Ce court article reprend la tribune du journal Libération du 1er avril 2021, appelant en titre à reconnaitre et soutenir de toute urgence les enfants troublés dans leur genre. La question étant comment : tout en actes et décisions ou en mesure de complexité et prudence… ?
Le 1er avril 2021 (sans doute pas un poisson d’avril), le journal Libération publiait une tribune intitulée : « Transgenres et intersexes : les enfants sont des personnes ». Il y aurait beaucoup à écrire, un congrès à faire ou refaire-comme celui des Psychanalystes de Langues Françaises de 2019 (Bisexualité psychique-Sexualité et Genre), le sujet est très idéologisé comme nous le constatons souvent.
Désormais, ceux qui sont prudents à interpréter la hausse des demandes de consultations pour motifs de troubles du genre, et qui ne sont pas moins réticents quant à décider dans l’urgence des solutions qui devraient être « livrées », apparaissent comme de nouveaux ennemis des enfants – caricature des temps modernes souvent en prise avec l’effet de loupe des médias sociaux. Il y aurait ceux qui ont tort de favoriser l’élaboration psychique et le non-acte comme réponse intermédiaire, et ceux volontaires qui reconnaissent dans la souffrance un enfant sujet de vérité qu’il faut accueillir comme telle (la vérité…), mais avant tout agir ! Toutefois, cela ne fait-il pas complètement l’impasse de la belle et fondamentale notion freudienne (mais pas que) de bisexualité psychique, audacieuse en son temps, et presque ringarde aujourd´hui ? Elle aurait à être complétée au mieux, remplacée au pire, par le bi-multi-genre corporel en miroir du corps chargé de coller aux problématiques « labiles » et inconscientes de la croissance psychique, dont les ajustements seraient renvoyés au médical armé de bistouri et d’hormonothérapie.
Placer les enfants au milieu d’une idéologie stricte de non détermination de genre par le biologique revient à faire l’inverse de ce beau roman de Tahar Ben Jelloun, L’Enfant de sable, où un père en manque de garçon assigne à sa huitième fille, le genre dont il a besoin et l’éduque dans ce sens jusqu’aux limites des évidentes impossibilités. La bisexualité psychique permet de rappeler qu’au même moment où en effet comme l’indique la tribune du journal Libération, certains dénonçaient une épidémie d’homosexualité (1909), émergeait en parallèle une conception révolutionnaire, laquelle justement permettait de sursoir au besoin de matérialité positiviste, et offrait une voie d’échappement dans la complexité de la question identitaire : qu’est-ce qui fait que l’on se sent homme ou femme, hétérosexuel, homosexuel ou sans sexualité ? Ne serions-nous pas des « genres »-comme disent les jeunes, de fille, de garçon, qui ont à jouer avec un sexuel qui ne se détermine pas a priori, en éprouvette, hors expérience de l’érogénéité et de la sensualité, mais plutôt dans un processus instable durant une vie, subversif et transitionnel avec des notes mineures et dominantes qui tentent à mesure de s’harmoniser. Il est à peu près certain que pour une grande majorité de ces enfants en souffrance, la réponse agie permet de couper court à cette complexité, rabattant le soin sur le « quand et comment » au détriment de la mise en perspective du « pourquoi ». Si la nature va au plus pressé, un arc réflexe qui nous fait retirer la main du feu, la culture nous fait nous interroger ce qui a placé feu et main sur une trajectoire commune.
Lorsque la tribune de Libération évoque « un complet bien-être physique mental et social », il est tentant de l’entendre comme le retour de la recherche de bonheur « prêt à porter », dont Freud s’étonna et s’exaspéra durant son voyage à la Clark University, justement en 1909, en formulant son célèbre : « ils ne savent pas que je leur apporte la peste. » L’épidémiologie a souvent raison en matière de santé, elle a le mérite d’objectiver – c’est son but. Les psy(s) étudiant le suicide savent à quel point cette discipline a permis de faire avancer le débat sur les idées reçues, et sur les stratégies de soin. Mais leur objet était la crise suicidaire elle même, le spectre terrible de la psychiatrie. Plus de quinze années de travail dans ces problématiques dites multifactorielles ont créé de nouvelles habitudes de soin, sur un modèle plutôt nord-américain : encore le « quand et comment » mis en équivalence et au devant de la scène thérapeutique. Le modèle « français » a du contraindre ce modèle canadien à travailler plusieurs temporalités du soin, en réincluant de la mise en sens à côté du colossal travail de prévention.
Il est probable que les interrogations portant sur l’accompagnement des enfants qui souffrent d’un vécu de surdétermination psychique de genre, contraire au genre biologique de leur corps, devraient se doter également d’un débat à la hauteur de la question, qui engagerait la complexité de la métapsychologie, la sorcière de Freud, les solutions en question pourraient y gagner en ouverture et diversité, un « genre » de débat que l’on aime avoir…