L’après-coup et l’« en-deux-temps » de la pensée humaine et du désir

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Ce texte est issu de la confé­rence pré­pa­ra­toire au Col­loque de St Malo ( Sep­tembre 2021) le 15 Jan­vier 21.

Je vou­drais com­men­cer en m’étonnant au sens le plus posi­tif du terme, en m’émerveillant de la vie psy­chique, de ses capa­ci­tés à pro­duire une infi­ni­té, une diver­si­té et une vita­li­té de conte­nus les plus impré­vi­sibles, depuis les pen­sées-repré­sen­ta­tions, les pen­sées-affects, pen­sées-émo­tions, pen­sées-sen­ti­ments, les pen­sées-sen­sa­tions, les pen­sées-sen­sua­li­té et éro­gé­néi­té. J’accorde à ces der­nières une place en exergue car c’est la plus oubliée alors qu’elle est à la nais­sance de la psy­cha­na­lyse par le biais de l’hystérie.

Du point de vue de la pen­sée, la psy­cha­na­lyse pré­sente plus que toute autre science, une étroite proxi­mi­té avec son objet d’étude puisque celui-ci, la pen­sée, uti­lise comme outil pour mener cette étude, l’appareil à pen­ser, et comme méthode, la pen­sée elle-même. Il n’y a cer­tai­ne­ment aucune autre science où l’on puisse retrou­ver cet iso­mor­phisme entre l’étudié, l’étudiant et l’étude. Il s’agit donc de la pen­sée pen­sant le pen­ser. Cette réa­li­té est à recon­naitre plu­tôt que d’en tirer argu­ment pour exclure la vie psy­chique des sciences de la nature. Un des effets de cet iso­mor­phisme est de ren­for­cer le tra­vail de défor­ma­tion propre à la vie psy­chique, tra­vail sur ce qui est actif en son sein tout en étant hété­ro­gène à ce qui s’implique dans ses expres­sions.
Toutes ces moda­li­tés du pen­ser n’existent véri­ta­ble­ment que dans la mesure où elles peuvent être énon­cées, donc liées aux mots. Leur ins­crip­tion n’existe que par ce lien au lan­gage, en fait un lien poten­tiel au lan­gage que la psy­cha­na­lyse sou­haite rendre effi­cient en l’obligeant à deve­nir mani­feste en séance, lien qui conti­nue évi­dem­ment d’exister lorsque la pen­sée se fait en silence, et qui signale ses limites lors de cer­taines situa­tions de la vie dans les­quels les mots viennent à man­quer.

Donc mon éton­ne­ment et mon émer­veille­ment pour les capa­ci­tés du psy­chisme à pro­duire des après-coups les plus inat­ten­dus, qu’il s’agisse de symp­tômes ou d’œuvres appe­lées à deve­nir immor­telles.
Cette façon de conce­voir les pro­duc­tions du psy­chisme signi­fie que le monde des humains est un immense champ séméio­lo­gique au sein duquel se dif­fé­ren­cient les après-coups en fonc­tion de l’accomplissement plus ou moins abou­ti du pro­cès de l’après-coup, par lequel sera réa­li­sé la modi­fi­ca­tion de l’économie régres­sive, l’utilisation des ten­dances extinc­tives et le déploie­ment des impé­ra­tifs d’inscription jusqu’à la pro­duc­tion d’une prime de désir ouverte selon des des­tins mul­tiples, aux objets et au monde.

Mon émer­veille­ment tient aus­si au fait que ce pro­cès nous fonde, qu’il est le même chez tout un cha­cun, et qu’en même temps nous n’aboutissons pas tous aux mêmes résul­tats. Qu’avec des élé­ments de base sem­blables, se réa­lisent des des­tins si dif­fé­rents. Il est pos­sible d’envisager que nous sommes sur­tout égaux par les néces­si­tés qui nous occupent, et que nous nous dif­fé­ren­cions par les réponses que nous pou­vons accor­der à celles-ci. Bien sûr des dif­fé­rences au sein de ces néces­si­tés peuvent être envi­sa­gées telles que l’intensité et la force des attrac­tions réduc­trices et des exten­sions infi­nies propres aux pul­sions ; notre sen­si­bi­li­té à ces attrac­tions néga­tives sont cer­tai­ne­ment dif­fé­rentes ; tou­te­fois les dif­fé­rences majeures semblent sur­tout tenir à nos impé­ra­tifs d’inscription. Si les pro­ces­sus enga­gés dans le tra­vail de l’après-coup ne relèvent pas du moi, ils ne s’installent que par un détour iden­ti­fi­ca­toire à un autre, à sa pro­ces­sua­li­té psy­chique qui par­ti­cipe à la sur­dé­ter­mi­na­tion de leur pro­duc­tion.
L’émerveillement signa­lé à plu­sieurs reprises vient donc du fait que pour une grande part le pro­cès de l’après-coup se déroule dans la pas­si­vi­té, une pas­si­vi­té néan­moins orien­tée par son objec­tif ; la cause finale ou l’accomplissement sont des attrac­teurs impli­qués.

Les pro­ces­sus eux-mêmes, ceux enga­gés au sein de l’après-coup, échappent au moi et nous consti­tuent en même temps en tant que sujet. Les méca­nismes du rêve ne dépendent en effet pas de notre volon­té ni de notre his­toire. Mais la réa­li­sa­tion même de ces pro­ces­sus par le biais du pro­cès de l’après-coup implique notre his­toire et notre volon­té, ce que l’on peut qua­li­fier de cou­rage.
Venons-en au pro­cès de l’après-coup lui-même, la Nach­trä­gli­ch­keit. Je vais uti­li­ser l’histoire de ce concept en tant que réa­li­té cli­nique afin de vous trans­mettre ma façon de pen­ser le fonc­tion­ne­ment psy­chique, c’est à dire ce qui fonde la pen­sée et le désir.

Nach­trä­gli­ch­keit

Le sub­stan­tif Nach­trä­gli­ch­keit est l’un des concepts majeurs créés par Freud et appar­te­nant au cor­pus théo­rique le plus fon­da­men­tal de la méta­psy­cho­lo­gie.
En fran­çais, il est tra­duit par « l’après-coup ». Le mot fran­çais est par­fois uti­li­sé dans la lit­té­ra­ture psy­cha­na­ly­tique anglo­phone car il n’y pas de bonne tra­duc­tion en anglais – idem dans d’autres langues, l’italien, l’espagnol, le por­tu­gais. En fait la tra­duc­tion fran­çaise n’est pas meilleure, mais son his­toire fait qu’il est iden­ti­fié comme une spé­ci­fi­ci­té de la psy­cha­na­lyse fran­çaise du fait de sa renais­sance par Lacan mais sur­tout du fait qu’il trouve ses pre­miers linéa­ments chez Char­cot. Les auteurs anglo­phones uti­lisent after-effect ou defer­red-action, par­fois after­ward­ness.

Selon sa méthode fami­lière, Freud forge ce terme à par­tir d’un adjec­tif et adverbe de la langue com­mune alle­mande, Nach­trä­glich.
Nach­trä­glich et ses déri­vés, sont réper­to­riés envi­ron 160 fois dans l’œuvre de Freud ; 6 pour le sub­stan­tif Nach­trä­gli­ch­keit, les autres pour l’adverbe et l’adjectif ; plus cinq uti­li­sa­tions du sub­stan­tif dans la lettre à Fließ n° 146 du 14.11.1897, et une autre occur­rence dans celle n° 169 du 9.06.1898.
Nach­trä­gli­ch­keit arti­cule en alle­mand Nach : après, et Tra­gen : tirer, por­ter, sup­por­ter. Sur le plan sémio­tique, il signi­fie por­ter vers un après. L’ajout de keit lui confère le genre fémi­nin.

Sous la plume de Freud, le sub­stan­tif Nach­trä­gli­ch­keit désigne pro­gres­si­ve­ment un pro­cès psy­chique incons­cient en deux temps et ses résul­tats mani­festes, amor­cé par un évé­ne­ment ayant une valeur trau­ma­tique, un « choc » qui devien­dra un « cho­quant » puis une pro­prié­té pul­sion­nelle, sa ten­dance extinc­tive ; de façon plus pré­cise l’après-coup est une pro­cé­dure dyna­mique qui arti­cule un évè­ne­ment trau­ma­tique – le terme évé­ne­ment ne disant rien sur ce qui est à son ori­gine -, son refou­le­ment durant une période plus ou moins longue, un tra­vail psy­chique régres­sif inap­pa­rent trans­for­mant l’économie libi­di­nale régres­sive qui s’est mani­fes­tée par ledit évé­ne­ment et pas son refou­le­ment, et les retours post­humes de celui-ci selon des for­ma­tions psy­chiques sub­sti­tu­tives et mani­festes variables. L’utilisation du terme post­hume, annonce l’intuition de Freud quant à l’implication d’une opé­ra­tion de meurtre dans la dyna­mique refou­le­ment-retour du refou­lé. Une ana­lo­gie est sug­gé­rée avec le couple dis­pa­ri­tion-résur­rec­tion.
L’adjectif et l’adverbe Nach­trä­glich sou­lignent l’agencement dia­chro­nique du pro­cès en deux temps, et le lien de cau­sa­li­té et de déter­mi­nisme qui existe entre eux.

L’après-coup est donc un pro­ces­sus (Pro­ceβ) qui se déroule en deux temps mani­festes et un temps latent, et qui réa­lise un tra­vail enga­geant des pro­ces­sus psy­chiques incons­cients (Vor­gang). La langue alle­mande offre deux mots pour dif­fé­ren­cier pro­ces­sus-dérou­le­ment et pro­ces­sus-opé­ra­tion psy­chique.
Des équi­va­lents sont aus­si uti­li­sés par Freud : post-effet, post-action, ex post1 , ain­si que des expres­sions uti­li­sant l’adverbe : abréac­tion après coup, com­pré­hen­sion, éla­bo­ra­tion, com­pul­sion, obéis­sance, action, effet après coup, etc.
Sou­li­gnons que Freud se réfère beau­coup plus fré­quem­ment à ce pro­cès en deux temps qu’il n’utilise le sub­stan­tif Nach­trä­gli­ch­keit lui-même.
Dans le Pro­jet, seul l’adverbe appa­raît à pro­pos de Emma. Freud insiste sur la pré­co­ci­té de la déliai­son sexuelle (la séduc­tion qui psy­cha­na­ly­ti­que­ment désigne une sol­li­ci­ta­tion d’un désir incons­cient) et ses consé­quences après coup. Puis, en 1896, il parle de l’action post­hume d’un trau­ma infan­tile. En 1897, il forge le sub­stan­tif dans ses lettres à Flieβ. Dans Le Petit Hans (1909), ses inter­pré­ta­tions suivent les logiques de l’après-coup, sans qu’il uti­lise le terme ; ce qui ne sera pas le cas dans le texte sur L’homme aux loups (1914)  dans lequel il com­plexi­fie ce concept, en envi­sa­geant que les séances elles-mêmes et le trans­fert sont des après-coups néces­saires au but de la cure ; enfin, phé­no­mène remar­quable, à par­tir de 1917 Nach­trä­gli­ch­keit dis­pa­raît sous sa plume, alors que l’implication d’un pro­cès en deux temps aug­mente en fré­quence avec l’arrivée du com­plexe de cas­tra­tion en deux temps ; ain­si en 1925, il arti­cule les vu et enten­du de ce der­nier sans uti­li­ser le terme d’après-coup.

Freud crée ce concept alors que sa recherche est domi­née par sa pré­oc­cu­pa­tion étio­lo­gique. Celle-ci entre en iso­mor­phie avec la ten­dance déjà obser­vée par Breuer, à se remé­mo­rer selon un che­mi­ne­ment tem­po­rel à rebours. Breuer avait décrit une rétro­gres­sion 2 qui lui avait per­mis de conce­voir la méthode cathar­tique. Freud emboîte le pas à cette régres­sion tem­po­relle et lui adjoint une obli­ga­tion de ver­ba­li­sa­tion, donc de pro­duc­tion d’après-coup ver­baux. Il uti­lise cette ten­dance à régres­ser, asso­ciée à une contrainte à sou­te­nir ver­ba­le­ment un lien avec la conscience, au ser­vice du but thé­ra­peu­tique. Il pro­meut ain­si une nou­velle méthode, la cure psy­cho-ana­ly­tique défi­nie par son pro­to­cole, sa règle fon­da­men­tale et un tra­vail psy­chique spé­ci­fique, le tra­vail de l’après-coup.

Dès son obser­va­tion de Emma, dans Le pro­ton pseu­dos hys­té­rique3 , Freud décrit l’après-coup avec pré­ci­sion en se cen­trant sur la régres­sion tem­po­relle des séances. Il décom­pose alors le temps 1, celui du coup, en deux scènes rétro­grades, une scène I récente et remé­mo­rable, et une scène II anté­rieure, incons­ciente au sens strict. Il reprend ain­si la théo­rie trau­ma­tique de Char­cot qu’il a déjà expo­sé dans les Etudes sur l’hystérie, avec la for­ma­tion dia­chro­nique des symp­tômes en deux temps, mais il pri­vi­lé­gie le à rebours de la remé­mo­ra­tion cathar­tique. Il inverse alors le cours du temps. Il nomme scène I la scène récente, « Le sou­ve­nir de la moque­rie des com­mis lors de l’entrée de Emma à 13 ans dans une bou­tique », et scène II, celle ancienne, « Le sou­ve­nir refou­lé des attou­che­ments subis par Emma dans une autre bou­tique quand elle avait 8 ans ». Le temps 2, symp­to­ma­tique, est l’ago­ra­pho­bie quant à entrer seule dans une bou­tique. Les deux temps sont sépa­rés par un temps de latence.

C’est en effet Char­cot qui avait décrit l’organisation tem­po­relle des symp­tômes hys­té­riques en deux temps avec un troi­sième, dit d’incubation ou d’élaboration psy­chique, situé entre le coup trau­ma­tique (le choc), et l’après mani­feste (le symp­tôme).
En tant qu’élève de Char­cot (Freud fut son tra­duc­teur en alle­mand), et sou­cieux de libé­rer les troubles psy­chiques de l’impasse étio­lo­gique de la dégé­né­res­cence, Freud prend au sérieux les repères tem­po­rels de la concep­tion du Maître de la Sal­pê­trière. Son inté­rêt se porte alors sur l’entre-deux-temps, et le tra­vail psy­chique inap­pa­rent qui s’y déroule.

L’interprétation du rêve naît de cette atten­tion que porte Freud au tra­vail psy­chique spé­ci­fique qui se déroule durant le temps inter­mé­diaire dénom­mé par Char­cot, période d’élaboration psy­chique ou d’incubation psy­chique, et que Freud renomme, période de latence., ce qui lui per­met de tenir compte d’une nou­velle opé­ra­tion psy­chique, banale et quo­ti­dienne, la mise en latence. Une période de latence est aisé­ment obser­vable au sein du déve­lop­pe­ment de la sexua­li­té humaine avec son dipha­sisme, mais aus­si dans le fonc­tion­ne­ment men­tal ordi­naire. La mise en latence est une opé­ra­tion impli­quée dans la doc­trine du rêve, dans l’oscillation du jour et de la nuit, et tout par­ti­cu­liè­re­ment obser­vable par ses effets après coup durant les séances d’hypnose et d’analyse. Les entre-deux que sont la nuit et la séance d’analyse consti­tuent des périodes de latence occu­pées par un tra­vail psy­chique spé­ci­fique incons­cient. Le tra­vail de rêve et ses résul­tats, la régé­né­ra­tion libi­di­nale du réveil, le sou­ve­nir et le récit de rêve, deviennent des pro­to­types des acti­vi­tés psy­chiques régres­sives réa­li­sées dans la pas­si­vi­té de la latence.

La logique de la régres­sion tem­po­relle asso­cia­tive, scène I récente – scène II ancienne, s’inscrit dans le pro­cès de remé­mo­ra­tion qui suit la voie régré­diente. Pour Freud, seule l’expression mani­feste du symp­tôme est sur la voie pro­gré­diente.
La remé­mo­ra­tion arti­cule l’adolescence à l’enfance, en par­tant de l’adolescence. C’est la pré­co­ci­té sexuelle du coup trau­ma­tique II qui se réac­tua­lise en I à l’occasion de l’éveil pul­sion­nel de la puber­té. La dimen­sion sexuelle com­mune entre II et I appa­raît clai­re­ment.

Ce qui est nom­mé après-coup et coup varie donc selon le point de vue sui­vi, celui de la genèse du symp­tôme ou celui du dis­cours des séances. Selon la logique du choc, c’est l’apparition du symp­tôme qui est l’effet d’après-coup. Selon la logique de la recherche cathar­tique, ce sont les sou­ve­nirs suc­ces­sifs qui, à par­tir du symp­tôme, sont des après-coups ; et selon la logique psy­cha­na­ly­tique « chaque remé­mo­ra­tion est un après-coup d’un sou­ve­nir incons­cient ayant acquis, dans l’après-coup de son refou­le­ment, la valeur de coup trau­ma­tique » (1895). Dans le pre­mier modèle, le coup est lié à un évé­ne­ment trau­ma­tique, dans le second au sou­ve­nir, dans le troi­sième au trans­fert sur l’analyse de l’attraction régres­sive et de l’impératif de ver­ba­li­sa­tion.

Freud géné­ra­lise ensuite ce modèle à l’ensemble des sou­ve­nirs et des retours du refou­lé. La notion de retour devient corol­laire de celle d’après-coup. Dans l’homme aux loups, la séance n’est plus seule­ment pro­mo­trice d’après-coups, elle devient elle-même, ain­si que le trans­fert, un après-coup.
Mais la situa­tion ana­ly­tique super­pose et entre­mêle les effets d’après-coup sin­gu­liers de chaque pro­ta­go­niste ; d’où la créa­tion d’une néo-pro­duc­tion, l’après-coup ana­ly­tique, ce moi – non-moi propre à la séance, néo-réa­li­té grosse de rémi­nis­cences croi­sées (la chi­mère de De M’Uzan, le tiers ana­ly­tique de Ogden, l’objet ana­ly­tique de Green).
L’après-coup ana­ly­tique est le levier de l’effet thé­ra­peu­tique. Il s’inscrit, en chaque séance, au sein de séquences et de l’ensemble de la cure. Le contre-trans­fert de pré­ces­sion de chaque ana­lyste y est impli­qué selon des moda­li­tés émo­tion­nelles, figu­ra­tives et théo­riques, diver­se­ment mêlées.
L’attraction régres­sive favo­rise en séance, la réac­tua­li­sa­tion de l’effet trau­ma­tique via la remé­mo­ra­tion, la répé­ti­tion et la construc­tion. Les pro­duits de l’après-coup sont des rémi­nis­cences sur­dé­ter­mi­nées. La concep­tion de la rémi­nis­cence géné­ra­li­sée (Freud 1937) implique les notions de réa­li­té his­to­rique, de traces onto et phy­lo­gé­né­tiques et, par la fonc­tion de l’après-coup, de véri­té his­to­rique pro­duite par la psy­ché.

C’est l’élaboration, en 1920, d’une qua­li­té fon­da­men­tale de la pul­sion, la ten­dance au retour à un état anté­rieur jusqu’à l’inorganique, qui est déter­mi­nante dans la dis­pa­ri­tion de l’utilisation du concept d’après-coup par Freud. Le pri­vi­lège accor­dé au signi­fié pro­gré­dient par le terme Nach­trä­gli­ch­keit, ne tient pas assez compte de l’autre aspect du pro­cès, le rôle majeur du tra­vail psy­chique régres­sif réa­li­sé par le pro­cès de l’après-coup sur les aspi­ra­tions régres­sives trau­ma­tiques, aspect essen­tiel qui est rem­pli quo­ti­dien­ne­ment par la fonc­tion oni­rique vis à vis des nom­breux inci­dents trau­ma­tiques de la veille.
Relié dans un pre­mier temps à la seule genèse du symp­tôme hys­té­rique, le pro­cès de l’après-coup devient donc pro­gres­si­ve­ment le propre du bipha­sisme de la sexua­li­té humaine, arti­cu­lant la période oedi­pienne à la puber­té, entre­cou­pées de la période de latence. Puis il s’étend au fonc­tion­ne­ment men­tal ordi­naire, et à l’oscillation entre la nuit et le jour, impli­quant tant la voie régré­diente que celle pro­gré­diente. Ain­si, sa géné­ra­li­sa­tion se ren­force-t-elle au moment où l’usage du terme lui-même s’interrompt.

Le des­tin de ce concept, avec son émer­gence et sa dis­pa­ri­tion qui suivent la réa­li­té pro­ces­suelle en deux temps qu’il désigne, peut s’expliquer par l’intériorisation de la notion de trau­ma­tisme au sein de la méta­psy­cho­lo­gie. Après avoir été liée à une séduc­tion (1895) enga­geant un autre, le séduc­teur, cen­sé pré­ci­pi­ter la tem­po­ra­li­té du déve­lop­pe­ment de la sexua­li­té et du moi, par pré­co­ci­té de la pre­mière ou pré­ma­tu­ri­té du second, la défi­ni­tion du trau­ma­tique évo­lue dans l’œuvre de Freud vers un conflit de resexua­li­sa­tion du nar­cis­sisme sous l’influence des reven­di­ca­tions pul­sion­nelles – le conflit pul­sion sexuelle – pul­sion du moi -, selon la voie de l’intrusion ou de l’aspiration néga­tive par le refou­lé ori­gi­naire. Cette concep­tion renoue avec celle pré­sente dans les Etudes sur l’hystérie d’un noyau trau­ma­tique attrac­teur sou­mis au refou­le­ment. Freud ajoute que ce refou­le­ment se fait sous l’influence de l’attraction néga­tive d’un incons­cient pri­maire voire ori­gi­naire (1914, 1915).

A par­tir de 1917, cette néga­ti­vi­té du trau­ma­tique ne cesse de prendre de l’ampleur du fait de l’étude des névroses de guerre. La recon­nais­sance d’une névrose trau­ma­tique échap­pant au prin­cipe de plai­sir, s’ensuit ; ce qui remet par­tiel­le­ment en cause la doc­trine du rêve.
En 1920 Freud relie la notion de trau­ma­tisme à une qua­li­té inhé­rente à la nature des pul­sions elles-mêmes, leur ten­dance géné­rique au retour à un état anté­rieur jusqu’à l’inorganique. La dimen­sion trau­ma­tique s’intériorise. L’événement devient endo-psy­chique. Il peut être déclen­ché par un évé­ne­ment exté­rieur, un « trau­ma », mais aus­si être d’origine endo­gène. Cette attrac­tion néga­ti­vante recherche et trouve voire crée, se trans­pose sur et coopte un évé­ne­ment exté­rieur per­met­tant l’élaboration d’une fausse liai­son, une théo­rie cau­sale dans le but de modi­fier cette éco­no­mie régres­sive au pou­voir néga­ti­vant. L’attraction néga­tive perd alors toute butée. La régres­sion ne s’arrête plus au sou­ve­nir de la scène de séduc­tion (1895) avec retrou­vailles de sa per­cep­tion, ou au retour au nar­cis­sisme abso­lu du giron mater­nel (1914). Se des­sine une régres­si­vi­té extinc­tive (B. Cher­vet, 2005) qui exige en contre-point l’intervention d’un impé­ra­tif d’inscription (B. Cher­vet, 2009) et d’élaboration psy­chique sous l’égide du sur­moi et de ses formes inchoa­tives (impé­ra­tif de rete­nue, cen­sure du rêve, etc.). C’est ce tra­vail qui est réa­li­sé par le pro­cès de l’après-coup.

Ce der­nier trouve alors sa fonc­tion, et les rai­sons d’être de sa forme spé­ci­fique en-deux-temps, deux temps mani­festes et un entre-temps latent. L’après-coup est la méthode dont dis­pose l’appareil psy­chique pour trai­ter cette qua­li­té pri­mi­tive des pul­sions sol­li­ci­tée par les nom­breux trau­mas quo­ti­diens, et pour ins­tal­ler le prin­cipe de plai­sir puis le juge­ment de réa­li­té.
Pour réus­sir cette mis­sion, le pro­cès se com­pose donc de trois temps avec trois opé­ra­tions. Il suit dans un pre­mier temps la voie régre­diente, puis mute l’économie libi­di­nale régres­sive et l’oriente enfin sur la voie pro­gré­diente. Il ins­crit alors cette der­nière dans le psy­chisme en motions pul­sion­nelles reprises par le désir humain et ses mul­tiples des­tins. Il est ani­mé par une attrac­tion régres­sive et par un impé­ra­tif à pro­duire un maté­riau pro­gré­dient apte à être pré­sen­té à la conscience. Il s’avère être le modèle d’un fonc­tion­ne­ment men­tal idéal, donc une réfé­rence pour toute éva­lua­tion d’un maté­riau psy­chique.

Mais l’histoire de ce concept ne s’arrête pas là. Il suit une tra­jec­toire qui com­plète la mise en acte de ce qu’il désigne. Après un pre­mier temps d’émergence offi­cielle, et une dis­pa­ri­tion pas­sée inaper­çue, il refait sur­face en France avec Jacques Lacan. Sui­vant la même méthode que Freud, Lacan forge le sub­stan­tif d’après-coup sur la base de l’adverbe et adjec­tif après coup. Plus tard Jean Laplanche pro­po­se­ra de sta­bi­li­ser les ortho­graphes et de réser­ver le tiret au sub­stan­tif ; l’après-coup et après coup.
Il devient alors un concept fon­da­men­tal de la psy­cha­na­lyse fran­çaise, renouant ain­si avec les ori­gines fran­çaises (Char­cot) du pro­cès lui-même et son en-deux-temps.

Grâce à ce rehaus­se­ment du Nach­trä­glich, Lacan dénonce le rava­le­ment subi par la psy­cha­na­lyse dans les années post-guerre, mar­quée d’un géné­tisme psy­cho­lo­gi­sant et déve­lop­pe­men­tal, d’une théo­rie de la tem­po­ra­li­té linéaire et chro­no­lo­gique. Par son style même, Lacan tente de se sai­sir du pro­cès de l’après-coup. Prô­nant à juste tire un retour à Freud, il sou­tient que l’après-coup est « tou­jours à recom­men­cer » (1972) ; « La nature de la construc­tion du symp­tôme est d’être nach­trä­glich » (1956) ; « Tout dis­cours doit être for­cé de tou­jours se reprendre au prin­cipe, comme nach­trä­glich, après coup » ; « Le nach­trä­glich (rap­pe­lons que nous avons été le pre­mier à l’extraire du texte de Freud), le nach­trä­glich ou après-coup selon lequel le trau­ma s’implique dans le symp­tôme, montre une struc­ture tem­po­relle d’un ordre plus éle­vé »4   [que la rétro­ac­tion]. Et se réfé­rant aux deux temps et à la mise en latence, il écrit : « L’après fai­sait anti­chambre, pour que l’avant pût prendre rang » (1966, p. 197).

Lacan per­çoit par­fai­te­ment le rava­le­ment que subit la notion d’après-coup quand elle est réduite à un adverbe de temps et à une déter­mi­na­tion linéaire entre deux évé­ne­ments suc­ces­sifs. Tou­te­fois il se détourne des impli­ca­tions éco­no­miques du pro­cès de l’après-coup eu égard au réel du trau­ma­tique qu’il réa­lise grâce à son tra­vail régres­sif ; et il n’insiste que sur le rôle de la sur­dé­ter­mi­na­tion impli­quée dans la chaîne ver­bale « par l’après-coup de sa séquence » (1958). Nous retrou­vons ain­si au cœur de la cau­sa­li­té laca­nienne une pri­mau­té accor­dée à la tem­po­ra­li­té pro­gré­diente.

L’après-coup est alors une restruc­tu­ra­tion des évé­ne­ments pas­sés, une resub­jec­ti­va­tion d’un pas­sé incons­cient qui se trans­crit dans une for­ma­tion de l’inconscient. Plus tard Lacan pro­pose en tant que figu­ra­tion du pro­cès de l’après-coup, l’image du tore. La parole de séance devient des tours de dire ren­dus néces­saires par la pré­sence en ce tore d’une cou­pure, d’une fente, la divi­sion du sujet. Ces tours de dire per­mettent que ce tore se fasse bande de Möbius et mes­sage énon­çable. L’après-coup est alors figu­ré par les contor­sions, ren­ver­se­ments et inver­sions de ces tours de dire.
Lacan qua­li­fie la cau­sa­li­té psy­chique de l’après-coup de « cir­cu­laire et non réci­proque », per­ce­vant bien la dis­sy­mé­trie exis­tant entre les deux scènes II et I, de même qu’en séance, entre les deux pro­ta­go­nistes.

Toute la psy­cha­na­lyse fran­çaise de la seconde moi­tié du 20° siècle a pro­fi­té de cette inci­ta­tion insuf­flée par Lacan. Nom­breux sont les auteurs fran­çais qui ont appro­fon­dies la notion d’après-coup (C. Le Guen, J. Laplanche, B. Cher­vet, J. André), ou uti­li­sé ce concept au sein de leur tra­vaux sur le fonc­tion­ne­ment psy­chique, la cau­sa­li­té, la tem­po­ra­li­té, etc. (M. Fain, D. Braun­sch­weig, A. Green, J. Guillau­min, M. Ney­raut, Ilse Barande, etc.). Toute la psy­cha­na­lyse fran­çaise se réfère avec faci­li­té à ce concept, le limi­tant sou­vent à ses défi­ni­tions tem­po­relles.
Laplanche sui­vra aus­si la concep­tion de Lacan en l’intégrant dans sa théo­rie per­son­nelle d’une séduc­tion géné­ra­li­sée, dans laquelle les mes­sages mater­nelles implan­tés en tant qu’inconscient de l’enfant ne cessent de pro­duire des après-coups, des tra­duc­tions suc­ces­sives, du fait de leur valence énig­ma­tique liée à leur nature sexuelle. Le trans­fert devient un infi­ni trans­fert de trans­fert.

Dans la suite de cette dyna­mique émer­gence – dis­pa­ri­tion – retour, il convient de sou­li­gner que l’après-coup est deve­nu un concept schib­bo­leth entre la psy­cha­na­lyse fran­çaise et celle anglo-saxonne. Certes M. Klein et ses suc­ces­seurs se sont-ils plus par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sés au pre­mier temps du coup et aux vécus d’effroi et de ter­reur qui l’accompagnent, donc à une situa­tion de névrose trau­ma­tique dans laquelle le pro­cès d’après-coup n’est pas effi­cient.

Si pour la psy­cha­na­lyse fran­çaise, l’archaïque est construit après coup (A. Green), pour les écoles anglo-saxonnes il est déjà-là, et il convient de lut­ter contre les angoisses pri­mi­tives désor­ga­ni­sa­trices. Domine le modèle du com­men­sa­lisme (Bion) et du sou­tien du déve­lop­pe­ment et de l’accomplissement, beau­coup plus que celui de l’élaboration et de la per­la­bo­ra­tion par la fré­quen­ta­tion de la voie régres­sive et de l’interprétation de ce néga­ti­vant attrac­teur. Il convient de lut­ter grâce à une géné­ra­ti­vi­té (Win­ni­cott) contre un éprou­vé sen­so­riel trau­ma­tique de base. Le rap­port à la dou­leur et au maso­chisme de fonc­tion­ne­ment, au deuil et à l’objet per­du, est domi­né par la régres­sion à la dépen­dance et par la trans­for­ma­tion des réponses de l’entourage. L’attention se porte sur l’expérience émo­tion­nelle entre l’analyste et l’analysant, qui peut être pen­sée en termes d’après-coup ana­ly­tique. Bion place les pro­cès de trans­for­ma­tion, ins­tau­ra­teurs de la fonc­tion alpha et des élé­ments du même nom, dans la rêve­rie mater­nelle, dans un en-dehors entre-deux. Les notions de secours, d’objet secou­rable, d’identifications pro­jec­tives posi­tives et néga­tives, y trouvent leur cohé­rence et jus­ti­fi­ca­tion.

La dyna­mique d’un tel après-coup englo­bant les deux pro­ta­go­nistes de la cure a fait l’objet de nom­breux tra­vaux. Sont concer­nés l’espace et l’objet tran­si­tion­nel de Win­ni­cott, la chi­mère de M. de M’Uzan, l’objet ana­ly­tique de A. Green, le tiers ana­ly­tique de T. Ogden. C’est ce résul­tat de l’après-coup qui est visé par les tra­vaux sur la tran­si­tion­na­li­té et le jeu, sur l’animisme à deux et le tra­vail en double (C. et S. Botel­la).
Se réfé­rant au site ana­ly­tique, J‑L. Don­net insiste sur la dimen­sion aléa­toire de l’effectuation de l’après-coup, qui rentre dès lors en conflit avec le déter­mi­nisme qui pèse sur ce pro­cès, ame­nant le sujet à trou­ver-créer ou non les per­cep­tions et traces per­cep­tives dont cette effec­tua­tion a besoin pour se réa­li­ser.
Repre­nant tous ces tra­vaux, B. Cher­vet pro­pose une concep­tion de l’après-coup en tant que pro­cès de réa­li­sa­tion et d’accomplissement du désir et de la pen­sée humaine, de toutes les for­ma­tions psy­chiques ; l’après-coup est le pro­cès de la pen­sée, une théo­rie du pen­ser. Ain­si, il appa­raît être le pro­cès de base de la cure psy­cha­na­ly­tique par lequel peut adve­nir toute gué­ri­son.

De chaque côté de la Manche, des auteurs intri­gués par cet écart entre les deux cou­rants de pen­sée de la psy­cha­na­lyse, celui qui inclut l’après-coup et celui qui s’en dis­pense, ont cher­ché à le réduire et l’interpréter. H. Faim­berg s’est tout par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sée à cette notion qu’elle a pla­cé au cœur de sa théo­rie de « l’écoute de l’écoute ». I. Sodré pro­pose une lec­ture ori­gi­nale des Contro­verses, au sein de la Bri­tish Socie­ty, en lien avec l’après-coup en tant que concept man­quant (the mis­sing concept). Dans ses tra­vaux sur la tem­po­ra­li­té, R.J. Per­el­berg accorde une place cen­trale à l’après-coup. Enfin, cer­tains auteurs, comme Dana Birks­ted-Breen et Hay­dée Faim­berg, pro­posent de rap­pro­cher la crainte de l’effondrement de Win­ni­cott et l’après–coup de la psy­cha­na­lyse fran­çaise. Cette démarche montre que cette crainte accom­pagne le mou­ve­ment régres­sif inau­gu­ral du pro­cès de l’après-coup.

En fait, des échanges, des débats et des tra­vaux ont lieu et sont publiés, mon­trant que la ren­contre est pos­sible et l’incompatibilité un effet de sim­pli­fi­ca­tion. Deux faits sont à prendre en compte. D’une part, et cela depuis Freud, le phé­no­mène de l’après-coup est sou­vent actif, voire recon­nu, sans être dénom­mé. A l’inverse, le terme d’après-coup est abon­dam­ment uti­li­sé par les ana­lystes dans sa sim­pli­fi­ca­tion cou­rante de dépla­ce­ment tem­po­rel et de réflexi­vi­té anté­ro­grade, n’impliquant pas les attrac­tions de l’inconscient et le tra­vail consé­quent requis, au même degré que le concept lui-même.
Enfin, tous les tra­vaux psy­cha­na­ly­tiques peuvent aus­si être envi­sa­gés comme des après-coups de ce qui a moti­vé ceux de Freud. Certes, en lui emboî­tant le pas, ils déve­loppent, affinent et re-signi­fient ses pro­po­si­tions. Mais de plus, en s’affrontant à des aspects de la réa­li­tés res­tés en jachère dans l’œuvre de Freud, ils l’enrichissent et la modi­fient dans ses fon­de­ments. Un retour à la source trau­ma­tique, à la sen­si­bi­li­té à celle-ci est alors néces­saire afin qu’une nou­velle par­celle de pen­sée puisse adve­nir, s’intégrer à la pré­cé­dente et rema­nier l’ensemble.

NOTES :

  1. Ex post : « en par­tant de ce qui vient après ».
  2. Par rétro­gres­sion, Breuer désigne le fait de reprendre l’histoire à par­tir d’un point pré­cis du pas­sé et de la répé­ter dans le but de la recons­truire et s’en libé­rer.
  3. 2e par­tie, 4e cha­pitre, p. 656.
  4. J. Lacan, 1966 Ecrits, p. 839