« L’étranger » est le titre donné au 6ème numéro de la revue Le présent de la psychanalyse, qui nous offre de publier certaines contributions ; ici celle de Jean- Yves Tamet.
I
Imaginons Ulysse à Ithaque. Après avoir passé des années à guerroyer et aimer, il songe au pays natal et franchit les portes de sa demeure, si familière mais si lointaine à la fois. Les gens avec qui il a vécu ne le reconnaissent pas, bien qu’ils l’attendent depuis longtemps ; de plus, il découvre une cohorte de prétendants qui rôdent autour de Pénélope. Cependant, il est reçu avec les honneurs dus aux voyageurs étrangers hébergés dans la demeure. La vieille servante Euryclée, son ancienne nourrice, lui lave les pieds en guise de geste de bienvenue. Mais, en le faisant, elle découvre une trace sur sa jambe, une cicatrice, qui appelle un souvenir, celui de l’accident au cours duquel, enfant, il fut blessé par un sanglier. Passé, présent se heurtent alors et inaugurent l’histoire troublée du retour du maître de maison dans ses murs.
Cet homme, étranger dans sa maison, semble avoir quelque ressemblance avec le rêve : celui-ci évolue comme par effraction dans l’âme durant la nuit où, pourrait-on dire : « il fait son cinéma ! » ; puis, le jour arrive, il disparaît et ne reste de sa présence, comme une banale cicatrice, que quelque image ou quelque mot qui flottent à la surface du fleuve de l’oubli. Combien de certitudes n’a‑t-il pas remuées durant sa brève apparition, de certitudes et de convenances qui, le jour durant, se taisent, muettes ou contraintes ! Il a dérangé, il a provoqué, il a entraîné le rêveur dans des contrées insolites dont il ne comprenait ni la langue, ni le sens.
On peut comprendre que cet étranger qui anime des traces énigmatiques puisse induire le désir de le bâillonner ou au moins de le faire taire : comment alors va-t-il résister à ces tentatives de refoulement, quelle ruse va-t-il déployer pour échapper au bâillon ?
J’aimais déjà les étrangères
Quand j’étais un petit enfant !
L. Aragon.
« L’étrangère », Le roman inachevé (1956)
II
Le parcours de cette cure, mais n’est-ce pas une manière cavalière que de vouloir en établir un résumé, serait celui d’une affirmation de la féminité. Non pas que cette jeune femme n’en ait point eu une connaissance antérieure mais, en commençant sa cure, elle s’affirme par des actes qui déploient sa féminité. J’y reviendrai.
Un aspect va cependant faire intrigue et de plus en plus m’inquiéter : la rareté de récits de rêve. Freud1, nous prévient que « le rêve est un produit pathologique, le premier membre de la série qui englobe le symptôme hystérique, la représentation de contrainte, l’idée délirante mais qu’il se distingue des autres par sa fugitivité… ». Le rêve est un fugitif qui ne se laisse pas mettre en mots, parfois il est aperçu, d’autres fois il se dissimule, nous voici donc ramenés au périple d’Ulysse et au récit caché de ses pérégrinations.
III
Au tout début, elle dit que son enfance avait été assombrie par une relation anorexique au monde qui avait commencé à la fin de l’école primaire et s’était ensuite maintenue, entrecoupée de moments de boulimie et de vomissements. Je ne savais pas, alors que j’écoutais cette présentation, qu’en fait elle annonçait la teneur de nos futurs échanges : ce que j’attendais, un regard sur ses productions idéiques, me serait caché. L’emprise insensiblement allait s’instaurer, tarissant les possibilités d’abandon et restreignant la liberté d’association. La situation ne serait en rien bruyante, sans climat guerrier avec son cortège de manœuvres véhémentes, mais tout au plus maintiendrait un évitement. L’analyse accueille le récit de guerres passées dont je découvre les héros, au nombre de deux, tantôt associés, tantôt évoluant chacun pour leur compte : ils méritent d’être présentés.
IV
Mais auparavant effectuons une halte avec la question du récit qui suppose que, comme l’événement est en voie de se terminer, il devient possible de le regarder et d’en mesurer autant les contours que les dégâts. Le récit suppose l’apparition d’un interlocuteur vers lequel se tournent les propos et à qui il est demandé d’être présent, tout en demeurant silencieux. De plus, il se doit d’accueillir cette adresse en une instance, que Pierre Fédida nomme avec justesse « le site de l’étranger ». En ce lieu, le travail de parole sort celui qui parle d’un rapport solipsiste à soi. L’hostile se réveille depuis des positions où il est neutralisé, déguisé et déplacé à tel point que le symptôme brouille toutes les adresses : un autre, un inconnu apparaît, depuis le transfert, porteur d’un discours dont la proximité avec l’analyste est entendue, mais de loin. « Que l’étranger soit donc enfin l’autre », est un projet que Fédida2 assigne à certain moment de cure car, dit-il, « le concept d’agressivité sert le plus généralement au déguisement de l’hostile et à étouffer la haine de transfert ».
V
Présence d’un père plus étouffant qu’étranger ! Soucieux, attentif et prévoyant (trop), il regarde en permanence sa fille ; une fois l’anorexie déclarée, il tente de l’en guérir activement et se démène au point même d’entreprendre une psychothérapie mais aussi d’y engager le couple. Il demeure là à surveiller, contrôler de manière anxieuse et occupe l’espace de la cure en des allers et retours incessants. Il me faut du temps pour entendre que, derrière cette présence envahissante, l’analyste puisse aussi apparaître même si, au demeurant, mes interventions se tenaient en lisière. La personne de ce père, toute nimbée d’ambivalence, ne quitte pas la cure où elle campe : comment s’en séparer ? Ce que raconte la patiente va au-delà du récit fidèle et complet des années oubliées, c’est la mise en acte in situ de ce qui s’y est passé psychiquement. Une fixation se dégage de la toile de fond, impressionnante par sa force d’inscription ; elle s’use dans le transfert et libère insensiblement une dimension étrangère.
Ici plus que d’une remémoration en parole, l’acte agit le dégagement qui se retrouve plus tard, quand la fin de cure est envisagée : la patiente, hésitante, ne sait pas de quoi elle peut se libérer, est-ce du transfert ou du père. Les deux scènes sont toujours imbriquées, celle de la réalité événementielle aux anciennes racines et celle, plus récente, du transfert.
VI
Cette incertitude face à la réalité, je la retrouve chez Natalia Nesterova, une peintre russe contemporaine, qui a souvent représenté des personnages affairés marchant sans regarder le spectateur, comme dans le tableau intitulé « Le métro de Moscou » : des passants, pris par un projet que l’on ignore, traversent la station de métro en proie à une tension intense, ne se souciant pas de l’effet qu’ils produisent. Une autre œuvre découverte il y a longtemps, se nomme « Événement »3. Une vingtaine de personnes, hommes et femmes réunis au pied d’un immeuble bourgeois ont le regard attiré par ce qui passe au niveau d’un étage que nous ne voyons pas : l’heure doit être grave car, à gauche, un homme qui a dû voir, et déjà comprendre, se tient la tête entre les mains, accablé par le drame invisible. Stupeur, voyeurisme et sidération composent la scène face à laquelle s’impose un seul commentaire, « Il est arrivé quelque chose », pour reprendre le titre du livre de Marie Moscovici4. L’œuvre de Natalia Nesterova arrive après la Révolution russe d’Octobre, après les guerres mondiales, après le stalinisme ; ses tableaux sont-ils le lieu d’un après-coup infiniment répété qui parle autant de ce qu’elle a connu que de ce que son pays a auparavant traversé ? Le tableau montre un mouvement qui cherche encore ses historiens : nous vivons toujours dans un temps qui suit une guerre et dont la possibilité de récit semble échapper. Peter Ludwig5, le conservateur suisse de cette exposition, précise : « la Révolution d’Octobre n’a pas détruit des œuvres d’art, contrairement à la Révolution Française ; l’art demeure une valeur sacrée, prise au sérieux et le mouvement de la Perestroïka inaugure un changement dans cette conception de maintien d’une continuité. ».
La cure, pour sa part, déplace les tableaux psychiques figés et les anime sous un angle différent avec une autre lumière, plus incidente, qui en laisse entrevoir le relief.
VII
Quittant l’opacité du fond et prenant consistance, la mère apparaît dans les silences habités de son repli anxieux : elle est désignée comme étant « ailleurs », triste et enfantine, à une place qui la protège autant qu’elle met en lumière la distance qui la sépare de sa fille. Depuis quelques années, une maladie évolutive rend son sort tragique et l’isole davantage en la rendant dépendante. Je cherche des traces de la relation précoce à la mère et je ne les trouve pas : où est « cette phase de liaison exclusive à la mère, de même intensité et de même caractère passionné que celle au père »6 ? Je n’entends pas dans les souvenirs d’enfance d’autres signes, hormis ceux qui montrent l’absence d’interlocuteur, comme ce jour où la petite enfant « fait la folle en classe », se levant et tenant un discours incohérent qui inquiète la maîtresse, laquelle convoque alors …la mère. Est-ce elle, la mère, que la fillette a cherchée à atteindre et dont l’analyste ne perçoit pas l’existence, proche en cela de l’étonnement de Freud 7« Pénétrer dans la période pré-oedipienne de la fille cause un effet de surprise comme la mise à découvert de la culture mino-mycéenne derrière la culture grecque ».
Surprise donc, comme l’absence de rêve qui devient peu à peu le lieu d’une énigme dont la tentative de résolution oblige à penser le déroulement de chaque séance sur un mode singulier. À plusieurs reprises, Freud nous invite à écouter la parole en séance sur le modèle du rêve : quitter les échos immédiats qui voudraient qu’un récit de rêve soit commenté puis « écartelé » en diverses significations qui toutes renverraient à l’expression de désirs déguisés et censurés. Comment interpréter les productions langagières qui s’entendent en séance ? Depuis quel modèle d’origine ? Parler en séance est-il l’équivalent du récit de rêve ? Non assurément si on s’en tient à la neurophysiologie, mais du point de vue de l’interprétation oui, car l’analyste est face au récit que le patient a élaboré à partir des images visuelles du rêve. Ainsi une séance commence et nous allons partir en quête de ce qui a produit les premiers mots. Quelle est la scène inaugurale qui pour l’instant demeure inaccessible ? À nous, pour la rendre visible, de suivre les dires de la séance comme autant d’associations puisées à cette image manquante qui nous rappelle qu’« il est arrivé quelque chose » !
VIII
Comment saisir la voie de l’interprétation ? Revenant sur ses « racines intellectuelles », Daniel Mendelsohn8 présente Erich Auerbach, sujet allemand, étranger donc, qui fuit les persécutions et s’exile à Istambul où il écrit, entre 1942 et 1945 : « La cicatrice d’Ulysse » dans Mimésis9, son maître ouvrage. Il étudie le procédé d’écriture du poème homérique croisant le texte biblique, comparant l’écriture du retour d’Ulysse à celle du sacrifice d’Abraham : tous les deux sont des textes antiques et narratifs auxquels il attribue le terme de « fable ». Dans le premier, les phénomènes décrits sont tous au premier plan et les pensées exprimées, comme les sentiments, sont mises à plat et évoquées en boucle, sans pathos. Le second s’attache à ce qui est juste nécessaire pour le récit de l’action et rien n’est dit des sentiments intérieurs des acteurs, ni du temps ni des lieux : ce récit appelle donc l’interprétation. Le style homérique se situe au premier plan, dans un pur présent sans perspective, alors que le récit hébraïque montre un temps plus étendu et plus profond, composé d’un arrière-plan. Auerbach écrit « On peut analyser Homère, on ne peut pas en proposer une interprétation », mais face aux narrations bibliques « leur intention religieuse entraîne nécessairement une absolue exigence de vérité historique…ce texte appelle par son contenu même, une interprétation ». Pourtant, l’un comme l’autre style, n’est pas mieux attesté, tous deux sont des « fables » comme il tient à le souligner, nous dirions également des « fictions ».
Ce préambule nous ramène aux propos des patients et à notre attitude face à eux : nous pouvons apporter crédit aux faits exposés à plat, selon le modèle homérique ou introduire un mouvement vers l’arrière-plan selon le mode hébraïque. N’est-ce pas l’écoute qui peut ouvrir vers l’interprétation face à, ou contre, la volonté de récit ? Comment soutenir la migration de ce dernier et faire advenir pour le parleur, l’étranger présent en lui ? Tel est un des enjeux de toute cure.
IX
Mais, retrouvant le parallèle « étranger et rêve » que je suggère en début de texte, je constate que cette cure n’a pas vu se produire un tel retour, jusqu’à ce qu’un rêve, bref et espéré, ne survienne : « Les parents ont transformé la maison en un lieu d’accueil pour jeunes filles avec des troubles alimentaires et une fille est déjà présente ; quand elle (la rêveuse) arrive, elle la découvre sans déplaisir et s’en va puis les quitte. » Ce récit de rêve est longtemps demeuré unique dans mon souvenir, jusqu’à ce que je découvre qu’il y en avait un autre ; j’y entends le retour d’Ulysse dans sa maison occupée. La cicatrice pourrait être celle des troubles alimentaires : la rêveuse visite ses lieux familiers devenus étrangers. Bien sûr, je n’ai rien dit dans la séance car, dans l’instantané, ma pensée n’avait pas la liberté pour aller vers Ulysse, j’étais loin du récit homérique. Ainsi en est-il de l’écriture qui s’appuie sur des pensées postérieures à l’événement inaugural. L’écriture de cas serait-elle une fable, théorique certes, mais fable quand même ?
Cette jeune fille qui quitte sa maison et part en voyage, est-ce celle-là qui est venue me trouver un jour et qui, dans les débuts de sa cure, s’est engagée, seule, dans des transformations corporelles pour s’inscrire davantage dans la féminité ? En séance, elle dit incidemment que ses règles avaient retrouvé une présence puis qu’elle envisageait de se lancer dans des modifications pour renforcer la féminité de son corps, et elle le fit. Plus tard, avec une assurance plus solide, elle mit en place des stratégies de rencontre avec des hommes pour, finalement, en aimer un et devenir enceinte. Ainsi s’énonce une trajectoire en parallèle de l’analyse, silencieuse mais d’une détermination insoupçonnée : un voyage initiatique se développait. Cet arrière-plan discret de la cure fut aussi important que le déroulement de la scène transférentielle !
X
Mon propos est pris par ce qui s’est passé durant ces années où, côte à côte, des scènes ont coexisté en séance, chacune évoluant avec sa propre logique, et sans jamais se rencontrer : l’associativité entre elles n’était pas aisée ! De fait, cette cure se raconte davantage sur le mode du récit homérique, en boucle, que sur le mode hébraïque, en commentaire interprétatif. Elle laisse ainsi apparaître l’exploration de différents lieux psychiques. Alors, surgit Walter Benjamin10, je pense à sa remarque sur le narrateur : « L’extraordinaire, le merveilleux, on le raconte avec la plus grande précision, mais on n’impose pas au lecteur l’enchaînement psychologique des événements. On le laisse libre d’interpréter la chose comme il l’entend, et ainsi le récit est doué d’une amplitude qui fait défaut à l’information ». Walter Benjamin est aussi un ami d’Erich Auerbach, comme nous le fait découvrir leur brève correspondance retrouvée il y a peu11. Benjamin, déclassé par l’exil, subit son destin d’étranger, poussé vers l’anonymat, isolé par son goût éclectique pour les fragments qui rendit illisibles ses demandes officielles en vue d’une naturalisation en France ou d’une immigration aux USA.
XI
Mais, pour l’analyste, le rêve absent induit un doute profond sur la pertinence de son action. Difficile de voir dans cette vacance, une manifestation de son supposé talent analytique ! Un malaise plane sur la qualité de son écoute, le renvoyant ipso facto au modèle d’une psychothérapie qui n’aurait pas su faire décoller le sujet depuis les ancrages concrets et narratifs de sa vie. Un récit plat, sans ouverture vers un arrière-plan, serait-il le destin de cette cure ? Pourquoi alors écrire sur une telle cure, pourquoi montrer tant d’incompétence supposée ? Ce moment de flottement traverse mon activité d’écriture quand, d’une séance récente, surgit une réponse imprévue :
« …peut-être qu’il est trop tôt pour le voir, qu’il est trop petit, j’ai l’impression de ne pas y penser assez, je suis trop stressée » ; l’analyste « …ce qui se passe à l’intérieur et que vous ne voyez pas… » ; elle « quelque chose échappe…j’ai toujours eu ce fonctionnement suspendu à quelque chose…qui rend le présent peu tranquille…sur le fil avec un risque d’échappement de moi-même comme dans une course effrénée… »; l’analyste « …que vous critiquez pourtant… »; elle « j’ai l’impression d’être ici, en séance, sur un mode opératoire, de passer à côté de plein de choses, l’écoute de moi est si loin.. »; l’analyste « « …de l’étranger en vous ? » ; elle « le fait est que d’aller le chercher n’est pas facile, de vous le montrer aussi… ».
Un ange passe qui pourrait être autant l’enfant à naître que l’advenue du rêve…« L’inquiétant sort ici de l’ombre »12 et « maison hantée » est approprié pour le nommer, si tant est que la femme enceinte puisse se trouver « hantée » comme l’est le rêveur avec son rêve. Produire un récit de rêve, être enceinte sont des activités où le biologique est engagé et avec lui, in fine, notre relation à la mort. Freud13, par un renversement dont il est familier, décrit « l’étrange fantasme inquiétant de léthargie » comme « envers du fantasme de vivre dans le sein maternel ». Ainsi une égalité apparaît-elle entre le sein maternel qui produit l’enfant et le rêve qui habite le sommeil. Garder en soi les images du rêve serait comme demeurer sexuellement avec la mère.
XII
Poursuivre alors mais avec une nouvelle question : comment quitter le sein maternel ? Faut-il oser entendre derrière le sein le : « cela m’est bien connu j’y ai été déjà une fois » qui désigne le sexe maternel que Freud nous invite à entendre dans « L’inquiétant » ? Comment quitter ce premier familier dont le sujet a été expulsé et prendre le risque d’aller vers une rencontre, vers l’inconnu ? La représentation, ou la présence, notons au passage la proximité des termes, est un enjeu de toute lecture et fait l’objet de ce que Freud envisage dans ce texte si riche en invités14. J’en retrouve une manifestation chez Daniel Mendelsohn15 : Ulysse, ayant surpris Euryclée et Télémaque a tué tous les prétendants, mais Pénélope n’est toujours pas convaincue de l’identité de l’étranger. Elle a besoin d’une preuve qui traduira leur entente intime, leur homophrosynê. Ce signe, inscrit dans la fabrication du lit conjugal, est un rejet d’olivier, centre de la conception de leur couche. Ce lit, dont la construction n’est connue que des seuls époux, est aussi la marque de leur union sexuelle. Derrière les figures que prend l’étranger, le sexuel ne se découvre que par ruse, autant celle d’Ulysse, de Pénélope que celle du lecteur-voyeur !
XIII
Il me faut quitter maintenant ces lignes mais me souvenir aussi que cette cure a auparavant inspiré une autre écriture où elle apparaissait avec un tout autre projet : il s’agissait alors de tenter de cerner les objets psychiques, ceux qui apparaissent flous et ténus, isolés dans un espace aux contours incertains. J’avais alors évoqué, sans m’y attarder, l’absence de rêve sans mesurer toute l’excitation, toute la tension contenue dans ce défaut : moins tant de manque, il s’agit d’un évitement qui maintient intimes des perceptions. Puis du temps est passé, la cure se prolongeait quand, faute de copie en ces temps de bouleversements des projets, je fus sollicité autour du thème de ce numéro sur l’étranger. Ce qui jaillit tout de suite dans mon esprit fut alors le retour d’un exilé absent : le rêve ! Tapi en creux dans la séance, les images demeurent loin des mots et l’expérience peut rester isolée, sauf si un voile se déchire et qu’un propos les fait basculer dans le champ de la parole. Ce nouveau texte parle du parcours vers cette reconnaissance, point d’orgue de cette Odyssée.
Résumé :
Le rêve serait-il l’étranger de la nuit et, à ce titre, ne devrait-il pas être mis de côté par des forces qui l’éloignent de sa mise en mots ? Ainsi pourrait-on comprendre pourquoi dans certaines cures le récit de rêve est si cadenassé. Alors son retour progressif vers la lumière de la langue serait l’équivalent d’une Odyssée, un lent mouvement qui éloigne de l’exigence d’une union avec la mère.
NOTES :
- S. Freud (1932), Nouvelle suite des leçons d’introduction à la psychanalyse, XXIXème leçon : Révision de la doctrine OCF.-P, XIX, PUF, p.7
- P. Fédida, « Le site de l’étranger » in Le site de l’étranger PUF,1995, p.55
- Catalogue de l’exposition De la Révolution russe à la Perestroïka Musée d’Art Moderne St-Etienne, 1989. p.147
- M. Moscovici Il est arrivé quelque chose, Payot, 1991.
- De la Révolution russe à la Perestroïka Musée d’Art Moderne St-Etienne 1989. p.14
- S. Freud (1931), De la sexualité féminine, OCF‑P., XIX, PUF, p.8–11
- S. Freud, ibid
- D. Mendelsohn Trois anneaux. Un conte d’exils Flammarion, 2020, p.23 et suiv.
- E. Auerbach Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Gallimard,1977, p. 19–23
- Note 10 : W. Benjamin « Le Narrateur » in Écrits français Folio p.273
- Note 11 : R. Kahn “Figures d’exil” in Po&sie 2010/3 n°133, p. 73–82 et “Une ruse de la providence” in Les Temps Modernes, Gallimard, 2006, n°641, p.116–131.
- Note 12 : S. Freud (1919), L’inquiétante étrangeté, Gallimard, citant Schelling, p.246
- Note 13 : S. Freud, ibid p. 250
- Note 14 : La liste des auteurs cités dans ce texte est impressionnante.Note 15 : D. Mendelsohn Une odyssée. Un père, un fils, une épopée. J’ai lu, 2018 p.393–96.