Tattoo Age

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On se tatoue beau­coup de nos jours. À l’ère des pro­duits jetables et de l’obsolescence pro­gram­mée, la mul­ti­pli­ca­tion consi­dé­rable chez nos contem­po­rains de la pra­tique du tatouage per­ma­nent, « mar­quage » théo­ri­que­ment défi­ni­tif de zones cou­vertes et/ou décou­vertes de la peau, est-elle preuve de liber­té ou signe d’un confor­misme navrant dans lequel le « débile » vien­drait rejoindre l’indélébile ?
Il serait impru­dent d’en juger hâti­ve­ment, tant le rite depuis l’origine, a de pro­fondes racines dans le moi cor­po­rel et déploie une mul­ti­tude de signi­fi­ca­tions, toutes demeu­rant insa­tis­fai­santes et par­tielles, qu’on les consi­dère sous l’angle de la démarche indi­vi­duelle ou de l’enjeu socié­tal.
Ces quelques lignes ne pré­tendent bien sûr n’en abor­der que quelques aspects.

A peine envi­sa­gé, le tatouage confronte à une série de para­doxes.
Phé­no­mène obs­cur au déter­mi­nisme pro­fond et ins­crip­tion super­fi­cielle, résul­tant par­fois d’une longue matu­ra­tion mais pro­je­tant le sujet dans une trans­for­ma­tion immé­diate, se situant à la croi­sée du visible et de l’intime, de l’exhibition et du secret, éta­lage de l’indicible dans un rac­cour­ci, une for­mule défi­ni­tive en risque de perte de sens une fois affi­chée, le tatouage est tou­jours un pas­sage à l’acte dont la por­tée indi­vi­duelle est incer­taine.

Marginalité/Appartenance/ Recon­nais­sance
Cli­ni­que­ment, il peut repré­sen­ter un recours ultime et sal­va­teur, dans des par­cours per­son­nels où le sujet doit s’énoncer, s’élancer, à par­tir de lui même dans un fan­tasme d’auto-engendrement, de fabrique de soi, de nou­velle nais­sance. Ce mou­ve­ment est en géné­ral pré­cé­dé d’un vécu trau­ma­tique non inté­grable, d’une perte, d’un sen­ti­ment de non appar­te­nance au monde des autres. Dans ce sens, le tatouage a pu être le fait de popu­la­tions mar­gi­nales ou exclues socia­le­ment.
Dans le récit biblique, Caïn, meur­trier de son frère, est mar­qué par Dieu avant d’être ban­ni. Les reli­gions mono­théistes ont tou­jours été très répres­sives à l’encontre du tatouage (risque d’idolâtrie, res­pect du corps comme œuvre de Dieu ache­vée donc intou­chable…), sans tou­te­fois le pros­crire dans les der­nières décades, cer­tains amé­na­ge­ments étant pos­sible, ce qui montre bien la force de dif­fu­sion inhé­rente à cette pra­tique « païenne », sur laquelle les reli­gions ont été ame­nées à s’ajuster. Elle com­porte d’ailleurs une part de rituel et de pen­sée magique lui fai­sant tou­cher au sacré à tra­vers un ani­misme pri­mi­tif.

Mar­quage d’une rup­ture et d’un essai de recons­truc­tion dans une his­toire sin­gu­lière (ou une perte de son his­toire par le sujet), le tatouage peut se par­ta­ger avec d’autres « parias » et acqué­rir une valeur grou­pale qui n’était pas pré­sente dans la démarche per­son­nelle d’origine, dont il était ques­tion plus haut.
Le jeu avec sa visi­bi­li­té ou son invi­si­bi­li­té, en règle toute rela­tive, indique son rap­port au regard de l’autre, à l’identification grou­pale (gang, nar­cos, yaku­zas, vory V zacone russes, pop art, milieux sado­ma­so­chistes …) et son pas­sage au col­lec­tif le plus large, dont le tatouage est alors une éma­na­tion et qui pour­rait à tort, le faire pas­ser pour un simple mou­ve­ment de mode.
Il est remar­quable que la vogue nou­velle du tatouage, à par­tir de la fin des années 80, coïn­cide avec le déve­lop­pe­ment du Street Art, des Graf­fi­tis et des Tags qui, sur des sup­ports trans­gres­sifs, consti­tuent des signes de recon­nais­sance et d’inscription de soi dans une recherche de « visi­bi­li­té ». Ce der­nier terme, uti­li­sé éga­le­ment par de nom­breuses mino­ri­tés défen­dant leur droit à la dif­fé­rence, est en prise directe avec le monde de l’image, la publi­ci­té et l’affichage des marques, ce qui est pro­ba­ble­ment une com­po­sante essen­tielle du phé­no­mène actuel et de son accé­lé­ra­tion. Mais pour­quoi ce pas­sage au corps comme sup­port et com­ment s’est effec­tuée la ren­contre entre le monde des parias, le monde car­cé­ral et la fabrique des illu­sions ?

Démarcation/ Marque / Démarque
Uti­li­ser son corps comme une enseigne, y impri­mer ce qui serait l’équivalent d’une marque, un logo, est deve­nu en quelques années un évé­ne­ment cou­rant, gré­gaire, et qui se vou­drait pour­tant le signe dis­tinc­tif de la plus pure et per­son­nelle affir­ma­tion de soi, le triomphe affi­ché d’une sin­gu­la­ri­té, cruel­le­ment mise à mal par le for­ma­tage des êtres et de leurs dési­rs dans nos socié­tés consu­mé­ristes.
Avec la vague de tatoué.e.s qui agré­mentent l’été les bords de mer et leurs golfes clairs, relé­guant à l’état qua­si mino­ri­taires de pages vides en mal d’impressions les simples bai­gneurs, la signi­fi­ca­tion tant sociale qu’individuelle de la démarche, subit une muta­tion déci­sive.
Por­ter « la marque » ren­voyait à l’entaille, l’inscription sur le corps et à une cer­taine dra­ma­tur­gie psy­chique, mais celle-ci peut se trou­ver réduite au fait de por­ter « de la marque », une éti­quette, un signe d’appartenance à une firme, à une pro­duc­tion d’objets pré­dé­fi­nis, un prêt-à-por­ter direc­te­ment sur la peau en quelque sorte.
La marque devient une démarque, une façon de sol­der à bon compte, une iden­ti­té en mal de recon­nais­sance, une dis­so­lu­tion ou un épar­pille­ment de soi, là où le but pre­mier était de se ras­sem­bler. Les thèmes s’appauvrissent ou se stan­dar­disent, se super­posent, res­semblent à des brouillons irré­flé­chis, contre­di­sant la per­ma­nence de l’inscription et se rap­pro­chant là encore de la vola­ti­li­té publi­ci­taire.  La mar­gi­na­li­té est deve­nue une marque de fabrique.
Emprun­tée à l’origine aux bagnards, aux ban­nis, aux pri­son­niers, après avoir été celles des esclaves et des cri­mi­nels dans l’antiquité, la marque consti­tue­rait-elle incons­ciem­ment une forme d’enfermement col­lec­tif que les sujets s’infligeraient à eux mêmes, par un méca­nisme com­plexe d’identification à l’agresseur ?

Tatouage à tout âge
On pour­rait consi­dé­rer que ce ne sont là que les élé­ments habi­tuels de tout phé­no­mène de mode. Por­ter le même vête­ment, la parure, le maquillage ou la coupe de che­veux qu’une avant garde ou sup­po­sée telle, consti­tue l’affirmation d’une exis­tence propre se démar­quant du confor­misme étroit des géné­ra­tions pré­cé­dentes. Cela s’associe géné­ra­le­ment à l’appropriation de conduites trans­gres­sives et à risque (alcool, drogues, pro­vo­ca­tions, vio­lences, nou­velles formes de créa­tion…)
Mais, d’une part il ne semble pas s’agir là d’un conflit de géné­ra­tions et on peut même dire qu’à tra­vers le tatouage se mani­feste un effa­ce­ment pro­gres­sif des dif­fé­rences de géné­ra­tion ( même si l’on com­mence à se tatouer de plus en plus jeune, on conti­nue de se tatouer de plus en plus vieux); d’autre part, on voit aus­si­tôt sur­gir de notables dif­fé­rences avec les phé­no­mènes de modes, leur mobi­li­té, et leur carac­tère éphé­mère : le tatouage est indé­lé­bile, ins­crit dans le corps, quand on le décide c’est dans une optique défi­ni­tive, ce qui lui confère d’ailleurs toute sa valeur et on sait les com­pli­ca­tions à l’effacer plus tard.
Les évo­lu­tions esthé­tiques, inhé­rentes à toute parure, vête­ment, maquillage n’y ont pas leur place au sens lit­té­ral, le sup­port cuta­né ayant une sur­face limi­tée et n’étant pas échan­geable. L’identité stable recher­chée ini­tia­le­ment pour­rait deve­nir défi­ni­tion rigide de soi, immo­bi­li­té subie.
Le tatouage ne peut évo­luer qu’en étant lui même recou­vert, noyé dans d’autres tatouages qui petit à petit gagne­ront du ter­rain jusqu’à enva­hir la sur­face maté­rielle du corps (avec à l’extrême, comme on peut le voir par­fois, des par­ties tota­le­ment cou­vertes, noires, sortes de « pages blanches » inver­sées, conte­nant poten­tiel­le­ment toutes les figures de tous les tatouages, comme s’il y avait un col­lap­sus de la repré­sen­ta­tion).
Cette ten­dance très fré­quente, à par­tir d’un seul tatouage, à la répé­ti­tion, le recou­vre­ment de zones de plus en plus impor­tantes de la peau, est à cer­tains égards assi­mi­lable à une addic­tion. Le rituel, la dou­leur liée à l’aiguille, et le rap­port idéa­li­sant au tatoueur y sont pré­sents, tout autant que le mes­sage ico­nique ins­crit sur la peau. Celui ci en effet n’apporte jamais l’apaisement durable ni la satis­fac­tion abso­lue, et il faut recom­men­cer, renou­ve­ler le rituel et l’expérience trans­for­ma­tive, recher­cher un nou­veau motif à se faire tatouer comme on recherche apét­ti­ti­ve­ment une  drogue, une nou­velle molé­cule pro­met­teuse.
A noter au pas­sage que dans cette opé­ra­tion d’auto-engendrement, il y a fécon­da­tion par la péné­tra­tion de l’aiguille dans la sur­face récep­trice de la peau. Par le tru­che­ment de l’aiguille du tatoueur (ou de la tatoueuse) se réa­lise un fan­tasme de bisexua­li­té.

S’il ne s’agissait que d’un phé­no­mène de mode, la mode du tatouage devrait être celle des tatouages éphé­mères tels qu’il en existe et qui peuvent déco­rer la peau pen­dant quelques jours, voire plu­sieurs mois. Or, jusqu’à pré­sent, ceux ci n’ont, en com­pa­rai­son, que peu de suc­cès, ce qui confirme bien l’importance de l’inscription pro­fonde et « défi­ni­tive » sur le corps et sa com­po­sante nar­cis­sique fon­da­men­tale.

Ma laisse dans la civi­li­sa­tion

La dif­fu­sion du tatouage à des franges très diverses et larges de la popu­la­tion, sa visi­bi­li­té assu­mée et expan­sive, alors qu’il ren­ver­rait à une démarche per­son­nelle pro­fonde et intime, font s’interroger sur ce qu’il sai­si­rait et expri­me­rait d’un malaise col­lec­tif dif­fi­cile à cer­ner.
Quel drame de notre civi­li­sa­tion se joue­rait dans ce nou­veau théâtre de la peau ?
Le regard naïf qu’on y porte ne peut igno­rer une part incons­ciente col­lec­tive qu’il contien­drait, remon­tant aux pre­mières repré­sen­ta­tions de l’homme pour s’inscrire et se consti­tuer dans une his­toire, spé­ci­fier sa propre condi­tion dans et hors du monde en réa­li­sant ce qu’aucun (autre) ani­mal n’est à même de se faire.
S’agirait-il alors d’une lutte devant l’incertitude et l’effroi de voir cette his­toire s’interrompre, à la fois acte civi­li­sa­teur et détour vers l’état sau­vage ?
Dans cette hypo­thèse, la per­ma­nence du tatouage serait pro­cla­ma­tion d’un mes­sage d’éternité.
Le sen­ti­ment d’une menace devant l’avenir se ferait de plus en plus aigu avec l’écroulement des cer­ti­tudes propre à l’époque et la dif­fu­sion de plus en plus rapide de ce sen­ti­ment. L’impuissance du tis­sus social et de la struc­ture fami­liale à ins­crire l’individu, en lui pro­di­guant une sécu­ri­té et une mobi­li­té suf­fi­sante dans les échanges et les assi­gna­tions, contri­bue­rait à de nou­velles formes d’aliénation dans les­quelles le lien devient licol et la recherche de sin­gu­la­ri­té s’arrête à l’imitation.
La fra­gi­li­té ou l’absence de valeurs fiables et durables, la faillite des idéa­li­sa­tions, les vacille­ments iden­ti­taires, ne trou­ve­raient d’issues que dans l’inscription et le retour­ne­ment sur soi de ce mes­sage, un soi cor­po­rel, phy­sique, dont on devien­drait l’auteur. L’image de soi trans­for­mée offerte à la vue serait un cri per­ma­nent pour bri­ser le repli et la perte de sens.
Le fait que le tatouage puisse être déci­dé sur une zone invi­sible pour autrui, montre bien qu’il ne s’agit pas que du regard des autres mais aus­si la spé­cu­la­ri­sa­tion pour soi par le sujet, comme recons­truc­tion.
Sous l’angle indi­vi­duel, la cli­nique nous a appris qu’il peut s’agir là d’une néces­si­té vitale chez un sujet en perte de repères, en risque de décom­pen­sa­tion grave, sou­vent psy­cho­so­ma­tique, qui pour se recons­ti­tuer nar­cis­si­que­ment doit se réen­gen­drer sym­bo­li­que­ment et le plus sou­vent secrè­te­ment, quelle qu’en soit la visi­bi­li­té.

Du corps asser­vi / d’œuvre d’art
Cette adresse à l’éternité de soi par une marque vou­lue sur le corps tel qu’il est don­né à la nais­sance, un corps dont la limi­ta­tion au seul ordre de la nature est déniée, ne com­porte pas seule­ment une affir­ma­tion d’omnipotence. Elle signe le besoin de remé­dier à une incom­plé­tude, la peau vide, « vierge », en quelque sorte désexua­li­sée étant un rap­pel à l’angoisse de cas­tra­tion, dans des confi­gu­ra­tions diverses.
Mais il y a plus grave, quand la peau si elle n’est pas modi­fiée, colo­rée, ani­mée par l’inscription tatouée, parai­trait déser­ti­fiée, muette, neutre, signe d’un risque de mort psy­chique, d’un dan­ger quant au sen­ti­ment d’existence.
Ins­tru­ment de parure et de parade, le tatouage peut réta­blir une éro­tique du corps, défaillante jusque là, et lui res­ti­tuer un poids char­nel et fan­tas­ma­tique. Mais la détresse n’est jamais loin.
La liber­té du corps ne se situe pas dans celle de tout lui faire subir, et l’on voit se pro­fi­ler l’asservissement et la fixi­té, là où l’on vise­rait plas­ti­ci­té et trans­for­ma­tions éla­tion­nelles. Que l’on y prenne garde, à trop trai­ter le corps comme un jouet on risque fort de le cas­ser.
Les inter­ven­tions d’effacement de tatouages, tech­niques aléa­toires, très dou­lou­reuses et cou­teuses, repré­sentent une frac­tion de plus en plus impor­tante des demandes, au fur et à mesure que les tatouages touchent des franges plus larges de la popu­la­tion. Les sujets vivent alors avec obses­sion et  déses­poir, cette marque cor­po­relle, corps étran­ger qui résiste au temps, trace d’un « éga­re­ment » pas­sa­ger, qui se refuse au tra­vail de refou­le­ment et de décon­den­sa­tion que le psy­chisme a été capable d’accomplir. Autre para­doxe : il y avait du « no future » dans l’instant de déci­sion de se (faire) tatouer.

Mais à l’opposé, dans nombre de cas, le tatouage devient le corps lui même, s’y intègre et perd son sta­tut de « corps étran­ger ». La ques­tion se pose­ra d’une iden­ti­té stable ou non. Pour cer­tains, le deve­nir du tatouage se rap­pro­che­ra de la chi­rur­gie plas­tique avec la même aven­ture d’irréversibilité et la même ten­dance à la répé­ti­tion qui amène à aller tou­jours plus loin dans les modi­fi­ca­tions cor­po­relles. Y‑a-t-il dans cet achar­ne­ment une volon­té de rup­ture, une atteinte omni­po­tente au corps don­né par la mère ou plus lar­ge­ment par les parents ?

Quant à la recherche esthé­tique, elle est sou­vent mise en avant et les tatoueurs sont les pre­miers à reven­di­quer leur exer­cice comme un art. Chez les tatoués le culte du corps comme œuvre d’art, « œuvre de soi », dont ils sont les maitres d’ouvrage, et le tatoueur le maitre d’œuvre est une com­po­sante essen­tielle de l’assomption nar­cis­sique que repré­sente la mise en acte.

En guise de conclu­sion
Ces brèves réflexions sont nées d’interrogations et d’étonnements devant la recru­des­cence impres­sion­nante du phé­no­mène tatouage, et qui va en s’accélérant, paral­lè­le­ment aux impor­tantes muta­tions que nous vivons avec les nou­velles tech­no­lo­gies et la dif­fu­sion ful­gu­rante des infor­ma­tions et des images dans ce siècle de mon­dia­li­sa­tion.
La peau momi­fiée, vieille de 5300 ans d’Ötzi, l’homme des glaces « Tyro­lien » décou­vert en 1991, porte plus de 60 tatouages à valeur pro­ba­ble­ment plus médi­ci­nale qu’ornementale. Elle atteste de l’ancienneté de cette pra­tique et de ses valeurs cultu­relles, grou­pales et rituelles. Des preuves en ont été retrou­vées sur l’ensemble des conti­nents. Il ne s’agit donc nul­le­ment de réduire la signi­fi­ca­tion des tatouages en les rame­nant au champ psy­cho­pa­tho­lo­gique ou à celui de dérives mar­gi­nales et socié­tales.
D’après les chiffres qui ne peuvent être qu’approximatifs et don­nés à titre d’exemple, un fran­çais sur cinq, plus d’un amé­ri­cain sur trois, et  un ita­lien sur deux seraient tatoués.
Par­mi eux, com­bien de « vrais » et de « faux » si l’on s’en tenait aux cri­tères des puristes de la vieille école ? L’inscription len­te­ment murie, deve­nue une néces­si­té impé­rieuse, étant oppo­sée par eux à la parure, la déco­ra­tion pour faire comme si, ou le simple effet de mode.
Dans le tatouage actuel cette dif­fé­ren­cia­tion paraît de moins en moins per­ti­nente.
Il est inté­res­sant que petit à petit le corps paraisse impuis­sant et limi­té en sur­face par rap­port à la mul­ti­pli­ci­té des états, des pen­sées, des tableaux qu’on vou­drait lui faire affi­cher.
Il y a du récit dans le tatouage, mais c’est le plus sou­vent une pro­messe de récit non encore adve­nu, com­por­tant une part d’illusion anti­ci­pa­trice, une image sans légende.
La maté­ria­li­té même du sup­port cuta­né paraît insuf­fi­sante en tant qu’inscription visible, et c’est bien un lan­gage entier, épais, propre aux glis­se­ments de sens, et créa­teur de zones d’ombre qui serait néces­saire pour atteindre le but ache­vé du tatouage, un lan­gage du corps qui trans­cende la tem­po­ra­li­té immé­diate de l’image qui est don­née à voir. On serait presque capable alors de redé­cou­vrir le livre, l’écrit, le récit, comme incom­pa­rable ins­tru­ment du dire, de la pro­duc­tion d’images et de la pos­si­bi­li­té de s’inventer d’autres exis­tences.