Il est d’usage dans la tradition hippocratique de dire qu’on ne choisit pas ses patients en public tout comme en libéral, en équipe tout comme dans la solitude de nos cabinets. Ne pas choisir signifie accueillir.
Cette notion d’accueil est un point commun entre la formation de pédopsychiatre et celle du psychanalyste.
Dans une approche médicale, dont est issue la formation première du pédopsychiatre, c’est le tableau clinique qui déclenche des indications thérapeutiques. La formation psychanalytique complémentaire du pédopsychiatre permet de surcroît de mettre un sens et une historicité dans la construction d’un ou de plusieurs symptômes au sein d’une organisation psychique individuelle, et de mettre en travail la possibilité d’engager un processus psycho-dynamique en intéressant l’enfant et/ou les parents à son fonctionnement intrapsychique et intersubjectif.
La consultation pédopsychiatrique éveille, déploie, travaille et joue de la dimension psychothérapeutique, en référence à la psychanalyse, de façon quasi paradigmatique.
Chez l’enfant la référence à la psychanalyse dès les premières consultations et pas seulement dans les cures d’enfants ne se laisse pas comprendre par les usagers de façon aussi simple. La tendance serait d’opposer formation pédopsychiatrique et formation psychanalytique.
Ce qui est particulier chez l’enfant et chez l’adolescent, c’est qu’il ne s’agit en aucun cas d’une clinique qui pourrait être plaquée à celle de la psychiatrie adulte. Et on oublie souvent que l’enfant n’est pas un modèle réduit de l’adulte, même si en tout adulte il y a trace de l’enfance, de la névrose infantile.
En pratique, nous sommes lors de la rencontre avec un enfant en première consultation, confrontés à des symptômes qui sont souvent décrits ou parlés par d’autres que celui ou celle qui consulte ou qui s’expriment autrement que sous l’angle d’une simple demande : que ce soit le silence langagier ou l’expression somatique des enfants en bas âge, la prédominance des passages à l’acte ou de la dimension caractérielle ou comportementale chez certains adolescents, la conformité défensive et policée en âge de latence dans les cas les plus caricaturaux.
Le consultant est confronté souvent, à des demandes polymorphes et multiples, quand il s’agit d’un enfant. Cela peut survenir de plusieurs lieux : les parents, l’école, les lieux d’activités extra-scolaires, le secteur social et parfois même judiciaire. Et chacun de ces intervenants a parfois une représentation de l’enfant en souffrance qui lui est propre. Nous sommes donc souvent confrontés à une représentation de l’enfant en puzzle ou en mosaïque non rassemblée ou non unifiée.
Il sera donc nécessaire à chaque rencontre, à chaque nouvelle consultation, de supporter l’aspect kaléidoscopique voire conflictuelle de la situation clinique amenée pour un enfant ou un adolescent, en tenant compte des multiples paramètres que sont la configuration familiale, l’histoire trans-générationnelle, l’environnement culturel et social.
Une autre particularité de la consultation pédopsychiatrique, tient au fait que la demande, contrairement le plus souvent à celle d’un adulte, ne vise pas la référence à la psychanalyse, mais la fin d’une souffrance ou d’une situation conflictuelle. La référence à la psychanalyse n’est donc pas explicite mais implicite et se loge au cœur de la pensée clinique du praticien qui reçoit la demande de consultation. Dire que plus encore chez l’enfant, l’adolescent que chez l’adulte, l’alliance thérapeutique n’est pas donnée d’emblée mais est à travailler est donc quasiment une lapalissade.
Cette demande de consultation est rarement parlée par l’enfant, même s’il est porteur de fantasmes et entouré de récits, sauf parfois à l’adolescence, où il peut plus facilement venir en son nom propre. Le plus souvent, ce qui est parlé à son sujet, l’est par l’extérieur en particulier les parents. Le symptôme parle pour l’enfant sans que la réflexivité psychique selon son âge ne soit suffisante, pour qu’il s’approprie ce symptôme et soit demandeur direct d’une aide.
L’enfant va d’abord être traduit, interprété et quelque soit le symptôme, il se trouve vis à vis de ce dernier, très souvent en position passive, voire parfois en contre. Souvent les parents le formulent dans ce qu’il y a de plus émergent, de plus visible ou dans ce qui les angoisse le plus. La demande est celle d’un changement, d’une évolution mais souvent elle est très en secteur et concerne la disparition du symptôme.
La référence à la psychanalyse permet justement de ne pas se limiter à la « surface » du symptôme ou de la demande initiale, en proposant aux parents :
‑la possibilité de se représenter ce qui sous-tend le symptôme de leur enfant, du côté de son organisation psychique globale et à un moment donné de son développement,
‑l’opportunité de différencier ce qu’ils imaginent, comprennent, projettent sur leur enfant et ce en quoi leur enfant peut s’écarter de cela et être dans un fonctionnement psychique qui lui est propre.
‑une mise du sens d’un symptôme d’appel dans sa complexité et une cohérence dans la représentation mosaïque des différents intervenants autour de l’enfant.
Il n’est jamais facile pour des parents de devoir recourir à un tiers face à la souffrance de leur enfant. Le regard partagé sur celui-ci, entre ce qu’ils en connaissent et ressentent et ce que la référence à la psychanalyse chez le pédopsychiatre consultant permet de mettre en sens, rend possible leur implication et la construction d’ une alliance thérapeutique.
Toute consultation qui ne prendrait pas en compte cette dimension évacuerait ce travail d’alliance thérapeutique avec les parents, base fondamentale pour la délégation parentale que sous-tend toute prise en charge psychothérapeutique. Ce travail de l’alliance thérapeutique avec les parents et l’enfant permet de tenir compte des fantasmes potentiels de rapt d’enfant ou de dys-qualification de leur fonction parentale, chez les parents et des fantasmes de séduction de l’enfant par l’adulte, chez l’enfant ou l’adolescent.
La rencontre avec un pédopsychiatre qui peut faire référence à la psychanalyse au delà de sa formation médicale, permet de tenir compte de la dimension inconsciente qui s’y joue et de mettre en place une relation de confiance avec les parents et leur enfant, en tenant compte des éléments explicites et implicites de la démarche.
Faut-il rappeler par conséquent, la nécessité d’accueillir « sans savoir ni désir », la demande de consultation, l’altérité et les petites ou grandes différences de cette rencontre avec des parents et leur enfant ? Faut-il souligner que pour qu’il y ait rencontre, l’attention, et le soin à la relation avec l’autre, prévalent à toute autre nécessité au départ.
Cela suppose chez le consultant, un travail de représentation, de rêverie au sens Winnicottien du terme, de mise en sens du symptôme ou de la demande, tenant compte des niveaux intra‑, inter-psychique, trans-générationnel, et environnemental de la situation amenée en consultation. C’est donc être aussi à l’écoute de ses propres perceptions dans les effets du récit amené à la consultation, au niveau de ses défenses ou aprioris, au niveau des échos personnels induits par la singularité d’une histoire ou d’une construction psychique ou relationnelle. C’est ce qui sollicite le contre-transfert c’est-à-dire les effets inconscients produits chez le consultant par la globalité de la demande de consultation.
Le jeu, l’observation, le dessin vont à côté du langage prendre dans la relation avec l’enfant, une place prédominante, ainsi que l’absence de position d’omnipotence éducative ou rationnelle sur un symptôme chez le consultant, vis à vis de l’enfant. Toute tentative de conseil viendrait en effet pour l’enfant réduire cette rencontre singulière à la répétition d’une relation de contrôle ou de séduction. Il est nécessaire d’accepter de comprendre ce qui se passe dans l’après-coup des rencontres mais aussi d’intervenir dans le fil de la consultation sur le matériel amené par l’enfant.
Le travail de consultation en référence à la psychanalyse doit permettre à l’enfant de rencontrer en lui même, un intérêt pour sa vie psychique, au delà de son symptôme. Cette curiosité sera à la base d’un gain d’alliance pour une psychothérapie ou une cure psychanalytique.
Les effets de transformation que l’on peut attendre chez un enfant, dans les consultations nécessitent au préalable, une évaluation du terrain psycho-dynamique familial, du désir et des fantasmes des parents vis à vis de cet enfant, de leurs théories face au symptôme.
C’est la prise en compte de cette altérité, la mise en commun de leur savoir conscient à propos de leur enfant et des éléments pré- ou inconscients tels qu’ils apparaîtront dans les premiers échanges avec eux, qui engagera le travail de l’alliance thérapeutique avec eux.
Dans le même temps, l’évaluation psychopathologique de l’enfant ou de l’adolescent, se fera à travers des temps de consultations suffisamment longs, pour que se tissent des liens, se dépose ou se travaille une confiance. Cette confiance se construira, s’organisera autour d’une curiosité sur le fonctionnement psychique et relationnel de l’enfant, mais que le consultant soutiendra à travers la relation. Ce travail visera le dépôt, l’élaboration de la dialectique conflictuelle, la reconnaissance des impasses de la relation, du développement et des conflits intra- ou inter-psychiques dans lequel l’enfant est souvent coincé.
Enfin le médecin pédopsychiatre consultant et psychanalyste, tiendra compte dans cette double formation médicale et psychanalytique, du relevé explicite de la souffrance et des symptômes, tout autant que de la dimension implicite inconsciente, sous-jacente à ceux-ci. C’est cette double identité, comportant des temps d’investigation mais aussi des temps d’attention flottante sans directivité excessive, qui permettra la mise en commun entre le consultant et les parents d’une attention conjointe, ouvrant le champ au travail de l’alliance thérapeutique puis à la mise en place du projet thérapeutique pour l’enfant ou l’adolescent.
Françoise COINTOT, Pédopsychiatre, Psychanalyste.