La formation à la psychothérapie psychanalytique : une ancienne quadrature du cercle

La ques­tion de la for­ma­tion à la  psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique, ain­si que de sa pra­tique, a occu­pé une place diver­se­ment pas­sion­nelle selon les socié­tés char­gées de l’héritage freu­dien. À l’internationale, la réponse à ce défi s’est for­gée au fil du temps selon leurs sin­gu­la­ri­tés. Nous avons pro­po­sé de nous inter­ro­ger sur le contexte fran­çais au tra­vers d’un suc­cinct inven­taire et de l’exemple de Alle­magne, pays qui a opté pour un modèle de for­ma­tion dif­fé­rent du notre depuis 1948.

(…) Aucun reproche ne pour­ra leur être fait puisqu’ils ne font que par­ler.
Moyen­nant quoi, ils n’auront cer­tai­ne­ment pas man­qué de ten­ter d’améliorer l’analyse,
de lui arra­cher ses crocs à venin et de la rendre agréable aux malades ». 

Freud S (1926), cité par Kahn L. (2014)

Samir Fel­lak est psy­cho­logue et psy­cha­na­lyste, membre de la SPP.
Pio­tr Krza­kows­ki est psy­cho­logue et psy­cha­na­lyste, membre de la SPP.

Avant pro­pos
Dans l’article inti­tu­lé « Obé­dience, ins­pi­ra­tion et for­ma­tion en psy­cha­na­lyse. »  (2014) nous avions posé cer­taines ques­tions au sujet de la pra­tique ins­pi­rée et d’obédience psy­cha­na­ly­tique hors for­ma-tion clas­sique affi­liée à l’IPA (Inter­na­tio­nal Psy­cho­ana­ly­ti­cal Asso­cia­tion). Pour­sui­vant ces réflexions, en 2018 nous les avions par­ta­gées dans l’article « 3 séances en héri­tage » , où nous évo­quions la raré­fac­tion de la pra­tique de la cure type par­mi nos col­lègues, selon une logique du : « trop cher, trop fré­quent, dans un monde qui change et va plus vite ». Nous met­tions ce en pers­pec­tive d’autres témoi­gnages allant en sens inverse, par­lant d’une pra­tique de la cure type tou­jours vivante et légi­time, même dans un monde accé­lé­ré. Cette contra­dic­tion nous est appa­rue poten­tiel­le­ment liée aux mou­ve­ments de trans­mis­sion et de ses incon­nus qui s’y jouent pour cha­cun des futurs psy­cha­na­lystes selon les voies com­plé­men­taires d’identifications qu’il choi­sit (ana­lystes, super­vi­seurs, socié­té d’affiliation).

Aux côtés des Socié­tés de psy­cha­na­lyse his­to­ri­que­ment ancrées dans la fonc­tion de trans­mis­sion, ont tou­jours pris place des orga­nismes pri­vés pro­po­sant des for­ma­tions en psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique, voire en psy­cha­na­lyse, titre non pro­té­gé par le légis­la­teur. De récentes inci­ta­tions à la para­mé­di­ca­li­sa­tion des psy­cho­logues telles que l’arrêté du 10 mars 2021 rela­tif à la défi­ni­tion de l’expertise spé­ci­fique des psy­cho­logues et la volon­té publique d’un ordre des psy­cho­logues sont autant d’indices d’une volon­té supra-pro­fes­sion­nelle de réor­ga­ni­sa­tion des pra­tiques du psy­cho­logue et par­tiel­le­ment du champ psy­cho­thé­ra­pique. La crise pan­dé­mique du covid 19 a par ailleurs pré­ci­pi­tée  des adap­ta­tions hâtives des dis­po­si­tifs thé­ra­peu­tiques, lais­sant croire qu’une cer­taine flui­di­té des cadres pour­raient se légi­ti­mer et péren­ni­ser au nom des moda­li­tés d’urgence. Ceci à notre avis, peut relan­cer avec vigueur et vigi­lance des inter­ro­ga­tions sur la place d’une for­ma­tion la plus rigou­reuse qui soit à la psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique, aux côtés de la for­ma­tion psy­cha­na­ly­tique clas­sique, autre­ment dit, une for­ma­tion à la psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique plei­ne­ment assu­mée et orga­ni­sée par les socié­tés his­to­ri­que­ment léga­taires du patri­moine freu­dien. Nous vous pro­po­sons quelques réflexions, un exemple de fonc­tion­ne­ment ins­ti­tu­tion­nel en Alle­magne, ain­si qu’un exemple cli­nique. Nous ten­te­rons de sai­sir les enjeux qui ont pu frei­ner jusque là en France, le déve­lop­pe­ment d’une ins­tance com­plé­men­taire au dis­po­si­tif de for­ma­tion exis­tant, ajou­tant un autre temps : une étape de for­ma­tion à la psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique, pour­sui­vie par un par­cours de psy­cha­na­lyste dans un temps second. Ceci pour don­ner une pos­si­bi­li­té de ren­contre avec le tra­vail psy­cha­na­ly­tique, un authen­tique niveau d’accueil pour les nom­breux col­lègues qui sont en lisière, et n’osent pas fran­chir le pas de nos ins­ti­tuts par crainte d’une confron­ta­tion avec une bar­rière cor­po­ra­tiste et exa­gé­ré­ment éli­tiste. Est-il donc envi­sa­geable de sor­tir d’une logique binaire : for­ma­tion à la cure type, ou rien… Une logique qui laisse pour le moment, nous le ver­rons, une place à des orga­ni­sa­teurs exté­rieurs, auto­pro­cla­més, redou­blant la pro­blé­ma­tique des psy­cho­thé­ra­peutes tout autant auto­pro­cla­més, en d’autres termes, comme nous le don­nions à dis­cu­ter dans l’article pré­cé­dent, une volon­té de repous­ser tout tiers en péri­phé­rie d’une légi­ti­mi­té his­to­rique.

La ques­tion de la psy­cho­thé­ra­pie chez Freud et son actua­li­té

Le pro­pos de cet article est autre que l’approfondissent des posi­tions de Freud vis à vis d’une forme modi­fiée de la pra­tique ana­ly­tique. Il l’a com­pa­rée, comme nous le savons,  à un alliage de cuivre et d’or, l’or étant la cure idéale déchar­gée de tous les restes sug­ges­tifs héri­tés de la pra­tique de l’hypnose (Freud S. (1905), De la psy­cho­thé­ra­pie, la tech­nique psy­cha­na­ly­tique, PUF, p. 9–22).  Sou­li­gnons tou­te­fois, que pour Freud il ne s’agissait pas seule­ment de dis­cu­ter la place de la sug­ges­tion, mais bien d’esquisser des formes du soin psy­cho­thé­ra­pique plus acces­sibles, pour ceux ne pou­vant s’offrir l’or (quelle étrange réso­nance avec le débat réunis­sant la Caisse Pri­maire d’Assurance Mala­die et les psy­cho­logues, som­més à trai­ter les souf­frances psy­chiques par des thé­ra­pies courtes, en 10 à 20 séances,  avec une absence totale de paie­ment pour le patient…)
Sou­li­gnons aus­si que cette ques­tion du rap­port à la psy­cho­thé­ra­pie, a été beau­coup débat­tue dans un grand nombre d’ouvrages qu’il nous est impos­sible de citer ici faute de place, et par sou­hait de ne pas nous dis­per­ser dans un débat du pas­sé. Notons que le consen­sus pour­rait se résu­mer ain­si : existent des points de ren­contres inévi­tables entre une cure type où percent par moments des man­que­ments à une abso­lue neu­tra­li­té, et les psy­cho­thé­ra­pies psy­cha­na­ly­tiques qui trouvent pour moteur une méca­nique bien connue de la cure, orien­tée par les coor­don­nées de la règle fon­da­men­tale et du trans­fert. Si tout le monde s’accorde sur ce com­pro­mis, demeure une autre ques­tion plus sub­ver­sive : qu’en est-il de la pra­tique de la psy­cho­thé­ra­pie ana­ly­tique par des non ana­lystes, mais dont la pra­tique aurait à se doter du meilleur des cadres pos­sibles qui soit. Quels en seraient donc les condi­tions et garan­ties éthiques ? Vaste pro­gramme…

La psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique aujourd’­hui

En 2005, un numé­ro de la Revue Fran­çaise de Psy­cha­na­lyse ain­si qu’un col­loque ont été consa­crés au face à face psy­cha­na­ly­tique. Nous nous sou­ve­nons à l’occasion d’André Green affir­mant que ce type de tra­vail n’était rien d’autre qu’une psy­cha­na­lyse com­pli­quée, ce qui aurait pu lais­ser ima­gi­ner un cer­tain ave­nir offi­ciel à l’acte psy­cho­thé­ra­pique, objet d’attention ins­ti­tu­tion­nelle accrue de la part des ins­ti­tuts de for­ma­tions. A peu près à la même époque, Ber­nard Brus­set fai­sait paraitre son « Que sais-je ? » sur Les psy­cho­thé­ra­pies, pre­mier inven­taire des méthodes non médi­ca­men­teuses visant le soin psy­chique. En 2003, Vasillis Kap­sam­be­lis d’une façon bien docu­men­tée par trois vignettes très com­plètes, met­tait en ten­sion et en pro­por­tion les approches psy­cho­thé­ra­piques et chi­mio­thé­ra­piques dans la cli­nique psy­chia­trique, don­nant une place ajus­tée dans son article inti­tu­lé La thé­ra­peu­tique psy­chia­trique et la pen­sée psy­cha­na­ly­tique, article depuis deve­nu clas­sique par­mi tous ceux qui naviguent dans ces pro­blé­ma­tiques extrêmes en ins­ti­tu­tion ou en libé­ral. Seize années plus tard, la ques­tion de la pra­tique de la psy­cho­thé­ra­pie reste cli­vante mais pré­sage, nous l’espérons, une pers­pec­tive d’évolution.

Par ailleurs, notre socié­té mène de longue date, une poli­tique d’ouverture sous forme de diverses acti­vi­tés de for­ma­tions : le sémi­naire Cour­nut ; les sémi­naire du mer­cre­di et du jeu­di (ancien­ne­ment « Amphi Vul­pian »); les sémi­naires de St. Anne ; le col­loque du Pré­sident, à quoi s’ajoutent de nom­breux groupes de tra­vail ouverts. Depuis 2019 en par­ti­cu­lier, les groupes de réflexion cli­nique au suc­cès sans cesse crois­sant, accueillant des par­ti­ci­pants non membres de la socié­té, pra­ti­quant essen­tiel­le­ment la psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique avec ou sans divan, toutes ces acti­vi­tés étant men­suel­le­ment mise à jour et dif­fu­sées par une news­let­ter.

Des cou­rants his­to­riques diver­gents

Nous avons donc cette his­toire enri­chie d’activités ouvertes, nées au sein de divers cou­rants et à dif­fé­rents moments de l’histoire ins­ti­tu­tion­nelle de notre socié­té. Celles-ci se pré­sentent comme des sortes d’enclaves à ten­dance contra­dic­toires, don­nant le goût de la chose psy­cha­na­ly­tique, tout en y posant une butée, dont les condi­tions sont à pen­ser et à dis­cu­ter. Le rap­pel des nom­breuses acti­vi­tés ouvertes, met en relief les efforts de notre ins­ti­tu­tion en direc­tion des cli­ni­ciens sou­hai­tant ren­con­trer la psy­cha­na­lyse dans ses stan­dards freu­diens, mais ne leur per­met pas de trans­for­mer ces efforts en une vali­da­tion recon­nue d’un côté par les pairs et de l’autre par les ins­ti­tu­tions dont ils dépendent pro­fes­sion­nel­le­ment. A par­tir de cette logique, bon nombre de jeunes et moins jeunes cli­ni­ciens à dis­tance de la culture ana­ly­tique ne tentent pas d’é­la­bo­rer un pro­jet de for­ma­tion avec l’institut. D’une cer­taine façon, ces cli­ni­ciens forment une popu­la­tion « cap­tive » d’un véri­table mar­ché com­mer­cial de for­ma­tions en psy­cho­thé­ra­pie, allant des plus sérieuses, aux plus mar­gi­nales, un puis­sant mar­ke­ting à l’appui.

Quelques exemples de for­ma­tions en psy­cho­thé­ra­pie.

Existent donc des for­ma­tions psy­cha­na­ly­tiques et non psy­cha­na­ly­tiques d’une durée  de 3 à 5 ans comme par exemple la très connue for­ma­tion aux tech­niques cog­ni­ti­vo-com­por­te­men­tales dis­pen­sée par l’AFTCC (Asso­cia­tion Fran­çaise de thé­ra­pies cog­ni­ti­vo-com­por­te­men­tales), ou encore des for­ma­tions rea­dy made comme celle de la Men­ta­li­sa­tion (TBSM tech­niques basées sur la men­ta­li­sa­tion ) en quelques week-ends, pour­tant pro­mue depuis 2015 en France et en Europe avec déjà 705 for­més.
Les fon­da­teurs ne sont autres que des ténors de la recherche au sein de l’IPA : Peter Fona­gy et Antho­ny Bate­man en par­te­na­riat avec le Centre Anna Freud de Londres, l’Université de Genève, Uni­ver­si­ty Col­lege of Lon­don, et en France l’Université Ver­sailles Saint Quen­tin. Comme la nature a hor­reur du vide, nous voyons que lorsqu’un ter­ri­toire demeure inoc­cu­pé, il est pris d’assaut par tous ceux qu’y voient un inté­rêt, sou­vent finan­cier et idéo­lo­gique.
D’autres méthodes bien moins struc­tu­rées ren­contrent un suc­cès du fait de leur sim­pli­ci­té et de l’absence de cri­tique épis­té­mo­lo­gique par la com­mu­nau­té « psy », ne sachant plus à quel saint se vouer, sur­tout s’il est légi­ti­mé par la H.A.S. (Haute Auto­ri­té de San­té) déli­vrant un pas­se­port de scien­ti­fi­ci­té dont le label garan­tit un « haut niveau de preuve ».  Face à ce « prêt à por­ter » de for­ma­tions, les pré-requis de nos ins­ti­tuts de for­ma­tion, peuvent en pre­mière ins­tance sem­bler exor­bi­tants, en terme de durée et de coûts (ana­lyse per­son­nelle, super­vi­sions et droits  annuels à la for­ma­tion, congrès…). S’ajoute à cela une autre réa­li­té, celle de la déser­ti­fi­ca­tion des amphi­théâtres uni­ver­si­taires par les ensei­gnants psy­cha­na­lystes, due à une ancienne poli­tique du CNU (Conseil Natio­nal des Uni­ver­si­tés) favo­ri­sant les modèles étio­pa­tho­gé­niques neu­ro­psy­cho­lo­giques et cog­ni­ti­vo-com­por­te­men­ta­listes, vali­dées et pré­co­ni­sées là aus­si par la HAS. Il arrive que des internes et jeunes psy­cho­logues cli­ni­ciens n’aient enten­du par­ler de psy­cha­na­lyse, que de façon allu­sive ou seule­ment cri­tique, en tous cas, sans une den­si­té suf­fi­sante et néces­saire pour être dument éclai­rés, à la hau­teur de l’objet com­plexe qu’est la méta­psy­cho­lo­gie freu­dienne, l’autre nom propre de la psy­cha­na­lyse. Ces étu­diants sont donc déso­rien­tés, sans socle com­pa­rable à celui de la géné­ra­tion res­pon­sable de la poli­tique de for­ma­tion au sein des socié­tés de psy­cha­na­lyse.

Des for­ma­tions en Psy­cho­thé­ra­pie Psy­cha­na­ly­tique exis­tantes

A par­tir d’une simple navi­ga­tion sur Inter­net, nous pou­vons iden­ti­fier quelques acteurs de la for­ma­tion, affi­chant des sites sobres et enga­geants, don­nant toutes les illu­sions d’une rigueur ou il suf­fit de cli­quer pour ren­trer en contact immé­diat avec un inter­lo­cu­teur. Ces entre­prises de for­ma­tion ont pros­pé­ré depuis la Loi Accoyer et ses décrets d’applications sur le titre de psy­cho­thé­ra­peute, qui ont lais­sé le public des « ni psy­cho­logues, ni psy­chiatres » dans l’obligation d’accomplir un volume consé­quent d’enseignement de psy­cho­pa­tho­lo­gie pour consti­tuer un dos­sier de vali­da­tion auprès des ARS (Agence Régio­nale de San­té). En réa­li­té, très peu de dos­siers ont été ins­truits, beau­coup de pra­ti­ciens ayant renon­cé face aux exi­gences for­melles. Cette pré­ci­sion est impor­tante pour com-prendre l’origine d’une popu­la­tion « errante » qui a rem­pli les bancs de ces for­ma­tions, dans les­quelles se retrouvent inci­dem­ment des psy­cho­logues et psy­chiatres, séduits par un mar­ke­ting amé­lio­ré au fil du temps. Les plus emblé­ma­tiques de ces ini­tia­tives, les­quelles se res­semblent beau­coup dans leurs conte­nus, peuvent par exemple van­ter une for­ma­tion à la psy­cha­na­lyse, mais aus­si, sans tran­si­tion, à la sexo­thé­ra­pie.

Le cas par­ti­cu­lier de l’APEP, de la SEPEA et du COPES

Ces for­ma­tions dont la légi­ti­mi­té n’est plus à prou­ver, ont pour objet clai­re­ment énon­cé la pra­tique des thé­ra­pies psy­cha­na­ly­tiques avec l’adulte ou pour cer­taines, la psy­cho­thé­ra­pie avec l’enfant et l’adolescent. For­ma­tion dont l’enseignement est essen­tiel­le­ment pro­di­gué par d’éminents membres des socié­tés de l’IPA, mais se situant néan­moins en dehors d’une filia­tion directe à une socié­té de réfé­rence.
Ces ins­ti­tuts, aus­si per­ti­nents soient-ils, ne sont-ils pas pour autant le symp­tôme d’un embar­ras et d’une éco­no­mie à pou­voir éla­bo­rer l’accès à la for­ma­tion pour ce public en crois­sance, au sein même de nos socié­tés ?

De quelques ques­tions, en quoi le cuivre menace-t-il l’or ?

L’initiative de repen­ser la for­ma­tion en cli­nique psy­cha­na­ly­tique, en dis­tin­guant une filière de psy­cho­thé­ra­peutes, n’est pas un débat récent en France. Cette ques­tion a ren­con­tré néan­moins des posi­tions diver­gentes au point de repous­ser, voire ajour­ner leur mise en oeuvre. Ain­si les contre-argu­ments les plus cités ren­voient au moins à deux registres, celui de la menace et de la charge orga­ni­sa­tion­nelle :

- Le dan­ger pour la psy­cha­na­lyse consis­te­rait en un risque de dilu­tion dans la pra­tique de la psy­cho­thé­ra­pie. Compte tenu de l’évolution des pra­tiques, ceci aurait dû être depuis long­temps le cas. Comme nous le consta­tons fort heu­reu­se­ment, ce n’est pas cette sup­po­sée dilu­tion qui a son­né un terme à la cure type, laquelle se pra­tique tou­jours (Cf. 3 séances en héri­tage).

- La com­plexi­té logis­tique et poli­tique au niveau ins­ti­tu­tion­nel, alors que l’on demande déjà beau­coup d’implication aux membres, sol­li­ci­tés de manière volon­taire à tous les niveaux de la vie de la socié­té. Ima­gi­ner un pôle de for­ma­tion com­plé­men­taire, quelle qu’en soit sa forme, néces­site un effort d’un col­lec­tif et ne pour­ra se résu­mer à une ini­tia­tive iso­lée.

Ces ques­tions sont en effet des plus sérieuses et méritent bien d’être posées. La plu­part des socié­tés membres de l’IPA, se sont pour­tant confron­té à ces dif­fi­cul­tés, cha­cune selon un contexte his­to­rique et social par­ti­cu­lier. La place des rem­bour­se­ments des actes psy­cho­thé­ra­piques, ont par exemple for­cé cer­taines à trou­ver une réponse de nature psy­cha­na­ly­tique à des contraintes de san­té publique.

L’exemple Alle­mand

La pra­tique et la trans­mis­sion de la psy­cha­na­lyse sont assu­rées par deux socié­tés, la DPV (Deutsche Psy­cho­ana­ly­tische Verei­ni­gung, crée en 1910) et la DPG (Deutsche Psy­cho­ana­ly­tische Gesell­schaft, crée en 1926). Pays fédé­ral, la tra­di­tion ter­ri­to­riale des « lan­ders » imprime aus­si à la psy­cha­na­lyse une dis­per­sion des ins­ti­tuts au tra­vers du pays. Cha­cun des centres de for­ma­tion est donc char­gé de manière auto­nome du par­cours des can­di­dats, soit dans la voie clas­sique psy­cha­na­ly­tique, soit dans  une for­ma­tion à la psy­cho­thé­ra­pie psy­cha­na­ly­tique. Nos col­lègues alle­mands évoquent avec convic­tion, la col­la­bo­ra­tion certes « à deux vitesses » entre les deux caté­go­ries de membres, au sein des ins­ti­tu­tions de soin, et les psy­cho­thé­ra­peutes, repre­nant très sou­vent le che­min de la for­ma­tion en psy­cha­na­lyse. N’est-ce pas là une suite logique dans le temps de la matu­ra­tion d’un cli­ni­cien ? Les don­nées chif­frées pou­vant quan­ti­fier cette flui­di­té entre une caté­go­rie et une autre ne sont pas dis­po­nibles, du fait que ce modèle existe depuis 1948, et fait pour ain­si dire par­tie de l’ADN de la trans­mis­sion psy­cha­na­ly­tique outre Rhin.

Une illus­tra­tion…

Après une longue ana­lyse, Madame M. ins­tal­lée déjà dans une pra­tique de psy­cho­thé­ra­peute en libé­ral, fait la demande d’intégrer notre sémi­naire ouvert de la SPP. Epar­pillée dans un éclec­tisme en matière de for­ma­tions en psy­cho­thé­ra­pie dites ana­ly­tiques, elle s’est tou­jours repré­sen­té l’accès au cur­sus de for­ma­tion, comme réser­vé à une élite intel­lec­tuelle, pour elle, vécue comme inac­ces­sible, en dépit de son acui­té cli­nique enga­gée à chaque fois dans ses pré­sen­ta­tions et com­men­taires durant les sémi­naires. Il pour­ra tou­jours lui être dit que sa pre­mière tranche fut inache­vée, et qu’une autre s’imposerait, avec pour ain­si dire un tem­po déca­lé de sa réa­li­té pro­fes­sion­nelle, on ne vit qu’une fois, ce que peut-être par­fois nous sou­hai­te­rions igno­rer. On peut s’interroger dans ce cas et dans beau­coup d’autres, à quelles trans­mis­sions offi­cieuses a‑t-elle eu recours pen­dant toutes ces années, et de quelles autres options struc­tu­rées aurait-elle pu béné­fi­cier avec un accès pro­gres­sif indis­pen­sable pour sa pra­tique, met­tant en paral­lèle au tra­vail désir et angoisse de l’accès à la psy­cha­na­lyse. Doit-on tou­jours poin­ter le temps de l’analyse comme entiè­re­ment res­pon­sable du che­min ulté­rieur, sans inter­ro­ger ce que l’on met à sa dis­po­si­tion, en tant qu’institution de for­ma­tion, pour bali­ser et sécu­ri­ser l’itinéraire ?

Conclu­sion

Les cou­rants cultu­rels contem­po­rains (médias sociaux, pla­te­formes de strea­ming) imposent des repré­sen­ta­tions plu­tôt tron­quées de la psy­cha­na­lyse, bien plus proches de la psy­cho­thé­ra­pie que de la cure type, comme entre autres dans la série à suc­cès, dif­fu­sée sur Arte et dont la pre­mière sai­son  a été vue par  plus de 16 mil­lions de télé­spec­ta­teurs (lire l’ar­ticle sur Les Enfants de la Psy­cha­na­lyse). La flui­di­té des pra­tiques évo­quée plus haut, se trouve impli­ci­te­ment vali­dée par l’iconographie popu­laire : un aimable psy­cho­thé­ra­peute empha­tique, une, deux fois par semaine, tous les quinze jours, quand on veut, sur divan ou en face à face, tous les styles sont per­mis selon les humeurs de l’un et de l’autre, pour peu que cela fasse recette. Cette pres­sion média­tique se conjugue actuel­le­ment avec une sorte d’ébranlement topique des cadres induit par la télé­con­sul­ta­tion, légi­ti­mée par l’urgence liée au Covid 19. Le temps n’est-il pas alors à une reprise d’élaboration d’un cane­vas plus souple quant aux moda­li­tés d’accueil, mais intran­si­geant sur l’essentiel qui appelle à un inves­tis­se­ment de la for­ma­tion sans conces­sion faite à la faci­li­té ? Un alliage donc et une alliance, plu­tôt qu’un cli­vage.
Les plus grands arti­sans de la grande joaille­rie, s’accordant sur les ver­tus des alliages à tenir les pierres pré­cieuses ser­ties dans le pré­cieux bijou. Reste à obser­ver le legs – certes conflic­tuel – de ce bijou tant convoi­té par des géné­ra­tions anciennes et celles à venir.

Biblio­gra­phie
Brus­set B., (2005), Les Psy­cho­thé­ra­pies, Que sais-je?, PUF,
Freud S., (1905), De la psy­cho­thé­ra­pie, Écrits tech­niques, OCF, PUF, p. 9–22
Freud S., (1925), La ques­tion de l’a­na­lyse pro­fane, OP, PUF, p. 54–59
Kahn L., (2014),  Le psy­cha­na­lyste apa­thique et le patient post­mo­derne, l’Olivier, 2014.
Kap­sam­be­lis V., (2003), La thé­ra­peu­tique psy­chia­trique et la pen­sée psy­cha­na­ly­tique, Psy­cho­thé­ra­pies, 23 (3) : p. 157–167
Mis­so­nier S., (2007), Psy­cha­na­lyse et Psy­cho­thé­ra­pie : étude  com­pa­ra­tive et cri­tique des 14 contri­bu­tions publiées dans le Car­net Psy. Car­net Psy, 2007/9 (num 122).