Pour tenter de nous discréditer, les adversaires de notre discipline utilisent les arguments les plus contradictoires pour régler des comptes de manière définitive, du moins le croient-ils. Il n’est pas difficile cependant de constater que depuis plus d’un siècle les plus grands fourvoiements de la pensée – totalitarismes et intégrismes de toutes obédiences – ont eu pour point commun la détestation de la psychanalyse. Je voudrais aujourd’hui faire un sort à un argument mis en avant avec une certaine insistance ces dernières années : devant l’impossibilité de « prouver scientifiquement » nos hypothèses théoriques, nous occuperions une position guère différente de celle des astrologues ou des voyants. À partir de cette allégation, certains assurent que nos cures sont dénuées de tout effet alors que d’autres, avec les mêmes prémisses, les pensent dangereuses tandis que les derniers enfin, constatant des résultats positifs, les expliquent par un « effet placebo ».
Pourtant, il n’est pas vrai que les superstitions contemporaines et la psychanalyse soient logées à la même enseigne. Les critiques faites à celle-ci épargnent celles-là. Malgré ce qui est parfois dit avec beaucoup d’aplomb, l’astrologie telle qu’elle est répandue aujourd’hui dans l’espace public ne témoigne pas de la survie ininterrompue d’un savoir millénaire. Bien au contraire, en France, la publication du premier horoscope quotidien par Paris-Soir en 1935 a remis au goût du jour des pratiques bien oubliées : de toutes les catégories sociales, les paysans sont les plus réfractaires à l’astrologie. Seul le fait que, au contraire de la lecture des lignes de la main, elle ait pu faire l’objet d’un traitement dans la presse écrite lui a assuré sa diffusion au XXe siècle. Nombre d’astrologues ont d’abord été journalistes. Le développement de la voyance a accompagné celui de la télévision.
Les activités des astrologues et des voyants font fréquemment l’objet de compte rendu plutôt élogieux dans les médias. De plus, il ne semble pas que ni l’astrologie ni la voyance n’aient jamais été l’objet des campagnes systématiques de dénigrement menées à grande échelle comme en connait périodiquement la psychanalyse. Mieux encore, non seulement les médecines « douces », « parallèles » ou encore « alternatives » ne sont pas dénuées de prestige, mais personne n’exige qu’elles fassent la preuve de leur efficacité. Contrairement à certaines illusions, le progrès des connaissances loin de limiter le recours à des attitudes superstitieuses a contribué à leur développement. Tant le recul des croyances traditionnelles que l’inquiétude devant le progrès des sciences et techniques favorisent la régression vers une pensée animique.
Ceux qui voudraient placer la psychanalyse dans le même sac que l’astrologie ou la voyance devraient aussi expliquer pourquoi elle n’est pas aussi bien tolérée que ces dernières. En réalité, sans doute davantage que leurs ainés dans les siècles précédents, les hommes et femmes d’aujourd’hui sont sollicités presque continuellement pour être confrontés à des situations psychologiques qui, mobilisant les aspects pulsionnels les plus obscurs, risquent de susciter de l’angoisse au lieu du plaisir attendu. Pour nombre d’entre nous, la lecture ou la vision d’une histoire policière ou fantastique sanglante est le prélude nécessaire à une nuit calme alors que pour d’autres cette pratique provoquera des cauchemars.
Le seul effet thérapeutique des pratiques superstitieuses comme l’essentiel de celui des médecines « alternatives » repose sur une suggestion (adhésion à une représentation du cosmos porteuse de vérité) favorisant un refoulement plus efficace. De son côté, la psychanalyse aussi bien comme pratique clinique que comme fait culturel se donne pour tâche de faciliter l’accès à l’inconscient ce qui peut transitoirement accroître l’angoisse et, de manière probablement plus durable réveiller la blessure narcissique majeure née du constat que le moi n’est pas maître en sa demeure. Si ceux qui se réclament de la science comme ceux qui revendiquent leur attachement aux superstitions contemporaines peuvent se montrer d’accord dans leur rejet de la psychanalyse, il faut en déduire que, contrairement à ce qu’ils mettent en avant, ce n’est pas tant qu’ils objectent à la méthodologie de notre discipline mais qu’ils ne peuvent tolérer ce que nous dévoilons. Il est facile d’en trouver la confirmation en constatant que dans les médias l’abus sexuel est infiniment plus évoqué que l’explicitation du complexe d’Œdipe.
Cependant, ce qui peut apparaître comme une faiblesse est en réalité une force car, comme le rappellent les faits misérables que je viens d’évoquer, loin d’être rangée au rayon des accessoires démodés, notre discipline n’a rien perdu de son pouvoir dérangeant face à ceux qui n’ont trouvé d’autre solution pour survivre tant bien que de s’amputer de la richesse de leur vie psychique.
Samuel Lepastier, Psychanalyste SPP