Les contributions de S. Ferenczi sur la question du traumatisme sont d’une étonnante modernité et, en particulier, celles qui apparaissent à la lecture du Journal Clinique (janvier-octobre 1932) et qui évoquent la question du « ’trauma’ de l’analyste en séance. » Aussi, le moment analytique que je me propose d’exposer (et que je vous propose d’explorer) a pour origine ce qui peut être considéré comme les conséquences d’un ‘trauma’ du psychanalyste en séance, ceci du fait d’une séduction par le « traumatique » dans le cadre d’une analyse d’une patiente.
Cette séduction par le « traumatique » a conduit l’analyste – pris dans son contre-transfert en identification projective avec sa patiente – à un « agir de contre-transfert », qui, comme tout agir sur le cadre, aura un effet séducteur (un effet de séduction) que l’on peut considérer comme une défense de l’analyste face à un événement traumatique introduit par la patiente.
Cet « incident de séance », de type « traumatique » pour l’analyste, a, pour moi, été lié à l’annonce téléphonique d’une patiente qui, à l’heure de sa séance, souhaitait me prévenir de son impossibilité de pouvoir se rendre à celle-ci du fait d’une nouvelle traumatisante qu’elle venait d’apprendre – dans un contexte apparemment inquiétant –, nouvelle qui s’inscrivait en parfaite résonnance avec un aspect « traumatique » de son propre fonctionnement psychique à elle.
Comme on le verra par la suite, les conséquences de cet agir défensif – lequel n’a pas été sans incidences sur le régime économique du processus – ont vraisemblablement permis que puissent apparaître, par la suite, des résistances liées à un « amour de transfert » lui-même en relation à un fantasme de séduction, fantasme qui était au cœur de la problématique psychonévrotique de la patiente, mais qui n’avait pu être ni abordé, ni analysé, jusque-là.
Jeanne et le traumatique.
Jeanne est une jeune femme qui a entrepris une cure psychanalytique afin de pouvoir se dégager de certaines angoisses issues de son enfance, laquelle s’est déroulée sous l’effet de traumatismes insidieux et cumulatifs, série de mini « traumas » que je n’évoquerai pas ici, mais dont l’un des plus manifeste et marquant fut la survenue brutale, chez son père, d’un épisode médical grave qui a longtemps impliqué pour celui-ci un risque vital. La nécessité d’une surveillance médicale permanente qui en a découlé, pendant un temps, laissait planer une constante menace du fait d’une « urgence » médicale possible à tout moment.
Aînée de deux enfants, Jeanne avait huit ans et son frère cadet six, lorsque cet événement survint. Le père de Jeanne, homme apparemment très doux, mais lui-même devenu très angoissé après son rétablissement, pouvait avoir des accès de violence, tant verbale que physique (qui pouvaient même le conduire à chercher à donner des coups à son entourage).
Tout en comprenant que les accès de colères, comme la violence qui les accompagnaient, pouvaient être liés à son handicap, ceci la déroutait cependant d’autant plus profondément qu’elle gardait de sa petite enfance le souvenir d’un père affectueux. Par ailleurs, lors de ces épisodes (de ces moments), elle ne pouvait pas se dégager de l’idée que sa propre présence pouvait être aussi l’un des éléments déclenchants de cette agressivité. Même si elle pouvait supposer qu’en arrière-plan de toute cette violence, notamment verbale, pouvaient se cacher une tendresse et un (profond) attachement à son égard, elle s’en sentait cependant, à chaque fois, déchirée et blessée.
Jeanne présentait sa mère comme une femme apparemment « forte », mais cependant fortement déprimée. Bien que très idéalisée, il apparaissait néanmoins qu’elle n’aurait cessé depuis la petite enfance de Jeanne de tenir des propos abaissants, humiliants et disqualifiants à l’égard de sa fille à chaque fois qu’elle cherchait à entreprendre quelque chose de personnel, au point que celle-ci avait pu me dire que « décidemment, les mots pouvaient être parfois plus violents que les coups » [ou, à l’inverse, que « décidemment, les coups sont parfois moins durs que les mots »].
Ceci permettait de comprendre comment s’articulaient deux plans traumatiques qui entraînent deux types de fonctionnement en traumatique chez Jeanne :
le premier, en fait le plus profond, semblait être un trauma apparemment anhistorique, d’essence narcissique, insidieux et incisif, peu représentable, lié pour l’essentiel aux relations primaires avec la mère, elles-mêmes en relation aux difficultés entraînées par une gestion dysharmonieuse de l’homosexualité primaire.
A celui-ci s’est ajouté un second traumatisme – le trauma lié à la maladie invalidante du père – qui, tel la « foudre » dans un « ciel apparemment serein », s’est abattu sur la famille de Jeanne et sur Jeanne elle-même, en pleine phase de latence.
Ce second trauma – post-œdipien – véritable « tenant lieu » de trauma officiel, viendra s’articuler de manière permanente avec le trauma primaire du fait qu’il aura pour essentielle fonction d’être un « point d’appui anti-effondrant » qui permettait une apparente forme de mise en sens (une forme de cicatrisation) à la détresse engendrée par l’attitude négativante traumatique de la mère, laquelle mère, déprimée semblait elle-même avoir vécu dans son enfance une histoire traumatique ayant mis à mal sa féminité.
Néanmoins, malgré les situations conflictuelles qu’entraînaient, pour Jeanne, les relations complexes qu’elle avait établies avec ses parents, elle leur était toutefois demeurée restée très attachée. Ainsi les liens masochiques qu’elle avait développés au regard de ses imagos parentales étaient devenus, par la suite, le modèle des autres liens qu’elle avait noués pendant son adolescence et sa vie d’adulte, liens qui avaient occasionné en grande partie les difficultés pour lesquelles elle était venue me trouver.
Séquence analytique
Lors de la séance qui débute cette séquence analytique, Jeanne évoque un voyage de quelques jours, passé à l’étranger, avec ses parents. Pendant ce séjour, son père a eu de nouveau et à plusieurs reprises un comportement verbal violent avec elle, comportement qui a paru à Jeanne d’autant plus difficile à supporter que de surcroît son père lui donnait le sentiment de faire un « chantage à la maladie » en se plaignant de se sentir physiquement assez mal, alors qu’il semblait être apparemment en bonne santé.
Ayant relaté ces faits qui l’attristent, Jeanne, contrairement à son habitude, s’attarde peu à développer les sentiments complexes qu’entraîne, en elle, l’attitude de son père à son égard. Pensant à ce qu’elle appelait le « chantage à la maladie » de son père pendant ce séjour, elle ébauche, pour la première fois, l’idée que si celui-ci avait pu être autrefois emporté par cette maladie, comme on avait pu le craindre à certains moments, elle souffrirait moins des sentiments mitigés (pour ne pas dire très ambivalents) qu’elle éprouvait à son égard aujourd’hui.
Ainsi, pendant la séance, d’associations en associations est-elle conduite à ébaucher l’idée que si son père avait disparu pendant son enfance, cela n’aurait peut-être pas eu pour elle, finalement, l’impact catastrophique qu’elle avait toujours imaginé. S’attardant autour de cette idée, dont elle s’étonne qu’elle ne lui soit pas venue plus tôt depuis le début de son analyse, elle s’interrompt pour constater que, depuis qu’elle a ébauché ce thème, elle ne fait rien d’autre que d’évoquer des vœux de mort à l’égard de son père, réveillés par ses récentes colères et ses propos blessants.
L’expression de ces souhaits qui, jusque-là, ne s’étaient jamais imposés aussi clairement et dont elle prend alors conscience, lui semblait témoigner sur le moment d’une ouverture quant aux possibilités de dégagement de certaines de ses positions masochiques, notamment vis-à-vis de lui. C’est donc sur une impression d’étonnement et d’euphorie légère à l’idée d’avoir pu commencer à évoquer ce thème aussi librement, que la séance se termine.
Je ne m’attarderai pas ici à développer toutes les pensées latentes que recouvraient les propos tenus par Jeanne, lesquelles m’apparaissaient pouvoir rendre compte des nombreuses versions du nœud œdipien qui se jouait, à la faveur du transfert et de sa relation avec moi, sur la scène psychique (et, notamment, des « vœux de mort » pouvant me concerner).
J’avais, par ailleurs, pour ma part à l’esprit le fait que ce qui se jouait pour elle avait un lien avec le fait qu’inconsciemment, depuis son enfance, elle vivait la maladie de son père comme la seule et vraie ‘compagne’ de celui-ci (autrement dit, que la maladie de son père était pour Jeanne, sa seule et vraie rivale).
« État de choc »
Le lendemain, Jeanne m’appelle au téléphone à l’heure de sa séance. Elle est en larmes et, de ce fait, difficilement audible ; j’arrive à comprendre qu’elle ne peut pas venir à sa séance et j’entends au travers de ses sanglots, qui rendent la communication difficile, quelque chose comme « hospitalisé… mon père… désespéré… » Il me semble même entendre à ce moment que son père est hospitalisé dans un « état désespéré » et qu’elle doit partir, rejoindre sa mère à l’hôpital. N’arrivant pas à saisir plus clairement le sens de ses propos, sensible à la nouvelle qu’elle m’annonçait, comprenant (ou supposant ?) qu’elle cherche à savoir si elle peut déplacer la séance, je lui propose de la recevoir le soir même, ce qu’elle accepte immédiatement.
Lorsque je vais chercher Jeanne à l’heure de cette séance de remplacement, je la trouve dans un état de quasi-hébétude et de sidération psychique qui me font immédiatement penser à un « état de choc » traumatique… ce qui, sur le moment, m’alerte et me laisse, pour le moins, perplexe. À peine allongée sur le divan, Jeanne se recroqueville en chien de fusil. Cette position ne lui est pas habituelle. Elle rapporte alors qu’elle a appris – par un appel téléphonique de sa mère –, dans les moments qui précédaient celui où elle m’a joint, que non seulement son père – dont l’état de santé ne semblait cependant pas inquiétant, venait d’être hospitalisé en « urgence » pour un bilan –, mais qu’en plus, apprenant cette nouvelle le matin même, son frère cadet avait eu un accident de voiture, ce qui l’avait conduit lui aussi aux « Urgences » !
« Stop, gémit Jeanne, stop ! Trop, c’est trop !… Ma mère qui me lance un ‘S.O.S.’ et me demande de l’aide, mon père à l’hôpital, mon frère qui n’est guère en meilleur état et dont il va falloir que je m’occupe… Ils ne me laisseront donc jamais tranquille ! »
Elle est effondrée, elle se sent à bout… Elle ne veut pas affronter cette situation, s’occuper d’eux et se sentir investie, ainsi, comme un simple « prolongement » de sa mère. Ces traumatismes qui s’accumulent et qui lui rappellent trop cruellement ceux de son enfance l’accablent… Elle se sent épuisée. Elle se tait longuement.
Très mobilisé contre-transférentiellement face à ce qui me semblait être un authentique moment de détresse, j’ai pris le parti d’intervenir immédiatement. J’ai alors tenté de ramener l’actualité de son vécu à un « effet d’empiétement » de la réalité sur son fantasme, effet lié à la brusque conjonction de ce qui avait été évoqué à la séance précédente (l’évocation de ses possibles « vœux de mort » à l’égard de son père, ainsi que le sentiment de légère euphorie qu’elle avait ressenti et dont elle avait alors témoigné), avec l’annonce de ces nouvelles qui la renvoient à tous ces « souvenirs catastrophes » d’autrefois.
Il m’apparaissait que l’état de détresse, dans lequel elle se trouvait brutalement plongée – conséquence de l’adéquation par trop exacte entre le monde interne (lié à l’évocation récente d’un aspect de ses désirs) et le monde externe de la réalité matérielle –, avait eu pour effet immédiat de provoquer un véritable collapsus de sa topique interne (C’est à dire, quand le fantasme inconscient rencontre la réalité, voir Claude Janin 1996) . Jeanne semblait ne plus savoir « où elle en était » : il y avait en elle comme une abolition de la distinction même de l’intérieur et de l’extérieur, une confusion entre sa réalité psychique et sa réalité externe.
À ce que Jeanne vivait, en la circonstance, comme une série de catastrophes qui venaient rappeler certains souvenirs traumatiques d’autrefois, il semblait qu’elle répondait alors, dans un effet de dramatisation, par une « urgence » psychique (conséquence d’un « trop » qui vient effracter sa barrière pare-excitante et qui l’entraîne dans un état de profonde détresse).
Comprenant, en partie, la situation, je me sentais néanmoins quelque peu désorienté face à la sidération psychique et à la détresse qu’elle présentait ce jour-là. J’avais affaire à un aspect de Jeanne dont je n’avais pas, jusque-là, soupçonné l’existence ni l’importance : un moment important de « déclivage » d’un clivage (narcissique ?) qui n’était pas encore apparu aussi manifestement sur la scène psychique et transférentielle, lequel moment, en tout cas, m’a quelque peu impressionné, pour ne pas dire profondément inquiété.
À l’issue de cette « séance de remplacement » sa détresse disparaît ; elle sera d’ailleurs par la suite rapidement rassurée sur l’état de santé de son père et de son frère. Si, dès lors, je me suis senti moins inquiet pour elle, néanmoins ma perplexité allait devenir grandissante car il s’installa entre elle et moi, au cours des séances qui suivirent, un état de négativité important et nouveau, qui se traduisait par une hostilité ‘muette’, ‘sourde’ et ‘incommensurable’. Cet état, dont elle me dit qu’il est « douloureux » pour elle et qui est, par moments, contre-transférentiellement harassant pour moi, va durer plusieurs semaines.
Plusieurs semaines pendant lesquelles, fidèle à ses séances, elle vient m’y retrouver avec la ferme conviction que rien d’autre que son hostilité à mon égard ne pourra apparaître. Fermée, mutique, elle me dit qu’elle se sent « décapée ». À la faveur de certaines de mes interventions va petit-à-petit se dégager le fait qu’elle ne me pardonne pas de lui avoir permis la percée, voire la mise à jour, de toute la fantasmatique concernant les « vœux de mort » à l’égard de son père. Depuis elle pense, sur un mode qu’elle admet être projectif, que « tout le monde », y compris moi, lui en veut d’être en mesure d’avoir ce type de pensées, et cela « l’effondre ».
Cette situation va se prolonger quelque temps, jusqu’à ce que surgisse, pendant une séance, un mouvement d’insight de sa part, qui m’a alors permis de saisir la situation psychique que Jeanne vivait depuis la séance de remplacement…
Séduction et contre-transfert
À cette séance, Jeanne revient sur l’épisode de l’hospitalisation récente de son père et les difficultés qu’elle rencontre, depuis, avec moi. Aux pensées persécutrices dont il a été récemment question, s’ajoute celle d’avoir le sentiment de ne pas avoir été, comme sa mère, à la « hauteur » des événements, puisque tout en ne pouvant pas venir à la séance ce jour-là, il lui a fallu néanmoins s’assurer que j’accepte qu’elle puisse me demander de l’aide dans « l’urgence », ce que j’ai fait, …au lieu de la « renvoyer à sa séance suivante ! », me dit-elle. « Elle ne peut, me dit-elle, s’empêcher de penser, depuis, que je le lui reproche ; elle s’en sent honteuse et dévalorisée. Elle aimerait tellement désormais pouvoir, se tenir le ‘plus loin possible de moi !’ ».
J’interviens alors : « Le plus loin possible de moi ? » À mon intervention Jeanne répond : « Oui, comme le jour de la séance supplémentaire, où j’ai cherché, sur le divan, à m’installer le plus loin possible de vous, …en ‘chien de fusil’ ! »
Ainsi, la situation dans laquelle Jeanne et moi étions plongés s’est-elle éclairée pour moi d’un jour nouveau et les propos qu’elle venait de tenir me permirent d’en comprendre le sens : mon acceptation – à moins que ce ne fût ma proposition ? – de ‘séance de remplacement’ avait été vécue, par elle, comme un véritable mouvement de séduction de ma part.
Dès lors, un certain nombre de questions quant à ce qui m’avait poussé contre-transférentiellement à lui proposer – ou à accepter – la séance supplémentaire s’imposaient à moi : Qu’est-ce qui m’avait conduit à un tel agir contre-transférentiel ? Quelle « demande » n’avais-je pas supportée, que j’avais alors vraisemblablement transformée en « urgence » ? À quel démon réparateur avais-je, dès lors, cédé ? A la place de qui, en ces circonstances, m’étais-je placé ? À quelle « séduction » inconsciente, de la part de Jeanne, avais-je cédé ?, etc.
Autant de questions qui se posaient et auxquelles la réponse devenait dès lors très claire puisque me permettant alors d’associer sur « chien de fusil c’est à dire sur la pièce qui guide le percuteur d’une arme à feu ce qui, dès lors, me permettait de comprendre que mon mouvement contre-transférentiel avait peut-être quelque chose à voir avec le thème que Jeanne avait développé à la séance de la veille de celle que je lui avais proposé de ‘déplacer’ (après son appel téléphonique) et qui concernait l’apparition de vœux de mort à l’égard de son père, tout comme, ceux qui s’exprimaient, dans le transfert, à mon égard, et dont je me suis à l’évidence défendu alors en lui proposant cette « séance de remplacement ».
Force m’était de reconnaître que j’avais contre-investi le mouvement de Jeanne concernant son père, mouvement derrière lequel je m’étais senti visé (par le « chien de / du fusil » ¬ qui n’était pas encore consciemment présent en ce qui me concernait, mais dont je devais bien pressentir et craindre qu’elle ne se prépare à l’épauler !), contre-investissement que je me suis empressé de transformer en mouvement réparateur en lui accordant (ou en lui proposant ? – je ne sais plus, mais cela revient au même) la séance de remplacement.
Mais ce mouvement contre-transférentiel de réparation, ne cherchait-il pas simplement tout autant à la réparer elle, qu’à me réparer moi, en tant qu’image parentale (paternelle aussi bien que maternelle) attaquée par le coup de fusil du transfert négatif ?
Retour à la clinique
Il me semble que l’on retrouve de manière assez explicite dans l’épisode traumatique, ou « en trauma », de Jeanne. tous les niveaux de conflictualité – tant œdipienne, que surtout primaire – qui sont inclus dans le terme générique de « traumatisme ».
Ces niveaux, parfois très condensés, peuvent opérer sur le contre-transfert de l’analyste des effets de l’ordre d’une « confusion des langues ». Là où l’analyste pense que, dans le transfert, c’est une demande de tendresse (le « courant tendre ») qui se dissimule en arrière-plan de la « catastrophe », c’est en fait l’érotique (et les effets d’un transfert passionnel – un amour de transfert très ‘cru’ et ‘cruel’) qui surgit ; inversement, là où l’analyste peut penser en termes de sexualisation ou d’érotisation, c’est en fait une demande de soins primaires (de réassurance et d’affection) dont il s’agit ( On peut ici penser au « chaud » et au « froid », métaphores proposées par Claude Janin) .
Ainsi, peut-on se poser la question de savoir si Jeanne – après l’émergence de ses vœux de mort et le contexte dramatique qui me conduit à la proposition de remplacement de séance – adopte une position en « chien de fusil » sur le divan pour se retrouver le « plus loin possible de moi » (amour de transfert), mais aussi d’adopter cette position régressive (fœtale ?) dans la mesure où elle pouvait redouter de se retrouver dès lors avec moi dans un transfert maternel (sa mère dans le transfert), ce qui pouvait potentiellement faire de moi une redoutable rivale ?
Devais-je ainsi penser – comme ce fut le cas dans les premiers instants de l’analyse de mon mouvement contre-transférentiel – que j’avais été dans la position d’être un « séducteur séduit par l’urgence », pour me défendre de me retrouver aussi fragilisé (et châtré) que son père, face aux moyen défensif d’identification à l’agresseur adopté par Jeanne ?
La « séduction par l’urgence » adoptée par Jeanne dans un mouvement défensif d’indentification à l’agresseur (identification à sa seule vraie rivale, la maladie de son père qui entraînait à différents moment un fantasme d’urgence ?) n’était-il pas aussi le reflet de ses désirs de séduction, comme elle avait pu autrefois être séduite par les fantasmes sexuels de vie et de mort confondus et occasionnés par la maladie de son père…, devenue, depuis, le sujet d’une érotisation extrême, dont l’état d’hébétude et de sidération psychique qu’elle avait présenté pouvait alors être, en négatif, une des formes d’expression.
Je pouvais désormais ainsi comprendre une partie de ses mouvements de négativité et d’hostilité muette comme l’illustration de ce que Freud avait écrit concernant le transfert : « Le transfert sur la personne de l’analyste ne joue le rôle d’une résistance que dans la mesure où il est un transfert négatif ou bien un transfert positif composé d’éléments érotiques refoulés ».
C’est de l’importance de cette érotisation dans son transfert, ainsi que des effets de dramatisation qu’elle entraîne, dont Jeanne, et moi-même, pouvions, dès lors, prendre conscience.
Thierry Bokanowski