Sur la référence à la psychanalyse en CMPP

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Note d’un pédopsychiatre, psychanalyste et médecin directeur sur la référence à l’analyse en CMPP.
Albert Louppe est membre titulaire formateur de la SPP.
Texte proposé dans le cadre de la journée d’étude de l’Institut Claparède en décembre 2023.

Le défi pour la pédo­psy­chia­trie se réfé­rant à la psy­cha­na­lyse est déjà posé depuis bien long­temps.

Le patron de la pédo­psy­chia­trie à la Pitié Sal­pê­trière décri­vait, en 1985, l’avancée des neu­ros­ciences comme un risque d’entraîner un véri­table « des­po­tisme orga­ni­ciste » qui ferait fi des décou­vertes freu­diennes, pour­tant essen­tielles à la com­pré­hen­sion du déve­lop­pe­ment de l’enfant et à ses vicis­si­tudes. Qua­rante ans après, sa pré­dic­tion semble en par­tie s’être réa­li­sée, avec la place prise par le neu­ro­dé­ve­lop­pe­ment dans notre champ.

Lebo­vi­ci sou­li­gnait de son côté, la néces­si­té de s’extraire de ce que j’appellerais une « culture de la mono­gra­phie » sur laquelle s’est essen­tiel­le­ment construite la psy­cha­na­lyse, en pré­co­ni­sant un retour néces­saire à des études cli­niques minu­tieuses qui pour­rait satis­faire aux exi­gences de la recherche cli­nique. Il pen­sait que le désac­cord d’un cer­tain nombre de membres des équipes de pédo­psy­chia­trie, avec l’importance recon­nue à la psy­cha­na­lyse, s’attachait d’abord, selon lui, à une cri­tique de ses pré­ten­tions thé­ra­peu­tiques : « il faut en tout cas recon­naître, disait-il, qu’une éva­lua­tion rigou­reuse des effets thé­ra­peu­tiques de la psy­cha­na­lyse et sur­tout de ces appli­ca­tions psy­cho­thé­ra­piques, s’impose main­te­nant. » 

Depuis qua­rante ans, à la pré­ten­tion thé­ra­peu­tique est venue s’ajouter le défaut de diag­nos­tics pré­coces et de pres­ta­tions thé­ra­peu­tiques adap­tées par mécon­nais­sance et/ou non-res­pect des outils et des approches thé­ra­peu­tiques pré­co­ni­sées par les recom­man­da­tions de bonnes pra­tiques.

Deux concep­tions semblent main­te­nant se confron­ter, celle d’une psy­chi­sa­tion en mal de deve­nir et celle d’une par­ti­cu­la­ri­té déve­lop­pe­men­tale, qu’illustre, à titre d’exemple, le débat entre Ber­nard Golse par­lant d’enfants pré­sen­tant un autisme qui les empêchent d’être une per­sonne, d’être un sujet, et Joseph Scho­va­nec par­lant de per­sonne avec autisme1.

Com­ment gar­der notre réfé­rence à la psy­cha­na­lyse dans un contexte où le dis­cours social relaie lar­ge­ment les remises en cause dont elle est l’objet ?

La psy­cha­na­lyse en CMPP

Les ana­lystes fon­da­teurs des CMPP ont par­ti­ci­pé à la rédac­tion de l’Annexe XXXII, qui fonde la mis­sion des CMPP. Dans l’article 1, les rédac­teurs ont été atten­tifs à gar­der un équi­libre entre la dimen­sion neu­ro­lo­gique et la dimen­sion psy­chique, entre la pra­tique psy­cho­thé­ra­pique et l’approche réédu­ca­tive. Ils ont éga­le­ment mis l’accent sur les soins à la famille et sur la dimen­sion plu­ri­dis­ci­pli­naire de la prise en charge. Il s’agit in fine de la défi­ni­tion d’une pra­tique pédo­psy­chia­trique clai­re­ment d’orientation psy­cha­na­ly­tique, telle qu’elle émer­geait dans l’après-guerre tout en conser­vant ses racines médi­cales.

Le tra­vail de consul­ta­tion

Pour Hen­ri Sau­guet, je le cite« l’acte de consul­ta­tion [en CMPP] puise ses connais­sances dans l’ensemble de notre culture médi­cale et psy­cho­lo­gique, mais aus­si et sur­tout dans l’apport de la psy­cha­na­lyse qui nous éclaire davan­tage sur la connais­sance des besoins de l’enfant inti­me­ment liés à sa crois­sance et à sa struc­tu­ra­tion bio­lo­gique et psy­cho­lo­gique ». 

L’essentiel était pour lui l’étude dyna­mique et éco­no­mique des élé­ments du groupe fami­lial en pré­sence des dif­fi­cul­tés de l’un d’eux, ain­si que des modi­fi­ca­tions qui en résultent en ce qui concerne les rela­tions objec­tives de cha­cun. 

Il pen­sait que la recherche qui ani­mait la consul­ta­tion était en elle-même psy­cho­thé­ra­pique pour cha­cun des inter­lo­cu­teurs. En d’autres termes, la dimen­sion thé­ra­peu­tique de la consul­ta­tion repose a prio­ri sur cette recherche elle-même et non sur son inter­pré­ta­tion.

Pour Domi­nique Arnoux, il appar­tient au psy­cha­na­lyste consul­tant de repé­rer les capa­ci­tés plus ou moins entra­vées de l’enfant à par­tir des troubles qui lui sont décrits par les parents, l’école et l’enfant lui-même. L’accession aux moyens de sym­bo­li­sa­tion devient évi­dem­ment cen­trale de même que les capa­ci­tés chez l’enfant pour s’organiser avec ses angoisses et ses dif­fi­cul­tés sin­gu­lières d’adaptation au groupe « famille » ou au groupe « école » selon son déve­lop­pe­ment psy­choaf­fec­tif et libi­di­nal.

Pour l’un et pour l’autre, le tra­vail de consul­ta­tion ana­ly­tique avec l’enfant et sa famille est bor­né par la struc­tu­ra­tion bio­lo­gique ou les dif­fi­cul­tés sin­gu­lières d’adaptation venant entra­ver le déve­lop­pe­ment de l’enfant. La recherche por­tant sur le groupe fami­lial pour Sau­guet, et la sym­bo­li­sa­tion pour Arnoux, sont d’un même registre, où la construc­tion d’un récit sur la famille, prime sur son inter­pré­ta­tion.

Pour ma part, je par­tage la défi­ni­tion de Pierre Fer­ra­ri, qui reprend d’une autre manière cette dia­lec­tique. Le pro­ces­sus de déve­lop­pe­ment dépend de deux séries de fac­teurs internes et inter­ac­tifs qui s’associent, d’une évo­lu­tion interne résul­tant d’un pro­gramme de déve­lop­pe­ment et d’une inter­ac­tion avec le milieu qui per­met l’expression des pro­ces­sus matu­ra­tion­nels et des pro­ces­sus psy­chiques. La consul­ta­tion est alors l’attention por­tée à l’expression sin­gu­lière de cette inter­ac­tion et à son appro­pria­tion dans le récit fami­lial. 

La réfé­rence à la psy­cha­na­lyse dans le pro­jet d’établissement

Le pro­jet d’établissement de notre ins­ti­tu­tion reprend cette concep­tion proche de celle d’un modèle plu­ri­fac­to­riel de la psy­cho­pa­tho­lo­gie infan­tile où s’entrecroisent ce qui relève du déve­lop­pe­ment psy­chique ou neu­ro­dé­ve­lop­pe­men­tal, et l’éventail des influences exté­rieures : « Le choix de la méthode thé­ra­peu­tique indi­quée, de la média­tion per­ti­nente et du cadre néces­saire est adap­té à chaque enfant, ado­les­cent ou étu­diant, en fonc­tion des dif­fé­rents aspects de son par­cours : his­toire per­son­nelle, neu­ro-déve­lop­pe­ment, par­cours sco­laire, contexte social et dimen­sion cultu­relle ».

L’en-commun impli­cite et les pré­sup­po­sés de ces trois points de vue sur la consul­ta­tion, en réfé­rence à la psy­cha­na­lyse, est l’im­por­tance du lien pri­maire à la mère, consi­dé­ré comme un sys­tème inter­ac­tif com­plexe, où se déploient les com­pé­tences rela­tion­nelles innées très impor­tantes que pos­sède l’en­fant à sa nais­sance, ins­crites dès l’o­ri­gine dans une tri­an­gu­la­tion avec le père ori­gi­naire, et essen­tielles pour le déve­lop­pe­ment ulté­rieur de l’en­fant dans ses divers aspects.

La ques­tion de l’expression, de l’altération et du deve­nir de ces com­pé­tences rela­tion­nelles innées consti­tue le fon­de­ment des débats entre réfé­rence à la psy­cha­na­lyse et approche neu­ro­dé­ve­lop­pe­men­tale. Elle mérite d’être abor­dée en se décen­trant d’une posi­tion de croyance a prio­ri.

Dans le cadre du CMPP, une approche plu­ri­dis­ci­pli­naire, avec un abord plu­ri­fac­to­riel ins­crit de fait dans son his­toire et dans sa pra­tique, per­met autant l’évaluation du fonc­tion­ne­ment psy­chique de l’enfant que celle de ses par­ti­cu­la­ri­tés fonc­tion­nelles liées à une apo­rie dans le déploie­ment de ses com­pé­tences rela­tion­nelles. 

Au-delà de la dimen­sion étio­lo­gique des dif­fi­cul­tés, l’approche ana­ly­tique garde toute sa per­ti­nence pour per­mettre à l’enfant d’élaborer ses dif­fi­cul­tés sin­gu­lières d’adaptation au groupe « famille » ou au groupe « école » selon son déve­lop­pe­ment psy­choaf­fec­tif et libi­di­nal.

La mul­ti­pli­ci­té de la réfé­rence à la psy­cha­na­lyse

Les réfé­rences à la psy­cha­na­lyse sont mul­tiples dans notre pra­tique en CMPP. Dans une dimen­sion freu­dienne, la sexua­li­té poly­morphe spé­ci­fique chez l’enfant est le socle sur lequel va se construire la dif­fé­rence des sexes et des géné­ra­tions, struc­tu­rées par les fan­tasmes ori­gi­naires, au cœur de l’organisation œdi­pienne. L’Œdipe se trouve ain­si ins­crit comme le noyau du fonc­tion­ne­ment men­tal de l’enfant. Sur la base des don­nées de l’observation directe de l’enfant et de son milieu fami­lial, cer­tains intègrent la psy­cha­na­lyse dans la psy­cho­lo­gie géné­tique ; tan­dis que dans une approche plus struc­tu­ra­liste, d’autres consi­dèrent qu’il est néces­saire de tenir compte des niveaux spé­ci­fiques de la matu­ra­tion dans le déve­lop­pe­ment du moi. D’autres encore, sui­vant Win­ni­cott, se réfèrent à la matu­ra­tion du self, en fonc­tion des vicis­si­tudes du hol­ding fami­lial. Glo­ba­le­ment, il s’agit pour les cli­ni­ciens de ten­ter de s’inscrire dans une vision arti­cu­lée et cohé­rente de la genèse du moi et de la rela­tion objec­tale.

Cer­tains cou­rants ana­ly­tiques s’opposent à cette vision géné­tique et his­to­rique de la psy­cha­na­lyse, et déve­loppent une approche plus syn­chro­nique et struc­tu­ra­liste : la dimen­sion struc­tu­rale « des signi­fiants » impor­te­rait plus que leur sens et leur ins­crip­tion dans l’histoire est secon­daire. C’est le cas par exemple de Lacan, d’Au­la­gnier, de Vider­man ou de Braun­sch­weig et Fain. 

La fécon­di­té de l’analyse dans l’ins­ti­tu­tion néces­site que nous puis­sions débattre de cette plu­ra­li­té de réfé­rences ana­ly­tiques, pour enri­chir notre pra­tique. 

Un pro­jet d’évaluation des psy­cho­thé­ra­pies, évo­qué par Lebo­vi­ci comme indis­pen­sable pour sou­te­nir la vali­di­té de la réfé­rence à l’analyse, s’est beau­coup heur­té à cette plu­ra­li­té. Les échanges entre cli­ni­ciens sur l’évaluation des psy­cho­thé­ra­pies ana­ly­tiques de l’enfant en CMPP sont reve­nus régu­liè­re­ment sur les ques­tions qu’elle pose : quelles variables peuvent vala­ble­ment rendre compte de la spé­ci­fi­ci­té de la ren­contre ana­ly­tique et du pro­ces­sus qui l’anime, au regard de la mul­ti­pli­ci­té des théo­ri­sa­tions et des pra­tiques ? L’introduction d’indicateurs ren­dant compte de l’inscription de l’enfant dans son contexte fami­lial, sco­laire et rela­tion­nel sont-ils com­pa­tibles avec la sub­jec­ti­va­tion comme fina­li­té de la psy­cho­thé­ra­pie ana­ly­tique ? La notion même de réfé­ren­tiel d’évaluation, avec ce qu’il sup­pose d’idéal ou de norme, n’est-elle pas, plus lar­ge­ment, anta­go­niste de la psy­cha­na­lyse ? Au terme d’un tra­vail de trois ans, nous avons fina­le­ment rete­nu un en-com­mun de ce qui vient vec­to­ri­ser le pro­ces­sus thé­ra­peu­tique : le rap­port au cadre, la rela­tion au thé­ra­peute, le registre de sym­bo­li­sa­tion et le rap­port de l’enfant à sa vie psy­chique. Il est éga­le­ment appa­ru néces­saire que l’évaluation interne du pro­ces­sus soit mise en pers­pec­tive avec des élé­ments d’évaluation concer­nant l’enfant dans son contexte hors séance. 

Tra­vailler psy­cha­na­ly­ti­que­ment                 

Dans le Psy­cha­na­lyste sans divan, en 1973, Raca­mier, avec Diat­kine, Lebo­vi­ci et Pau­melle, posait une ques­tion tou­jours d’actualité : « que se passe-t-il lorsque le psy­cha­na­lyste tra­vaille dans des orga­nismes de soins des­ti­nés à des patients qui souffrent psy­chi­que­ment mais qui n’ont pas les pos­si­bi­li­tés psy­cho­lo­giques de béné­fi­cier des res­sources propres à la situa­tion psy­cha­na­ly­tique clas­sique ? »

Win­ni­cott, trai­tant des exi­gences du cadre et de sa défi­ni­tion du psy­cha­na­lyste avait déjà for­mu­lé sa propre réponse : « N’est-ce pas d’abord et avant tout la manière dont un thé­ra­peute contient et trans­forme les pro­duc­tions de son patient qui aujourd’hui le désigne ou non comme ana­lyste ? »

Ces dif­fé­rents auteurs décentrent la ques­tion en nous inci­tant à tra­vailler psy­cha­na­ly­ti­que­ment avec nos patients, en élar­gis­sant la palette de nos outils, au-delà de la cure clas­sique. Cette posi­tion fon­da­trice de notre ins­ti­tu­tion a mar­qué son appro­pria­tion de tech­niques nou­velles : le psy­cho­drame de groupe, les thé­ra­pies fami­liales ana­ly­tiques, mais éga­le­ment la pra­tique du bilan psy­cho­lo­gique ou les tra­vaux sur l’autisme de Gene­viève Haag.

Néan­moins, les cri­tiques sur les résul­tats des psy­cho­thé­ra­pies ana­ly­tiques doivent nous ame­ner à revi­si­ter le roc du bio­lo­gique. « Pour le psy­chisme, le bio­lo­gique joue vrai­ment le rôle du roc qui se trouve au-des­sous de toutes les strates »2, lorsque tout le tra­vail ana­ly­tique se heurte à des résis­tances indé­pas­sables. « À force de creu­ser, nous butons ain­si sur ce qui est de taille à nous tenir tête, soit à l’ultime et insur­mon­table résis­tance que Freud pour­tant se refuse à per­son­ni­fier, dans la mesure, pré­ci­sé­ment, où il la désigne comme étant d’ordre bio­lo­gique3 ». Si les concep­tions théo­riques sont bien sûr plu­rielles, cette option freu­dienne oppo­sant au roc du bio­lo­gique un effet du contre-trans­fert4, nous avons sans doute à prendre en compte que nombre d’analystes ayant déve­lop­pé une construc­tion théo­rique glo­bale butent sur cette ques­tion du « consti­tu­tion­nel ».

Dès les débuts de la psy­cha­na­lyse, cette ques­tion se posait. R. Loe­wen­stein inter­ro­geait déjà en 1932 cette dia­lec­tique psychique/constitution dans notre champ : « La psy­cha­na­lyse, en tant que méthode thé­ra­peu­tique est essen­tiel­le­ment psy­cho­lo­gique, comme l’est aus­si son inves­ti­ga­tion. Par contre, dans la concep­tion qu’elle se fit des névroses, comme de l’évolution psy­cho­lo­gique nor­male, elle tient lar­ge­ment compte des fac­teurs orga­niques5[4] ». 

L’origine des CMPP me semble s’inscrire dans cette réflexion sur cette pro­blé­ma­tique. Elle garan­tit l’inscription dans une réfé­rence à une psy­cha­na­lyse vivante et créa­tive dans ses pro­po­si­tions de varia­tions du cadre clas­sique.

Cadre et média­tion en CMPP

En 1922, Freud défi­nis­sait la psy­cha­na­lyse comme le nom d’un pro­cé­dé pour l’investigation de pro­ces­sus men­taux à peu près inac­ces­sibles autre­ment, d’une méthode fon­dée sur cette inves­ti­ga­tion pour le trai­te­ment des désordres névro­tiques et d’une série de concep­tions psy­cho­lo­giques acquises par ce moyen et qui s’accroissent ensemble pour for­mer pro­gres­si­ve­ment une nou­velle dis­ci­pline. Le pro­cé­dé mis en place par Freud est cen­tré sur la parole de l’analysant, avec une règle d’association libre dans le cadre ana­ly­tique clas­sique. 

Dans notre pra­tique de CMPP, l’approche psy­cha­na­ly­tique se fonde sur une varia­bi­li­té des cadres pro­po­sés, une mul­ti­pli­ci­té de média­tions et des varia­tions de la règle fon­da­men­tale.

Le cadre est un outil d’accessibilité au fonc­tion­ne­ment men­tal de l’enfant. La mul­ti­pli­ca­tion des cadres ren­voie à la ques­tion sou­le­vée par Lebo­vi­ci sur son lien avec la concep­tion de la genèse du moi et de l’investissement d’objet de l’analyste. Dans la situa­tion clas­sique de l’analyse, l’analysant est sup­po­sé sup­por­ter l’absence de la per­cep­tion de l’analyste pour ouvrir à la dimen­sion de l’imaginaire, au trans­fert et in fine à la réa­li­té psy­chique. Dans notre pra­tique, il s’agit de mettre en place un cadre en tenant compte du sta­tut de l’objet dans la psy­ché de l’enfant, de la dyna­mique de la rela­tion d’objet en fonc­tion des capa­ci­tés de trans­for­ma­tion de l’excitation, de figu­ra­tion et de repré­sen­ta­tion, en tenant compte de la construc­tion de l’image du corps.

Si la parole peut consti­tuer une média­tion dans la ren­contre avec l’enfant, le jeu tient une place pri­vi­lé­giée, mais nombre d’autres média­tions peuvent être pro­po­sées en pre­mier lieu, qui sup­plées l’association libre. Il s’agit ici d’ou­tils per­met­tant l’écoute des pro­duc­tions de l’enfant dans une dyna­mique sym­bo­li­sante venant sup­pléer le lan­gage. Dans un autre champ, R. Debray décri­vait les média­tions comme un « ensemble dyna­mique des pro­cé­dures et corps inter­mé­diaires qui s’interposent entre une pro­duc­tion de signes et une pro­duc­tion d’événements ». Pour cer­tains, dans un lan­gage plus actuel, il s’agit de s’interroger sur la média­tion qui peut fonc­tion­ner pour l’enfant comme un déco­deur de ses pro­duc­tions, afin d’ac­cé­der par l’écoute du cli­ni­cien à des formes pri­maires ou secon­daires de sym­bo­li­sa­tion. 

Ce qui carac­té­rise en par­tie notre réfé­rence à l’analyse en CMPP, c’est sans doute que ce ques­tion­ne­ment sur le cadre et la média­tion lors de l’indication de la prise en charge utile, néces­saire et réa­li­sable pour l’enfant, dépasse sa simple appli­ca­tion aux prises en charge psy­cho­thé­ra­piques. Il peut éga­le­ment par­ti­ci­per de l’indication d’un tra­vail réédu­ca­tif, au-delà des outils spé­ci­fiques à chaque métier, tout autant que le tra­vail consul­ta­tif : Psy­cho­thé­ra­pie ? Construc­tion de cabane ? Groupe conte ? Nombre de séances par semaine ? Com­bien de thé­ra­peutes ? Quel maté­riel ?

La méthode ren­voie pour nous aux moda­li­tés d’intervention auprès des enfants. Elles sont bien évi­dem­ment mul­tiples, mais pour ma part, j’en retiens deux axes à l’institut Cla­pa­rède dont l’articulation peut être dis­cu­tée. Pour cer­tains d’entre nous, l’accent est por­té sur l’analyste comme objet trans­for­ma­tion­nel, c’est-à-dire sur l’hypothèse qu’au sor­tir de l’indifférenciation, la sub­jec­ti­vi­té de l’enfant recon­naît d’abord la nature de la rela­tion. L’objet de trans­fert est alors iden­ti­fié à l’ensemble des pro­ces­sus modi­fiant l’expérience du self. En d’autres termes, c’est la ren­contre avec le cli­ni­cien « mal­léable » qui trans­forme le self avec l’espoir d’une répa­ra­tion du tis­su moïque. Pour d’autres, la réfé­rence à l’analyse s’inscrit davan­tage dans une logique d’interprétation sur l’hypothèse de l’objet de trans­fert dans ses mul­ti­pli­ci­tés de signi­fi­ca­tion : objet de pro­jec­tion, objet nar­cis­sique, objet libi­di­nal, etc., avec l’espoir d’un rema­nie­ment topique et éco­no­mique. 

La série de concep­tions dont parle Freud mérite éga­le­ment notre réflexion : il s’agit bien évi­dem­ment d’une vision cohé­rente et glo­bale sur le fonc­tion­ne­ment psy­chique incons­cient, mais il s’agit tout autant d’une réflexion sur les théo­ries du chan­ge­ment du fonc­tion­ne­ment psy­chique et d’un ques­tion­ne­ment sur l’idéal thé­ra­peu­tique, de la cathar­sis à la sub­jec­ti­va­tion, en pas­sant par la réso­lu­tion de l’Œdipe ou l’appropriation d’une capa­ci­té nar­ra­tive, avec l’enjeu sous-jacent de la fin de trai­te­ment, en évi­tant les prises en charge infi­nies. 

Conclu­sion

La réfé­rence à l’analyse en CMPP sup­pose que la prise en compte de l’inconscient s’intègre dans un dis­po­si­tif de soins plu­ri­dis­ci­pli­naire qui inter­roge régu­liè­re­ment la cohé­rence de notre concep­tion de l’investigation, de la méthode et des concepts psy­cha­na­ly­tiques qui orga­nisent notre cli­nique, notam­ment pour ceux des enfants qui ne relèvent pas direc­te­ment d’une prise en charge psy­cho­thé­ra­pique.

L’organisation du pro­jet de soins pour les enfants inter­roge en per­ma­nence à la fois le choix du cadre et de ses varia­tions, en tant qu’elles vec­to­risent le pro­ces­sus thé­ra­peu­tique pos­sible, en pre­nant en compte les par­ti­cu­la­ri­tés de chaque enfant, tant dans son orga­ni­sa­tion psy­chique que sans son déve­lop­pe­ment.  

Pour conclure, je revien­drai sur la ques­tion de l’idéal thé­ra­peu­tique. Entre appro­pria­tion sub­jec­tive et appro­pria­tion d’une capa­ci­té nar­ra­tive, les réfé­rences sont nom­breuses. Nous nous heur­tons sou­vent dans la pra­tique en CMPP sur la défi­ni­tion des cri­tères qui peuvent nous faire consi­dé­rer que la prise en charge peut se conclure et nous n’échappons pas à la pro­blé­ma­tique des trai­te­ments infi­nis.  Je par­tage avec Domi­nique Arnoux l’idée que la prise en charge d’un enfant ou d’un ado­les­cent ne doit pas hypo­thé­quer la pos­si­bi­li­té d’un tra­vail psy­chique ulté­rieur. L’engagement pro­po­sé tien­dra compte des rema­nie­ments ulté­rieurs et pour les pré­ser­ver ne se don­ne­ra pas comme exhaus­tif et défi­ni­tif.


  1. Raf­fy, A. « Points de vue des auteurs Asper­ger et des psy­cha­na­lystes sur l’autisme », Le Coq Héron, 2017/2, pp. 31 à 44. ↩︎
  2. S. Freud (1937) Ana­lyse avec fin et ana­lyse sans fin,  dans Résul­tats, idées, pro­blèmes, t. II, Paris, puf, 1985. ↩︎
  3. Stein, C. Le monde du rêve, le monde des enfants, Aubier, 2011. ↩︎
  4. Don­net, J.-L. « Freud et le refus de la fémi­ni­té : entre « roc du bio­lo­gique et contre-trans­fert » ». RFP, 2010/5. ↩︎
  5. Loe­wen­stein, R. « La psy­cha­na­lyse et la notion de consti­tu­tion », Evo­lu­tion psy­chia­trique 1932/4. ↩︎