue à dis­tance d’un psy­cho­gé­né­tisme sim­pliste. Elle pos­tu­lait, chez l’enfant malade, l’existence d’une consti­tu­tion native qui le ren­dait inca­pable d’utiliser et de s’approprier l’apport des soins mater­nels.
Le concept de psy­chose de l’enfant, qui s’élabore ain­si dans les années 1950, s’enrichira petit à petit des apports d’autres auteurs, dont, entre autres, Frances Tus­tin et Donald Melt­zer aux États-Unis, et, en France, Serge Lebo­vi­ci, René Diat­kine, et Roger Misès.

Les enfants dys­har­mo­niques, pré­psy­cho­tiques, para­psy­cho­tiques
Petit à petit, la notion de psy­chose infan­tile connaît un vif suc­cès, mais les auteurs per­çoivent rapi­de­ment un pro­nos­tic d’évolution grave, de par des moda­li­tés défen­sives sou­vent fixées. Pour­tant, des formes cli­niques de tran­si­tion existent, déjà décrites par Mar­ga­ret Mah­ler sous le nom de psy­choses bénignes. Une caté­go­rie d’enfants émerge ain­si, ni autistes, ni psy­cho­tiques, ni arrié­rés men­taux, dont les troubles sont mobi­li­sables et rapi­de­ment amé­lio­rables par un trai­te­ment pré­coce. Cette caté­go­rie va être décrite dans les années 1970 par plu­sieurs auteurs. René Diat­kine décrit en 1969 le tableau de pré­psy­chose,
J.-L. Lang, en 1978, pré­fère par­ler de para­psy­chose, en insis­tant sur les méca­nismes de défense uti­li­sés par ces enfants : l’identification pro­jec­tive, l’identification à l’agresseur, la pro­jec­tion, méca­nismes qui, à la dif­fé­rence des orga­ni­sa­tions psy­cho­tiques franches, per­met­taient un cer­tain contact avec le réel et auto­ri­saient le déve­lop­pe­ment d’une constel­la­tion œdi­pienne, carac­té­ri­sée tou­te­fois par sa cru­di­té. Roger Misès décrit les dys­har­mo­nies psy­cho­tiques. Il s’agit d’enfants ayant une symp­to­ma­to­lo­gie poly­morphe, asso­ciant ou alter­nant des élé­ments de retrait et d’inhibition avec des élé­ments d’excitation et d’instabilité. Les capa­ci­tés cog­ni­tives et adap­ta­tives peuvent être de bon niveau dans cer­tains sec­teurs par­ti­cu­liè­re­ment inves­tis et médiocres dans d’autres sec­teurs. Elles contrastent avec le main­tien de cer­taines fixa­tions archaïques sur l’usage de la bouche, du tou­cher ou de l’odorat. Sur­tout, à tra­vers des symp­tômes poly­morphes, l’enfant dys­har­mo­nique mani­feste des angoisses mas­sives qui peuvent prendre l’aspect de pho­bies loca­li­sées ou géné­ra­li­sées vis-à-vis du monde exté­rieur ou d’inquiétudes por­tant sur l’intégrité cor­po­relle, par­fois contrô­lées par des méca­nismes de type obses­sion­nel. Ces angoisses sont favo­ri­sées par une infil­tra­tion de la réa­li­té par un ima­gi­naire cru qui, pro­je­té sur des objets envi­ron­nants, main­tient l’immersion dans un uni­vers peu ras­su­rant, sinon ter­ri­fiant. Les dys­har­mo­nies psy­cho­tiques sont davan­tage liées à une iden­ti­fi­ca­tion pro­jec­tive mas­sive qu’à un excès d’autosensualité qui pré­do­mine dans l’autisme. Grâce aux apports théo­riques de la psy­cha­na­lyse sur l’archaïsme de la psy­ché et la sexua­li­té infan­tile, la folie de l’enfant est enfin recon­nue, étu­diée, pen­sée. De nou­veaux concepts s’élaborent et s’articulent. On s’intéresse enfin au vécu psy­cho­lo­gique de ces enfants, en ten­tant de mettre des mots et des repré­sen­ta­tions sur leurs angoisses jusque-là res­tées innom­mables, sans pour autant pré­sa­ger de leurs causes.
Cela abou­ti­ra en 1987 à la Clas­si­fi­ca­tion Fran­çaise des Troubles Men­taux de l’Enfant et de l’Adolescent, CFTMEA, pilo­tée par Roger Misès. Les psy­choses pré­coces consti­tuent une des caté­go­ries prio­ri­taires de l’axe I de cette clas­si­fi­ca­tion bi-axiale. Les dys­har­mo­nies psy­cho­tiques y sont repré­sen­tées. Cette clas­si­fi­ca­tion ne fait qu’une place limi­tée au diag­nos­tic de schi­zo­phré­nie infan­tile réser­vé à des cas évo­luant secon­dai­re­ment vers une schi­zo­phré­nie de l’adolescent puis de l’adulte.
Le soin l’emporte sur l’éducation, ame­nant à cer­taines dérives pri­vant ces enfants de réédu­ca­tion ins­tru­men­tales, ou de sco­la­ri­sa­tion au pro­fit de psy­cho­thé­ra­pies exclu­sives indi­vi­duelles ou ins­ti­tu­tion­nelles. Cer­tains ser­vices prô­nant l’isolement thé­ra­peu­tique total des parents avec des sépa­ra­tions impo­sées.

Les enfants siglés : TED, TSA, MCDD… et le retour de l’autisme
Mais, ain­si recon­nue et étu­diée, la folie de l’enfant confronte au gouffre et au chaos pul­sion­nel des ori­gines, à la sexua­li­té et à la mort. Elle confronte aus­si à l’horreur du non-sens. Concep­tions dif­fi­ci­le­ment rece­vables par la socié­té et les familles de ces enfants, mais aus­si par une méde­cine qui se veut de plus en plus scien­tiste et fon­dée sur les preuves. Des ques­tion­ne­ments psy­cha­na­ly­tiques sur la dimen­sion psy­cho­pa­tho­lo­gique des troubles, la socié­té ne retien­dra que les théo­ries culpa­bi­li­santes accu­sant les mères « shi­zo­phé­no­gènes » ou « fri­gi­daire », de leur « envie du pénis », ou la com­pa­rai­son des familles des malades avec l’univers concen­tra­tion­naire  nazi. (Bet­tel­heim, la for­te­resse vide 1969). Au début des années 1980, la psy­chose infan­tile dis­pa­raît des clas­si­fi­ca­tions diag­nos­tiques inter­na­tio­nales DSM-III (Diag­no­sis and Sta­tis­ti­cal Manual of Men­tal Disor­ders, Manuel diag­nos­tique et sta­tis­tique des troubles men­taux) et CIM-10 (Clas­si­fi­ca­tion Inter­na­tio­nale des Mala­dies), au pro­fit des « Troubles glo­baux du déve­lop­pe­ment », appe­lés ain­si parce qu’ils jux­ta­posent l’atteinte de plu­sieurs fonc­tions, contrai­re­ment aux « Troubles spé­ci­fiques » loca­li­sés à l’atteinte d’une fonc­tion : lec­ture, parole ou psy­cho­mo­tri­ci­té. Ces troubles glo­baux devien­dront dans le DSM-IV, en 1994, les « Troubles Enva­his­sants du Déve­lop­pe­ment », ou TED. Cette clas­si­fi­ca­tion se veut au départ athéo­rique et pure­ment des­crip­tive des symp­tômes, afin d’accroître la fidé­li­té inter­juge dans les études cli­niques com­pa­ra­tives. Elle cau­tionne en réa­li­té impli­ci­te­ment une concep­tion orga­ni­ciste des troubles men­taux. Ces Troubles Enva­his­sants du Déve­lop­pe­ment sont carac­té­ri­sés par une atteinte avant l’âge de 3 ans, des trois domaines de fonc­tion­ne­ment sui­vants : les capa­ci­tés d’interactions sociales réci­proques, les capa­ci­tés de com­mu­ni­ca­tion, le déve­lop­pe­ment d’intérêts res­treints et d’activités sté­réo­ty­pées. Le tableau com­plet consti­tue l’autisme infan­tile typique.

On dis­tingue ain­si six formes de TED :
l’autisme typique (F84.0) ;
l’autisme aty­pique (F.84.1) de par sa date d’apparition ou le carac­tère incom­plet de la symp­to­ma­to­lo­gie ;
le syn­drome de Rett (F84.2) (syn­drome autis­tique tou­chant exclu­si­ve­ment les filles asso­cié à un trouble neu­ro­lo­gique dont l’origine géné­tique sur le chro­mo­some X a été éta­blie) ;
le syn­drome dés­in­té­gra­tif de l’enfance (F.84.3) carac­té­ri­sé par une régres­sion mar­quée dans plu­sieurs domaines de fonc­tion­ne­ment après une période de fonc­tion­ne­ment nor­mal ;
le syn­drome d’Asperger (F.84.5) asso­ciant les symp­tômes du trouble autis­tique mais sans atteinte du lan­gage ;
– et enfin la caté­go­rie des troubles enva­his­sants du déve­lop­pe­ment non spé­ci­fiés (TED NOS) ou sans pré­ci­sions (F.84.9) ou autres TED (F.84.8).
Cette der­nière caté­go­rie, créée au départ pour recueillir une mino­ri­té de cas, non clas­sables dans les autres caté­go­ries, repré­sente aujourd’hui plus de 30 % des TED (Misès, Gar­ret-Gloan­naec et Coin­çon, 2010). C’est dans cette caté­go­rie, on l’aura bien com­pris, que l’on retrouve actuel­le­ment tous les enfants psy­cho­tiques ou dys­har­mo­niques d’autrefois.
La caté­go­rie des dys­har­mo­nies psy­cho­tiques de la CFTMEA n’existe plus, alors que paral­lè­le­ment, des auteurs nord-amé­ri­cains en 1994 ont décrit des troubles qui ont les mêmes carac­té­ris­tiques et qu’ils nomment les MCDD, pour Mul­tiple Com­plex Deve­lop­men­tal Desor­der (Cohen et al., 1994).
Le diag­nos­tic de TED, por­té sur un cer­ti­fi­cat médi­cal, per­met l’accès au sta­tut de han­di­cap et ain­si d’ouvrir des droits à des aides sco­laires et sociales.
La folie de l’enfant n’existe plus, au pro­fit d’une vision défi­ci­taire d’altérations de capa­ci­tés men­tales spé­ci­fiques, elle est relé­guée der­rière les termes de « Troubles non spé­ci­fiés » ou « sans pré­ci­sions » ou « TED NOS » ou encore F.84.9… La vie psy­chique de l’enfant est pas­sée sous silence, ses angoisses sont décrites uni­que­ment par leurs mani­fes­ta­tions com­por­te­men­tales qu’on tente d’éradiquer, sans plus cher­cher à com­prendre leur sens.
 « L’enfant doit être recon­nu dans sa digni­té, avec son his­toire, sa per­son­na­li­té, ses rythmes, ses dési­rs propres et ses goûts, ses capa­ci­tés et ses limites. » Voi­ci les deux seules lignes sur la vie psy­chique de l’enfant, retrou­vées au milieu des 60 pages de recom­man­da­tions de la
Haute Auto­ri­té de San­té (HAS) de mars 2012 sur les bonnes pra­tiques dans la prise en charge des enfants et ado­les­cents atteints d’autisme et d’autres TED.

Mais après les psy­choses deve­nues obso­lètes, les TED eux-mêmes ont dis­pa­ru, au pro­fit des « Troubles du spectre de l’autisme » du DSM V sor­tit en 2013. Leur  pré­va­lence, se rap­pro­che­rait des 1 % de la popu­la­tion, soit 20 fois celle de l’autisme de Kan­ner qui était de 5/10 000. Les TSA com­prennent les troubles anté­rieu­re­ment qua­li­fiés d’autisme typique et aty­pique, de trouble dés­in­té­gra­tif de l’enfance, de trouble enva­his­sant du déve­lop­pe­ment non spé­ci­fié, ou de syn­drome d’Asperger. Les cri­tères diag­nos­tiques sont les mêmes que ceux des TED à savoir des défi­cits per­sis­tants de la com­mu­ni­ca­tion et des inter­ac­tions sociales asso­ciés à des com­por­te­ments res­treints ou répé­ti­tifs. Il existe trois niveaux de sévé­ri­té selon qu’ils  néces­sitent de l’aide, de l’aide impor­tante, ou très impor­tante. Toute la pédo­psy­chia­trie est décrite en termes de trouble neu­ro­dé­ve­lop­pe­men­taux regrou­pant les han­di­caps intel­lec­tuels, les troubles de la com­mu­ni­ca­tion, les troubles du spectre de l’autisme, le défi­cit de l’attention/hyperactivité, les troubles des appren­tis­sages, et les troubles moteurs, ou de troubles dis­rup­tifs du contrôle des impul­sions et des conduites, de troubles anxieux ou de troubles du contrôle sphinc­té­rien.  Point de troubles de l’humeur chez l’enfant. L’enfant fou mais aus­si l’enfant dépri­mé n’existent plus. Les enfants psy­cho­tiques ou dys­har­mo­niques d’autrefois se retrouvent dans la caté­go­rie des TSA ou au mieux de « trouble de la com­mu­ni­ca­tion sociale prag­ma­tique 315.39 » s’ils n’ont pas de com­por­te­ments res­treints ou sté­réo­ty­pés, ou encore « trouble explo­sif inter­mit­tent 312.34 » s’ils ont des ten­dances aux com­por­te­ments explo­sifs…  On observe ain­si actuel­le­ment un véri­table retour en force de l’autisme. Beau­coup d’enfants avec de simples traits autis­tiques portent désor­mais le diag­nos­tic de TSA, dont on oublie insi­dieu­se­ment les deux pre­mières lettres au pro­fit de la der­nière, le grand A de Autisme.
Le terme d’autisme, à l’origine médi­cal et peu employé, est en train de pas­ser dans le lan­gage cou­rant, comme l’ont été les termes d’idiot, de débile ou d’imbécile, dont on a oublié les ori­gines médi­cales pre­mières. Il s’éloigne de plus en plus de la des­crip­tion ini­tiale de Kan­ner, et s’applique désor­mais à tout ce qui est non névro­tique chez l’enfant.
Ce glis­se­ment séman­tique n’est pas sans consé­quences sur le déve­lop­pe­ment et la prise en charge de ces enfants, qui dès 3 ans se retrouvent por­teurs d’un han­di­cap dont la cause neu­ro­dé­ve­lop­pe­men­tale et géné­tique est for­te­ment mise en avant.
Paral­lè­le­ment, la recherche active d’une cause neu­ro­dé­ve­lop­pe­men­tale aux TED a for­te­ment occu­pé les recherches des années 1990 et 2000, recherches en géné­tique et en ima­ge­rie céré­brale. De nom­breux espoirs, sou­vent relayés par une forte média­ti­sa­tion, ont été à chaque fois sou­le­vés. En 2003, on pro­cla­mait la décou­verte du gène de l’autisme, suite à la décou­verte de muta­tions sur les neu­ro­li­gnines (gènes codant pour une pro­téine synap­tique) (Jamain et al., 2003), et en 2006 on pro­cla­mait l’origine céré­brale de l’autisme suite aux décou­vertes de l’équipe du Dr Zil­bo­vi­cius à Necker sur l’hypoperfusion du sillon tem­po­ral supé­rieur en ima­ge­rie fonc­tion­nelle (Zil­bo­vi­cius, 2006).
Ces décou­vertes, trop vite et mal inter­pré­tées par une socié­té en mal de réponses et ne sup­por­tant pas la com­plexi­té, don­nèrent l’illusion aux familles d’une cause orga­nique objec­ti­vable, alors que les cher­cheurs eux-mêmes n’avançaient que des hypo­thèses et n’apportaient aucune cer­ti­tude. Les per­tur­ba­tions trou­vées, géné­tiques ou céré­brales, sont com­plexes, à péné­trance incom­plète et tou­jours non spé­ci­fiques, ne pou­vant expli­quer à elles-seules les troubles. Toute la dimen­sion psy­cho­pa­tho­lo­gique de l’enfant est aujourd’hui pas­sée sous silence, relé­guée der­rière les termes de « fac­teurs de risques envi­ron­ne­men­taux » figu­rant à côté des fac­teurs de risques géné­tiques et phy­sio­lo­giques.

Avec tout ça, com­ment pen­ser la folie de l’enfant aujourd’hui ?

L'Enfant sauvage de François Truffaut
L’En­fant sau­vage de Fran­çois Truf­faut

Enfants sau­vages, idiots, débiles, imbé­ciles, anor­maux, enfants déments pré­co­sis­simes ou schi­zo­phrènes, enfants psy­cho­tiques, sym­bio­tiques ou dys­har­mo­niques, enfants por­teurs de sigles TED nos, TSA ou MCDD, enfants autistes, enfants explo­sifs inter­mit­tents… les adjec­tifs ne manquent pas pour décrire les enfants fous, depuis 200 ans, sus­ci­tant des pas­sions, allant de la fas­ci­na­tion au rejet, car confron­tant les adultes à l’archaïsme de la psy­ché et au chaos qui y règne, ain­si qu’à la sexua­li­té infan­tile et à la mort.
Tou­jours pas de gène de la folie donc, ni de vice de confor­ma­tion céré­brale… La folie de l’enfant reste une énigme, et les plus sages optent pour une vision étio­lo­gique plu­ri­fac­to­rielle, alliant une base neu­ro­bio­lo­gique avec les inter­ac­tions de l’environnement, lais­sant  une place à la dimen­sion psy­cho­lo­gique.
Revi­si­ter l’histoire des concepts théo­riques de la folie de l’enfant nous per­met de rela­ti­vi­ser les cer­ti­tudes médi­cales diag­nos­tiques actuelles et de res­ter méfiant vis-à-vis de toute cer­ti­tude en ce domaine. Car en paral­lèle de l’histoire des concepts et des théo­ries de la folie infan­tile, se des­sine éga­le­ment l’histoire des mal­trai­tances subies par ses enfants. Aban­don, exhi­bi­tion dans les foires, sté­ri­li­sa­tion, enfer­me­ment, sépa­ra­tion des parents, culpa­bi­li­sa­tion des mères, désco­la­ri­sa­tion, absence d’éducation ou de réédu­ca­tion, achar­ne­ment édu­ca­tif ou psy­cha­na­ly­tique, dres­sage comportemental…L’enfer étant  tou­jours pavé de bonnes inten­tions, qu’ont-ils subi au nom de ses dif­fé­rentes théo­ries ?
Car n’est-ce pas un leurre d’espérer  un jour concep­tua­li­ser la folie ? Une quête impos­sible et vaine, mais qui aurait le mérite de nous pro­té­ger de l’angoisse du non-sens et du chaos de l’existence aux­quels nous confrontent en per­ma­nence ces patients. N’est-il pas plus sage d’accepter de nous confron­ter à l’irrésolu, à notre inévi­table igno­rance face au gouffre de ce mys­tère, sans pour autant y som­brer ? La folie n’existe plus certes, mais les fous sont tou­jours là. C’est à nous de prendre soin d’eux au long cours et de pou­voir sup­por­ter cette énigme à laquelle ils nous confrontent iné­luc­ta­ble­ment. Gare aux cer­ti­tudes donc, qui nous ras­surent mais nous éloignent du sujet, et pri­mum non nocere  nous disait déjà Hip­po­crate  410 années avant Jésus-Christ…
Conti­nuer à nous ques­tion­ner sans pour autant attendre de réponses, conti­nuer à éla­bo­rer et affi­ner nos cadres théo­riques, en tenant compte de l’histoire de la psy­chia­trie mais aus­si des pro­grès actuels de la recherche, pour mieux pen­ser la souf­france de ces enfants et de leur famille, et ain­si leurs soins… tout en tenant compte du cli­mat socio­po­li­tique du moment, voi­ci l’enjeu acro­ba­tique de la pédo­psy­chia­trie de demain.

Julia-Flore Ali­bert, pédo­psy­chiatre, psy­cha­na­lyste (SPP).

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