Le « modèle français »

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L’expression « modèle fran­çais » désigne tout à la fois la méthode de la cure telle que pra­ti­quée en France, et une orga­ni­sa­tion de la for­ma­tion pour deve­nir psy­cha­na­lyste.
La méthode de tra­vail du psy­cha­na­lyste uti­li­sée en France reste réfé­rée à la cure type clas­sique avec la règle fon­da­men­tale en exergue des fonc­tion­ne­ments psy­chiques induits par elle chez cha­cun des pro­ta­go­nistes, la libre asso­cia­tion et l’attention en égal sus­pens. A la fin de sa vie Freud énon­ça la règle par une célèbre for­mule en deux pro­po­si­tions : « sin­cé­ri­té totale contre stricte dis­cré­tion »

Cette méthode trouve sa plus grande effi­cience à l’intérieur d’un pro­to­cole concret : 3 séances par semaine mini­mum, dis­po­si­tif divan-fau­teuil, durée fixe des séances : 45 minutes mini­mum, paie­ment assu­ré par l’analysant, le tout dans un espace « pro­té­gé » des inci­ta­tions éma­nant de la per­cep­tion sen­so­rielle, au pro­fit de l’énonciation lan­ga­gière de tout ce qui se pré­sente à la conscience de l’analysant, aus­si bien les conte­nus ver­baux que les affects et res­sen­tis cor­po­rels.
La règle fon­da­men­tale uti­lise un para­doxe ; elle pres­crit une liber­té du dire qui révèle un manque à dire, mais sur­tout un au-delà des mots éprou­vé à tra­vers eux. Cet au-delà requiert un tra­vail psy­chique spé­ci­fique, celui de l’après-coup, incluant une période de régres­sion comme dans le cas du rêve.

Concer­nant les modèles de for­ma­tion, 3 offi­ciels à l’IPA, une réflexion géné­rale pour­rait se por­ter sur leur cohé­rence interne et leur sou­plesse d’application et d’évolution.
Aujourd’hui nous sou­hai­tons nous cen­trer sur le modèle fran­çais, sans cher­cher à le com­pa­rer avec le modèle de Eitin­gon, afin d’en inter­ro­ger les fon­de­ments en rap­pe­lant les cir­cons­tances de sa nais­sance, his­to­riques et conflic­tuelles.
Il est issu d’une double confron­ta­tion conflic­tuelle, avec le modèle de Eitin­gon d’une part et avec d’autres modèles uti­li­sés depuis dans des socié­tés laca­niennes d’autres part. Ce conflit fut au centre des scis­sions de 1953 pour la SPP, et de 1964 pour la nais­sance de l’APF.
Com­men­çons par quelques points d’histoire, puis par un rap­pel des cri­tères qui consti­tuent le modèle fran­çais de for­ma­tion, cri­tères qui donnent lieu à des appli­ca­tions concrètes variables, enfin quelques réflexions théo­riques issues de la prise en compte des cri­tères sou­te­nus par Lacan.

QUELQUES MOTS D’HISTOIRE
La pra­tique de la psy­cha­na­lyse fut offi­ciel­le­ment intro­duite en France vers 1920 par Eugé­nie Sokol­ni­cka. La pen­sée de Freud étaient déjà connus dans diverses dis­ci­plines : la méde­cine, les arts, la phi­lo­so­phie etc. Ensuite, c’est Rudolph Loe­wen­stein, for­mé à l’Institut de Psy­cha­na­lyse de Ber­lin, qui per­met le déve­lop­pe­ment de la jeune SPP fon­dée en 1926.
Avant la Seconde Guerre Mon­diale le modèle de for­ma­tion uti­li­sé par la SPP est celui de Ber­lin pro­mu par Eitin­gon. Après la guerre, la Socié­té Psy­cha­na­ly­tique de Paris tota­le­ment dis­sé­mi­née, se réor­ga­nise. Les règles concer­nant la pra­tique de la psy­cha­na­lyse sont alors les mêmes que celles qui avaient été adop­tées avant la guerre.

Mais un nou­veau para­mètre très prag­ma­tique entre en jeu : une forte demande d’analyse et de for­ma­tion. Le « Baby-boom » post-guerre, conju­gué au nombre res­treint d’analystes didac­ti­ciens sou­lève alors concrè­te­ment la ques­tion de l’enseignement de la psy­cha­na­lyse et de la for­ma­tion de nou­veaux ana­lystes, ain­si que celle de l’organisation d’un ins­ti­tut de for­ma­tion, avec les choix que cela implique entre un cer­tain nombre d’options : indé­pen­dance ou rap­pro­che­ment avec l’université, moda­li­tés pra­tiques du cur­sus de for­ma­tion etc.
Cette forte demande est à l’origine de la pra­tique des psy­cha­na­lyses à 4 séances, et des psy­cha­na­lyses didac­tiques à trois séances par semaine de trois quarts d’heure cha­cune. Ces cri­tères furent éten­dus aux super­vi­sions indi­vi­duelles. Et, pour les mêmes rai­sons, la for­mule des super­vi­sions col­lec­tives fut alors inven­tée avec les mêmes prin­cipes. Un objec­tif pré­gnant : for­mer un nombre impor­tant d’analystes dans un court laps de temps.
C’est dans ce contexte que Lacan pro­mut éga­le­ment les séances courtes, à dif­fé­ren­cier de son intro­duc­tion de la tech­nique de la scan­sion.
Le cadre des quatre séances par semaine est pro­gres­si­ve­ment accep­té par l’IPA et la pos­si­bi­li­té de trois séances est taci­te­ment accep­tée pour les psy­cha­na­lyses per­son­nelles et les trai­te­ments en super­vi­sion.
Ain­si, le modèle fran­çais advint-il pour des rai­sons d’abord prag­ma­tiques et non pour des rai­sons théo­riques. En arrière fond il y a les ravages de la guerre, la dis­pa­ri­tion de la SPP, et bien sûr la mort de Freud dont le deuil a été mas­qué par les tour­ments de la guerre.

En 1953, sous l’égide de Marie Bona­parte, est ré-ouvert l’Institut de Psy­cha­na­lyse de Paris. D’importants conflits entre Daniel Lagache et Sacha Nacht par­ti­cipent à la scis­sion de 1953. Cette scis­sion n’est pas la consé­quence immé­diate des trois séances par semaine, ni celle des séances courtes, ni de la tech­nique de la scan­sion telle que pra­ti­quée par Lacan. Daniel Lagache est un pro­fes­seur d’université qui pro­pose un pro­gramme proche des modèles uni­ver­si­taires alors que Sacha Nacht sou­haite, à l’opposé, un ins­ti­tut indé­pen­dant pro­mou­vant un autre modèle jugé trop médi­cal par ses oppo­sants, mais sou­te­nu par Marie Bona­parte car plus spé­ci­fi­que­ment psy­cha­na­ly­tique.
Les rai­sons offi­cielles des démis­sions et de la scis­sion sont donc les cri­tères de for­ma­tion avec une guerre entre plu­sieurs modèles, uni­ver­si­taire, médi­cal, ou cen­tré sur les super­vi­sions. Il est impor­tant de sou­li­gner qu’il ne s’agit pas d’un conflit entre le modèle de Eitin­gon et le modèle fran­çais.
Cette scis­sion est à l’origine de la créa­tion de la Socié­té Fran­çaise de Psy­cha­na­lyse der­rière Daniel Lagache, rejoint très rapi­de­ment par Lacan et par un petit groupe d’analystes de la SPP. Elle est alors exploi­tée par Lacan et devient la scis­sion de Lacan avec la SPP et avec l’API. La dis­pute entre modèles, pas­sée au second plan, fait retour par la ques­tion de la durée variable des séances prô­née par Lacan et par la scan­sion, mais pas par le nombre de séances.

En 1964, Jacques Lacan est démis de ses fonc­tions de for­ma­teur au sein de la Socié­té Fran­çaise de Psy­cha­na­lyse du fait de son modèle de la scan­sion. Il quitte la SFP et crée l’École Freu­dienne de Paris (EFP) au sein de laquelle sera mis au point le modèle de la vali­da­tion de l’analyste selon la passe. Cette seconde scis­sion est à l’origine de la nais­sance de l’Association Psy­cha­na­ly­tique de France (APF) qui adopte les cri­tères de la pra­tique et de la for­ma­tion de l’API.

En 1971, l’APF abo­lit l’analyse didac­tique et accepte le prin­cipe de l’examen de tous les can­di­dats quel que soit leur ana­lyste.
Le point le plus essen­tiel de cette évo­lu­tion est l’un des deux cri­tères majeurs du modèle fran­çais, l’étanchéité radi­cale entre l’analyse per­son­nelle et la for­ma­tion. Il n’existe qu’une psy­cha­na­lyse, l’analyse per­son­nelle. Ce prin­cipe d’étanchéité va s’étendre de façon nuan­cée à l’ensemble de la for­ma­tion. Il s’agit plu­tôt d’une limi­ta­tion des inter­fé­rences entre les dif­fé­rents pro­ta­go­nistes impli­qués dans la for­ma­tion.
Paral­lè­le­ment la réflexion sur la for­ma­tion se pour­suit en dehors des socié­tés offi­cielles et donne lieu à la créa­tion du 4° groupe qui théo­rise l’analyse qua­trième liée à la super­vi­sion.

En 1994, la SPP abo­lit à son tour l’exigence pour deve­nir can­di­dat, de suivre une psy­cha­na­lyse avec un « titu­laire » (un full membre avec des fonc­tions de for­ma­teur ; un trai­ning membre). Il s’agit du « tout divan ».

En 2004, alors que Daniel Widlö­cher est pré­sident de l’API, le modèle des trai­te­ments psy­cha­na­ly­tiques uti­li­sé par les Ins­ti­tuts de for­ma­tion de la SPP et de l’APF, modèle dont un des cri­tères est un mini­mum de trois séances par semaine, est recon­nu offi­ciel­le­ment par l’API comme une façon valable de réa­li­ser une ana­lyse et de se for­mer.

CARACTERISTIQUES DU MODELE FRANÇAIS : « LIBERTE » ET SEPARATION DES FONCTIONS
Lais­sons de côté les petites dif­fé­rences d’application du French model exis­tant entre la SPP, l’APF, la SPRF et d’autres socié­tés (belge, suisse, qué­bé­coise, etc.). En fait, aucun modèle fran­çais ache­vé n’a jamais été décrit, excep­té du point de vue des cri­tères des « psy­cha­na­lyses de for­ma­tion », et de la for­ma­tion elle-même.

Deux cri­tères sont essen­tiels.
1) La liber­té, terme qui par son double sens a pu sou­le­ver des cri­tiques de laxisme. Il s’agit du dilemme entre acqué­rir sa liber­té par un long et fas­ti­dieux tra­vail de men­ta­li­sa­tion ou se libé­rer en écar­tant tout ce qui est déplai­sir afin d’échapper à ce tra­vail. Il s’agit en fait de la liber­té de la « libre » asso­cia­tion, la liber­té de lais­ser se déployer une iden­ti­fi­ca­tion au mode de pen­sée requis pour être ana­lyste en séances ; ce qui implique diverses concep­tions du fonc­tion­ne­ment psy­chique idéal visé par la cure.
2) La sépa­ra­tion des fonc­tions : étan­chéi­té abso­lue entre ana­lyse per­son­nelle et for­ma­tion ; et limi­ta­tion des inter­fé­rences entre les res­pon­sables de la for­ma­tion.

LA LIBERTE :

  • Liber­té dans le choix de l’analyste. Actuel­le­ment le patient peut entre­prendre une psy­cha­na­lyse avec un psy­cha­na­lyste de l’API quel qu’il soit (SPP) ou avec un ana­lyste de toute obé­dience (APF) sans qu’il soit néces­saire que cet ana­lyste soit un for­ma­teur.
  • Liber­té pour l’analyste de déci­der si trois ou quatre séances par semaine sont plus appro­priées, et aus­si d’accepter ou de refu­ser tel ou tel patient.
  • Liber­té pour l’institution d’accepter ou de refu­ser le can­di­dat (liber­té des cri­tères de sélec­tion qui sont basés sur cette iden­ti­fi­ca­tion au mode de pen­sée régres­sif sen­sible à l’inconscient)
  • Liber­té pour les Ins­ti­tuts d’organiser leur pro­gramme de for­ma­tion, les sémi­naires, les groupes de tra­vail, les super­vi­sions indi­vi­duelles et col­lec­tives.
  • Liber­té concer­nant le moment auquel un can­di­dat peut deman­der son entrée au cur­sus dans un Ins­ti­tut de for­ma­tion afin de com­men­cer sa for­ma­tion.
  • Liber­té dans le choix des super­vi­seurs.
  • Liber­té dans le choix des sémi­naires, des groupes de tra­vail, des jour­nées, des col­loques, congrès que les can­di­dats ont à suivre. Bien sûr cette liber­té ne veut pas dire non inci­ta­tion, bien au contraire, mais l’incitation fait appel au sen­ti­ment de res­pon­sa­bi­li­té du can­di­dat et à son désir d’apprendre, à sa curio­si­té, à son che­mi­ne­ment per­son­nel impli­qué dans ses choix.

ÉTANCHEITE ET LIMITATION DES INTERFERENCES :
Cette liber­té va de pair avec le fait que l’analyste per­son­nel n’interfère en aucune façon, à aucun moment, dans le pro­ces­sus de for­ma­tion. La psy­cha­na­lyse comme trai­te­ment indi­vi­duel est clai­re­ment dis­tincte et sépa­rée de la for­ma­tion qui se sou­tient du sou­hait de deve­nir ana­lyste, sou­hait qui peut conte­nir de mul­tiples signi­fi­ca­tions latentes enga­geant divers dési­rs incons­cients abor­dés en séance.
Ceci a des consé­quences : une éthique de la dis­cré­tion est requise de la part de l’analyste du can­di­dat, et s’étend aus­si à la for­ma­tion, en par­ti­cu­lier aux super­vi­sions qui par le contre-trans­fert engage l’analyse per­son­nelle, pas­sée ou en cours, du can­di­dat. Cette limi­ta­tion des inter­fé­rences a aus­si pour rai­son d’être, la pré­ven­tion contre la men­ta­li­té de groupe.
Il convient ici de sou­li­gner une évo­lu­tion propre au modèle fran­çais. Plu­sieurs années d’analyse per­son­nelle sont requises (au moins trois) avant de com­men­cer la for­ma­tion. Il y a quelques années, sans que cela ne soit ins­crit dans les textes sur la sélec­tion des can­di­dats, il était conseillé de se pré­sen­ter à la for­ma­tion après avoir ter­mi­né son ana­lyse per­son­nelle et avoir une pra­tique pri­vée. Actuel­le­ment, sou­vent l’analyse per­son­nelle conti­nue alors que la for­ma­tion est enga­gée, ce qui per­met que les asso­cia­tions sur la for­ma­tion deviennent un maté­riel de séance. Ceci n’est pas simple, mais est pré­fé­rable à une iso­la­tion. De ce point de vue, le modèle fran­çais et le modèle de Eitin­gon entre­tiennent des points de contact ; d’autant que la sépa­ra­tion des fonc­tions est de plus en plus res­pec­tée par les ins­ti­tuts qui ont adop­té le modèle Eitin­gon, depuis la sup­pres­sion du « repor­ting ». Néan­moins, dans le modèle Eitin­gon, l’analyse per­son­nelle, la for­ma­tion en grande par­tie pro­gram­mée et les super­vi­sions res­tent beau­coup plus entre­mê­lées.

Un exemple : Orga­ni­sa­tion concrète dans les Ins­ti­tuts de la SPP :
Une étude a été menée au sein de l’API. Les diverses moda­li­tés d’application des modèles ont été réper­to­riées.
1) Demande d’ouverture de dos­sier (can­di­da­ture) pour deve­nir Ana­lyste en for­ma­tion
2) Si réponse posi­tive de l’IP, dési­gna­tion de 3 membres for­ma­teurs (com­mis­saires) pour réa­li­sa­tion de 3 entre­tiens préa­lables, un entre­tien avec cha­cun.
3) Les 3 entre­tiens avec les 3 com­mis­saires
4) Pré­sen­ta­tion des 3 entre­tiens devant une Com­mis­sion du cur­sus (envi­ron 5 à 8 for­ma­teurs) > Admis­sion / Refus / Ajour­ne­ment.
5) Auto­ri­sa­tion de com­men­cer les super­vi­sions et inci­ta­tion à suivre des sémi­naires de for­ma­tion, les col­loques, congrès etc.
Even­tuelle option (cur­sus sui­vi) : demande d’attendre une année pour com­men­cer la 2° super­vi­sion avec ou non indi­ca­tion de pre­mière super­vi­sion indi­vi­duelle ou col­lec­tive. Dans le cas du cur­sus sui­vi, le 1° super­vi­seur vient pré­sen­ter l’année de super­vi­sion à la Com­mis­sion du cur­sus qui donne ou non son accord pour la seconde.
6) Demande de fin de cur­sus après accord des deux super­vi­seurs, avec dos­sier de tous les sémi­naires, col­loques et autres acti­vi­tés sui­vis durant la for­ma­tion.
7) Entre­tien avec un coor­di­na­teur pour par­ler du dérou­le­ment du cur­sus, des super­vi­sions, des sémi­naires et acti­vi­tés sui­vis, des éven­tuelles dif­fi­cul­tés ren­con­trées et des réflexions sur le cur­sus (feed­back et après coup).
8) Fin de cur­sus au sein d’une Com­mis­sion de fin de cur­sus qui réunit deux com­mis­sions de cur­sus (10 à 16 membres for­ma­teurs) ; avec les deux super­vi­seurs, les com­mis­saires de l’admission et les direc­teurs des sémi­naires sui­vis : Vali­da­tion / Non vali­da­tion avec demande de pour­suivre la for­ma­tion (3° super­vi­sion par exemple, ou pour­suite de l’une d’elles) ou fin du cur­sus.

DU POINT DE VUE DE LA REFLEXION METAPSYCHOLOGIQUE
Sou­li­gnons quelques cor­ré­la­tions entre les modèles et le fonc­tion­ne­ment psy­chique :
1) Du point de vue du trans­fert d’autorité et du trans­fert idéa­li­sant actifs dans l’analyse et dans la for­ma­tion, les cor­ré­la­tions avec l’enfance et ses rémi­nis­cences sont patentes. Chaque modèle hérite et sus­cite des sou­ve­nirs concer­nant l’école, l’apprentissage, le savoir, l’autorité etc.
2) Du point de vue de la for­ma­tion et de la trans­mis­sion, il n’y a pas un seul modèle d’enseignement qui soit plei­ne­ment satis­fai­sant, d’où le sou­hait d’en inven­ter de nou­veaux, négli­geant alors l’importance de l’identification impli­quée dans la trans­mis­sion et sa réfé­rence à l’héritage et au deuil.
3) Du point de vue de la réus­site des trai­te­ments : aucun modèle ne peut garan­tir le suc­cès d’un trai­te­ment ana­ly­tique, d’où l’espoir qu’un chan­ge­ment de modèle vienne à bout des résis­tances.
4) Du point de vue de l’adéquation des modèles avec les fonc­tion­ne­ments psy­chiques : en fonc­tion de leur orga­ni­sa­tion psy­chique, un modèle pour­ra être mieux uti­li­sé par tel ou tel patient et can­di­dat. Chaque modèle est mu par le sou­hait d’offrir au patient le Neben­mensch, l’autre humain proche, la per­sonne bien au cou­rant, celle qui a la réponse adé­quate, la mère suf­fi­sam­ment bonne, le père sup­port de l’autorité tendre, lui per­met­tant de reprendre son déve­lop­pe­ment psy­chique. Pour cer­tains le pro­to­cole à trois séances par semaine est en phase avec les patients névro­tiques, celui offrant plus de séances par semaine étant cen­sé être mieux adap­té aux orga­ni­sa­tions limites et bor­der­line. Pour d’autres, c’est le contraire, moins de séances est pré­fé­rable pour abor­der les trans­ferts mas­sifs nar­cis­siques et psy­cho­tiques.
5) Du point de vue théo­rique : deux points
– Le rap­port à la conti­nui­té-dis­con­ti­nui­té occupe les réflexions issues de la confron­ta­tion des modèles fran­çais et de celui de Eitin­gon.
– La ques­tion de la tem­po­ra­li­té et du sur­moi domine les débats en France, avec le pas­sage de l’atemporalité trau­ma­tique à l’intemporalité de l’inconscient dyna­mique et à la tem­po­ra­li­té scan­dée par le renon­ce­ment enga­gé dans le deuil œdi­pien qui ins­talle le sur­moi.
Dans les deux cas, la réflexion retrouve en che­min le pro­cès de l’après-coup.

CONTINUITE-DISCONTINUITE :
Le tra­vail psy­cha­na­ly­tique doit favo­ri­ser l’efficience des opé­ra­tions psy­chiques impli­quées en la pré­sence de l’analyste et en son absence. Avec leurs trois ou quatre ou cinq séances par semaine, tous les modèles de for­ma­tion placent les effets du couple conti­nui­té-dis­con­ti­nui­té au centre même de la tech­nique.
Le modèle fran­çais serait cen­sé mieux res­pec­ter la dis­con­ti­nui­té psy­chique propre à l’absence et mieux sus­ci­ter un fonc­tion­ne­ment psy­chique en deux temps basé sur la dyna­mique spé­ci­fique de l’après-coup, avec sa période de latence entre les deux temps.
Le modèle anglo-saxon à cinq séances par semaine serait cen­sé favo­ri­ser une conti­nui­té qui pro­tè­ge­rait le patient du trau­ma­tique de la dis­con­ti­nui­té.
Une telle démar­ca­tion étayée sur une réa­li­té mani­feste, entre les modèles et le couple conti­nui­té-dis­con­ti­nui­té, ne semble guère sou­te­nable du point de vue méta­psy­cho­lo­gique. Tou­te­fois la prise en compte offi­cielle de l’après-coup dans la psy­cha­na­lyse fran­çaise, et sa qua­si absence dans celle anglo-saxonne rend compte de concep­tions et d’écoutes dif­fé­rentes du maté­riel de séance par l’analyste. Pour les uns, il est enten­du comme l’expression de la com­pul­sion de répé­ti­tion du « coup » trau­ma­tique, pour les autres comme le résul­tat du pro­cès de l’après-coup. Si la conti­nui­té est le but recher­ché et idéa­li­sé, l’effet d’après-coup ne sera pas recon­nu ; au contraire, si la dis­con­ti­nui­té est la pré­oc­cu­pa­tion prin­ci­pale, la néces­si­té d’une conti­nui­té momen­ta­née sera négli­gée.
Nous retrou­vons la sur­dé­ter­mi­na­tion par les sou­bas­se­ments théo­riques latents impli­qués dans l’écoute de l’analyste, sa concep­tion d’un fonc­tion­ne­ment men­tal idéal. Ces concep­tions théo­riques semblent être le prin­ci­pal repère de dif­fé­ren­cia­tion, mais n’oublions pas que le fonc­tion­ne­ment men­tal de l’analyste sub­sume ses théo­ries impli­cites et expli­cites.

TEMPORALITÉ :
C’est la ques­tion de la tem­po­ra­li­té qui est visée par les apports de Lacan et qui leur concède leur part de véri­té. Certes le contexte de réduc­tion du temps des séances et du nombre de séances pour des rai­sons prag­ma­tiques que nous avons abor­dées plus haut, a pu favo­ri­ser cet appel à rendre fluc­tuants la durée et le nombre de séances ; mais notons que c’est tou­jours dans le sens d’une réduc­tion.
Sur le plan méta­psy­cho­lo­gique, nous pou­vons envi­sa­ger que les pro­po­si­tions de Lacan cherchent une solu­tion à un aspect cli­nique auquel est confron­té tout ana­lyste, l’attraction régres­sive impli­quée dans la com­pul­sion de répé­ti­tion à laquelle répond la pénible per­la­bo­ra­tion.
Lacan per­çoit que la régres­sion et la remé­mo­ra­tion peuvent s’embourber dans ladite com­pul­sion de répé­ti­tion. C’est pro­ba­ble­ment cet aspect pénible pour l’analyste, qui lui fait don­ner un coup de pied dans la four­mi­lière, en intro­dui­sant la réduc­tion du temps des séances et la scan­sion c’est-à-dire un degré de vio­lence ayant la valeur d’un ébran­le­ment inter­pré­ta­tif par un agir trau­ma­tique. Cet impact trau­ma­tique porte l’espoir de déclen­cher au sein de la séance les pro­ces­sus enga­gés dans la coex­ci­ta­tion libi­di­nale, et de sus­ci­ter ain­si une émer­gence du désir.
Cette pro­po­si­tion est évi­dem­ment à dis­cu­ter avec des col­lègues laca­niens ayant à cœur de pen­ser leur pra­tique.
Pour nous la scan­sion est une invi­ta­tion à pen­ser l’interprétation. La scan­sion doit être DANS l’interprétation. L’asymétrie vient de cet acte psy­chique, et non pas de la déci­sion du Prince. L’interprétation doit prendre à son compte la valeur de la scan­sion, au pro­fit du couple intem­po­ra­li­té-tem­po­ra­li­sa­tion. Nous accor­dons à la régres­sion l’espoir de lais­ser poindre les éprou­vés de manque, et à l’interprétation la capa­ci­té de libé­rer et rendre effi­cientes les opé­ra­tions psy­chiques leur répon­dant. Le pari de notre tra­vail, pari jamais gagné, porte sur l’éveil des impé­ra­tifs de men­ta­li­sa­tion.

Avant de lais­ser place au débat, sou­li­gnons encore que les évo­lu­tions des modèles vont géné­ra­le­ment dans le seul et unique sens d’une dimi­nu­tion du nombre de séances, de la durée des séances, de la durée de l’analyse, etc. Cela a com­men­cé avec Otto Rank et le trau­ma­tisme de la nais­sance, et a don­né lieu à des com­men­taires impor­tants de Freud. Au-delà de la légi­ti­mi­té de ce sou­ci, cette ten­dance réduc­trice et la pas­sion qui l’accompagne se pré­sentent comme un élé­ment cli­nique. Cette pro­pen­sion à la dimi­nu­tion peut être envi­sa­gée comme un effet de la ten­dance à se libé­rer du tra­vail psy­chique exi­gé par l’oscillation pré­sence-absence agie par les séances, oscil­la­tion qui convoque les rémi­nis­cences d’oscillations pré­sence-absence et donc de la scène pri­mi­tive. Il s’agit d’éliminer les endo-per­cep­tions de manque par la fabri­ca­tion d’un manque objec­ti­vable, un manque de temps de séance, en lieu et place de celui beau­coup plus insai­sis­sable qui tra­duit l’impuissance du psy­chisme à éli­mi­ner la dimen­sion trau­ma­tique. S’ouvre à nou­veau une dis­cus­sion por­tant sur les concep­tions d’un fonc­tion­ne­ment psy­chique idéal, actives dans le contre-trans­fert de l’analyste : la cure est-elle au ser­vice de la construc­tion de res­sen­tis de conti­nui­té ou de la recon­nais­sance des effets de la dis­con­ti­nui­té interne au psy­chisme.
Enfin sur un plan prag­ma­tique du côté de l’analyste, sou­li­gnons qu’un tel sou­hait de dimi­nuer la durée de l’analyse, le nombre de séances et la durée des séances, va à l’encontre du confort requis pour le tra­vail men­tal de l’analyste. Quand il défend ces dimi­nu­tions, l’analyste tra­vaille contre lui-même mais sur­tout contre l’analyse en se pri­vant de ce mini­mum de confort. Une pho­bie contre-trans­fé­ren­tielle de la situa­tion ana­ly­tique se devine ici.

Ber­nard Cher­vet
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