Couvre-feu est un terme qui, si on ne résiste pas à un jeu de mot tentant, fait flamber les fantasmes et qui donc, s’il empêche certains incendies en attise d’autres.
Je n’ai sans doute pas été la seule, le premier soir, à regarder depuis chez moi les rues désertes et par-delà l’anxiété que cette désolation suscite, à en goûter la poésie mélancolique.
Pas âme qui vive dans la froide nuit d’automne, sauf derrière les rares fenêtres éclairées d’où d’autres sans doute scrutent aussi l’obscurité. L’épicerie du coin est en train de fermer, elle qui est ouverte jusque tard dans la nuit d’habitude et dont la lumière brûle comme celle d’une veilleuse ou d’un fanal, signalant une présence rassurante, un lieu dans le quartier où on peut trouver « tout » ce dont on a besoin.
Pas âme qui vive. Un silence impressionnant, une scène un peu surréaliste, on se croirait dans un tableau de Magritte ou de Chirico, à moins ce ne soit l’heure du ftour dans un pays musulman au mois de ramadan ou qu’on se trouve dans un mauvais rêve après le passage d’une bombe à neutrons.
Désolation qui réactive le fantasme qu’on sera bientôt tous morts.
Le fantasme que c’est notre feu vital qu’on cherche à couvrir pour l’étouffer ?
Je ne suis pas la seule non plus à m’être précipitée sur le dictionnaire pour y chercher l’origine du mot couvre-feu, non sans avoir associé sur les fenêtres occultées pendant la guerre pour tromper les bombardiers ennemis et la mesure coercitive frappant les populations pendant l’Occupation. On ne parle pas d’extinction des lumières dans Wikipédia où est indiquée une origine anglo-normande (contestée) à cette pratique imposée par Guillaume le Conquérant pour contrôler le pays occupé et éviter les incendies. Quelle que soit l’origine réelle de l’expression, à supposer qu’il y en ait une, il s’agit avant tout de couvrir au sens le plus concret, les feux de cheminées avec des plaques en fonte, afin d’éviter les incendies, surtout fréquents la nuit lorsque le feu est laissé sans surveillance.
Il est plus difficile de trouver comment de là on est passé à l’interdiction de sortir dans les rues du soir jusqu’au matin. S’agit-il d’étouffer d’autres feux pour éviter d’autres sortes d’incendie ?
Pour Guillaume le Conquérant, Hitler ou le gouvernement français lors des émeutes liées à la guerre d’Algérie, c’est le feu de la révolte, de la rébellion ou de la Résistance qu’il faut étouffer. Pareil dans les banlieues embrasées il y a quelques années lorsque des jeunes sont morts dans un transformateur électrique où ils s’étaient réfugiés pour échapper à la police.
Et pour nous, est-ce seulement le feu de la fièvre liée à la Covid, comme en son temps celle de la peste ? Ou s’agit-il aussi d’autres feux ?
Réactions de révolte face au couvre-feu. Ce qui se dit … en consultation et ailleurs
Effondrée me dit une patiente, à propos du couvre-feu. Accablés, déprimés, plombés, catastrophés. Les termes ne manquent pas. Une autre qui pourtant a tendance à la claustration volontaire (et qui n’avait pas si mal vécu que ça le confinement paradoxalement) me dit que là ce coup-ci elle ne peut plus avoir de vie. Je découvre à cette occasion qu’elle sort le soir, va au cinéma, voit des amis, elle qui se décrivait comme isolée, aboulique, apathique, ne mettant pas le nez dehors.
De la même façon que certains peuvent se sentir bâillonnés par le masque, ou le vivre comme une muselière, le couvre-feu est qualifié de liberticide et l’interdiction de sortir le soir ressentie comme une interdiction de toute sortie, de tout plaisir, faisant miroiter a contrario une liberté d’autant plus désirable qu’on n’en a pas « profité ». Le sentiment d’être enfermé, isolé et puni, d’être exclu de la fête du monde est très puissant. Être envoyé par les parents dans sa chambre avec interdiction d’en sortir, être privé de la fête chez les copains, d’aller jouer chez la voisine ou de telle sortie dont on se promettait beaucoup de plaisir, être obligé de se cacher pour flirter ou avoir des relations sexuelles sont des expériences que chacun a fait enfant ou adolescent, et ce qui a été vécu et ressenti à ce moment-là resurgit forcément. Comme peut-être l’idée des « mauvaises fréquentations » possiblement « contaminatrices » et par là-même réprouvées ou interdites.
Assez banalement, ce sont des angoisses de castration qui sont mobilisées par la réactivation de ces situations infantiles comme au moment du confinement Et, venant se glisser ici comme dans toutes les situations d’exclusion, c’est sans doute de la chambre des parents qu’on se sent une fois de plus exclu, ces parents qui interdisent tout alors qu’eux-mêmes, pense-t-on, ne se privent de rien.
Beaucoup sans en avoir conscience réagissent à cette mesure comme si c’était définitif, laissant penser qu’il s’agit là d’une réactualisation d’un vécu infantile, de l’époque des pour toujours ou des plus jamais.
Le couvre-feu, paradoxalement plus que le confinement pourtant beaucoup plus restrictif et surtout plus délétère de tous points de vue, semble mobiliser ces vécus et provoquer une régression, un retour à une position infantile devant l’autorité qui décide de notre propre vie. Peut-être parce qu’il ne semble concerner que « les plaisirs », tandis que le confinement concernait aussi le travail, les obligations, les devoirs. Car c’est bien le temps festif qui est visé par le Président pour reprendre ses propres mots. Alors, on n’a plus le droit que de travailler ? C’est ce qu’on entend, sur un ton de protestation angoissée. Oui, c’est ça. Juste l’école et les devoirs. Pour le reste plus rien. C’est du moins ce qui est ressenti par beaucoup.
C’est sans doute aussi le fonctionnement infantile en Tout ou Rien qui se manifeste pour ceux qui ont le sentiment que puisque tout n’est pas possible toujours, rien n’est plus possible jamais et qu’on interroge sur la vivacité de leur sentiment de frustration à l’idée d’aller voir un spectacle à 18 h plutôt qu’à 20h.
On peut noter au passage que cette représentation des choses suppose (et conforte) l’idée que dans des circonstances « normales » ou « idéales » tout pourrait être possible toujours. Ce qui suppose également un déni des limites et de la frustration inhérentes à la condition humaine d’une part, et une projection de l’origine de ces limitations et frustrations sur le monde extérieur : la pandémie ou le pouvoir abusif.
Comme pour le confinement d’ailleurs, qui a pu être finalement apprécié par ceux qui avaient les conditions psychiques et matérielles pour en goûter les bienfaits, on peut aussi entendre un discours moins défensif ou plus lucide peut-être, plus critique sur le fantasme de jouissance illimitée que la « liberté » est supposée procurer à chacun : ce n’est pas si mal au fond ce couvre-feu. Ça permet en quelque sorte de rester chez soi sans se sentir exclu de la fête du monde, puisque c’est pareil pour les autres. Comme dit plus haut : être déchargé du fardeau de la liberté, ne pas avoir à choisir ce qu’on fait de ses soirées, et surtout échapper à la « pression sociale », à l’obligation de faire la fête, de « sortir », de « voir des gens » ce qui finit par être une contrainte, une tyrannie qui fait main basse sur le temps « pour soi » pas seulement synonyme d’isolement, de solitude, d’abandon, mais aussi de réflexion, du recueillement nécessaire au travail et à la création par exemple.
On a aussi envie de faire remarquer aux uns et aux autres, que ce ne sont peut-être pas les mesures qui sont le plus anxiogènes et contraignantes mais l’épidémie, aves le spectre des autres catastrophes possibles se profilant à l’arrière-plan et que peut-être notre angoisse se déplace sur un objet disons plus contrôlable, au moins fantasmatiquement.
Un dessin trouvé sur Internet, montrant les vagues successives non pas de l’épidémie mais de toutes les catastrophes qui nous menacent, et tournant en dérision la mesure du lavage des mains évoquée là dans son aspect de rituel magique censé protéger du pire, l’illustre bien.
Tant qu’on râle contre le couvre-feu et la restriction supposée de plaisirs qu’il implique, on ne pense pas aux problèmes plus inquiétants que la levée de cette mesure restrictive ne résoudra hélas pas.
Il est aussi intéressant de voir que quand le gouvernement essaie de ne pas être dans le tout ou rien, on le lui reproche, après lui avoir reproché la massivité de la mesure du confinement en mars avril mai. Ce demi-confinement fait peur : « moi je préférerais qu’on soit vraiment confinés, comme ça au moins on saurait à quoi s’en tenir, là on n’y comprend plus rien ». Désarroi et irritation qui se sont aussi fait entendre dans les protestations contre le port du masque : alors il y a des rues et des endroits où on doit le porter et d’autres où on peut être sans ? Comment savoir ? On ne s’y retrouve pas ! Avec parfois l’affleurement d’un soupçon légèrement paranoïaque : « ils » nous embrouillent pour pouvoir nous coller des prunes. Le fait que tout se soit passé comme si ces protestations avaient été « suivies d’effet » puisque le masque est devenu obligatoire partout, renforce sans doute le sentiment de punition : ah ! tu te plains ? Très bien, tu vas voir ! Tout le temps, le masque maintenant ! Tu l’auras bien cherché !
Il est possible aussi que le couvre-feu soit plus mal toléré par certains que le confinement en raison d’un effet d’après-coup réveillant ce qui a pu être traumatique pour certains lors du confinement. Et aussi, plus simplement parce que la durée de l’épidémie, sa reprise alors qu’on pouvait rêver que c’était fini, donnent le sentiment que « ça ne finira jamais ».
Le couvre-feu fait aussi se déployer des fantasmes hystériques dramatisants, mettant en scène un soi plus ou moins héroïque en temps de guerre ou bien de peste (le dernier couvre-feu c’était à l’Occupation et l’autre dont on parle beaucoup dans le roman de Camus) ou bien un soi persécuté, poursuivi, en danger. On joue à s’imaginer en résistant tandis que se font entendre des bruits de bottes ou le grondement des avions de chasse venant lâcher leurs bombes sur la ville. On joue au héros, au rebelle, on va crier dans les manifs interdites, que même pas peur, même dans le noir, qu’on ne se laissera pas punir par ce président trop jeune dont les airs martiaux peuvent tour à tour faire sourire ou inquiéter, agacer ou faire flamber. On joue à la guerre, comme notre président, peut-être pour ne pas voir que bien pire va peut-être arriver – et peut-être de vraies guerres qui ne seraient plus cantonnées dans d’autres lointaines régions du monde.
Érotisation de la révolte ? L’insoumission comme dénégation d’un fantasme de soumission homosexuelle ?
Que deviennent les fantasmes, les désirs et l’excitation liés à la libre circulation dans les rues de la ville, entre ses lieux de fête, de plaisirs et de rencontres éventuellement sulfureuses, puisque dans l’imaginaire comme parfois dans la réalité, la vie nocturne favorise le déploiement de la part obscure de chacun ? Car c’est la désinhibition liée à la nuit, à l’alcool, ou aux drogues qui est visée par le couvre-feu, un supposé déchaînement pulsionnel ou le simple rapprochement physique étant ennemis de l’hygiène préconisée pour nous protéger de l’épidémie.
Les réactions de révolte et de protestation contre le « Pouvoir » décrétant le couvre-feu, (comme face à l’obligation du port du masque ou au confinement) ont quelque chose de passionnel, d’irrationnel et de contradictoire. On retrouve comme dans certaines manifestations, une excitation qui déborde et se manifeste sur le versant agressif destructeur. Les désirs et fantasmes contrariés, empêchés par « le Pouvoir » seraient-ils déviés et se concentreraient-ils (à l’instar du transfert sur l’analyste dans la situation où tout acte est empêché) sur la figure même de ce « Pouvoir » et plus spécifiquement aujourd’hui sur celle, assez ambiguë, du Président ?
Figure ambiguë car si on peut le voir comme « trop jeune » pour incarner une figure paternelle et pour assumer la responsabilité suprême de gouverner la Mère patrie, il peut cependant être fantasmé comme celui qui a relevé victorieusement le défi œdipien et dont le choix amoureux pourrait bien renvoyer (malgré sa « trop grande » jeunesse) au père de la horde primitive qui s’attribue toutes les femmes – si on est d’accord pour considérer « toutes les femmes » comme l’équivalent de la seule et l’unique qui ne pourra jamais être égalée ni remplacée. Un homme à abattre, tous les frères révoltés « insoumis » imaginant qu’alors ils seraient unis à jamais, comme si le meurtre du père avait le pouvoir d’évacuer la conflictualité.
Une figure détentrice de l’autorité dont on dit en même temps qu’elle ne fait pas le poids et qu’on accuse d’autoritarisme, un premier de la classe qu’on soupçonne d’être un dictateur en herbe, cherchant insidieusement à instaurer un régime totalitaire, en profitant de la pandémie, un futur tyran qui nous espionne et veut nous contrôler, faisant intrusion jusqu’au plus intime de nous-mêmes, de nos vies…
La révolte ne serait pas alors seulement une révolte contre l’injustice (puisqu’il s’attribue toutes les femmes, tout l’argent, tous les plaisirs et en prive les autres en leur faisant des leçons de civisme et en les assignant à résidence) mais pourrait correspondre aussi, à travers les fantasmagories persécutives convoquant des thèmes de punition ou d’intrusion à une motion défensive tentant de prendre le contre-pied (?) et de canaliser l’excitation causée par cette figure interdictrice. L’excitation et la jouissance de la révolte viendraient alors en lieu et place de celles liées au fantasme festif de liberté et de jouissance illimitée, entravé et empêché.
Un dessin humoristique circulant sur Internet, même s’il ne vise pas directement le président mais son …« bras droit » (un membre !) résume avec beaucoup de concision mon hypothèse. Castex en suppositoire géant condense les thèmes de pénétration punitive, de rébellion défensive contre des fantasmes de soumission homosexuelle, dans un registre sadomasochiste et anal.
Guerre, conflictualité, sanctions. Qui cherche quoi ?
A l’inverse et sans pouvoir répondre à la question de la pertinence des mesures prises pour enrayer l’épidémie, on peut se demander si côté pouvoir il n’y aurait pas, involontairement sans doute, une forme de provocation.
Chacun aura remarqué que notre Président file avec beaucoup de détermination la métaphore martiale commencée il y a déjà huit mois et poursuivie au fil des Conseils de Sécurité et états d’urgence divers : l’état de guerre, le confinement et aujourd’hui le couvre-feu.
Sans doute s’agit-il de mobiliser la combativité de chacun et de galvaniser les énergies, mais on peut imaginer aussi que vouloir frapper les esprits avec des mots coup de poing, risque de faire réagir par la peur et par la violence.
Notre président reconnaissait avec une humilité honorable il y a quelque temps qu’il avait été « maladroit ». L’utilisation de ce vocabulaire guerrier pour accompagner des actes d’autorité et de restriction des libertés ne serait-elle pas aussi maladroite ?
Dans d’autres circonstances, si quelqu’un nous décrivait ce genre de comportement on pourrait même penser à une forme de provocation masochiste. Une façon inconsciemment de chercher à se faire rejeter et malmener… Là, une manifestation d’autorité suscitant le conflit et/ou appelant la rébellion. Une recherche de « sanction » ?
Cette question de savoir qui cherche quoi et quel genre de sanction, on a pu se la poser avant le couvre-feu en se promenant dans les rues, après que, mesure mal vécue dans l’ensemble, le port du masque, est devenu obligatoire « partout ».
Ou presque.
En effet, alors que la deuxième vague s’annonçait, on ne pouvait qu’être interloqué en voyant des passants masqués, à bonne distance les uns des autres, longeant des terrasses de café bondées où, visage nu, on s’entrepostillonnait en se serrant frileusement les uns contre les autres, sans que personne n’intervienne.
Une situation contradictoire qui persiste aux heures aujourd’hui ouvrables et qui suscite un sentiment d’absurdité et d’agacement.
Et un certain étonnement : qui cherche quoi ?
On se demande d’abord pourquoi « les gens » font ça. Les mêmes réponses se présentent. Cherchent-ils la punition ? Un nouveau confinement ? Une nouvelle restriction de cette liberté si chèrement revendiquée mais si difficile puisque comme on le sait, voir plus haut, elle s’accompagne toujours de la prise de tête que représente la responsabilité de ses propres choix ?
Puis on se demande pourquoi « les autorités » ne réagissent pas, pourquoi ce laisser faire qui va aboutir de façon évidente à un point de rupture et pourquoi une mesure si contradictoire qui s’invalide elle-même au moins en partie.
On réfléchit.
On se dit que sûrement, dans d’autres coins de la ville, beaucoup plus peuplés, les masques sont nécessaires. Que le port du masque dans les rues est comme un pense-bête, pour rappeler à chacun que l’épidémie progresse à nouveau et éviter les oublis à l’entrée des lieux fermés.
On se dit que notre président ou « les autorités » ou « le gouvernement » essaient de ne pas être dans le tout ou rien, de limiter les dégâts, de ménager les nécessités contradictoires de l’existence, que c’est une façon d’assumer et de prendre en compte la conflictualité inhérente à la situation.
Mais ces réponses ne sont pas satisfaisantes et on finit par se demander si ce n’est pas précisément le point de rupture que cherche notre Président (ou les autorités ou le gouvernement) : arriver à une situation où il va falloir serrer la vis, fermer tout ça, chacun chez soi. Une situation où s’exercerait une forme de toute puissance militaire justement, qui permet d’un claquement de doigts de vider les rues et de couvrir tous les feux qui couvaient ou flambaient sec.
Encore mieux que l’antique bromure dans la soupe des trouffions.
Qui délire ?
Une patiente qui met en relation la situation actuelle avec des situations qu’elle a vécues en mission, dans des pays vraiment en guerre et vraiment dangereux, me dit qu’elle se demande parfois si c’est elle qui délire ou bien la réalité qui est folle – ou nos gouvernants qui perdent les pédales et réagissent de façon inappropriée.
Il est clair que les incertitudes et menaces de la situation, très anxiogènes, font perdre leurs repères à beaucoup et menacent de décompensation les plus fragiles, en particulier ceux qui sont plutôt dans le registre de la psychose. Des théorisations plus ou moins délirantes se développent, à titre individuel ou bien collectivement, relayées par les media, sans parler des fantasmagories complotistes pour lesquelles la situation est un aliment idéal. On n’est plus simplement dans les angoisses de castration mais dans les angoisses de persécution et d’intrusion, les angoisses d’anéantissement, de mort.
Mais il n’empêche que le doute subsiste sur le bien-fondé des mesures, qu’elles soient vécues comme castratrices, punitives, persécutantes ou meurtrières. Sont-elles délirantes, inappropriées, adaptées ? Les moins mauvaises possibles ? Les pires qui soient ?
Avec la question, qui fait peut-être écho aux interrogations enfantines questionnant ce que sont réellement les parents ou ce qu’ils font et pensent en secret dès qu’on a le dos tourné.
Qui nous gouverne ? Les grandes personnes existent-elles vraiment ? Nous disent-elles la vérité ? Sont-elles responsables de leurs actes ? Y a‑t-il un pilote dans notre avion ou pique-t-il du nez sans contrôle pour nous précipiter au fond de l’océan ?
Aux moments des dernières élections circulait sur Internet une blague disant : « les français sont devant un grave dilemme, ayant à choisir entre celui qui a épousé sa mère et celle qui a tué son père ». On peut rire ou pas. Ou les deux. Rire et ne pas rire. Se poser encore une fois des questions sur qui brigue le pouvoir et arrive à se trouver en position d’y accéder.
Si on laisse aller librement sa pensée, on se demande de quelle façon l’ancien enfant qui a d’une certaine façon à l’âge adulte réalisé ses vœux œdipiens, a rêvé d’être un héros de la guerre. Le Général était-il un de ses modèles ? Ou l’autre Général, l’empereur dont la mégalomanie a emmené au casse-pipe des milliers d’hommes ? Quel fantasme guerrier a‑t-il envie de réaliser ?
Nous emmène-t-il au casse-pipe ? Va-t-il là aussi faire sauter les frontières entre rêve et réalité ? Entre fantasme et passage à l’acte ? Ou n’a-t-il pas plutôt échoué à les maintenir, à les constituer ? Faut-il toujours un noyau délirant pour gouverner ? Épouser la mère ou la sauver sous sa forme de Mère Patrie, mettre au pas tous les petits frères et sœurs, tous les enfants qu’on n’a pas eus, tous les rivaux possibles, ceux qui fichent le bazar avec leurs manifs sur les Champs Élysées ou les camarades de son âge qui semblent avoir su se dégager des jupes maternelles (même si ce n’est probablement qu’une impression illusoire) qui s’amusent entre eux et partagent ces « moments festifs » aux terrasses des cafés – en défiant d’ailleurs eux aussi comme ils peuvent les dures lois de la réalité – pendant que soi-même on a la lourde charge non seulement de veiller au bonheur maternel mais aussi de tous les dossiers en cours et casseroles sur le feu ?
On ne sait pas, on ne peut pas savoir. L’histoire ne semble certaine que lorsqu’on la pense rétrospectivement et c’est bien sûr une illusion dont les historiens modernes nous ont largement fait prendre conscience.
Sans doute s’agit-il juste de continuer à penser et questionner, au-delà des apparences et des évidences, jour après jour, la façon dont nous vivons ce qui nous arrive, les résonances de l’actualité avec le passé collectif et celui de chacun, la façon dont, quelle que soit la situation objective, elle est toujours aussi une situation subjective et qu’y réfléchir permet parfois de l’infléchir et de déjouer l’apparente inéluctabilité de ce qui peut apparaître comme le destin.
Dominique Tabone-Weil, psychanalyste membre titulaire de la SPP