Con finement

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Nous vivons sous oxy­more, bête­ment cloî­trés d’un côté, condam­nés à inven­ter l’emploi du temps de l’autre.
Bien sûr, il y a les séances au télé­phone… les­quelles n’ont pas man­qué de pro­vo­quer de puis­santes réflexions ici et là : c’est plus fati­guant, la dis­sy­mé­trie en prend un coup, le silence aus­si, sans par­ler de l’écoute flot­tante deve­nue vigi­lante… De temps en temps quand même un lot de conso­la­tion : tel patient obses­sion­nel pro­té­gé par ce plus de dis­tance, lève l’interdit du tou­cher et se montre plus intime et affec­tif qu’il ne l’a jamais été. Un mur­mure dans le creux de l’oreille… L’un d’entre eux n’a pas man­qué de noter que c’est par là que Marie a été dépu­ce­lée. Le « per­vers poly­morphe » a de beaux jours télé­pho­niques devant lui. On attend avec impa­tience les séances du 1er avril.
Reste la psy­cho­lo­gie col­lec­tive. L’inédit de la situa­tion per­met­tra-t-il à la théo­rie d’en tirer béné­fice ? De la Corée du Sud à l’Alsace, les ras­sem­ble­ments reli­gieux se sont révé­lés d’impitoyables « clus­ters ». À Mul­house, 2000 fidèles de l’Église Évan­gé­lique de la Porte Ouverte, réunis en un même lieu pen­dant cinq jours, chan­tant et tous­sant en chœur tout en ne se lâchant jamais la main, ont géné­reu­se­ment ouvert la porte au virus, l’ont véhi­cu­lé un peu par­tout en France et en Europe, en même temps que la bonne Parole. « En Véri­té je vous le dis… », mes­sage viral s’il en est.

Est-ce la fin d’une « illu­sion » ? Ou la pro­messe du contraire ? Dans L’avenir d’une illu­sion, pré­ci­sé­ment, Freud change son fusil d’épaule. La pre­mière psy­cho­ge­nèse de la reli­gion, celle qu’il pro­pose à par­tir de la com­mu­nion toté­mique de Totem et tabou, devait tout au com­plexe pater­nel. « Un jour les frères… » Direc­te­ment déri­vée de la névrose obses­sion­nelle, de l’ambivalence à l’idéalisation en pas­sant par le meurtre, l’incorporation et la culpa­bi­li­té, l’affaire se noue entre des jeunes hommes et un Père, façon des­pote orien­tal.
Écrit en 1927, L’avenir d’une illu­sion suit de quelques années (et pré­cède de quelques autres) l’effondrement du monde de la culture euro­péenne. Dif­fi­cile de ne pas pen­ser à l’image de « châ­teaux de cartes » que donnent aujourd’hui les socié­tés occi­den­tales (sans par­ler des autres) que l’on croyait pour­tant soli­de­ment fon­dées. Le héros de l’Avenir, celui à qui l’on doit la psy­cho­ge­nèse de la nou­velle reli­gion, n’est plus le groupe des frères ado­les­cents, mais le très jeune enfant, celui de l’état de détresse, inca­pable d’assurer par lui-même sa sur­vie et se tour­nant vers les Toutes-Puis­sances de l’enfance, dont il attend, sur un mode hal­lu­ci­na­toire, l’accomplissement de ses dési­rs et la res­tau­ra­tion océa­nique de son nar­cis­sisme. La pre­mière reli­gion était névro­tique, la seconde est déli­rante.

La détresse est mau­vaise conseillère, elle pro­met le pire des dieux. On n’en est pas là, même si le com­plo­tisme ambiant rap­pelle de mau­vais sou­ve­nirs. Il nous reste, avec Freud, le droit de rêver à la vic­toire du logos sur la bêtise. Il arrive même qu’au cœur de cette der­nière on puisse encore entendre le conflit psy­chique et son humour noir : Hani Rama­dan, pré­di­ca­teur sala­fiste, frère de l’illustre Tariq, a décla­ré que le Coro­na était la réponse de Dieu à la for­ni­ca­tion et à l’adultère… son frère appré­cie­ra.
Et puis il y a les bonnes nou­velles, l’économie en panne, l’atmosphère se refait une san­té. On étouffe d’un côté, on res­pire de l’autre. Répit aus­si pour les espèces ani­males. Entre le SRAS et l’homme, il y avait la civette, ce petit mam­mi­fère en vente sur les mar­chés de Hong-Kong chez qui le virus avait fait sa muta­tion fatale. Entre le Coro­na 19 et nous il y a le pan­go­lin, en vente plus ou moins clan­des­tine sur le mar­ché de Wuhan. La civette, espèce mena­cée d’extinction, avait repris vie grâce à l’épidémie. Le pan­go­lin, lui aus­si mena­cé de dis­pa­ri­tion, est pro­mis au même sort, une vie nou­velle.