Le musicien en surmenage :
la traversée du miroir

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Anne-Sophie Bourdaud est psychologue clinicienne et psychanalyste membre de la Société Psychanalytique de Paris, musicienne, ancienne élève pianiste à l’École Normale de Musique de Paris, autrice-compositrice-interprète.

Soit ce puits était très pro­fond, soit Alice tom­bait très len­te­ment, car elle eut tout le temps de regar­der autour d’elle pen­dant sa chute et de se deman­der ce qui se pas­se­rait ensuite. 

Lewis Car­roll

Le musicien en surmenage

Il existe quelques dis­crets signes annon­cia­teurs avant l’effondrement psy­chique du musi­cien sur­me­né. Quelques troubles appa­raissent ici et là mais ne semblent pas assez bruyants pour en per­mettre une pleine appré­hen­sion de la part du sujet.

Cer­taines dou­leurs peuvent être per­sis­tantes, un malaise dif­fus s’installer, voire des angoisses se déve­lop­per. Mais au début de ces signes, rien de bien alar­mant ni de très pré­cis pour confir­mer l’existence d’un pro­blème. Est-ce peut-être parce que l’alerte n’est pas suf­fi­sam­ment don­née ou alors aisé­ment per­çue par le sujet que cet acci­dent de par­cours peut faire autant de dégâts soma­to­psy­chiques ?

L’omerta sur les dou­leurs qui se devine au cœur du monde de la musique par­ti­cipe pour beau­coup au temps per­du avant la prise de conscience du dan­ger. C’est un uni­vers où la tech­nique doit s’effacer devant l’esthétisme abso­lu. Le corps vêtu de noir doit dis­pa­raître devant la gran­deur des com­po­si­tions jouées. La place est fra­gile et la concur­rence mor­dante et sans pitié. Le monde de la musique recèle en son sein une loi du silence redou­table. La peur ou encore la honte main­tiennent le musi­cien dans une pos­ture périlleuse. Il se doit de gar­der secrets ses maux et en vient à les occul­ter pour ain­si res­ter en lice. Mais en ris­quant d’aller trop loin, c’est la bar­rière du déni qui se dresse alors avec son lot d’écueils. Souf­frir ou ne pas être en état de fonc­tion­ner est géné­ra­le­ment vécu comme une fai­blesse ou la preuve d’une inef­fi­ca­ci­té dans son tra­vail. La cré­di­bi­li­té du sujet musi­cien est en per­pé­tuelle remise en ques­tion et demeure constam­ment fra­gi­li­sée. Et son art dans son accom­plis­se­ment le pousse sans cesse à deve­nir ce funam­bule mis au défi d’une chute immi­nente.

À ce silence rava­geur et ce déni géné­ra­li­sé dans le monde de la musique, s’ajoute alors la décon­nexion de sa com­mu­ni­ca­tion avec soi-même. Est-ce que ce sont les sens qui se mettent à dys­fonc­tion­ner ? Une perte des sen­sa­tions cor­po­relles en lien avec les dou­leurs ? Ou bien encore une mau­vaise inter­pré­ta­tion concer­nant les signaux venant de soi ?

Le lien ne semble plus s’établir entre ce que vit le corps du musi­cien dans l’exercice de ses fonc­tions et son psy­chisme. Une sépa­ra­tion s’opère entre ces deux mondes et le pré­ci­pice entre eux ne fait que s’agrandir. « Se sen­tir réel, c’est plus qu’exister, c’est trou­ver un moyen d’exister soi-même, pour se relier aux objets en tant que soi-même et pour pou­voir avoir un soi où se réfu­gier afin de se détendre. » (D.W. Win­ni­cott, 1971/1975, p.161). C’est pour­quoi les dété­rio­ra­tions autres que cor­po­relles peuvent être incom­men­su­rables.

Le sur­me­né ne s’entend plus, n’a plus accès aux dif­fé­rents signaux d’alerte qui sont cen­sés œuvrer à la pré­ser­va­tion de soi. Le contact semble s’être cou­pé. Le musi­cien avec ses dou­leurs et son épui­se­ment partent en roue libre sur un che­min sinueux et dan­ge­reux. Dans cette des­cente ver­ti­gi­neuse, seul un stop violent et radi­cal peut y mettre fin. Un arrêt soma­to­psy­chique bru­tal du musi­cien qui signe­ra que l’effondrement a déjà eu lieu en amont. C’est seule­ment une fois que la rup­ture est deve­nue fla­grante que la mesure de l’étendue des dom­mages peut com­men­cer.

Les aléas du pul­sion­nel du sujet psy­chique sont alors en jeu ou plu­tôt dans un « hors je », qui suivent leurs propres des­seins. Didier Anzieu a de façon très ima­gée mon­tré leur imma­nence dans le pro­ces­sus artis­tique : « Avant de pou­voir être pen­sé, quelque chose en l’artiste pousse, souffre, crie, pue. Créer, c’est sans doute renaître, mais à par­tir de son urine et de ses excré­ments. » (Anzieu, 1996/2012, p34).

L’artiste a quelque peu l’habitude des bas-fonds de son âme d’où il tire ses forces pul­sion­nelles. Il ne recule pas devant l’écœurement, la dure­té de la tâche à accom­plir, l’insatisfaction constante et peut aller faci­le­ment jusqu’à la dou­leur. Après tout, elle n’est qu’un aléa de plus sur son par­cours de musi­cien. Être prêt à tout don­ner jusqu’aux confins de lui-même semble par­fois lui être un sacer­doce. Le milieu au sein duquel il évo­lue peut contri­buer à la ten­dance à frayer avec les limites de soi. Inté­grer un orchestre et ten­ter d’y gar­der sa place main­tient le musi­cien dans un sys­tème orga­ni­sé dont la vio­lence peut lui échap­per. Les injonc­tions de réus­site et de per­for­mance sont telles que les méca­nismes sous-jacents sont mini­mi­sés voire abo­lis.

Une étude bré­si­lienne de psy­cho­lo­gie sociale inti­tu­lée « Tous les musi­ciens ne sont pas calmes : du stress au bur­nout chez les musi­ciens d’un orchestre sym­pho­nique et les chan­teurs de cho­rale » pointe une dia­lec­tique impor­tante entre le mou­ve­ment du tay­lo­risme et le musi­cien en état de stress. (Andrade et al. 2021).

Le stress, même s’il est un état inté­rieur est essen­tiel à mettre en pers­pec­tive avec sa ges­tion en lien avec l’environnement étu­diant ou pro­fes­sion­nel du sujet musi­cien.

Le tay­lo­risme est défi­ni par le Tré­sor de la Langue Fran­çaise infor­ma­ti­sé comme une « méthode d’organisation scien­ti­fique du tra­vail indus­triel visant à assu­rer une aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vi­té fon­dée sur la maî­trise du pro­ces­sus de pro­duc­tion, sur la sépa­ra­tion stricte entre tra­vail manuel et tra­vail intel­lec­tuel, sur une par­cel­li­sa­tion des tâches et sur une stan­dar­di­sa­tion des outils, des condi­tions et des méthodes de tra­vail ; orga­ni­sa­tion du tra­vail qui vise à accroître la pro­duc­ti­vi­té par la répar­ti­tion du pro­cès de tra­vail en élé­ments par­tiels et chro­no­mé­trés éli­mi­nant les mou­ve­ments impro­duc­tifs. » Ce mou­ve­ment inven­té par l’ingénieur amé­ri­cain Fré­dé­rick Wins­low Tay­lor autour de 1880 a eu une grande influence lors de l’essor de l’industrialisation. Or l’organisation du monde de la musique n’échappe pas à ses reje­tons ni à son influence.

« En abor­dant le thème de la ges­tion, il devient per­ti­nent de com­men­ter qu’il est impos­sible de par­ler de musique sans l’aligner sur les influences de Tay­lor et Ford, dès lors que le tra­vail effec­tué par les musi­ciens d’un orchestre pré­sente des carac­té­ris­tiques des prin­cipes de ges­tion scien­ti­fique (…), qui finissent par assu­rer le suc­cès dans la réa­li­sa­tion du tra­vail des musi­ciens, géné­rant comme pro­duit final le tra­vail imma­té­riel plein de sen­ti­ments, de réac­tions, de per­cep­tions, c’est-à-dire un conte­nu de vie inex­pri­mable. » (Andrade et al., 2021, P13)

L’humain est ain­si aux prises avec son ère indus­trielle tel que Char­lie Cha­plin a su le mettre en lumière dans son film inti­tu­lé Les Temps Modernes en 1936.

Le rou­leau com­pres­seur de la pro­duc­ti­vi­té et de l’efficience ne peut pas lais­ser intacts les sujets qui y sont confron­tés. L’efficacité exi­gée mais aus­si l’interchangeabilité des ins­tru­men­tistes créent une ambiance de stress auquel le musi­cien se trouve sou­mis.

Dans sa fosse non pas de lions, mais d’orchestre, le musi­cien est par­ti­cu­liè­re­ment expo­sé aux pres­sions de son envi­ron­ne­ment pour le but com­mun d’interpréter magis­tra­le­ment des œuvres musi­cales. La mobi­li­sa­tion des res­sources est maxi­male pour un pro­jet qui dépasse ses acteurs. « (…) la sub­jec­ti­vi­té du tra­vail imma­té­riel dans le domaine de la musique, est pleine d’émotions, d’affections et de sen­ti­ments, devant cela, suit la rela­tion entre l’organisation ration­nelle du tra­vail de Tay­lor, le prin­cipe de la pro­duc­tion de masse de Ford et le domaine de la musique. » (Andrade et al., 2021, p 28)

Les auteurs citent une étude de 2008 de Eduar­do Davel et Syl­via Ver­ga­ra poin­tant l’identification des indi­vi­dus avec les valeurs orga­ni­sa­tion­nelles du tra­vail qui, ne fai­sant plus qu’un avec elles, renoncent à leur vie per­son­nelle pour pou­voir atteindre les objec­tifs pres­crits. (Andrade et al., 2021, p31) L’effacement du sujet devant l’impériosité de ses exi­gences propres et externes en vient à le fra­gi­li­ser dans ses bases pro­fondes. À force de fonc­tion­ner avec effi­cience et comme une machine, le musi­cien ne se per­çoit plus comme un sujet souf­frant et dési­rant. Il y a une éro­sion de sa per­son­na­li­té, une détresse du moi, voire son anni­hi­la­tion. La cli­nique du sur­me­nage chez le musi­cien rend compte de régres­sions archaïques tant au niveau de l’expression des besoins vitaux (un som­meil inex­tin­guible, des troubles ali­men­taires…) que de la recherche du « care » win­ni­cot­tien. « Grâce aux « soins qu’il reçoit de sa mère », chaque enfant est en mesure d’avoir une exis­tence per­son­nelle et com­mence donc à édi­fier ce qu’on pour­rait appe­ler le sen­ti­ment d’une conti­nui­té d’être ». (Win­ni­cott, 958/1969, p.377) 

Le sujet est dans une quête avide de réas­su­rance et de pro­tec­tion de la part de ses proches qui peuvent être mis en dif­fi­cul­té pour pou­voir bien y répondre. Les besoins sont impé­rieux, à la mesure de la loin­taine régres­sion libi­di­nale pro­vo­quée. On lui reproche de ne plus se res­sem­bler, d’être deve­nu dif­fi­cile à cer­ner et à sup­por­ter. Il ne semble plus aus­si inves­ti et moti­vé. La fuite qui peut être géné­rée par le sur­me­nage peut pas­ser pour un dés­in­té­rêt crois­sant. Ain­si l’étudiant n’assiste plus à ses cours jusque-là sui­vis avec assi­dui­té, le musi­cien pro­fes­sion­nel s’absente de plus en plus sou­vent.

Une forme d’indifférence et de rejet vont prendre le pas et s’étendre sur ce qui était jusque-là l’acmé de son exis­tence : faire de la musique.

Plus loin que la vie pri­vée, le déta­che­ment appa­rent du sujet peut aller jusqu’à affec­ter sa san­té et la per­cep­tion de son propre corps. Sans cesse mis au défi de se sur­pas­ser, le corps devient un outil dont on ne mesure plus l’usure ni la fra­gi­li­té. La dou­leur est pré­sente mais per­çue comme une étran­gère avec qui l’on ne sait plus trai­ter. Elle se déve­loppe et demeure secrète jusqu’à ce que les rem­parts éri­gés pour tenir se fis­surent. Reve­nu à lui-même, le musi­cien meur­tri est face à une dou­leur deve­nue insup­por­table qui va débor­der le moi. Il devient alors très dif­fi­cile de faire agir son corps ne serait-ce que pour des acti­vi­tés basiques comme se lever, man­ger ou réa­li­ser une tâche. Main­te­nant ce corps est deve­nu un obs­tacle aux pro­jets, une par­tie per­due de soi.

Chaque ins­tru­men­tiste a son propre talon d’Achille et des zones cor­po­relles qui sont par­ti­cu­liè­re­ment expo­sées au sur­me­nage. Le livre de la kiné­si­thé­ra­peute Cora­lie Cou­sin, spé­cia­liste des dou­leurs chez les musi­ciens, décrit bien les spé­ci­fi­ci­tés de chaque ins­tru­men­tiste dans ses fra­gi­li­tés. (Cora­lie Cou­sin, 2012)

En ce qui concerne l’orchestre à corde, « il est deman­dé au musi­cien un effort phy­sique et men­tal adé­quat pour assu­rer le suc­cès dans l’exécution des œuvres, étant donc plus par­ti­cu­liè­re­ment sur la sec­tion des cordes, exige que le musi­cien frotte les cordes avec des mou­ve­ments répé­ti­tifs, (…) favo­ri­sant gran­de­ment un excès de ten­sion pen­dant les pré­sen­ta­tions, puisque les vio­lons, altos sont sou­te­nus sur l’épaule gauche (…) cor­ro­borent pour la ten­sion et les dif­fé­rents efforts mus­cu­laires ». (Andrade et al., 2021, P37)

Les ins­tru­ments à vent quant à eux vont davan­tage sol­li­ci­ter des zones phy­siques impli­quées dans le contrôle de la pres­sion de l’air et de la res­pi­ra­tion.

Les auteurs concluent que « pour jouer de ces ins­tru­ments, les muscles du visage, du cou et des membres supé­rieurs sont sol­li­ci­tés, ce qui pro­voque des dou­leurs et des gênes dans le dos après de longues pres­ta­tions musi­cales ». (Andrade et al., 2021, p37)

Le risque qui est encou­ru par le musi­cien lors de trop fortes sol­li­ci­ta­tions et la pres­sion conti­nue devient l’épuisement phy­sique et psy­chique. Le corps se fatigue mais éga­le­ment la volon­té de pour­suivre ses efforts.

Selon les recherches du psy­cha­na­lyste Chris­tophe Dejours, des pro­blé­ma­tiques telles que l’insatisfaction et l’épuisement peuvent gra­ve­ment affec­ter la san­té des tra­vailleurs. « L’inadéquation entre la forme créée et la jouis­sance tou­jours incom­plète de l’artiste ouvre la porte à la subli­ma­tion en lui fai­sant per­ce­voir aus­si le manque. De sorte que, sous la pres­sion de la récur­rence du manque, il doit reprendre son œuvre, la pour­suivre et la faire évo­luer. » (Dejours, 2001/2018, p132) Tel le sup­plice de Sisyphe, le rocher à mener au som­met est tou­jours plus lourd et dégrin­gole chaque fois plus bas. Les moyens que se donnent le sujet ne suf­fisent plus à atteindre les objec­tifs atten­dus. Il se réa­lise alors comme une bri­sure du conti­nuum soma­to­psy­chique. La souf­france psy­chique vient signi­fier qu’il y a déjà eu pré­cé­dem­ment une rup­ture entre soi et son iden­ti­té cor­po­relle. Le pre­mier trau­ma serait cette dés­in­tri­ca­tion pul­sion­nelle chez le sujet, le second serait l’émergence du symp­tôme de la dou­leur ou de l’usure. L’un et l’autre s’entraînant mutuel­le­ment. Cette expé­rience va tarir une libi­do qui ne par­vient plus à se mobi­li­ser pour agir.

Il sem­ble­rait que l’équilibre de la san­té phy­sique et men­tale peut bas­cu­ler avec un excès de pres­sion vécu au tra­vail. La pre­mière vic­time recon­nue du Karō­shi, la mort par dépas­se­ment du tra­vail, est un jeune employé de 29 ans d’un ser­vice d’expédition d’un grand jour­nal en 1969. Le terme sera repris par les méde­cins japo­nais Hoso­ka­wa, Taji­kis­tan et Ueha­ta en 1982 pour lier des patho­lo­gies car­dio­vas­cu­laires à un temps de tra­vail exces­sif. De nos jours, de nom­breuses recherches viennent étayer la cor­ré­la­tion entre la souf­france du sujet et son tra­vail. L’intensité géné­rée par le contexte pro­fes­sion­nel peut mener à des conduites auto­des­truc­trices. La pas­sion peut être ame­née à fai­blir ou à s’inverser en une réelle aver­sion pour son ins­tru­ment lors du sur­me­nage.

Ain­si cette jeune patiente, musi­cienne pro­fes­sion­nelle depuis 10 ans, ne pou­vait plus, lit­té­ra­le­ment, tou­cher son ins­tru­ment à vent suite à une bles­sure. L’arrêt bru­tal de pou­voir jouer de la musique déclenche en pre­mier lieu chez elle une sorte de sou­la­ge­ment. L’obligation de ces­ser de tra­vailler son jeu sup­plante un désir aus­si gran­dis­sant qu’inavouable. Après une dis­ci­pline achar­née depuis l’enfance pour obte­nir un niveau espé­ré mais jamais atteint pour elle, se révèlent une frus­tra­tion et une souf­france crois­santes. La riva­li­té avec ses par­te­naires musi­ciens sur les com­pa­rai­sons de temps de tra­vail pas­sé au quo­ti­dien sur l’instrument, à tou­jours repous­ser les limites phy­siques l’ont épui­sée.

Le Burn-out

La rup­ture est totale et semble être irré­ver­sible. L’idée d’une recon­ver­sion après tant d’années de sacri­fices, est incon­ce­vable. C’est du fait de ce sen­ti­ment de ne pou­voir ni avan­cer ni reve­nir en arrière que peut pro­ve­nir la chute. Dans la cli­nique, les termes « sans issue » ou « sans solu­tion » reviennent avec redon­dance. La bous­sole qui jusque-là gui­dait tout son inves­tis­se­ment n’existe plus. Tout un monde construit de longue haleine se frag­mente et n’a plus de sens pour le sujet. Il lui devient impos­sible de se pro­je­ter dans un ave­nir main­te­nant incer­tain. Le désert inté­rieur, suf­fo­cant, devient le monde exté­rieur hos­tile qui cerne le sujet en souf­france, dans un mou­ve­ment d’introjection pro­jec­tive où tout est cal­ci­né autour de soi.

Le Burn-out est un angli­cisme du verbe to burn out, brû­ler à l’extérieur. « Image d’un édi­fice sou­mis à une telle attaque incen­diaire qu’il n’en demeure que l’armature interne ou encore d’une bou­gie fon­due en consu­ma­tion dont la matière cireuse s’effondre sur elle-même. » (P‑L. Assoun, 2020, p14)

Le psy­cha­na­lyste évoque une déliai­son qui se couple à « une ruine de l’idéal et une sorte de décroyance géné­ra­li­sée, dans un cli­mat de mélan­co­li­sa­tion. » (Assoun, 2020, p15) Le sujet porte un deuil, celui construit à par­tir de son idéal propre comme col­lec­tif et le vit telle une cruelle tra­hi­son. (Assoun, 2020, P22)

Les com­po­santes nar­cis­siques et agres­sives sont au cœur de cette quête de per­for­mance, que l’on retrouve éga­le­ment à l’œuvre chez le spor­tif de haut niveau.

C’est la course effré­née d’une exi­gence sur­moïque qui se retourne contre le sujet. Le sur­moi dont Freud fait l’héritier du com­plexe d’Œdipe se met à le sadi­ser jusqu’à l’épuisement de ses forces. L’excès à trop vou­loir se confor­mer à ses exi­gences se trans­forme alors en une inca­pa­ci­té ou encore en las­si­tude là où devrait s’exprimer l’explosion d’une fureur.

Freud relève dès 1926 l’absence de l’expression de cette fureur pour un patient atteint de névrose de contrainte : « J’ai pu obser­ver un exemple ins­truc­tif d’une telle inhi­bi­tion géné­rale intense et de courte durée chez quelqu’un atteint d’une mala­die de contrainte, qui tom­bait dans une fatigue para­ly­sante d’une durée d’un à plu­sieurs jours, en des occa­sions qui auraient dû mani­fes­te­ment entraî­ner une explo­sion de fureur. » (Freud, 1926 d, p 208)

Ce musi­cien encore étu­diant, confron­té au burn-out, évo­luait depuis dans une tor­peur per­ma­nente. Les situa­tions conflic­tuelles ne géné­raient plus ni résis­tance ni colère de sa part. Face à cet incen­die inté­rieur, le sujet en vient comme à s’éteindre lui-même. L’épuisement intense prend la place de la rage. Le cir­cuit éco­no­mique libi­di­nal s’inverse et révèle les fra­gi­li­tés anté­rieures.

Il y a un court-cir­cuit dans la ges­tion éco­no­mique des inves­tis­se­ments usuels. Le châ­teau de carte éri­gé sans veiller à l’épuisement des res­sources s’effondre alors sur lui-même. Ce qui était au cœur de la moti­va­tion devient enne­mi, absent, voire un per­sé­cu­teur. Ce qui jusqu’ici nour­ris­sait la moti­va­tion du musi­cien s’amenuise voire dis­pa­raît en se trans­for­mant en une sorte d’exécration. Tout ce qui le rap­pelle à lui comme les lieux, l’odeur ou les bruits génèrent de l’angoisse et des conduites de fuite. Le rejet de tout ce qui était ado­ré avant est un signe cli­nique très mar­qué. La pia­niste sub­mer­gée ne pou­vait plus voir son cla­vier sans s’effondrer en larmes, répé­tant que « cela lui brû­lait les doigts ».

« Un autre couple typique de la posi­tion para­noïde, fonc­tionne à l’égard de l’œuvre comme vis-à-vis de toute autre entre­prise for­te­ment inves­tie par le sujet. C’est l’alternative idéa­li­sa­tion-per­sé­cu­tion. Je veux d’emblée un accom­plis­se­ment par­fait et ache­vé. La moindre consta­ta­tion d’un défaut, d’un retard, d’une imper­fec­tion, inverse une œuvre qui, dans la tête, valait tout, en une œuvre qui, trans­crite sur le papier, ne vaut plus rien ». (Anzieu, 1996/2012, P39)

Nous sommes au cœur du noyau nar­cis­sique de la pen­sée et de la névrose comme Anzieu l’a éla­bo­ré.

Les ori­gines archaïques de la consti­tu­tion du moi expliquent peut-être ain­si pour­quoi cette épreuve nar­cis­sique du burn-out semble aus­si des­truc­trice et ques­tionnent à quelles contrées aux confins de l’être elle ren­voie le sujet qui en souffre. 

« Le moi se consti­tue en ins­tance psy­chique à par­tir d’un pré-cor­po­rel, que j’ai appe­lé le moi-peau. La situa­tion para­doxale per­turbe la consti­tu­tion du moi-peau et, par là même, grève le déve­lop­pe­ment ou le fonc­tion­ne­ment ulté­rieur du moi dans cer­tains sec­teurs. » (Anzieu, 1996/2012, p 94)

« (…) le sur­moi ne peut pas évo­luer jusqu’au niveau œdi­pien et ambi­va­len­tiel ; il reste confon­du avec l’idéal du moi et l’investissement pul­sion­nel qu’il reçoit est essen­tiel­le­ment le fait de la pul­sion de mort ». (Anzieu, 1996/2012, p 94)

C’est d’ailleurs sou­vent la peau qui parle dans les pré­misses d’un sur­me­nage chez l’artiste : elle rou­geoie, elle gonfle, s’irrite. Elle montre que quelque chose ne va pas et le dit en modi­fiant son aspect et son confort. Ensuite tout ce qui lui est relié comme les arti­cu­la­tions et les muscles vont se mettre à expri­mer le malaise de façon per­sis­tante, action­nant enfin l’alarme qui ne jouait plus son rôle d’avertissement. En évo­quant Samuel Beckett et son œuvre, Anzieu sou­ligne cet aspect indé­fec­tible dans la consti­tu­tion du sujet.

« Le lieu du corps d’où parle le nar­ra­teur de l’Innommable est signi­fi­ca­tif : c’est la mem­brane qui sépare en reliant, l’interface entre dehors et dedans, l’écran pro­tec­teur de la vio­lence des intru­sions, en un mot le tym­pan qui vibre aux ondes externes et internes, qui filtre et enre­gistre les signes sonores, qui four­nit au Soi sa pre­mière enve­loppe et qui fonde la capa­ci­té de com­mu­ni­ca­tion ». (Anzieu, 1996/2012, p 141)

Le musi­cien sur­me­né pour­rait avoir per­du ce mode de com­mu­ni­ca­tion de soi à soi. Il ne semble plus par­ve­nir à dia­lo­guer avec ses res­sen­tis, ses éprou­vés et ses dou­leurs. L’absence de retour sur lui-même en ce qui concerne la sphère de la pro­prio­cep­tion nous indique peut-être une voie à suivre. Ce che­min évoque une phase essen­tielle éla­bo­rée par Hen­ri Wal­lon, puis par la suite Jacques-Marie Lacan comme étant le Stade du miroir.

Le stade du miroir de Wallon à Lacan

C’est à la demande de Wal­lon qu’un article de Lacan est publié dans l’Encyclopédie Fran­çaise, tome VIII en mars 1938. Il s’agit d’une pre­mière allo­cu­tion sur le sujet qui n’a pas pu aller au bout par manque de temps lors d’une confé­rence inter­na­tio­nale de psy­cha­na­lyse en 1936 à Marien­bad. Il y pré­sente les idées prin­ci­pales, pré­fi­gu­rant l’article de 1949 Le stade du miroir comme for­ma­teur de la fonc­tion du Je telle qu’elle nous est révé­lée dans l’expérience psy­cha­na­ly­tique, lors d’une Com­mu­ni­ca­tion au XVIème congrès inter­na­tio­nal de psy­cha­na­lyse à Zürich le 17 juillet 1949. (Lacan, 1966, p 89).

Lacan y désigne déjà l’image spé­cu­laire comme illu­soire et une révé­la­tion sou­daine pour l’enfant à par­tir de l’âge de six mois qui se vivait jusque-là « affec­ti­ve­ment et men­ta­le­ment consti­tué sur la base d’une pro­prio­cep­ti­vi­té qui donne le corps comme mor­ce­lé » (Lacan, 1938, p13).

Le sujet y recon­naît l’idéal de l’image du double. « Le monde propre à cette phase est donc un monde nar­cis­sique ». (Lacan, 1938, p14)

Cette étape fon­da­men­tale de stade du miroir se com­prend comme une iden­ti­fi­ca­tion, jouant tel un ima­go pour la construc­tion psy­chique de l’enfant.

« L’assomption jubi­la­toire de son image spé­cu­laire par l’être encore plon­gé dans l’impuissance motrice et la dépen­dance du nour­ris­sage qu’est le petit homme à ce stade infans, nous paraî­tra dès lors mani­fes­ter en une situa­tion exem­plaire la matrice, sym­bo­lique où le Je se pré­ci­pite en une forme pri­mor­diale, avant qu’il ne s’objective dans la dia­lec­tique de l’identification à l’autre et que le lan­gage ne lui res­ti­tue dans l’universel sa fonc­tion de sujet. » (Lacan, 1966, p90)

Il s’édifie à ce stade de déve­lop­pe­ment un je-idéal qui sera le ter­reau et le socle de toutes les iden­ti­fi­ca­tions secon­daires par la suite. Que peut nous apprendre le retour à ces temps archaïques dans la cli­nique du burn-out et plus par­ti­cu­liè­re­ment chez les musi­ciens ?

Elle nous per­met d’observer des phases de régres­sion à des besoins vitaux basiques, une néces­si­té de récu­pé­ra­tion mas­sive de som­meil, le besoin de sou­tien voire de lien ana­cli­tique avec l’entourage. La vic­time d’un burn-out rede­vient cet infans qu’il était autre­fois. « En fait, le terme latin implique l’absence de lan­gage (in-fans : qui ne parle pas)(…) ». (Win­ni­cott, 1958/1969 p361) Il a une vision mor­ce­lée de lui-même, il subit une perte de ses contours et ne sait plus s’appuyer sur lui-même pour vivre. Les attentes sont impé­rieuses et requièrent une atten­tion accrue de la part des autres. Le som­meil omni­pré­sent se pré­sente comme une fuite face à la frus­tra­tion et aux risques de conflits.

Ce jeune musi­cien ne par­ve­nait plus à se lever pour se rendre à ses cours, jouer de son ins­tru­ment ou voir des amis. Les sor­ties étaient deve­nues anxio­gènes et sou­vent irréa­li­sables. Le repli sur soi n’est pas s’en rap­pe­ler des temps pré­na­taux où tout besoin est pour­vu pas­si­ve­ment.

Une per­cep­tion dis­tor­due de ses propres fonc­tion­ne­ments cor­po­rels amène le sujet à se sen­tir comme s’il ne fai­sait plus Un. Il perd de son uni­ci­té pri­mor­diale et toute la base nar­cis­sique se met à trem­bler. Les ques­tions exis­ten­tielles reten­tissent avec un spectre sui­ci­daire non négli­geable. Si je ne suis plus cette uni­té fami­lière que j’ai tou­jours connue, com­ment puis-je conti­nuer à exis­ter ?

« Le stade du miroir est un drame dont la pous­sée interne se pré­ci­pite de l’insuffisance à l’anticipation – et qui pour le sujet, pris au leurre de l’identification spa­tiale, machine les fan­tasmes qui se suc­cèdent d’une image mor­ce­lée du corps à une forme que nous appe­lions ortho­pé­dique de sa tota­li­té, – et à l’armure enfin assu­mée d’une iden­ti­té alié­nante, qui va mar­quer de sa struc­ture rigide tout son déve­lop­pe­ment men­tal. » (Lacan, 1966, p93)

Si la cli­nique du sur­me­nage nous laisse voir des régres­sions psy­chiques aus­si pro­fondes, elle ouvre peut-être une porte sur une autre dimen­sion du sujet qui s’y révèle. Cet infans per­du et dés­œu­vré en lui pour­rait-il venir de plus loin, de temps plus recu­lés encore ?

Si les besoins vitaux pri­maires res­sur­gissent aus­si bruyam­ment, c’est peut-être qu’ils ren­voient à un monde où l’indifférenciation règne en maître. Le sujet ne fait plus Un avec lui-même mais est à nou­veau fon­du avec l’autre, dans un temps où « Avant de pro­gres­ser dans l’acquisition d’une iden­ti­té propre, en se sou­te­nant d’un anta­go­niste avec le non-soi, le soi-même archaïque doit d’abord se dif­fé­ren­cier d’avec lui-même ». (M de M’Uzan, 2005, p20) Il s’agit d’un temps où la per­son­na­li­té n’existe pas encore de manière clai­re­ment défi­nie puisqu’elle est encore immer­gée dans des ondes d’indifférenciation. Qu’en est-il à ce sujet de la cli­nique du sur­me­nage des artistes ?

Pour être éta­bli, un état de burn-out doit regrou­per trois élé­ments fon­da­men­taux : l’état d’épuisement pro­fes­sion­nel, la déper­son­na­li­sa­tion et le sen­ti­ment d’incapacité. Un épui­se­ment émo­tion­nel et/ou phy­sique, la déshu­ma­ni­sa­tion de la rela­tion avec les autres et un sen­ti­ment de dimi­nu­tion de l’accomplissement pro­fes­sion­nel mène à un risque d’effondrement nar­cis­sique. Le milieu pro­fes­sion­nel de la musique ne déroge en rien à ces risques psy­cho­so­ciaux.

L’étude psy­cho­so­ciale sur le burn-out des musi­ciens est en effet arri­vée à la conclu­sion que « (…) compte tenu de la pro­duc­tion cultu­relle à grande échelle, avec des lieux de tra­vail réduits, l’exploitation des tra­vailleurs, la peur de perdre leur emploi, l’intériorisation des valeurs orga­ni­sa­tion­nelles et la déshu­ma­ni­sa­tion du métier de musi­cien, il s’agit d’un pro­fes­sion­nel pré­sen­tant de sérieux risques de tom­ber malade ». (Andrade et al., 2021, p45)

La fra­gi­li­té intrin­sèque du musi­cien et l’organisation du tra­vail d’orchestre créent ain­si des situa­tions pro­pices à l’affliction pour ceux qui y par­ti­cipent. Pour­quoi alors cette sen­si­bi­li­té chez le musi­cien et l’artiste en géné­ral serait-elle exa­cer­bée ?

Le musicien : artiste aux confins de l’être ?

Le recueil L’artiste et le psy­cha­na­lyste offre des pos­si­bi­li­tés de réponse en ren­dant bien compte à tra­vers le point de vue ana­ly­tique des divers auteurs de la fra­gi­li­té du musi­cien et du créa­teur.

Ce sont d’ailleurs ses propres failles qui font de lui l’artiste qu’il est. Il est sans doute périlleux pour l’artiste de jouer sans cesse les funam­bules au-des­sus du gouffre de son exis­tence. Mis à mal dans un prin­cipe de réa­li­té très contrai­gnant, les res­sources internes s’épuisent. L’équilibre jusque-là main­te­nu au gré du vent peut se rompre, en libé­rant alors les forces pul­sion­nelles contraires.

Joyce McDou­gall nous rap­pelle à quel point les artistes sont des êtres vio­lents « en ce qu’ils cherchent à exer­cer leur pou­voir sur le monde exté­rieur, c’est-à-dire à impo­ser leurs pen­sées, leurs images, leurs rêves ou leurs cau­che­mars ». (Mc Dou­gall, 2008/2016, p 13)

Le créa­teur prend sous sa plume les traits d’un vol­can en constante ébul­li­tion qui s’il en est empê­ché, est voué à l’explosion. (Mc Dou­gall, 2008/2016, p 14). Le rap­port ambi­va­lent qu’entretient le musi­cien à son ins­tru­ment ou l’artiste et son œuvre est consti­tu­tion­nelle. « Bien sou­vent, les musi­ciens se plaignent de détes­ter leurs ins­tru­ments autant qu’ils l’aiment. » (McDou­gall, 2008/2016, p17)

L’objet d’une ardente pas­sion peut deve­nir l’engin de tor­ture par excel­lence. Avoir le mal de jouer peut conduire l’artiste à haïr son ins­tru­ment ou sa créa­tion.

Les pul­sions en jeu sont pré­sentes et se main­tiennent intri­quées plus ou moins soli­de­ment chez le sujet. Mais si l’obstacle vient à mettre en péril cet équi­libre, Freud relève que : « La com­po­sante éro­tique n’a, après la subli­ma­tion, plus la force de lier toute la des­truc­tion qui y est adjointe, et celle-ci devient libre comme pen­chant à l’agression et à la des­truc­tion. C’est de cette démix­tion que l’idéal en géné­ral tire­rait ce trait dur, cruel, qu’est le « tu dois » impé­rieux ». (Freud, 1923 b, p297-298)

Les motions pul­sion­nelles se désor­ga­nisent et dans la situa­tion du sujet musi­cien, son uni­ci­té nar­cis­sique vacille. Comme nous le rap­pelle De M’Uzan « (…) l’artiste est d’abord une vic­time et l’exercice de son art, le fait de néces­si­tés rigou­reuses ; l’artiste ne dis­pose que d’une infime liber­té, son des­tin est ori­gi­nel­le­ment fixé. » (De M’Uzan, 2008/2016, p37).

Avec le concept d’« a‑personnalisation » il rend compte de ce pro­ces­sus créa­tif où «  (…) l’intime ne se dis­tingue plus de l’extraterritorial ; fron­tières, limites, sépa­ra­tions se vola­ti­lisent cepen­dant que l’immensité se réduit à une ponc­ture. » (De M’Uzan, 2008/2016, p38)

L’artiste aurait ain­si des limites poreuses qui laissent poten­tiel­le­ment le pul­sion­nel le sub­mer­ger.

Le sur­me­nage va conduire le musi­cien à un désordre iden­ti­taire dont il va avoir maille à par­tir. Au-delà des dou­leurs et de l’épuisement, c’est dans son être pri­mor­dial que l’abîme s’est creu­sé. Les épreuves vont mettre à jour les défaillances et les fra­gi­li­tés du sujet. En deçà du domaine nar­cis­sique, aux confins de l’être, les fon­da­tions ori­gi­nelles se fis­surent.

Michel de M’Uzan pro­pose le concept d’Identital pour évo­quer ce qui a trait aux « fon­de­ments de l’être ». (De M’Uzan, 2008/2016, p40)

« Cet iden­ti­tal concerne l’être même auquel on a sur­tout accès lors de ses défaillances, par exemple à l’occasion de phé­no­mènes de déper­son­na­li­sa­tion, quand tout vacille, que les limites de la per­sonne se perdent (…). » (De M’Uzan, 2008/2016, p40) Mais ces failles indis­pen­sables à l’artiste pour faire vivre son art peuvent dans ce contexte de désordre iden­ti­taire mena­cer « la créa­tion d’un double mis en place aupa­ra­vant pour sor­tir de l’indistinction pre­mière. » (De M’Uzan, 2008/2016, p41)

En effet, ce soi-même archaïque se doit de batailler ferme pour pou­voir « (…) émer­ger d’une enti­té syn­cré­tique confuse que j’ai appe­lée être pri­mor­dial. » (De M’uzan, 2005, p97 et 98)

Sur la ligne de crête, le péril est immi­nent quant à ce double créé pour sor­tir d’un uni­vers indis­tinct de soi. La menace concerne peut-être ain­si l’anéantissement de ce « double-jumeau » (De M’Uzan, 2005, p21) et un retour à un monde aux limites sans réelle étan­chéi­té. L’angoisse exis­ten­tielle qui resur­git dans cette cli­nique touche bien aux contrées les plus loin­taines de soi.

La plon­gée dans les abysses est spec­ta­cu­laire et par­fois fou­droyante. Elle laisse néan­moins la pos­si­bi­li­té au sujet de renouer contact avec ce qui est le plus édi­fiant de lui-même, aux sources de son être le plus intime. Mais une perte de ses limites et un doute iden­ti­taire majeur se mani­festent. Ce qui est alors en jeu a pour­tant deman­dé beau­coup de tra­vail à ce soi-même archaïque. « Il s’agit d’une opé­ra­tion psy­chique com­plexe puisque c’est par l’avènement créa­teur d’un jumeau et d’une rela­tion anta­go­nique avec lui que le soi-même archaïque va pou­voir s’exonérer de l’être pri­mor­dial et for­ger les pré­mices d’une iden­ti­té dis­tinc­tive. Ce double-jumeau, éma­nant d’une acti­vi­té psy­chique ori­gi­nale, tra­duit un tra­vail de « per­son­na­tion » auquel on ne peut sin­gu­liè­re­ment accé­der, par la suite, que lors d’expériences de déper­son­na­li­sa­tion ». (De M’Uzan, 2005, p21)

Les situa­tions extrêmes ou trau­ma­ti­santes ont le poten­tiel de consti­tuer un vec­teur pro­ces­suel à l’émergence de formes archaïques de régres­sions psy­chiques du sujet. Au-delà d’un effon­dre­ment nar­cis­sique, le com­bat haras­sant contre l’indistinction pre­mière fait rage dans ces cir­cons­tances trau­ma­tiques. La lutte est exté­nuante car sans doute les res­sources ont été mises à mal et que le risque de perte est fon­da­men­ta­le­ment effroyable.

« L’artiste, donc, se voit mena­cé par le sys­tème qui, pré­ci­sé­ment, devait le pro­té­ger. Ceci n’a rien de sur­pre­nant si l’on admet avec Freud qu’il est pro­ba­ble­ment doté d’une consti­tu­tion ins­tinc­tuelle anor­ma­le­ment forte et que, par consé­quent, ses sys­tèmes d’adaptation risquent constam­ment d’être mis en échec, de telle sorte qu’il est expo­sé plus que qui­conque aux situa­tions conflic­tuelles. » (De M’Uzan, 1972/1977, p16)

La consti­tu­tion sin­gu­lière du sujet musi­cien le ren­drait ain­si plus vul­né­rable que les autres à cer­taines situa­tions éprou­vantes. Les qua­li­tés récla­mées à l’artiste telles que s’adapter à la vision du com­po­si­teur, rendre sublime à un audi­toire des notes et mesures écrites sur du papier à musique ou encore avoir une sen­si­bi­li­té qui doit engen­drer des émo­tions chez celui qui l’écoute, vont être celles qui risquent de le perdre lorsqu’il est en souf­france. Le stress de sa situa­tion pro­fes­sion­nelle et sur­tout de ses condi­tions d’exercice peuvent lit­té­ra­le­ment le mettre en pièce, bri­sant son sen­ti­ment d’unité. Le risque de régres­sion est d’autant plus impor­tant que les limites nar­cis­siques ont été fran­chies. Il pour­rait dépas­ser la ligne et alors bas­cu­ler de l’autre côté de lui-même.

Que se passe-t-il pour le sujet ayant une fois fran­chi l’autre plan du miroir ?

L’écrivain Lewis Car­roll nous en offre une cer­taine pers­pec­tive avec la créa­tion de son per­son­nage ico­nique d’Alice aux pays des mer­veilles. L’aventure contée de cette fillette résonne avec la poro­si­té des limites du musi­cien et leurs consé­quences.

La traversée du miroir d’Alice au Pays des merveilles

Alice s’est mise à visi­ter les contrées les plus obs­cures et fan­tas­tiques de son propre monde ima­gi­naire en fran­chis­sant le miroir et y vécu une quête regor­geant de richesses.

Mais avant toute chose, au préa­lable de toutes ses aven­tures, d’abord il y a la chute : « Plus bas, tou­jours plus bas. N’en fini­rait-elle donc jamais de tom­ber ? ». (Car­roll, 1865/2009, p 51)

D’abord le sujet se trouve pré­ci­pi­té dans le vide. Un effon­dre­ment qui peut alors paraître sans fin et le plonge dans l’inconnu.

Dans cette aven­ture, le per­son­nage de Car­roll connaît de nom­breux moments éprou­vants et dérou­tants. Sa conti­nui­té d’être s’en trouve elle-même ques­tion­née. Sa taille qui rétré­cit ou s’agrandit sans son contrôle, la manière dont elle est per­çue au tra­vers des yeux de la gale­rie de per­son­nages ren­con­trés sur son che­min la pousse à se perdre un peu plus à chaque expé­rience. Ain­si usée de toutes ces méta­mor­phoses, elle ne sait plus bien qui elle est et si elle se retrou­ve­ra un jour telle qu’elle s’est connue.

Elle qui aimait par­fois jouer à être deux per­sonnes se retrouve dému­nie par ce qui lui reste d’elle-même :

« Mais à quoi bon faire sem­blant à pré­sent d’être deux per­sonnes ! Son­gea la pauvre Alice. Il ne reste même pas assez de moi pour faire une seule per­sonne digne de ce nom. » (Car­roll, 1865/2009, p 56)

Contrainte à trop d’élasticité, son être se réduit comme peau de cha­grin. Le double si dif­fi­ci­le­ment acquis dans les pre­miers âges de vie s’en trouve alors mena­cé. L’artiste qui se départ de lui-même res­sent le désa­grè­ge­ment de sa consis­tance. Peut-être se rap­proche-t-il de trop près de son double en créant ?

« Aux sources fon­cières de l’inspiration ou, mieux, d’un « sai­sis­se­ment auto­ri­taire », il y a donc un désordre. Désordre iden­ti­taire, mais éga­le­ment phé­no­mène de nature « éco­no­mique » d’une gra­vi­té extrême, qui menace même la créa­tion d’un double, mis en place aupa­ra­vant pour sor­tir de l’indistinction pre­mière. » (De M’uzan, 2008/2016, p40 et p41)

Lors de la confron­ta­tion avec la che­nille, Alice montre aus­si le glis­se­ment de soi dans une rup­ture de conti­nui­té : « Hélas ! madame, le « moi » que vous me deman­dez d’expliquer n’existe plus ; Je suis une autre, voyez-vous. » (Car­roll, 1865/2009, p 86)

Com­ment ne pas se perdre en n’ayant plus les moyens d’être dans la même peau ? Alice ne se recon­naît plus au fil de tous ces chan­ge­ments et res­sent l’imposture ou la fal­si­fi­ca­tion de l’être quand on l’y confronte.

Elle se cherche tout au long de son voyage ini­tia­tique sans par­ve­nir à se retrou­ver elle-même à chaque fois. Pour autant, sa curio­si­té n’est en rien alté­rée puisque mal­gré ce qu’elle a vécu dans son rêve, son désir est à nou­veau celui de se frayer un pas­sage de l’autre côté du miroir. En cela le texte écrit après ce pre­mier récit d’Alice aux pays des mer­veilles en est édi­fiant. La suite inti­tu­lée « La tra­ver­sée du miroir et ce qu’Alice trou­va de l’autre côté » montre une Alice déter­mi­née à voir les choses der­rière la paroi gla­cée du miroir et le monde qui peut s’y révé­ler à elle : « Fai­sons comme si la glace était deve­nue comme un rideau de gaze légère, à tra­vers lequel on peut pas­ser. D’ailleurs voi­là qu’il se trans­forme en une sorte de brouillard ! Nous n’aurons pas de mal à le tra­ver­ser… » (Car­roll, 1871/2009, p172)

La peur ne peut en rien rete­nir Alice face à ce mou­ve­ment spé­cu­laire de voir au-delà de son propre reflet. Pour­ra- t‑elle conti­nuer à se voir tou­jours comme elle est une fois s’être tra­ver­sée ?

Le monde de l’indistinct fait retour dans ce pan de l’histoire d’Alice. Les limites s’effacent et révèlent un milieu fon­du et informe. Le pas­sage de l’autre côté se fait retour à la sym­biose, où l’indistinction règne.

« Et assu­ré­ment le Miroir com­men­çait bien à fondre, se dis­si­pant comme une superbe brume argen­tée. » (Car­roll, 1871/2009, p 172)

Cette œuvre lit­té­raire nous éclaire sur ce que le fait de s’approcher de trop près de son double peut mettre en péril. Une fois le seuil fran­chi, les repères volent en éclat et une même per­sonne ne se res­semble plus. Le retour à l’indistinction pri­mi­tive ren­voie à des angoisses archaïques de perte. Les couches suc­ces­sives de fal­si­fi­ca­tion de l’être reviennent avec cru­di­té et ne pro­tègent plus le sujet de se fondre à nou­veau en lui-même. Les feuillets super­po­sés s’envolent et conti­nuer à vivre devient alors presque impos­sible.

Comme l’évoque De M’Uzan sur ce qu’est au fond cette dif­fi­cul­té : « Vivre, c’est-à-dire conti­nuer de res­sai­sir le pas­sé pour le rema­nier indé­fi­ni­ment, pour en construire sans cesse les nou­velles ver­sions, les­quelles, au pas­sage, font sur­gir en pleine lumière, et avec toute leur charge, des véri­tés connues depuis tou­jours et pour­tant fon­ciè­re­ment igno­rées. » (De M’Uzan, 2005, p45-46)

Par ce regard, l’angoisse de se perdre ren­contre éga­le­ment celle de retrou­ver des figures refou­lées très anciennes mais qui n’ont jamais vrai­ment dis­pa­ru. Res­sai­sir les confins de l’être c’est aus­si le risque de faire tom­ber le ou les masques redou­tés mais néces­saires à la conti­nui­té de son exis­tence. La mul­ti­pli­ci­té des pare­ments ajoute au trouble de décou­vrir ce qu’il y a encore der­rière celui qui s’efface. L’artiste Constan­tin Brân­cu­si inter­pelle sur la dupli­ci­té de soi qui est au cœur de la créa­tion : « un dieu qui crée, comme un roi qui com­mande et comme un esclave qui tra­vaille ». (Mari­nov, 2008/2016, p100)

À tra­vers son œuvre, C. Brân­cu­si a ten­té de réunir le dua­lisme du ciel et de la terre par l’évolution de l’oiseau. La coha­bi­ta­tion de ce trio impé­rieux pour la réa­li­sa­tion de ses créa­tions pose le défi de la perte des limites. Le musi­cien va lui aus­si y être confron­té en allant poten­tiel­le­ment au-delà de la dou­leur.

Tra­vailler comme un esclave pour son art peut repré­sen­ter un péril majeur pour le musi­cien. Per­sé­vé­rer mal­gré la dou­leur et de ce qui peut lui en coû­ter peut l’amener sur des sen­tiers dan­ge­reux. Il sait mobi­li­ser des défenses effi­caces mais qui ne se tiennent que jusqu’à épui­se­ment. Le com­po­si­teur Igor Stra­vins­ky décrit le com­bat et les batailles qui sont en jeu dans l’art.

« À la voix qui me com­mande de créer, je réponds d’abord avec effroi, je me ras­sure ensuite en pre­nant pour armes les choses qui par­ti­cipent de la créa­tion mais qui lui sont encore exté­rieurs. » (Stra­vins­ky, 1942/2011, p106)

La lutte est inces­sante et exté­nuante. Mais l’artiste pour­rait-il renier sa nature et ses élans ? L’impulsion est si forte qu’elle ne laisse pas le choix de mobi­li­ser toutes les puis­sances dis­po­nibles.

« Créa­ture moi-même, je ne peux pas ne pas avoir le désir de créer. » (Stra­vins­ki, 1942/2011, p95). La pul­sion créa­trice est un fleuve qui peut se faire tor­rent même après avoir presque dis­pa­ru par moments. Il ne se tari jamais vrai­ment et ne demande qu’à tout empor­ter sur son pas­sage. Créer ne serait pas ain­si se recréer à soi-même indé­fi­ni­ment et inces­sam­ment ? Après chaque bataille per­due et chaque deuil impos­sible de soi ? Se recréer per­pé­tuel­le­ment montre des mou­ve­ments en jeu dans la rela­tion avec la mise en abîme de son double. Au plus près ou au plus loin, se créer pour s’en éloi­gner et en même temps le gar­der en son for inté­rieur pour tou­jours.

Tra­ver­ser le miroir et pou­voir en reve­nir, telle est la ten­ta­tive déses­pé­rée du musi­cien épui­sé. Selon ce qu’il va y trou­ver der­rière, il en revien­dra plus aguer­ri que jamais ou alors dilué dans les ondes pre­mières. La curio­si­té semble être un moteur pré­cieux pour retrou­ver une mobi­li­té pul­sion­nelle et renouer avec ce qui s’est dés­in­tri­qué dans cet âpre com­bat inté­rieur.

« La fonc­tion de créa­teur est de pas­ser au crible les élé­ments qu’il en reçoit, car il faut que l’activité humaine s’impose à elle-même ses limites. Plus l’art est contrô­lé, limi­té, tra­vaillé et plus il est libre. » (Stra­vins­ki, 1942/2011, p105)

La double bataille du musicien en surmenage

Domp­ter toutes ces motions pul­sion­nelles contraires paraît être un défi per­ma­nent pour l’artiste.

« Or l’art est le contraire du chaos. Il ne s’abandonne pas au chaos sans se voir immé­dia­te­ment mena­cé dans ses œuvres vives, dans son exis­tence même. » (Stra­vins­ky, 1942/2011, p69)

L’équilibre entre toutes ces forces inté­rieures est fra­gile. Le musi­cien réa­lise sa pro­phé­tie en incar­nant qui il se pense être. Il ne recule pas devant les dif­fi­cul­tés, par­fois il les devance puisqu’elles appar­tiennent à son par­cours. Repous­ser les limites sans bri­ser les rem­parts est un enjeu majeur pour le musi­cien.

« Nous fouillons donc dans l’attente de notre plai­sir, gui­dés par notre flair et sou­dain nous nous heur­tons à un obs­tacle incon­nu. Nous en éprou­vons une secousse, un choc et ce choc féconde notre puis­sance créa­trice. » (Stra­vins­ki, 1942/2011, p99)

L’art de créer se nour­ri­rait ain­si de ce qui s’oppose à lui. La lutte se super­po­se­rait alors au com­bat inté­rieur qui se joue déjà. Le musi­cien en burn-out semble por­ter en lui cette double bataille qui l’a menée à son épui­se­ment.

La com­plexi­té du trouble et la longue durée avant le réta­blis­se­ment du sujet découlent de ces pro­ces­sus tant internes qu’externes qui se confrontent. Les motions pul­sion­nelles qui y sont à l’œuvre semblent venir d’en deçà du stade du miroir. Sur les rives des « confins de l’être » décrits par De M’Uzan, le musi­cien exté­nué a per­du ses contours. Faire face à son double fal­si­fié en le ren­con­trant à nou­veau per­met de mesu­rer l’archaïsme des mou­ve­ments psy­chiques en jeu. Il peut aus­si repré­sen­ter la ponc­ture dans cet « enfer de la créa­ti­vi­té » (De M’Uzan, 2008/2016, p.35) par où le sujet peut trou­ver le moyen de se res­sai­sir. La capa­ci­té à s‘appréhender dans toute sa mul­ti­pli­ci­té peut-être une des voies de réso­lu­tion envi­sa­geables.

Le musi­cien sur­me­né pour­rait ain­si pui­ser dans ce miroir tra­ver­sé un nou­vel élan pour se réin­ven­ter lui-même.


Biblio­gra­phie

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